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07/06/2024 | FRANCE | N°20/07840

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 2ème section, 07 juin 2024, 20/07840


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




6ème chambre 2ème section


N° RG 20/07840 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSTZL

N° MINUTE :


Assignation du :
24 Juillet 2020















JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDEURS

Madame [J] [V]
[Adresse 12]
[Localité 2])

Monsieur [W] [Z]
[Adresse 12]
[Adresse 3])

Monsieur [R] [Z]
[Adresse 12]
[Localité 2])

Monsieur [M] [Z]
[Adresse 12

]
[Adresse 3])

représentéespar Maître Saïda DIDI ALAOUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2055








Décision du 07 Juin 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 20/07840 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSTZL

DÉFENDERE...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section


N° RG 20/07840 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSTZL

N° MINUTE :

Assignation du :
24 Juillet 2020

JUGEMENT
rendu le 07 Juin 2024
DEMANDEURS

Madame [J] [V]
[Adresse 12]
[Localité 2])

Monsieur [W] [Z]
[Adresse 12]
[Adresse 3])

Monsieur [R] [Z]
[Adresse 12]
[Localité 2])

Monsieur [M] [Z]
[Adresse 12]
[Adresse 3])

représentéespar Maître Saïda DIDI ALAOUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2055

Décision du 07 Juin 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 20/07840 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSTZL

DÉFENDERESSES

S.A. MAAF ASSURANCES SA
[Adresse 11]
[Localité 7]

S.A.R.L. ATELIERS LECERF
[Adresse 4]
[Localité 9]

représentées par Maître Stéphane LAMBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0010

S.A.R.L. HARMATTAN
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Sabine GICQUEL de la SELARL SELARL CHAUVEL GICQUEL Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0003

S.A.R.L. A.V.G
[Adresse 1]
[Localité 10]

représentée par Maître Tanguy LETU de la SCP LETU ITTAH ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0120

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Madame Audrey BABA, Greffier

DEBATS

A l’audience du 08 mars 2024 tenue en audience publique devant Madame Stéphanie VIAUD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nadja Grenard , Présidente de formation et par Madame Audrey BABA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [S] [W] et Mme [J] [V] ont, en qualité de maître d’ouvrage, fait procéder à la rénovation d’une pièce de l’appartement dont ils sont usufruitiers situé [Adresse 8]).

Sont intervenues à l’opération de construction :
la société Harmattan, maître d’œuvre ;la société AVG, titulaire du lot de maçonnerie et d’isolation thermique et phonique du plancher et des cloisons ;la société Ateliers Lecerf, assurée auprès de la société MAAF, chargée de la pose du parquet ;la société Vadelec, titulaire du lot électricité.
Les travaux ont débuté en juin 2016.

Estimant que des malfaçons étaient intervenues durant l’exécution des travaux, les maîtres d’ouvrages ont fait dresser un procès-verbal de constat d’huissier le 22 mars 2017 relevant un défaut de planéité du plancher et un défaut d’isolation acoustique de la pièce rénovée.

Les maîtres d’ouvrages ont, postérieurement au procès-verbal de constat d’huissier, conclu un protocole d’accord avec la société Ateliers Lecerf aux termes duquel cette dernière s’engage à reprendre les travaux sur les portes et fenêtres à fins notamment d’améliorer leur isolation phonique et renonce à toute action à l’encontre des maîtres d’ouvrage.

Par ailleurs, à la suite du constat et suivant sollicitation des maîtres d’ouvrages, la société Harmattan a proposé une solution réparatrice pour remédier aux défauts de déclivité par courrier électronique du 10 février 2017 et a estimé le montant des travaux réparatoires à un montant de 7 106 € HT.

Estimant qu’il ne leur incombait pas de supporter la charge de ces travaux, les demandeurs ont saisi le juge des référés aux fins de faire désigner un expert judiciaire. Le juge des référés du tribunal de Paris a fait droit à cette demande par ordonnance du 17 mai 2018 et a nommé monsieur [I] [N] en qualité d’expert judiciaire.

Ce dernier a déposé son rapport le 4 janvier 2019.

