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04/06/2024 | FRANCE | N°21/15309

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 04 juin 2024, 21/15309


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 21/15309
N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ3

N° MINUTE :




Assignation du :
03 Décembre 2021









JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. JAEV
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laure BOISSONNAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0106


DÉFENDERESSE

CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOL

E PARIS VAL DE LOIRE, exerçant sous le nom commercial GROUPAMA PARIS VAL DE LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Guillaume ANQUETIL de l’AARPI ANQUETIL ASSOCIES, avocats au barreau de PAR...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 21/15309
N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ3

N° MINUTE :

Assignation du :
03 Décembre 2021

JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. JAEV
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laure BOISSONNAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0106

DÉFENDERESSE

CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLE PARIS VAL DE LOIRE, exerçant sous le nom commercial GROUPAMA PARIS VAL DE LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Guillaume ANQUETIL de l’AARPI ANQUETIL ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D0156

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15309 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ3

DÉBATS

A l’audience du 12 Mars 2024 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 29 novembre 2019, la SAS Jaev, exploitant deux fonds de commerce de restauration au sein de Paris dénommés « L’été en pente douce » et « La fourmi ailée », a souscrit auprès de la caisse de crédit agricole mutuel Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Paris Val de Loire (ci-après, la caisse Groupama), deux contrats d’assurance multirisque professionnelle « Accomplir », avec effet au 1er janvier 2020 (contrats n° 053451532003 et 054638821002).

A partir du 15 mars 2020, diverses mesures ont été mises en oeuvre pour empêcher la propagation du virus de la Covid-19, notamment un arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 14 mars 2020, complété d’un arrêté pris le 15 mars 2020 et suivi du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ainsi que du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

La société Jaev, invoquant la nécessité de fermer au public ses deux restaurants en lien avec ces mesures, a déclaré un sinistre pour pertes d’exploitation auprès de la caisse Groupama par courrier du 30 septembre 2021.

En l’absence de retour de la caisse Groupama, elle l’a mise en demeure, par lettre recommandée de son conseil en date du 20 octobre 2021, d’avoir à l’indemniser pour ce sinistre. En réponse, la caisse Groupama a opposé un refus de garantie.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier de justice en date du 3 décembre 2021, la société Jaev a fait citer la caisse Groupama devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 8 décembre 2022, la société Jaev demande au tribunal de :

« Vu les articles 6, 1103 et 1104, 1189 et 1190 du Code civil,
Vu les articles L 112-4, L 113-1 et L 125-1 du Code des assurances,
Vu l’article L 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution,
Vu l’article 2.19 des conditions générales de la police d’assurance,
Vu les pièces versées et visées à la procédure,
(...)
- JUGER que l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 et les décrets successifs visant directement les restaurants et débits de boissons leur interdisant d’accueillir du public correspond bien à une décision de fermeture prise par une autorité administrative compétente ;
- JUGER que la décision de fermeture a été prise en conséquence d’une épidémie ;
- JUGER que l’exclusion de garantie n’est pas applicable en l’espèce ;
- JUGER que la société JAEV rempli les conditions de mobilisation de la garantie perte d’exploitation ;
- JUGER que la garantie perte d’exploitation souscrite par la société JAEV auprès de la compagnie couvre le risque lié à la fermeture des deux établissements par décision administrative à la suite de la crise sanitaire ;

En conséquence,
- CONDAMNER la compagnie GROUPAMA à indemniser la société JAEV des préjudices subis au titre de la garantie perte d’exploitation pour un montant de 1 065 803 €, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du 15 ème jour de la signification de la décision à intervenir, et ce, pendant 6 jours, période au-delà de laquelle il sera fait à nouveau droit, et se réserver la liquidation des astreintes ;
- ORDONNER la publication judiciaire, aux frais de GROUPAMA, dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir, sur la page d’accueil du site de GROUPAMA, accessible à l’url : https://www.groupama.fr/, pendant une durée ininterrompue de 30 jours, sur un bandeau fixe, en haut de page, dans un encadré, étant précisé que la taille utilisée des caractères ne pourra être inférieure à la police de taille 16, du texte suivant :
« Par jugement en date du ……. Rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS, la compagnie GROUPAMA a été condamnée à indemniser la société JAEV des pertes d’exploitation subies suite à la fermeture administrative de ses établissements décidées par les autorités administratives ».
- ASSORTIR la condamnation de publication judiciaire d’une astreinte de 1 000 € par jour de retard et se réserver la liquidation de l’astreinte ;

A titre subsidiaire sur le quantum et avant dire droit :
- CONDAMNER la compagnie GROUPAMA à payer une provision à la société JAEV d’un montant de 100 000 €,
- ORDONNER une mesure d’expertise comptable à réaliser aux frais avancés de l’assureur ;

En toutes hypothèses :
- CONDAMNER la compagnie GROUPAMA aux entiers dépens de l’instance, lesquels seront recouvrés par Maître Laure BOISSONNAT, Avocat au Barreau de PARIS, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la compagnie GROUPAMA au versement de la somme de 8 000 € au profit de la société JAEV au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ».

