La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2024 | FRANCE | N°21/15508

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 04 juin 2024, 21/15508


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 21/15508
N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

N° MINUTE :




Assignations du :
30 Novembre 2021
1er et 2 Décembre 2021





JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [S] [H]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Laurent ABSIL de la SELARL ACTIS AVOCATS, avocats au barreau de VAL-DE-MARNE, avocats postulant, vestiaire #PC001, et par Me Chris

tophe LACHAT, avocat au barreau de GRENOBLE, avocat plaidant


DÉFENDEURS

Monsieur [D] [W]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Linda HALIMI-BENSOUSSAN, avocat au barr...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 21/15508
N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

N° MINUTE :

Assignations du :
30 Novembre 2021
1er et 2 Décembre 2021

JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [S] [H]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Laurent ABSIL de la SELARL ACTIS AVOCATS, avocats au barreau de VAL-DE-MARNE, avocats postulant, vestiaire #PC001, et par Me Christophe LACHAT, avocat au barreau de GRENOBLE, avocat plaidant

DÉFENDEURS

Monsieur [D] [W]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Linda HALIMI-BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0427

S.A. [12]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représentée par Me Claire ROZELLE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC415

S.A. [15]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 11]
représentée par Me David MARCOTTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0630
Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15508 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 02 Avril 2024 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

[X] [W] épouse [H] a conclu, de son vivant, les trois contrats d’assurance suivants :
- un « contrat collectif garantie vie à cotisations périodiques avec contre-assurance décès » intitulé « Livret [15] » et numéroté 372625, auprès de la SA [15] le 10 juillet 1992,
- un contrat d’assurance sur la vie intitulé « PEP Poste », numéroté 93704342612 signé le 17 juillet 1992 auprès de la SA Préviposte, aux droits de laquelle vient la SA [12],
- un contrat « Protectys Autonomie » auprès de cette même société [12], numéroté 84606088800 et signé le 25 août 2005.

Aux termes des deux premiers de ces contrats, [X] [W] a désigné Mme [S] [H], sa fille, comme seule bénéficiaire du capital convenu au titre de la garantie décès.

Par courrier du 27 septembre 2019, la société [15] a accusé réception de la demande formulée par [X] [W] le 20 septembre 2019, de remplacement du bénéficiaire désigné au titre du contrat n° 372625 au profit de son neveu, M. [D] [W]. Par courrier du 4 octobre 2019, la société [12] a accusé réception d’une demande identique au titre du contrat « PEP Poste » n° 93704342612.

Suivant décision du 18 juin 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Romans-sur-Isère a prononcé une mesure de curatelle simple au bénéfice d’[X] [W].

[X] [H] est décédée le [Date décès 4] 2021, laissant derrière elle un testament olographe daté du 15 février 2018 désignant sa fille somme seule héritière de son patrimoine.

Par trois courriers recommandés datés du 29 juin 2021, Mme [H], exposant avoir été informée des modifications des clauses bénéficiaires après le décès de sa mère, a avisé M. [W] de son intention de contester ces avenants et a sollicité des sociétés [15] et [12] le blocage des capitaux des contrats d'assurance ainsi que la transmission des informations relatives aux contrats.

Par ordonnance rendue le 20 juillet 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, saisi par Mme [H], a enjoint les sociétés [15] et [12] à communiquer différents documents relatifs aux contrats en cause et leur a ordonné de se constituer séquestre des capitaux devant être versés au titre de ces mêmes contrats.

En parallèle, par exploits d'huissier des 30 novembre 2021, 1er et 2 décembre 2021, Mme [H] a fait assigner M. [W], la société [12] et la société [15] devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 23 août 2022, Mme [H] demande au tribunal de :

« Vu les dispositions des articles 464, 414-1 et 414-2 du Code Civil,
Vu les dispositions de l’article L 132-4-1 du Code des Assurances,