Engagement de la procédure au fond

Par acte de commissaire de justice du 14 août 2021, Mme [J] [V], M. [S] [Z], M. [R] [Z] et M. [M] [Z] ont assigné en ouverture de rapport devant le tribunal judiciaire de Paris la société Harmattan et la société AVG.

Selon exploits des 21 et 25 octobre 2021, la société Harmattan a assigné en garantie la SARL Ateliers Lecerf et la MAAF Assurances en qualité d’assureur de la société AVG et de la société Ateliers Lecerf.

Les affaires ont été jointes

Prétentions des parties

Vu les conclusions récapitulatives de Mme [J] [V], de M. [W] [S] [Z], de M. [R] [Z] et de M. [M] [Z] signifiées par RPVA le 5 octobre 2021 par lesquelles ils sollicitent de voir :

« DIRE Mme [J] [V], M. [W] [S] [Z], M. [R] [S] [Z] et M. [M] [Z] recevables et bien fondés en leurs demandes ;
CONDAMNER solidairement les sociétés Harmattan et A.V.G. à verser une somme de 7 000 euros aux consorts [Z] au titre des travaux de reprise du plancher conformément à la solution technique préconisée par la SARL Harmattan ;
CONDAMNER solidairement les sociétés Harmattan et A.V.G. à verser à Mme [J] [V], M. [W] [S] [Z], M. [R] [S] [Z] et M. [M] [Z] une somme de 318 euros par mois au titre du préjudice de jouissance subi du fait de l’indisponibilité de la chambre mansardée à compter de la date de livraison prévisionnelle des travaux fixée au 1er septembre 2016 et jusqu'à parfaite réalisation des travaux de remise en état ;
CONDAMNER solidairement les sociétés Harmattan et A.V.G. à verser à Mme [J] [V], M. [W] [S] [Z], M. [R] [S] [Z] et M. [M] [Z] la somme de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER solidairement les sociétés Harmattan et A.V.G. aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise. »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société Harmattan signifiées par RPVA le 19 septembre 2022 par lesquelles elle sollicite de voir :

« DEBOUTER les consorts [V] et [Z] de l’ensemble des demandes dirigées à l’encontre de la SARL Harmattan
EN TOUT ETAT DE CAUSE REVOIR à de plus justes proportions leurs demandes
REJETER les demandes de condamnation solidaires ou in solidum
CONDAMNER la SARL AVG, la SARL Ateliers Lecerf et MAAF ASSURANCES, en sa qualité d’assureur de la SA Ateliers Lecerf, à relever et garantir indemne la SARL Harmattan de l’ensemble des condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre et REJETER les demandes de garantie susceptibles d’être formulées par la SARL AVG , la SARL Ateliers Lecerf et MAAF ASSURANCES, en sa qualité d’assureur de la SA Ateliers Lecerf, à l’encontre de la SARL Harmattan
CONDAMNER les consorts [V] et [Z] ou tout succombant à payer à la SARL Harmattan la somme de 5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
LES CONDAMNER aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société AVG notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022 par lesquelles elle sollicite de voir :

« RECEVOIR la société AVG en ses conclusions et y les DIRE bien-fondées.
JUGER qu’aucun élément de règlementation ou de norme ne s’applique à l’horizontalité du sol pour un bâtiment en rénovation ;
JUGER que la société AVG a parfaitement respecté son marché et ses obligations, notamment son devoir de conseil ;
JUGER que l’Expert Judiciaire ne retient absolument pas la responsabilité de la société AVG pour le défaut de planéité, lequel préexistait avant son intervention.
En conséquence,
DEBOUTER purement et simplement les Consorts [V]-[Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Et si par extraordinaire le Tribunal considérait que la planéité devait être reprise.
JUGER que la matérialité du préjudice de jouissance n’est pas rapportée.
JUGER que l’absence de reprise de la planéité découle de l’absence de directives en ce sens du maitre d’œuvre.
En conséquence,
LIMITER l’indemnisation des Consorts [V]-[Z] à la somme de 7.000 €, soit le seul préjudice matériel.
CONDAMNER la société Harmattan à garantir intégralement la société AVG de toutes les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
CONDAMNER la MAAF ASSURANCES SA à garantir la société AVG de toute condamnation qui pourra être prononcée à son encontre;
CONDAMNER in solidum la société ATELIER LERCERF et son assureur, la MAAF ASSURANCES SA à garantir la société AVG de toute condamnation qui pourra être prononcée à son encontre ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE
DEBOUTER les Consorts [V]-[Z] de toutes demandes, plus amples ou contraires.
CONDAMNER les Consorts [V]-[Z] à verser à la société AVG, une somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LES CONDAMNER aux entiers dépens. »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société Ateliers Lecerf et de son assureur la société MAAF ASSURANCES, notifiées par RPVA le 15 septembre 2022 par lesquelles elles sollicitent de voir :