Elle expose avoir souscrit pour l’établissement « L’été en pente douce », une garantie « Perte d’exploitation - Tous dommages » et pour l’établissement « La fourmi ailée » ,une garantie « Perte d’exploitation - Hors bris », de sorte que la caisse Groupama est redevable de ces deux garanties en raison des pertes d’exploitation subies durant la crise sanitaire liée au virus de la Covid-19, les restrictions gouvernementales prises pour lutter contre la pandémie l’ayant contrainte à fermer ses deux établissements. Elle ajoute que l’éventuelle tardiveté de la déclaration de sinistre est sans incidence sur l’obligation de garantie, les contrats conclus ne prévoyant aucun délai entraînant une éventuelle déchéance, outre qu’un tel délai serait contraire au principe de réassurance.

En réponse à la caisse Groupama, elle soutient que celle-ci se prévaut d’une clause d’exclusion de garantie, laquelle doit être déclarée nulle pour violation des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances. Elle prétend, d’une part, que cette clause, issue du tableau des montants de garantie et des franchises en annexe aux conditions générales (page 9), n’est pas mentionnée en caractères très apparents et ne se différencie dès lors pas clairement du reste des garanties, à la différence des autres exclusions prévues au contrat et, d’autre part, que cette clause est formulée en des termes généraux et n’est ainsi ni formelle, ni limitée. Elle objecte encore que l’interprétation proposée par la défenderesse de cette clause priverait de sa substance l’objet même de la garantie, qui est d’indemniser les pertes d’exploitation résultant d’une décision de fermeture consécutive d’une épidémie.

Elle soutient ensuite que les conditions des garanties souscrites sont réunies dès lors, d’une part, qu’il était matériellement impossible d’accéder à ses deux restaurants durant les confinements en cause, circonstance caractérisée par l’impossibilité de recevoir des clients pour leur servir des repas, et d’autre part, que le virus de la Covid 19 constitue un phénomène naturel s’étant disséminé sur le territoire français.

Elle se prévaut enfin des règles de droit commun d’interprétation des contrats et de l’obligation d’exécution de bonne foi des conventions pour conclure que la clause de condition de garantie et celle d’exclusion de garantie, en s’interprétant l’une par rapport à l’autre, conduisent à rendre la clause d’exclusion inapplicable.

Se fondant sur son chiffre d’affaires pour l’année 2019, elle estime sa perte de chiffre d’affaires à 777.071 euros pour l’année 2020 et à 631.977 euros pour l’année 2021, soit une perte totale après application de sa marge brute de 1.065.803 euros. Elle sollicite, à défaut d’être suivie dans ses calculs, une mesure judiciaire d’expertise comptable.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 9 février 2023, la caisse Groupama demande au tribunal de :

« Vu les dispositions de la police souscrite par la société JAEV auprès de GROUPAMA PARIS VAL DE LOIRE
Vu la Jurisprudence susvisée
(...)
DEBOUTER la société JAEV de l'intégralité de ses demandes au regard de l’absence de réunion des conditions de garantie, et, très subsidiairement de l’absence de justification de la perte prétendument couverte

Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/15309 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVTZ3

LA CONDAMNER à payer à la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES PARIS VAL DE LOIRE la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
ECARTER TOUTE EXECUTION PROVISOIRE du jugement à intervenir ».

Rappelant que la preuve de la réunion des conditions de la garantie souscrite incombe à l’assuré, elle souligne à titre liminaire que le périmètre de sa garantie, tel que défini par l’article 2.19 des conditions générales du contrat, est limité aux pertes d’exploitation consécutives soit à un dommage matériel, soit à une impossibilité matérielle d’accès aux locaux, laquelle doit être elle-même la conséquence de l’un des événements limitativement énumérés au contrat.