II. A titre principal
CONSTATER que le changement de clause bénéficiaire des contrats d'assurance-vie :
o Contrat livret [15] souscrit par Madame [X] [H] le 10 juillet 1992, N°372625
o et Contrats PREVIPOSTE souscrit par Madame [X] [H] le 17 juillet 1992, REF CNP : 937 043426 12 et souscrit le 25 août 2005 REF CNP : 84606088800 souscrits par Madame [X] [H] a été effectué moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection alors que l’altération des facultés personnelles de Madame [X] [H] était notoire et lui portait préjudice.
En conséquence,
PRONONCER la nullité de la modification des clauses relatives au bénéficiaire en date du :
o 27.09.2019 du contrat d'assurance-vie Contrat livret [15] souscrit par Madame [X] [H] le 10 juillet 1992, N°372625
o et du 04.10.2019 pour Contrats PREVIPOSTE, REF CNP : 937043426 12 et REF CNP : 84606088800
Souscrits par Madame [X] [H], par application des dispositions des articles 464 du Code Civil et L 132-4-1 du Code des Assurances.

III. A titre Subsidiaire
JUGER que le changement de clause bénéficiaire des contrats d'assurance-vie :
o Contrat livret [15] souscrit par Madame [X] [H] le 10juillet 1992, N°372625
o et Contrats PREVIPOSTE souscrit par Madame [X] [H] le 17 juillet 1992,REF CNP : 937 043426 12 et souscrit le 25 août 2005 REF CNP : 84606088800
Souscrits par Madame [X] [H] a est intervenu alors qu’elle n’était plus en possession de ses facultés intellectuelles et insane d’esprit.

En conséquence,
PRONONCER la nullité de la modification des clauses relatives au bénéficiaire des contrats d'assurance-vie en date du 2 7.09.2019 du contrat d'assurance-vie Contrat livret [15] souscrit par Madame [X] [H] le 10 juillet 1992, N°372625 et celle du 04.10.2019 pour Contrats PREVIPOSTE, REF CNP : 937 043426 12 et REF CNP : 84606088800 souscrits par Madame [X] [H], par application des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du Code Civil.

IV. En tout état de cause
DECLARER opposable le Jugement à venir aux sociétés [12] et [15],
CONDAMNER Monsieur [D] [W] au paiement d'une somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER Monsieur [W] en tous les dépens de l'instance distraits au profit de Maître Xavier TERMEAU, Avocat au Barreau de PARIS, sur son affirmation de droit ».

Sur le fondement des articles 464 du code civil et L.132-4-1 du code des assurances, elle soutient que les nouvelles désignations effectuées le 20 septembre 2019 sont nulles dès lors qu’elles sont intervenues moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture d'une mesure de curatelle au bénéfice de sa mère ; qu’à cette date, les troubles altérant les facultés mentales de sa mère étaient déjà connus de M. [W] et que ce dernier n’ignorait donc pas l’incapacité d’[X] [W] à consentir, sans assistance neutre, aux actes critiqués, qu’elle assimile à des actes graves de disposition de la part de sa mère dès lors qu’ils opèrent une modification sensible de son patrimoine. Elle souligne en outre qu’en raison de la paranoïa de sa mère à son égard, elle avait sollicité l’aide de son cousin pour maintenir le lien avec elle, ce que ce dernier avait accepté, mais qu’il s’est ensuite gardé de lui signaler les démarches effectuées avec celle-ci.

Par ailleurs, Mme [H], invoquant les articles 414-1 et 414-2 du code civil, conclut également à la nullité de ces modifications de bénéficiaire en raison de l’insanité d’esprit dont était atteinte [X] [W] au jour de ces modifications. Elle rappelle à cet égard que les troubles mentaux de sa mère s’étaient fortement aggravés au moment du changement des clauses bénéficiaires et que préalablement à l'apparition de ces troubles et à l'intervention de M. [W], sa mère avait organisé son héritage pour que l'ensemble de ses biens soit dévolu à sa fille, de sorte que ce changement peu de temps avant son décès ne peut aucunement refléter sa volonté.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 27 novembre 2022, M. [W] demande au tribunal de :

