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04/06/2024 | FRANCE | N°20/04819

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 04 juin 2024, 20/04819


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 20/04819
N° Portalis 352J-W-B7E-CSEXN

N° MINUTE :




Assignations des :
29 Mai 2020
12 Juin 2020







JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [H] [P] épouse [T]
[Adresse 2]
[Localité 7] (ISRAËL)
représentée par Me Laurent BESSON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2438


DÉFENDERESSES

S.A. CRÉDIT LYONNAIS


[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric LEVADE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L007

S.A. PREDICA PRÉVOYANCE DIALOGUE DU CRÉDIT AGRICOLE
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée p...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 20/04819
N° Portalis 352J-W-B7E-CSEXN

N° MINUTE :

Assignations des :
29 Mai 2020
12 Juin 2020

JUGEMENT
rendu le 04 Juin 2024
DEMANDERESSE

Madame [H] [P] épouse [T]
[Adresse 2]
[Localité 7] (ISRAËL)
représentée par Me Laurent BESSON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2438

DÉFENDERESSES

S.A. CRÉDIT LYONNAIS
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric LEVADE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L007

S.A. PREDICA PRÉVOYANCE DIALOGUE DU CRÉDIT AGRICOLE
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Stéphanie COUILBAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1590

Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/04819 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSEXN

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 12 Mars 2024 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 mars 2007, Mme [H] [P] épouse [T] a adhéré au contrat d'assurance-vie de groupe « Acuity » n° [XXXXXXXXXX05] souscrit par la SA Crédit Lyonnais auprès de la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole (ci-après la société Predica), avec un versement initial de 280.000 euros.

Par courriel en date du 13 février 2018, Mme [T] a indiqué à la société Crédit Lyonnais avoir déposé une demande de rachat total de son contrat auprès de son agence.

Par courriel du 14 février 2018, la société Crédit Lyonnais a accusé réception de cette demande, puis a donné main-levée le 16 février 2018 d’un nantissement grevant l’assurance-vie au titre d’un prêt contracté auprès d’elle par Mme [T]. Elle a transmis, le même jour, la demande à la société Predica.

Suivant courriel du 12 mars 2018, l’époux de Mme [T], en lien avec des discussions sur un avis à tiers détenteur émis par l’administration fiscale le 28 décembre 2017 sur le contrat, a transmis à la société Crédit Lyonnais copie du courrier de mainlevée totale d’opposition de la trésorerie des Hauts-de-Seine, lequel avait été adressé à la société Predica le 3 janvier 2018, selon les mentions portées à celui-ci.

Le 27 mars 2018, la société Predica a informé Mme [T] du rachat total de son contrat à la date du 22 mars 2018.

Par courrier en date du 29 juin 2018, Mme [T] a sollicité de la société Predica le paiement de la somme de 12.365,27 euros correspondant, selon elle, à la différence de valeur des fonds investis à la date du rachat le 22 mars 2018 par rapport à la date initiale de sa demande le 12 février 2018.

Selon projet d’accord transactionnel daté du 6 septembre 2018, la société Predica a proposé à Mme [T] une indemnité à hauteur de 6.491,70 euros, correspondant à la différence de valorisation entre la date du 22 mars 2018 et celle du 21 février 2018, soit un rachat enregistré le 19 février 2018, outre des pénalités de retard de 191,69 euros.

Après refus de cette proposition et à l’issue de nouveaux échanges n’ayant pas permis une issue amiable au litige, Mme [T] a fait assigner la société Predica et la société Crédit Lyonnais devant le tribunal judiciaire de Paris, par exploits d'huissier en date des 29 mai et 12 juin 2020.

Suivant décision en date du 18 janvier 2022, le juge de la mise en état a ordonné à la société Predica de communiquer à Mme [T] l'original de la pièce n°4 versée par celle-ci et intitulée « Bordereau de rachat total réceptionné le 19 février 2018 ».