Elle objecte alors que la société Jaev ne rapporte pas la preuve de la réunion de ces conditions cumulatives. Elle expose ainsi, pour la première des conditions, que les mesures sanitaires n’ont jamais interdit un accès total aux locaux des restaurants, les gérants, salariés et serveurs/livreurs étant autorisés à s’y rendre pour exercer l’activité autorisée de livraisons et de retraits de commande ; que la clause prévoit une impossibilité matérielle d’accéder « à vos locaux professionnels » alors que les arrêtés gouvernementaux ont interdit l’accès à tous les établissements de la catégorie N et non uniquement à ceux de la société Jaev ; qu’une telle mesure n’entre pas au demeurant dans le champ de la garantie, puisque le contrat n’a pour objet que d’indemniser les pertes liées à un dommage matériel survenu dans les locaux assurés, ou à un sinistre survenu à proximité des locaux assurés, et non un phénomène d’ampleur national.

Elle prétend ensuite, pour la seconde condition, que l’impossibilité d’accès ne résulte pas, comme l’exige la clause de garantie, d’un événement naturel survenu dans le voisinage des établissements exploités, compte tenu de la propagation au niveau mondial du virus de la Covid-19 justifiant l’adoption de mesures sanitaires nationales. Elle relève en outre que l’intention de l’assureur est clairement de garantir des événements climatiques, notion d’ailleurs prévue à l’article 2.3 du contrat, ce que ne constitue pas la pandémie qui n’a jamais été classée par le gouvernement au rang des catastrophes naturelles, et que rien n’établit au demeurant que la pandémie résulterait d’un événement naturel, au regard de l’hypothèse d’une erreur de manipulation d’un laboratoire chinois.

En réponse à la nullité de la clause sollicitée par la société Jaev, elle souligne que cette clause ne s’analyse pas en une exclusion de garantie, mais en définit les limites, et que la demanderesse n’a pas conclu une garantie « tout sauf », les événements garantis étant ceux remplissant les conditions fixées à la police et non pas uniquement ceux en étant expressément exclus. Elle conclut au surplus à la parfaite clarté des clauses débattues au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances et à la parfaite délimitation du risque couvert.

A titre infiniment subsidiaire, elle relève que seule une attestation d’expert-comptable vient au soutien de la demande indemnitaire de la société Jaev, pièce insuffisante à établir sa perte d’exploitation ; qu’il convient en outre, pour le calcul de cette perte éventuelle, de se limiter aux seules périodes de restrictions sanitaires ; qu’il y a lieu de tenir compte des économies réalisées sur ces mêmes périodes, outre qu’en toute hypothèse, la crise sanitaire a entraîné une baisse de la fréquentation des restaurants.

Elle s’oppose enfin à toute mesure de publication judiciaire.

La clôture a été ordonnée le 19 septembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir “juger” ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Il ne sera donc pas statué sur ces “demandes” qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

Sur la garantie de la caisse Groupama

Sur l’opposabilité de la clause 2.19 des conditions générales

Sur la validité de la clause 2.19

Selon l'article L. 113-1 alinéa 1er du code des assurances, « les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».

En vertu de l’article L. 112-4 in fine de ce code, « Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ».

En l’espèce, il n’est pas débattu entre les parties que les documents contractuels versés aux débats constituent l’ensemble des stipulations des deux assurances souscrites le 29 novembre 2019, étant souligné que les deux assurances se réfèrent à un même document pour leurs conditions générales.

A suivre alors la demanderesse, ces conditions contiendraient la clause d’exclusion suivante, qu’elle cite en page 6 de ses écritures et dont elle sollicite la nullité sur le fondement des articles susvisés :
« Sont exclues (page 9) du tableau des montants de garantie et des franchises :
- Dommage matériel indemnisé
- Dommage matériel direct causés par attentat ou acte de terrorisme aux biens assurés contre l’incendie et subis sur le territoire national

- Impossibilité d’accès aux locaux (y compris interdiction par les autorités) suite à un incendie, explosion, évènement naturel survenu dans le voisinage, catastrophe naturelle
- Dommage par une cause catastrophe naturelle ».

Néanmoins, la lecture des documents contractuels ne permet pas de retrouver une telle clause.

Il apparaît, compte tenu de la citation de page par la société Jaev, qu’elle se réfère à la page du tableau des montants de garantie et des franchises qu’elle produit en pièce n° 6, lequel fait état, en cas de perte d’exploitation, d’une « indemnisation (12 mois maximum) pour pertes consécutives à une baisse de votre chiffre d’affaires (y compris frais supplémentaires d’exploitation engagés) par suite de :
- dommage matériel indemnisé
- dommage matériel direct causé par attentat ou acte de terrorisme aux biens assurés contre l’incendie et subis sur le territoire national
- impossibilité d’accès aux locaux (y compris interdiction par les autorités) suite à incident, explosion, événement naturel survenu dans le voisinage, catastrophe naturelle
- dommage par une catastrophe naturelle ».