« Vu les articles 414-1 et 464 du Code Civil
Vu l’article L132-4-1 du Code des assurances
Vu les pièces
Vu les faits
CONSTATER que la défunte avait la pleine capacité juridique pour prendre les décisions objets du présent litige en faveur du concluant.
CONSTATER que la défunte avait toutes ses facultés pour gérer et administrer de façon autonome ses biens
CONSTATER qu’il n’est pas établi que la défunte souffrait d’une altération des facultés personnelles notoire lui portant préjudice

Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15508 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

CONSTATER qu’il n’est pas démontré que la défunte n’était plus en possession de ses facultés intellectuelles
CONSTATER que la preuve d’une insanité d’esprit de la défunte à la date des modifications des clauses bénéficiaires n’est pas rapportée
En conséquence :
DECLARER que les modifications de clauses bénéficiaires litigieuses sont parfaitement valables et ne peuvent être annulées
DECLARER les demandes de Mme [H] [S] infondées
DEBOUTER la demanderesse de l’intégralité de ses demandes
CONDAMNER Mme [H] [S] au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC outre les entiers dépens de l’instance ».

Au visa des articles 414-1 et 464 du code civil et L. 132-4-1 du code des assurances, il fait valoir que sa tante ne faisait l'objet d'aucune mesure de protection juridique au jour des modifications en cause des clauses bénéficiaires des contrats et qu’il n’est pas davantage démontré qu’à cette même date, elle aurait été dans l'incapacité de consentir seule à ces modifications en raison de ses troubles mentaux. Il souligne alors s'être occupé de la défunte, fâchée avec sa fille, de sorte qu'elle a naturellement eu l'intention de le gratifier.

Il expose en outre que la substitution du bénéficiaire d'une assurance-vie constitue un acte d'administration des biens et non un acte de disposition, de sorte qu’[X] [W] pouvait y procéder seule, même au regard de la mesure de curatelle prononcée postérieurement. Il conteste également toute preuve rapportée de ce qu'il aurait abusé d'un état de faiblesse de la défunte.

Par dernières écritures régularisées par voie électronique le 13 septembre 2022, la société [12] demande au tribunal de :

« Vu les dispositions des articles 464, 414-1 et 414-2 du Code Civil
Vu les dispositions des articles l132-4-1 du Code des assurances,
Constater que la [12] s’en rapport à justice.
Condamner les défaillants à payer à la [12] la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’au entiers dépens dont distraction au profit de Maître Claire ROZELLE ».

Elle relève, sur le fondement des articles 292 B, 757 B et 806 du code général des impôts, qu'elle ne dispose pas des pièces justificatives nécessaires à la libération des capitaux du contrat « PEP Poste » n°93704342612.

Elle explique ensuite, pour le contrat « Protectys Autonomie » n°84606088800, que l’assureur de ce contrat est désormais la SA [13], non attraite en la cause, et que ce contrat ne prévoit aucune garantie décès, ayant pour unique objet de garantir le risque de dépendance d’[X] [W], qui seule pouvait donc bénéficier des prestations convenues.

Elle souligne par ailleurs que les dispositions de l'article L.132-4-1 du code des assurances invoquées par Mme [H] s'appliquent uniquement à l'acceptation par le bénéficiaire de sa désignation, et sont donc sans lien avec le présent litige portant uniquement sur le changement de désignation au profit de M. [W] avant toute acceptation du bénéfice de l’assurance-vie.

Elle s’oppose enfin, dans les motifs de ses écritures, à toute exécution provisoire du jugement et sollicite à défaut la consignation des sommes, ou à tout le moins la constitution d’une garantie réelle ou personnelle.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 19 octobre 2022, la société [15] demande au tribunal :

« Vu les articles 464, 414-1 et 414-2 du Code Civil,
Vu l’article L 132-4-1 eu Code des Assurances,
Vu l’article L 132-23-1 du Code des Assurances,
Vu les articles 514, 514-1, 521 et 514-5 du Code de Procédure Civile,
(...)
Donner acte à [15] de ce qu’elle s’en rapporte à la décision du Tribunal en ce qui concerne la demande d’annulation de la modification de la clause bénéficiaire du contrat LIVRET-[15] intervenue à effet 20 septembre 2019 à la demande de Madame [X] [H],
Condamner la partie défaillante à payer à [15] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
Ecarter en tout l’exécution provisoire,

A titre subsidiaire, en cas de maintien de l’exécution provisoire de droit, ordonner la consignation du montant du capital décès acquis au titre du contrat LIVRET-[15], et ce jusqu’à ce que le bénéficiaire du capital décès soit désigné par une décision de justice définitivement passée en force de chose jugée,

A titre infiniment subsidiaire,
Ordonner au bénéficiaire du capital décès acquis au titre du contrat LIVRET-[15] désigné par le Tribunal la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations,
Condamner la partie défaillante aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître David MARCOTTE, avocat aux offres de droit ».