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 4 juillet 2022, Mme [T] demande au tribunal de :

« Vu l’article 299 du Code de procédure civile,
Vu les anciens articles 1134 et 1147 du Code civil,
(...)
- RECEVOIR Madame [T] en ses demandes, fins et conclusions ;

L’y déclarant bien fondée :
Avant dire droit :
- EXAMINER l’original du bordereau de rachat du compte assurance vie ACUITY n° [XXXXXXXXXX05] (pièce n°4 PREDICA), en particulier en ce qui concerne la date de signature ;
- CONSTATER qu’une surcharge portant transformation d’un 3 en 8 y est visible ;
- JUGER que cette altération fait perdre à ladite pièce tout caractère probant, s’agissant d’un « faux » au sens de l’article 299 du Code de procédure civile ;
- REJETER le bordereau de rachat du compte assurance vie ACUITY n° [XXXXXXXXXX05] (pièce n°4 PREDICA) ;
- CONDAMNER la société PREDICA à une amende civile d’un montant de 10.000,00 euros, conformément à l’article 295 du Code de procédure civile ;

A titre principal :
- CONDAMNER solidairement les sociétés CREDIT LYONNAIS et PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE à verser à Madame [T], la somme de 12.365,27 euros (avant fiscalité), à titre de dommages-intérêts ;
- ASSORTIR ladite somme des intérêts au taux légal à compter du 15 février 2018 ;

A titre subsidiaire :
- CONDAMNER solidairement les sociétés CREDIT LYONNAIS et PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE à verser à Madame [T], la somme de 6.491,70 euros (nette de fiscalité), à titre de dommages-intérêts ;

En tout état de cause :
- CONDAMNER solidairement les sociétés CREDIT LYONNAIS et PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE à verser à Madame [T], la somme de 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- RAPPELER que la décision à intervenir est exécutoire de droit à titre provisoire ;
- DEBOUTER les sociétés CREDIT LYONNAIS et PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE de l’ensemble de leurs demandes ;
- CONDAMNER solidairement les sociétés CREDIT LYONNAIS et PREDICA PREVOYANCE DIALOGUE DU CREDIT AGRICOLE aux entiers dépens dont tous éventuels frais d’expertise ».

A titre liminaire, elle souligne que la date figurant sur le bordereau de rachat est falsifiée, le nombre « 13 » ayant été modifié en « 18 » de manière à permettre aux défenderesses de s’exonérer de leur responsabilité pour n’avoir traité que le 19 février 2018, au lieu du 15 février 2018, sa demande de rachat. Elle souligne en outre l’incohérence de cette date, qui correspond à un dimanche, et l’absence de tout élément extrinsèque permettant de la confirmer.

Sur le fond, soulignant que les défenderesses ne contestent pas la valeur de rachat de l’assurance-vie au 15 février 2018, elle prétend qu’aucun obstacle n’empêchait le traitement de sa demande, dès lors que la société Predica avait été informée dès le 3 janvier 2018 de la mainlevée de la saisie administrative et que le nantissement grevant par ailleurs le contrat résultait d’un prêt contracté auprès du Crédit Lyonnais, remboursé depuis le 28 mai 2010. Elle précise que le maintien de ce nantissement était dès lors abusif et ne pouvait pas, en toute hypothèse, lui être reproché dans le cadre de son rachat.

Elle prétend par ailleurs ne pas disposer des éléments contractuels permettant de déterminer les modalités d’appréciation de la date de rachat mais souligne que la distinction opérée par la société Predica entre ses services et ceux de la société Crédit Lyonnais est artificielle, de sorte que seule la date du premier dépôt de sa demande doit être prise en compte.

Elle conclut en conséquence à un manquement fautif des défenderesses pour ne pas avoir libéré les fonds en cause dans le délai contractuellement prévu de deux jours ouvrables après sa demande déposée le 13 février au soir, soit au plus tard le 15 février 2018.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 26 septembre 2022, la société Predica demande au tribunal de :

« - Rejeter l’incident de faux formé par Mme [T] et toute demande de condamnation de PREDICA à ce titre ;

A titre principal,
Vu l’ATD reçu le 04.01.2018 par PREDICA,
Vu l’absence de réception par PREDICA de la mainlevée du 03.01.2018 avant le 15.03.2018,
- Juger que la Société PREDICA ne pouvait pas exécuter la demande de rachat total réceptionnée le 19.02.2018 et n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité ;

En conséquence, rejeter la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [H] [P] [T].

Subsidiairement,
- Juger que les calculs de Mme [T] sont erronés, qu’elle ne peut pas réclamer la somme de 12.725,26 € et qu’à considérer que la Société PREDICA ait commis une faute, Mme [T] n’aurait pu prétendre qu’à une somme de 6.491,70 € qui lui a été proposée début septembre 2018 ;
- Rejeter toute demande complémentaire dirigée à contre la Société PREDICA et notamment la demande de Mme [T] formée au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile que le contentieux aurait pu être évité si elle avait accepté le versement proposé par PREDICA en septembre 2018 ;
- Condamner Mme [T] à verser à la Société PREDICA la somme de 2.500 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner toute partie perdante aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl MESSAGER COUILBAULT, représentée par Maître Stéphanie COUILBAULT-DI TOMMASO, Avocat au Barreau de Paris, en application des articles 699 et suivants du Code de Procédure Civile ».