« JUGER que la société ATELIER LECERF n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité civile quasi délictuelle ;
En conséquence :
PRONONCER LA MISE HORS DE CAUSE de la société ATELIER LECERF et de son assureur la MAAF ;
DEBOUTER la société Harmattan ainsi que toute autre partie, de l’ensemble de leurs demandes formées à l’encontre de la société ATELIER LECERF et de son assureur, la MAAF ;
A titre subsidiaire :
JUGER que l’Expert judiciaire a fixé le montant des travaux réparatoires nécessaires à la reprise de la déclivité du sol à la somme de 7.000 euros ;
JUGER que la somme sollicitée par les Consorts [V]-[Z] n’est fondée ni dans son principe ni dans son montant ;
En conséquence,
LIMITER le montant mis à la charge de la société ATELIER LECERF et de son assureur, la MAAF, au titre du préjudice matériel, à la somme de 7.000 euros ;
LIMITER la quote-part de responsabilité imputable à la société ATELIER LECERF à hauteur de 10% ;
REJETER la somme sollicitée par les Consorts [V]-[Z] au titre de leur prétendu préjudice de jouissance ;
CONDAMNER in solidum les sociétés Harmattan et AVG, à relever et garantir, la société ATELIER LECERF et son assureur, la MAAF, de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre en principal, frais et accessoires ;
LIMITER toute condamnation de la MAAF, recherchée en qualité d’assureur de la société ATELIER LECERF, en application des plafonds et franchises opposables à son assuré au titre des garanties obligatoires, et erga omnes s’agissant des garanties facultatives ;
En tout état de cause :
CONDAMNER in solidum la société Harmattan ainsi que toute autre partie succombante, à payer à la société ATELIER LECERF ainsi qu’à son assureur, la MAAF, la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER in solidum la société Harmattan ainsi que toute autre partie succombante aux entiers dépens. »

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières écritures précitées des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de celles-ci.

La clôture est intervenue le 18 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur les demandes principales

A. Sur la matérialité, la cause et l’origine du désordre

1. Sur la matérialité du désordre

Les consorts [V]-[Z] font valoir que le parquet posé est affecté d’un défaut de planéité.

En l’espèce il ressort du procès-verbal de constat d’huissier du 21 mars 2017 que « le sol présente un défaut de planéité et comporte une déclivité perceptible sans instrument de mesure avec pente douce, de la façade ou du centre de la chambre vers la cloison séparatrice du couloir partie commune » (page 3).

Le rapport d’expertise judiciaire du 4 janvier 2019 indique, en ce qui concerne la déclivité du sol rénové, que celle-ci est de « 1cm par mètre en moyenne dans la largeur de la pièce allant de la façade vers les parties communes » soit « 3 cm sur la largeur de la pièce en question » (page 8 et 3). Il ajoute qu’il est aisé de dormir et de lire sur un lit remis à niveau mais que travailler à temps plein et jouer de la musique sur un sol présentant cette déclivité peut s’avérer gênant.

Ces constatations ne sont contestées par aucune des parties.

Il ressort donc de ces éléments que le parquet des consorts [V]-[Z] est affecté d’un défaut de déclivité d’un centimètre par mètre en moyenne.

2. Sur les causes du désordre

Le rapport d’expertise indique en page 8 que le défaut de déclivité du parquet est dû à la conception initiale du bâtiment haussmannien ainsi qu’à l’absence de prise en compte par les intervenants à la construction de cette déclivité initiale.