S’en rapportant à justice concernant la demande d’annulation de la clause bénéficiaire de son contrat, elle souligne qu’en application des dispositions de l'article L.132-23-1 du code des assurances, le capital lié ne pourra produire aucun intérêt dès lors qu'elle a respecté ses obligations légales et qu’elle ne dispose pas des pièces fiscales nécessaires pour la libération des fonds. Elle souligne en toute hypothèse que M. [W], en qualité de bénéficiaire désigné, a sollicité de lui-même que soit suspendue toute procédure de déblocage des fonds en raison de la contestation élevée par Mme [H].

Elle ajoute encore qu’aucune faute ne peut non plus lui être reprochée dans la mesure où la demande de modification a été faite par [X] [W] à une date où elle n’était placée sous aucune mesure de protection et que l’assurée avait alors exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de désigner M. [W] comme bénéficiaire du capital souscrit.

Elle soutient enfin, au visa des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, que l'exécution provisoire est incompatible avec la nature du litige dès lors qu’elle est exposée, en cas d’infirmation du jugement par la cour d’appel, au risque de devoir s’acquitter une seconde fois du capital souscrit, à un bénéficiaire différent, sans garantie de pouvoir récupérer la somme versée au titre du jugement.

A défaut de voir écarter l’exécution provisoire, elle sollicite la consignation du capital jusqu’à désignation de son bénéficiaire par une décision ayant force de chose jugée ou, à tout le moins, la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante par le bénéficiaire désigné pour répondre de toutes restitutions ou réparations.

La clôture est intervenue le 17 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’en application de l'article 768 du code de procédure civile, « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ».

Le tribunal n'est par conséquent pas saisi des demandes de la société [12] aux fins de voir écarter l’exécution provisoire ou de voir ordonner une consignation des capitaux des assurances-vie ou, à défaut, la constitution d’une garantie réelle ou personnelle par le bénéficiaire désigné par le tribunal, ces demandes n’étant pas reprises au dispositif de ses dernières conclusions.

Sur le contrat « Protectys Autonomie » conclu le 25 août 2005

En vertu de l’article 9 du code de procédure civile, « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

En l’espèce, la société [12] conteste non seulement être l’assureur débiteur des obligations au titre du contrat Protectys Autonomie n° 84606088800 en raison d’un transfert de droits au bénéfice de la SA [13], mais également la nature de ce contrat comme ne prévoyant aucune garantie décès, et partant, ne pouvant pas bénéficier en toute hypothèse à Mme [H].

Il incombe à cette dernière, qui sollicite la nullité de la clause bénéficiaire modifiée qui y serait insérée, non seulement de rapporter la preuve de la nature de ce contrat, mais également de l’avenant qu’elle critique.

Or, Mme [H] ne produit pas le contrat en cause tel qu’il aurait été signé par sa mère. De plus, selon les éléments qu’elle produit relatifs à ce contrat, les garanties souscrites portent sur l’allocation de différentes rentes en fonction du degré de perte d’autonomie de l’assurée, qui seule donc peut en bénéficier, et ne font aucunement état d’une garantie en cas de décès.

Par ailleurs, la demanderesse ne justifie par aucune pièce d’un quelconque avenant à ce contrat, le courrier ci-avant évoqué du 4 octobre 2019 ne portant que sur le contrat « PEP Poste » n° 93704342612.

Dans ces circonstances, les demandes formées par Mme [H] au titre du contrat Protectys Autonomie n° 84606088800 seront intégralement rejetées.