Elle soutient pour l’essentiel que la « surcharge » appliquée sur la date du « 12 » a eu pour effet de la transformer en « 13 février 2018 », correspondant à la date de dépôt par Mme [T] des pièces nécessaires à sa demande. Elle ajoute que ces circonstances sont en toute hypothèse indifférentes à l’issue du litige dès lors que le nantissement grevant l’assurance-vie n’a été levé par le Crédit lyonnais que le vendredi 16 février 2018 et qu’en excluant les jours chômés, elle a donc enregistré sa demande le premier jour ouvrable suivant, soit le lundi 19 février 2018.

Sur le fond, elle objecte n’avoir commis aucune faute puisque le 4 janvier 2018, elle a reçu de l’administration fiscale un avis à tiers détenteur relatif à une saisie sur le contrat d’assurance-vie litigieux, qu’elle était ainsi contrainte d’attendre le délai d’opposition de deux mois, soit jusqu’au 4 mars 2018, avant de pouvoir opérer toute valorisation et rachat des fonds investis, et qu’elle n’a été informée de la mainlevée de cette mesure que par le courriel du 12 mars 2018 de M. [T]. Elle estime avoir ensuite dans les meilleurs délais réalisé le rachat total sollicité et souligne avoir soumis à la demanderesse une offre d’indemnisation retenant la date de réception par ses services de sa demande le 19 février 2018.

Subsidiairement, elle conteste le calcul opéré par Mme [T] pour une valorisation du capital à la date du 12 février 2018, alors qu’elle n’a présenté une demande que le 13 février 2018 et que cette demande n’a pu être complète que le 16 février en raison d’un nantissement grevant l’assurance-vie au profit du Crédit Lyonnais, qui l’a levé à cette date. Elle déclare alors avoir respecté les termes du contrat, lesquels prévoient un délai de deux jours à compter de la date de présentation de la demande complète auprès de l’assureur, ayant en effet reçu la demande complète le 19 février 2018 et l’ayant traitée dès le 21 février 2018. Elle souligne en outre que l’indemnité demandée est calculée sur une valeur brute, alors que la somme en cause aurait nécessairement été soumise à fiscalisation.

Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/04819 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSEXN

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 30 décembre 2022, la société Crédit Lyonnais demande au tribunal de :

« A titre principal,
Débouter Madame [H] [P] [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l’égard du CREDIT LYONNAIS,
A titre infiniment subsidiaire,
Constater que le quantum des demandes de Madame [H] [P] [T] est infondé,
En tout état de cause,
Condamner Madame [H] [P] [T] à payer au CREDIT LYONNAIS la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamner Madame [H] [P] [T] aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, par Maître Frédéric LEVADE, Avocat à la Cour ».

Se joignant aux moyens de la société Predica, elle soutient que l’incident de faux soulevé par Mme [T] est sans objet puisqu’en toute hypothèse, le traitement de sa demande ne pouvait pas intervenir avant la levée du nantissement lié au prêt et que sa demande a alors été transmise au plus tôt à l’assureur, qui l’a reçue le 19 février 2018.

Elle conteste sur le fond toute faute qui lui serait imputable, faisant valoir qu’à réception de la demande de rachat le 14 février 2018, elle a tout mis en oeuvre pour vérifier le sort du nantissement, qu’elle a alors pu en donner main-levée dès le vendredi 16 février 2018 et qu’elle a ainsi transmis sa demande complète à l’assureur qui l’a reçue le lundi 19 février 2018. Elle se prévaut ensuite de sa qualité de simple courtier, le reste de la procédure pour le rachat incombant ainsi uniquement à la société Predica, détentrice des capitaux, dont les choix ne peuvent lui être opposés, et relève qu’elle n’avait d’ailleurs pas été informée de l’existence d’un avis à tiers détenteur de l’administration fiscale.

Subsidiairement, en cas de faute retenue à son encontre, elle se joint de nouveau aux moyens développés par la société Predica quant à l’absence de démonstration par la demanderesse du préjudice en lien causal avec cette faute, invoquant principalement que le retard pris dans le rachat des parts est imputable à l’avis à tiers détenteur.

La clôture a été ordonnée le 21 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir “juger” ou encore “constater” ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Décision du 04 Juin 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/04819 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSEXN

Il ne sera donc pas statué sur ces “demandes” qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

Sur les demandes avant dire droit de Mme [T]

Aux termes de l’article 299 du code de procédure civile, « Si un écrit sous seing privé produit en cours d'instance est argué faux, il est procédé à l'examen de l'écrit litigieux comme il est dit aux articles 287 à 295 ».