En l'absence d'éléments sérieux de nature à contredire les conclusions du rapport d'expertise judiciaire sur les causes des désordres, il convient dès lors d'entériner son avis à ce titre.

B. Sur la responsabilité des intervenants au titre de leur obligation de conseil :

1. Sur la responsabilité de la société Harmattan

Au titre de l’article 1134 dans sa rédaction applicable au litige, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aussi, l’article 1135 dans sa rédaction applicable au litige dispose que les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.
L’article 1147 du même code, dans sa rédaction applicable au litige dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il est constant que l’architecte titulaire d’une mission de maîtrise d’œuvre est tenu d’une obligation de conseil à l’égard du maître d’ouvrage et doit s'assurer de la compatibilité de la construction envisagée avec l’existant et de donner tous conseils utiles au maître d’ouvrage au vu des caractéristiques de l’ouvrage.

Les demandeurs font valoir que la société Harmattan au titre de ses missions de maîtrise d’œuvre, aurait dû les avertir de ce que le sol présentait une déclivité et leur proposer une solution à même d’y remédier. Les consorts [V] et [Z] soutiennent qu’il est évident qu’ils n’auraient jamais envisagé ni accepté que le plancher de l’appartement présente une pente après travaux.

La société Harmattan soutient qu’il n’existe aucun engagement contractuel, ni de réglementation, ni aucun descriptif qui ferait état d’un objectif de rectification d’horizontalité du plancher. Ils font valoir que la déclivité mesurée par l’expert est acceptable, qu’elle est pratiquement imperceptible et que les demandeurs ne peuvent donc pas reprocher à la société Harmattan de ne pas avoir proposé de solution de nature à y remédier.

1.1 Sur l’existence de l’obligation de conseil :

En l’espèce, le syndic de copropriété a fait réaliser par la société ARTEXIA une visite de l’appartement des demandeurs le 25 mai 2015 afin d’examiner la faisabilité du projet de rénovation. Il ressort du compte-rendu de cette visite produit aux débats que la société Harmattan était présente et qu’elle a par ailleurs été destinataire du compte rendu de visite.

La société Harmattan a également assisté les maîtres d’ouvrage lors de la réalisation des travaux comme en atteste les trois ordres de service de commencement des travaux du 27 mai 2016 produit par les demandeurs, portant le nom de la société Harmattan en entête et signés par les maîtres d’ouvrage et la société Harmattan, en qualité de maître d’œuvre.

Aussi il ressort de l’ensemble de ces pièces que la société Harmattan s’est vu confier une mission de maîtrise d’œuvre visant à assister les maîtres d’ouvrages dans la réalisation des travaux de rénovation de leur appartement, au surplus, la société Harmattan ne conteste aucunement avoir participé à la conception des travaux. A ce titre elle est débitrice d’une obligation de conseil vis-à-vis du maître d’ouvrage est était tenu de lui donner toutes les informations utiles au vu des caractéristiques de l’ouvrage.

1.2 Sur le respect de l’obligation de conseil :

En l’espèce, s’il n’a été prévu aucune stipulation contractuelle relative à la planéité et que, comme le souligne l’expert judiciaire, il n’existe aucune norme en matière d’horizontalité du sol pour un bâtiment ancien en rénovation, la planéité d’un sol est une caractéristique essentielle et normalement attendue par un maître d’ouvrage faisant réaliser ce type d’ouvrage.

Comme exposé supra, la matérialité et l’étendue du défaut de planéité est suffisamment établi, en effet le procès-verbal de constat d’huissier relève que la déclivité du sol est perceptible sans qu’il soit nécessaire de faire usage d’un instrument de mesure et l’expert souligne qu’il peut en résulter une gêne, notamment pour travailler et jouer de la musique.

Aussi, le maître d’œuvre, qui ne conteste pas être intervenu dès la conception du projet, était tenu, au titre de son obligation de conseil et sans qu’il ait été besoin de contractualiser la remise à niveau du sol, d’avertir le maître d’ouvrage de ce que la pose du sol ne pourrait pas garantir une planéité parfaite du fait des caractéristiques de l’existant.