Cet extrait du tableau venant en annexe des conditions générales apparaît en outre concordant avec la clause 2.19 de ces mêmes conditions, selon laquelle l’assureur s’engage au paiement d’une indemnité pour compensation d’une perte d’exploitation « lorsque vous vous trouvez dans l’impossibilité totale ou partielle de poursuivre votre activité à la suite :
- d’un dommage matériel indemnisé au titre du présent contrat,
- d’un dommage matériel direct causé par un attentat ou un acte de terrorisme aux biens assurés contre les dommages d’incendie et subis sur le territoire national,
- de dommages matériels directs non assurables à l’ensemble des biens garantis par le contrat ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance, ou n’ont pu être prises,
- d’une impossibilité matérielle d’accès à vos locaux professionnels (y compris en cas d’interdiction par les autorités compétentes), par suite d’incendie ou d’explosion, d’évènements naturels survenus dans le voisinage, catastrophes naturelles ».

Il en ressort clairement que ces stipulations n’instituent aucune nullité, déchéance ou exclusion de la garantie, mais définissent le périmètre de la garantie « perte d’exploitation » souscrite, de sorte que les dispositions susvisées et invoquées par la société Jaev n’ont pas vocation à s’appliquer à la clause 2.19 invoquée par la caisse Groupama.

Au surplus, contrairement à ce que soutient la société Jaev, la rédaction de la clause litigieuse est précise et dénuée d’ambiguïté, prévoyant, ainsi que le souligne la caisse Groupama, différentes conditions pour la mobilisation de la garantie « perte d’exploitation », à savoir l’existence d’un dommage aux biens de l’assuré ou une impossibilité d’accès aux locaux professionnels, ces options étant elles-mêmes soumises à des critères explicitement et exhaustivement énumérés.

Cette clause est ainsi formelle et limitée et permet à l’assuré de parfaitement saisir les limites de la garantie souscrite.

En conséquence, la nullité de la clause 2.19 invoquée par la société Jaev sera écartée.

Sur l’application de la clause 2.19

Aux termes de l'article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

L’article 1104 du même code dispose : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 1189-1 du code civil, « Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci ».

L’article 1190 du code ajoute que : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d'adhésion contre celui qui l'a proposé ».

La société Jaev sollicite, sur ces fondements, que le jeu de la clause 2.19 soit exclu comme venant en contradiction avec les conditions particulières de chacune des assurances souscrites et prévoyant :

- pour l’établissement « L’été en pente douce », en page 5 des conditions, selon l’extrait de tableau suivant :

LA PROTECTION DE VOTRE ACTIVITE : LA PROTECTION FINANCIERE
Garantie
Acquise
Montant Garanti (1)
Franchise (1)
(...)
(...)
(...)
(...)
Perte d’exploitation Tous Dommages
Oui
889 704 €
(2)

- pour l’établissement « L’été en pente douce », en page 5 des conditions, selon l’extrait de tableau suivant :

LA PROTECTION DE VOTRE ACTIVITE : LA PROTECTION FINANCIERE
Garantie
Acquise
Montant Garanti (1)
Franchise (1)
(...)
(...)
(...)
(...)
Perte d’exploitation Hors bris
Oui
593 134 €
(2)

Néanmoins, la dernière page de ces conditions particulières rappelle explicitement que « les présentes Conditions Personnelles sont accompagnées des documents contractuels suivants qu’elles complètent, l’ensemble constituant le contrat d’assurance conclu entre vous et la Caisse locale Groupama - Fascicule Dispositions Générales (...) ».

Ainsi les parties sont-elles liées par les dispositions particulières mais également celles générales du contrat, ces dernières ayant vocation à détailler les garanties auxquelles l’assuré a entendu souscrire aux termes des dispositions particulières signées avec l’assureur.

La société Jaev ne motive alors pas davantage une quelconque contradiction à relever entre ces différentes stipulations, se bornant à soutenir que « l’assureur garantit donc les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative du fait d’une épidémie » (page 11 des conclusions). Toutefois, ce principe ne ressort nullement des différentes clauses précitées. En outre, pour les motifs ci-avant adoptés, la clause 2.19 étant claire, précise et permettant de comprendre sans ambiguïté les limites de la garantie souscrite, il n’y a pas lieu pour le tribunal de procéder à son interprétation.

En conséquence, la clause 2.19, telle que figurant aux conditions générales mises aux débats, est applicable au litige.

Sur la réunion des conditions de la garantie

En application de l’article 1353 du code civil, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

En matière d’assurance, il appartient ainsi à celui qui réclame le bénéfice de l’assurance d’établir que sont réunies les conditions requises par la police pour mettre en jeu cette garantie.