Selon l’article 287 aliéna 1er du même code, « Si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte. Si l'écrit contesté n'est relatif qu'à certains chefs de la demande, il peut être statué sur les autres ».

En l’espèce, il ressort de l’original de la demande de rachat, produit par la société Predica conformément à l’injonction du juge de la mise en état, que la date figurant sur ce document a en effet été modifiée par une « surcharge » appliquée sur le nombre « 12 », ainsi que le concède d’ailleurs l’ensemble des parties.

Néanmoins, comme le fait remarquer la société Predica, l’examen attentif de cette superposition permet de constater la transformation du nombre « 12 » en « 13 », et non en « 18 » ainsi que l’affirme la demanderesse.

Or, il ressort des propres explications de Mme [T] que celle-ci, après s’être rendue le 12 février 2018 auprès de sa banque pour effectuer différentes démarches, a complété le lendemain le dossier de rachat de l’assurance-vie. Ces circonstances ressortent en outre du courrier, daté du 13 février 2018, accompagnant le bordereau critiqué, mais encore du courriel qu’elle a adressé à la société Crédit Lyonnais le même jour : « monsieur bonjour, je vous ai déposé à l’accueil de l’agence « [Adresse 8] » les documents suivants : [...] la demande de rachat total d’ACUITY N° 66894900 ».

Ainsi, non seulement le tribunal se trouve en mesure de statuer sur les prétentions de Mme [T] sans tenir compte de l’écrit contesté, étant un fait constant entre les parties et établi au regard du reste des pièces produites que la demande de rachat de l’assurance-vie litigieuse a été formulée le 13 février 2018, mais la demanderesse ne rapporte pas en outre la preuve que la « surcharge » apposée ne serait pas de sa main en ce qu’elle aurait rempli le document en cause le 12 février 2018, pour ensuite rectifier sa date en raison du dépôt effectué le lendemain.

Mme [T] sera donc déboutée de sa demande de rejet du bordereau de rachat des pièces régulièrement versées à la procédure et de sa demande au titre d’une amende civile, sanction qu’il n’appartient pas au surplus aux parties de solliciter.

Sur les demandes indemnitaires de Mme [T]

En vertu de l’article 1134 du code civil, dans sa version applicable au contrat litigieux conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

L’article 1147 du même code dispose que : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

Enfin, conformément à l’article 1315 de ce code, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

Il incombe sur ces fondements à la partie qui recherche la responsabilité de son contractant de rapporter la preuve d’un manquement de ce dernier à ses obligations découlant de leur convention et d’un préjudice subi en lien causal avec ce manquement.

En l’espèce, Mme [T] sollicitant la condamnation solidaire des sociétés Predica et Crédit Lyonnais en raison, selon elle, de l’engagement de leur responsabilité contractuelle en lien avec les circonstances du rachat de son assurance-vie, il lui incombe de rapporter, pour chacune, la preuve d’une faute en lien causal avec un préjudice.

Force est alors de relever qu’aucune des parties ne verse aux débats les dispositions particulières du contrat d’assurance-vie souscrit par Mme [T]. La société Predica produit néanmoins la « notice d’information » pour le contrat « Acuity », en vigueur au 16 octobre 2006, dont l’application au litige, comme constituant les conditions générales de l’assurance-vie en cause, n’est alors pas contestée par les autres parties.

L’article 8 de cette notice prévoit, au titre des règles de conversion et de capitalisation, que « lors d’un désinvestissement (rachat total ou partiel, arbitrage sortant ou terme du contrat) la valeur de l’unité de compte retenue est la valeur de rachat du 2e jour ouvré qui suit la date de réception par Predica de la demande de transaction ».

Les manquements invoqués par Mme [T] seront en conséquence examinés à l’aune de ces stipulations.

Sur les fautes alléguées à l’encontre des sociétés défenderesses

Concernant la société LCL, souscriptrice

Mme [T] soutient que les défenderesses auraient dû apprécier la valeur des supports investis via l’assurance-vie deux jours après le dépôt de sa demande le 13 février 2018, soit à la date du 15 février 2018. Elle reproche plus particulièrement à la société Crédit Lyonnais d’avoir tardé, sans motif légitime, à transmettre sa demande à la société Predica.

La société Crédit Lyonnais invoque la nécessité, avant toute transmission de la demande de rachat, d’obtenir confirmation de la mainlevée d’un nantissement affectant l’assurance-vie.