Il ne ressort d’aucun élément du dossier que la société Harmattan ait averti le maître d’ouvrage de ce défaut de planéité antérieurement à la réalisation des travaux, la société Harmattan a donc manqué à son obligation de conseil et sera condamnée à indemniser les consorts [V] et [Z] de leur préjudice.

2. Sur la responsabilité de la société AVG

Les demandeurs font valoir que la société AVG, en qualité d’intervenant à la construction, était tenu d’un devoir de conseil à l’égard des maîtres d’ouvrage sur la déclivité du sol quand bien même elle ait été uniquement chargée dans le cadre des travaux litigieux de la pose de l’isolation acoustique.

La société AVG fait valoir que l’obligation de conseil n’est due que lorsqu’il existe un risque de violation d’une norme, d’un DTU ou d’une obligation légale ou réglementaire, qu’en l’espèce il n’existait aucune obligation relative à l’horizontalité du sol, que si ce dernier présente une certaine déclivité, elle ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination de sorte que son manquement à l’obligation de conseil ne peut être recherchée par les consorts [V]-[Z].

Il est constant que tout entrepreneur est tenu d’un devoir de conseil qui s’étend notamment aux risques présentés par la réalisation de l’ouvrage envisagé, eu égard en particulier à la qualité des existants sur lesquels il intervient. L’entrepreneur doit aussi avertir des conséquences d’une mauvaise implantation de l’ouvrage, même si celle-ci a été choisie par le maître d’ouvrage.

En l’espèce, il ressort du devis du 5 avril 2017 produit par la société AVG qu’elle était chargée des travaux d’isolation phonique du plancher, lesquels impliquaient, en plus de la pose d’un sandwich acoustique, une reprise partielle du plancher sur 2m² pour arasement au niveau du parquet existant et la découpe du faux plancher existant de l’appartement.

Aussi les travaux réalisés par la société AVG sur le parquet lui ont permis d’avoir une parfaite connaissance du défaut de planéité du sol, lequel était, selon le procès-verbal précité, visible sans appareil de mesure. La société AVG n’apporte pas la preuve d’avoir averti les maîtres d’ouvrage de l’existence de ce défaut alors même qu’elle y était tenue au titre de son obligation de conseil, laquelle porte notamment sur la qualité des existants ainsi que des conséquences d’une mauvaise implantation de l’ouvrage.

La société AVG sera donc condamnée à réparer le préjudice subi par les consorts [V]-[Z].

C. Sur le préjudice subi par les consorts [V]-[Z]

1. Sur le préjudice matériel

Les consorts [V]-[Z] font valoir avoir subi un préjudice matériel de 7 000 € correspondant au montant des travaux nécessaires à la réparation du désordre.

La société Harmattan soutient que ce préjudice n’est ni certain ni actuel dans son principe et son montant en ce que, d’une part ce dernier aurait déjà été indemnisé au titre d’un protocole d’accord signé avec la société Ateliers Lecerf, chargé des travaux de pose du parquet et d’autre part, les demandeurs sollicitent de manière approximative le montant des travaux en produisant des devis dont le caractère réalisable n’est pas certain.

En l’espèce, les demandeurs produisent un courrier du 10 février 2017 de la société Harmattan établissant le coût des travaux de changement du sol de la chambre à 7 106 € TTC. Le rapport d’expertise indique en page 10 que, « en ce qui concerne les travaux de reprise sur le plancher, ils sont estimés à 7 000 euros, conformes et cohérents et devis présentés ».

Par ailleurs, le protocole d’accord signé par les consorts [V] et [Z] et la société Ateliers Lecerf n’a pas pour objet, contrairement à ce que soutient la société Harmattan, la réparation des désordres relatives à la planéité du parquet. Il ressort en effet du document produit que le défaut de planéité mentionné apparaît en préambule à des fins de contextualisation du litige et que la partie « Concessions acceptées par la société Ateliers Lecerf» indique que la société Ateliers Lecerf s’engage à réparer les désordres portant uniquement sur les portes acoustiques et les fenêtres et non pas sur le préjudice résultant du défaut de planéité du parquet.