Sur la demande de nullité des modifications de la clause bénéficiaire

En matière d'assurance-vie, conformément à l'article L. 132-8 du code des assurances dans sa version en vigueur au jour de la modification des clauses bénéficiaires, « Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l'assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.
(…)
En l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du code civil, soit par endossement quand la police est à ordre, soit par voie testamentaire » .

Il en résulte que le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie reste libre, en l'absence d'acceptation par le bénéficiaire de sa désignation, de lui substituer un nouveau bénéficiaire, cet acte unilatéral de volonté n'exigeant donc ni le concours du bénéficiaire, ni le consentement de l'assureur pour sa validité.

Par ailleurs, l'article 414-1 du code civil dispose que : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ».

Il est admis que l'insanité d'esprit se définit comme l'altération des facultés mentales. Elle comprend toutes les variétés d'affections mentales par l'effet desquelles l'intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée. Elle se déduit de toute affection d’une gravité suffisante pour altérer les facultés de la personne au point de la priver de la capacité de discerner le sens et la portée de l’acte qu’elle établit.

Aux termes de l'article 414-2 du même code, « De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 2224 ».

Enfin, en vertu de l’article 464 de ce code, « Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés.
Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée.
Par dérogation à l'article 2252, l'action doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d'ouverture de la mesure ».

En l'espèce, il n’est pas contesté la recevabilité de l’action de Mme [H] en qualité d’héritière d’[X] [W] en application de l'article 414-2 susvisé.

De plus, si les dernières écritures de Mme [H] contiennent, dans leur dispositif, des demandes distinctes à titre principal et à titre subsidiaire, ces demandes concourent en réalité à une seule prétention, à savoir l’annulation des modifications des clauses bénéficiaires des deux assurances-vie objets du litige, et le tribunal est alors libre d’apprécier les moyens au soutien de cette prétention dans l’ordre qu’il entend leur donner.

Il incombe ainsi à Mme [H] de rapporter la preuve, conformément aux termes de l’article 414-1 du code civil, de l’existence d’une altération des facultés mentales d’[X] [W] à la date de réalisation des demandes de modification en cause, soit le 20 septembre 2019, selon les courriers des assureurs.

A cet égard, le tribunal observe tout d’abord qu’aucune des parties, en ce compris les assureurs pourtant premièrement concernés, n’évoque la forme ou les moyens usés par [X] [W] pour transmettre ces demandes à la société [15] et à la société [12]. Le tribunal ne se trouve ainsi nullement éclairé sur ces points, bien que la société [15] évoque d’elle-même qu’il lui revenait de s’assurer du caractère certain et non-équivoque du nouveau choix effectué par son assurée.

S’agissant de l’état de santé de sa mère à la date du 20 septembre 2019, Mme [H] verse aux débats :

- le certificat établi le 12 juin 2019 par le Docteur [B], dans le cadre d'une demande d'allocation personnalisée formulée par Mme [H] au bénéfice d'[X] [W], dans lequel il relève, au titre des pathologies de l’intéressée, des troubles cognitifs d'allure neuro-dégénérative avec troubles du comportement, outre un état dépressif. Il ajoute, dans la partie « description des déficiences », détecter des troubles du psychisme caractérisés par un « syndrome dépressif majeur » et une « démence », et, dans la rubrique consacrée aux conséquences de ces déficiences, s'agissant du niveau d'autonomie pour « converser et/ou se comporter de façon logique et sensée », il renseigne la lettre « C », correspondant, selon la légende du document à « ne fait pas », soit un défaut total d’autonomie. Il note enfin que la situation lui semble très évolutive ;