En l’espèce, conformément aux termes de la clause 2.19 précédemment citée, la rédaction de la garantie « perte d’exploitation » prévoit tout d’abord deux situations ayant pu causer, pour l’assuré, une impossibilité totale ou partielle de poursuivre son activité : un dommage matériel ou une impossibilité matérielle d’accès aux locaux.

Il ressort des écritures des parties que seule cette seconde hypothèse est envisagée, la société Jaev ne soutenant pas avoir subi un quelconque dommage matériel en raison des faits qu’elle invoque.

Comme le soutient alors à juste titre la caisse Groupama, il revient à la société Jaev d’établir, d’une part, que l’accès à ses locaux était matériellement impossible et, d’autre part, que cette impossibilité résultait de l’un des événements précis listés, à savoir un incident, une explosion, un événement naturel dans le voisinage ou une catastrophe naturelle.

A l’égard de la première condition, il n’est prévu aucune définition de « l’impossibilité matérielle d’accès aux locaux » et il convient donc d’en déduire que la clause ne se limite pas à l’hypothèse d’une impossibilité d’accès aux restaurants pour la clientèle.

Il y a alors lieu de rappeler que les mesures administratives ordonnées sur le plan national à partir du 15 mars 2020 pour lutter contre l’épidémie de la Covid-19 n’ont pas rendu matériellement inaccessibles les locaux exploités par la société Jaev. Certes, ces mesures lui interdisaient tout accueil de la clientèle au sein de ses établissements, mais ses locaux restaient ouverts notamment pour les gérants et salariés qui pouvaient toujours se rendre physiquement sur place afin d’exercer une activité de vente à emporter et/ou de livraison.

De même, les mesures restrictives de déplacement édictées par le gouvernement (décret n°2020-293 du 23 mars 2020) ne se confondent pas avec une impossibilité d’accès visant les locaux eux-mêmes, critère que la clause litigieuse stipule clairement.

Au vu de ces éléments, il apparaît donc que la première condition de garantie n’est pas remplie.

Au surplus, même à supposer l’impossibilité matérielle d’accès avérée, elle ne résulte d’aucun des événements expressément énoncés dans la clause litigieuse (incendie, explosion, événement naturel survenu dans le voisinage ou catastrophe naturelle). En effet, il ne peut valablement être soutenu que la pandémie mondiale liée à la propagation du virus de la Covid-19 et ses conséquences d’ampleur internationale, ayant requis de la part du gouvernement français l’édition de mesures d’interdiction applicables sur l’ensemble du territoire de la République, puissent s’analyser en un « événement naturel survenu dans le voisinage » au sens entendu par les parties au moment de contracter.

La seconde condition de garantie n’est donc pas non plus remplie.

En conséquence, la société Jaev ne rapporte pas la preuve que les conditions de la garantie de la caisse Groupama sont réunies.

Elle sera dès lors déboutée de sa demande en indemnisation des pertes d'exploitation alléguées, ainsi que de sa demande en publication du présent jugement.

Il y a également lieu de rejeter sa demande subsidiaire en versement d’une provision et en organisation d’une mesure d’expertise-comptable pour évaluation de ses pertes d’exploitation.

Sur les autres demandes

La société Jaev, succombant, sera condamnée aux dépens.

Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par la caisse Groupama à l’occasion de la présente instance. Elle sera ainsi condamnée à lui payer la somme de 3.000 euros à ce titre.

L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020.

Si la caisse Groupama sollicite que l’exécution provisoire soit écartée, il ressort des moyens formulés dans le corps de ses écritures que cette demande n’est formée qu’à titre infiniment subsidiaire, en cas de mobilisation de sa garantie et d’allocation d’une indemnité à la société Jaev.

Dès lors, le sens de la décision et l’ancienneté du litige commandent que l’exécution provisoire de droit attachée au jugement soit maintenue.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Déboute la SAS Jaev de sa demande en indemnisation au titre des contrats d’assurance « Accomplir » n°053451532003 et n°054638821002,

Déboute la SAS Jaev de sa demande en publication sous astreinte du jugement,

Déboute la SAS Jaev de ses demandes subsidiaires en provision et aux fins de voir ordonner une mesure d’expertise-comptable,

Condamne la SAS Jaev aux entiers dépens,

Condamne la SAS Jaev à payer à la caisse de crédit agricole mutuel Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Paris Val de Loire la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit du jugement.

Fait et jugé à Paris le 04 Juin 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/15309
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;21.15309 ?
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