Dans ces conditions, les sociétés Harmattan et AVG seront condamnées in solidum à payer aux consorts [V] et [Z] la somme de 7 000 € au titre des travaux de reprise du parquet.

2. Sur le préjudice de jouissance

Les consorts [V] et [Z] soutiennent avoir subi un préjudice de jouissance tenant à l’indisponibilité de la chambre compte tenu de l’inconfort généré par la déclivité du plancher qu’ils évaluent à un montant de 318 mensuels à compter du 1er septembre 2016 et jusqu’à parfaite réalisation des travaux de remise en état.

La société Harmattan fait valoir que la pièce litigieuse ne peut être considérée comme une pièce habitable au sens du règlement sanitaire de la ville de PARIS, sa surface étant inférieure à 9m².

La société AVG soutient que l’expert judiciaire a relevé que la déclivité du sol n’entraînerait qu’une gêne correspondant à des situations particulières et qu’en conséquence le préjudice de jouissance doit être écartée.

En l’espèce le rapport d’expertise indique page 9 dans ses conclusions relatives aux conséquences des désordres :
« Les conséquences du manque d’horizontalité sont les suivantes : la chaise sur roulette du bureau devra être bloquée et les pieds du lit et du bureau devront être ajustés à la pente. La nature de l’activité prévue est un point qu’il aurait été utile de préciser. En effet il est aisé de dormir et de lire sur un lit remis à niveau, en revanche travailler à temps plein et jouer de la musique, sur un sol présentant cette déclivité peut s’avérer gênant ».

Il ressort de ces conclusions que ce désordre, s’il n’entraîne pas une inhabilité de la chambre, génère un inconfort quotidien dans l’utilisation de cette pièce de sorte que le préjudice de jouissance est caractérisé. Dès lors les demandeurs ne seront pas suivis en leur demande dès lors qu’ils ont fait le choix de ne pas habiter les lieux.

Compte tenu de la nature et de la durée du désordre, ce préjudice sera justement évalué à la somme de 2000 euros.

D. Sur la garantie de l’assureur

La société AVG soutient que la société MAAF doit la garantir de toutes les condamnations prononcées contre elle au titre de sa police d’assurance 192166957 U MPB 00 et produit une attestation de police d’assurance multirisque professionnelle n° 192166957 U MPB 001 « Valable pour la période du 01/01/2022 au 31/12/2022 ». Aucun des éléments versés ne permet d’établir que la garantie est acquise, les travaux ayant été réalisés et l’assignation adressée antérieurement à la période mentionnée sur l’attestation produite.

La société AVG sera par conséquent déboutée de sa demande de garantie.

E. Sur les appels en garantie

Il est de principe que dans leurs relations entre eux, les responsables ne peuvent exercer de recours qu’à proportion de leurs fautes respectives, sur le fondement contractuel s'ils sont contractuellement liés ou délictuel s’ils ne le sont pas.

La société Harmattan fait valoir que le défaut d’horizontalité est dû à une erreur dans la mise en œuvre du parquet qui ne peut résulter que d’une faute des sociétés AVG et Ateliers Lecerf et que ces dernières doivent donc être condamnées à la garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle.

La société Ateliers Lecerf soutient que la société Harmattan n’apporte pas la preuve d’une faute, que l’expert indique que la déclivité est due à la configuration initiale des lieux et qu’elle a effectué les travaux sous le contrôle et conformément aux instructions du maître d’œuvre.

La société AVG soutient que si le défaut de conseil devait être retenu, il découlerait de l’absence de directive de la société Harmattan qui devra être condamnée à la garantir de toutes condamnations.

En l’espèce et comme il a été décidé précédemment les sociétés Harmattan et AVG ont toutes deux commis une faute en ce qu’elles ont manqué à leur obligation de conseil

En ce qui concerne la société Ateliers Lecerf, il est établi qu’elle est également intervenue pour avoir été chargée de la pose d’un parquet en bois de type « merbau ». En posant le parquet, l’entreprise a accepté le support sur lequel elle est intervenue sans qu’il soit par ailleurs démontré qu’elle ait proposé en amont ou au cours des travaux une quelconque solution afin de remédier au problème de déclivité, ni même qu’elle ait évoqué cette difficulté avec le maître d’ouvrage afin de s’assurer qu’il en avait connaissance et qu’il l’acceptait. Elle a ainsi commis une faute en lien avec le dommage. Sa responsabilité est dès lors engagée.