- le certificat médical établi le 10 août 2019 par le Docteur [R], en vue d’une mesure de protection à l’égard d’[X] [W], lequel rapporte, concernant les altérations des facultés mentales de celle-ci, qu’il considère par ailleurs définitives et en voie d’aggravation : « Elle est très persécutée par sa fille [S], sur un mode désormais franchement délirant. Les éléments dépressifs sont importants (tristesse, ruminations morbides, réactivation du passé difficile, repli sur soi...). (...) La mémoire est imprécise, probablement altérée, avec le recours des arguments destinés à masquer ses difficultés. Le jugement est en rapport, faussé par l’anosognosie et le vécu délirant ». Il note que la « lecture, capacités à écrire et à compter paraissent grossièrement conservées, mais il existe de petits signes de déclin ». Il explique en conséquence que ces altérations mentales mettent en danger [X] [W] car celle-ci refuse l’aide de sa famille. S’il estime que celle-ci peut être entendue par le juge des tutelles, il remarque toutefois que « le sentiment de persécution par sa fille va s’exprimer fortement ». Il conclut : « l’état mental de madame [H] [X], née le [Date naissance 10] 1931, marqué par un état dépressif avec hostilité et un petit déclin cognitif, peut justifier de l’instauration d’une mesure de curatelle pour accompagner une situation familiale difficile ».

Il ressort de ces éléments médicaux, établis à date très rapprochée des modifications des clauses bénéficiaires en cause, qu’[X] [H], alors âgée de 87 ans, était atteinte de troubles mentaux dégénératifs déjà très installés, les médecins ne pouvant qu’anticiper une évolution défavorable de ces troubles et constatant leurs effets sur les capacités mémorielles et cognitives de l’intéressée.

De l’avis également concordant de ces médecins, ces troubles ont en outre causé chez [X] [H] un syndrome de persécution au détriment de sa fille, Mme [H], se manifestant par une hostilité envers celle-ci et une perte de confiance dans leurs rapports.

L’existence d’un tel syndrome se trouve corroboré par les autres pièces produites par la demanderesse, en particulier le message téléphonique adressé par Mme [H] à M. [W] le 15 août 2019, soit peu de temps avant la modification des clauses bénéficiaires, dans lequel elle relate le refus de sa mère de toute aide, en dépit d’un besoin d’assistance motivé par la gestion de ses documents administratifs et par des comportements réitérés de mise en danger. Mme [H] sollicite alors le soutien de M. [W], indiquant : « si tu pouvais insister auprès d’elle, que ces démarches qui sont en cours sont faites pour qu’elle puisse rester chez elle, ça m’aiderait bien ».

De plus, le 27 juin 2020, soit postérieurement au jugement d’ouverture de la mesure de curatelle, [X] [W] a adressé un courrier à M. [W] et à son épouse, dans lequel, qualifiant sa fille uniquement comme « l’autre », elle réfute toute aide que lui aurait apportée celle-ci, estime qu’en lien avec la mesure de curatelle, sa fille « a mis tout le monde dans sa poche (même le docteur) » et relève qu’elle « a recommencé à téléphoner aux infirmières mais elles ne lui répondent pas ». Dans un courrier similaire adressé au juge des contentieux de la protection, elle souligne encore que ses voisins, dont Mme [L], la soutiennent et ne veulent plus non plus parler à sa fille.

En contradiction nette avec les affirmations ainsi tenues par [X] [W], Mme [H] justifie, par des attestations tant des aides à domicile s’étant occupées de sa mère, que de Mme [L], du souci constant qu’elle a manifesté pour sa mère et des actions menées dans son intérêt et son bien-être. Mme [L] témoigne en outre des relations très proches entre la mère et sa fille avant 2019.

Bien que ces événements et ces attestations soient postérieurs aux actes critiqués, ils éclairent néanmoins utilement le tribunal sur les troubles cognitifs dont la présence a été constatée chez [X] [W] à compter de 2019 et sur leurs répercussions manifestes quant à la perception de la réalité par l’intéressée, en particulier ses relations avec sa fille.

Force est alors d’observer qu’antérieurement à l’apparition de ces troubles, [X] [W] avait constamment et fermement manifesté la volonté de désigner sa fille comme seule héritière de l’ensemble de son patrimoine.

En effet, outre qu’[X] [W] n’avait jamais modifié, avant le 20 septembre 2019, les clauses bénéficiaires des deux contrats conclus en 1992, son testament olographe daté du 15 février 2018, soit environ 19 mois seulement avant les avenants litigieux, resté non modifié avant son décès, fait état de sa volonté de « lègue[r] tout ce que j'ai (voiture, comptes à la Poste, [15], etc…) uniquement à ma fille [S] [H] née le [Date naissance 3]/1959 à [Localité 14] ». Elle a en outre explicitement souhaité exclure de son héritage tout autre membre de sa famille : « Aucun autre membre de ma famille ([W] ou [H]) ne devra prétendre à quoi que ce soit ».