La MAAF en tant qu’assureur de la société Ateliers Lecerf ne dénie pas sa garantie, elle y sera tenue dans les limites prévues au contrat, contenant plafonds et franchise.

Compte tenu de ce qui précède, étant précisé que l’obligation du maître d’œuvre réside principalement dans son devoir de conseil et de suivi de l’exécution du chantier alors que l’obligation de conseil de l’entrepreneur n’est qu’accessoire à son obligation de réaliser les travaux, le partage de responsabilité sera donc fixé comme suit :
- la société Harmattan : 60% ;
- la société Ateliers Lecerf, garantie par la MAAF: 20 %;
- la société AVG : 20 %.

II- Sur les demandes accessoires

Sur les dépens
et sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une partie. Elle peut également être condamnée à payer à l'autre une somme que le juge détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. A cet égard, le juge tient compte, dans tous les cas, de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Parties ayant succombé au sens de ces dispositions, la société Harmattan et la société AVG seront condamnées in solidum aux dépens, en ce compris ceux de l’expertise judiciaires. Elles seront également condamnées in solidum à payer aux consorts [V] et [Z] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La charge finale des dépens et celle de l'indemnité de procédure seront réparties entre les parties succombantes au prorata des responsabilités retenues, dans les limites contractuelles des polices respectives (plafonds et franchises), ainsi qu'il suit :

- la société Harmattan : 60% ;
- la société Ateliers Lecerf, garantie par la MAAF: 20 %;
- la société AVG : 20 %

Les parties seront déboutées de l’ensemble de leurs autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense, leur débouté découlant nécessairement des motifs amplement développés dans tout le jugement.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;

DIT que la responsabilité contractuelle de la société Harmattant et de la société AVG est engagée à l’égard de Mme [J] [V], M. [W] [Z], M. [R] [Z] et M. [M] [Z]

CONDAMNE in solidum la société Harmattan et la société AVG à payer à Mme [J] [V], M. [W] [Z], M. [R] [Z] et M. [M] [Z] la somme de 7000 € (sept mille euros) au titre des travaux de reprise des désordres relatifs au parquet;

CONDAMNE in solidum la société Harmattan et la société AVG à payer à Mme [J] [V], M. [W] [Z], M. [R] [Z] et M. [M] [Z] la somme de 2000€ (deux mille euros) au titre du préjudice de jouissance ;

DIT que dans le rapport entre coobligés, le partage de responsabilité s’effectuera de la manière suivante :
- la société Harmattan : 60 % ;
- la société AVG : 20 % ;
- la société Ateliers Lecerf, garantie par la MAAF: 20%

DIT que dans leurs recours entre eux, la société la société Harmattan, la société AVG, la société Ateliers Lecerf et la MAAF en sa qualité d’assureur de la société Ateliers Lecerf, dans les limites contractuelles des polices souscrites incluant plafonds et franchises, seront garanties des condamnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilité sus-mentionné;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE in solidum la société Harmattan , la société AVG aux dépens, en ce compris ceux de l’expertise judiciaire;

CONDAMNE in solidum la société Harmattan et la société AVG à payer à Mme [J] [V], M. [W] [Z], M. [R] [Z] et M. [M] [Z] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

DIT que la charge finale des dépens et celle de l'indemnité de procédure seront réparties entre les parties succombantes au prorata des responsabilités retenues, dans les limites contractuelles des polices respectives (plafonds et franchises), ainsi qu'il suit :
- la société Harmattan : 60 % ;
- la société AVG : 20 % ;

- la société Ateliers Lecerf, garantie par la MAAF: 20%

RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire

Fait et jugé à Paris le 07 Juin 2024

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/07840
Date de la décision : 07/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-07;20.07840 ?
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