Contrairement à ce qu’il soutient, M. [W] n’apporte aucun élément établissant des liens proches avec [X] [W] préalablement aux avenants du 20 septembre 2019, mais encore aux messages téléphoniques de Mme [H] le sollicitant, moins d’un mois avant la date des avenants, pour l’aider dans ses relations avec celle-ci.

Alors que les troubles dont souffrait [X] [W] étaient de nature à gravement altérer ses relations avec sa fille, rien ne vient donc expliquer la volonté soudaine d’[X] [W] de gratifier ce dernier en lieu et place de sa fille.

Du tout, il y a lieu de retenir qu’à la date du 20 septembre 2019, [X] [W] était atteinte de troubles cognitifs définitifs altérant ses facultés de discernement, en particulier dans ses rapports avec sa fille. Au regard des actes réalisés par la défunte, dont la nature et la portée impliquaient une capacité à clairement discerner et apprécier les liens l’unissant avec les différents membres de sa famille, il y a donc lieu de retenir que ces troubles présentaient une gravité suffisante pour la priver de sa capacité à consentir aux deux actes en cause.

En conséquence, les deux modifications des clauses bénéficiaires, sollicitées par [X] [W] le 20 septembre 2019, seront annulées.

Sur les autres demandes

M. [W], succombant, sera condamné aux dépens, avec droit de recouvrement conforme aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et à payer à Mme [H] une indemnité de 2.000 euros au titre de l’article 700 du même code.

En revanche, l’équité commande de rejeter les prétentions formées tant par la société [15] que par la société [12] sur ce même fondement.

Ces deux sociétés étant en outre déjà en la cause, la demande de Mme [H] que le présent jugement leur soit déclaré opposable est sans objet.
Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15508 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020.

Si la société [15] sollicite que cette exécution provisoire soit écartée, cette demande ne se trouve motivée que par la libération à venir des capitaux des assurances à leur bénéficiaire et au risque de non-recouvrement de ces derniers en cas d’infirmation par la cour d’appel.

Néanmoins, le tribunal n’est saisi par Mme [H] d’aucune demande de libération des capitaux séquestrés entre les mains des assureurs, étant uniquement sollicitée la nullité des modifications réalisées le 20 septembre 2019. De plus, le seul risque d’infirmation du jugement ne peut justifier que soit écartée l’exécution provisoire que la loi lui attache de plein droit.

En conséquence, l’exécution provisoire sera maintenue. Les mêmes motifs, outre l’ancienneté du litige opposant les parties, conduisent également à rejeter les demandes subsidiaires de la société [15] en consignation des capitaux et en constitution d’une garantie réelle ou personnelle par le bénéficiaire du contrat.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Déboute Mme [S] [H] de l’ensemble de ses demandes au titre du contrat Protectys Autonomie,

Prononce la nullité de la modification de la clause bénéficiaire désignant M. [D] [W], effectuée le 20 septembre 2019 par [X] [W], pour le contrat d’assurance-vie « Livret [15] » n° 372625,

Prononce la nullité de la modification de la clause bénéficiaire désignant M. [D] [W], effectuée le 20 septembre 2019 par [X] [W], pour le contrat d’assurance-vie « PEP Poste » n° 93704342612,

Condamne M. [D] [W] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me [M] [C], de Me Claire Rozelle et de Me David Marcotte, avocats, chacun pour ce qui les concerne, conformément aux termes de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [D] [W] à payer à Mme [S] [H] la somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

Déboute les autres parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit du jugement,

Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15508 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ6

Déboute la SA [15] de ses demandes en consignation des capitaux du contrat d’assurance-vie « Livret [15] » n° 372625 et en constitution, par le bénéficiaire désigné par ce contrat, d’une quelconque garantie réelle ou personnelle,

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties.

Fait et jugé à Paris le 04 Juin 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/15508
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;21.15508 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award