Toutefois, il résulte des éléments produits que le nantissement en cause résultait d’un prêt qu’elle avait elle-même accordé et que ce prêt était venu à échéance le 28 mars 2010, soit près de huit ans avant la demande de rachat en cause, sans qu’aucun incident de remboursement ne soit signalé.

Dans ces circonstances, la société Crédit Lyonnais, professionnelle, ne peut se prévaloir d’un délai de trois jours, entre le 13 février et le 16 février 2018, pour vérifier l’état d’un nantissement manifestement dénué de tout objet, ni ne pouvait légitimement imputer ce délai à Mme [T], sauf à entendre se prévaloir de la turpitude propre à ses services internes.

Enfin, si certes le courriel de Mme [T] confirmant le dépôt du bordereau de rachat a été adressé le 13 février 2018 à 20h00, la société Crédit Lyonnais ne justifie pas que ce dépôt aurait été fait après ses heures d’ouverture et que cette demande ne pouvait donc être reçue que le 14 février 2018. En outre, le tribunal constate que le conseiller bancaire a accepté de contre-signer le bordereau de rachat à la date du 13 février 2018 figurant sur ce document.

Du tout, il y a lieu de considérer injustifié le délai pris par la société Crédit Lyonnais dans le traitement apporté à la demande de rachat déposée par Mme [T] le 13 février 2018, cette situation caractérisant un manquement de la défenderesse à son obligation d’exécution diligente du contrat d’assurance-vie.

Concernant la société Predica, assureur

En réponse aux moyens de Mme [T], la société Predica invoque tout d’abord n’avoir reçu sa demande de rachat du souscripteur, la société Crédit Lyonnais, que le lundi 19 février 2018.

Toutefois, ainsi que précédemment retenu, le délai pris dans la transmission de la demande de Mme [T] résulte de la seule faute de la société Crédit Lyonnais et non d’une quelconque carence de Mme [T]. En outre, le tribunal observe que Mme [T] a rempli le formulaire prévu pour le rachat de son contrat, dont l’en-tête mentionne la société Crédit Lyonnais et son bas de page, les deux sociétés défenderesses, avec une contre-signature nécessaire par la société Crédit Lyonnais. Aux termes de l’article 8 ci-avant rappelé de la notice, aucune adresse n’était non plus donnée à l’adhérente pour un envoi du formulaire de rachat directement à l’assureur. Enfin, le bulletin de transmission de la demande de rachat mentionne que le conseiller de la société Crédit Lyonnais a agi « conformément à [s]es délégations » en transmettant la demande de Mme [T].

Il se déduit du tout que Mme [T] était, en toute hypothèse, contrainte de transmettre sa demande de rachat du contrat via la société Crédit Lyonnais, laquelle est ainsi réputée avoir agi comme mandataire de l’assureur. A cet égard, l’article L. 141-6 du code des assurances prévoit d’ailleurs que :

« Pour les contrats d'assurance de groupe au sens de l'article L. 141-1 (...), le souscripteur est, tant pour les adhésions au contrat que pour l'exécution de celui-ci, réputé agir, à l'égard de l'adhérent, de l'assuré et du bénéficiaire, en tant que mandataire de l'entreprise d'assurance auprès de laquelle le contrat a été souscrit, à l'exception des actes dont l'adhérent a été préalablement informé, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'économie, que le souscripteur n'a pas pouvoir pour les accomplir (...). »

Dès lors, le dépôt de la demande auprès de la société Crédit Lyonnais doit être réputé avoir été fait entre les mains de la société Predica et cette dernière ne peut donc pas opposer le délai pris par la souscriptrice dans la transmission de la demande.

Sur l’avis à tiers détenteur émanant de l’administration, si le courrier informant la société Predica de la main-levée de la saisie, daté du 3 janvier 2018, est produit aux débats, aucun élément ne vient justifier de la réception de ce courrier, adressé en lettre simple, par l’assureur, circonstance formellement contestée en défense.

Il s’en déduit que la défenderesse était légitime à attendre l’issue de cette mesure, laquelle influait nécessairement sur l’admissibilité du rachat total sollicité par Mme [T] et partant, sur la date de valorisation et de libération des fonds investis.

Néanmoins, il incombait à la société Predica, ayant connaissance de la demande de rachat et de cette procédure de saisie, de se rapprocher sans délai de son adhérente afin de déterminer l’orientation qui devait être donnée à sa demande, notamment en l’interrogeant sur un éventuel désintéressement de l’administration fiscale pouvant mener à rendre sans objet la saisie pratiquée. Force est d’observer qu’aucune démarche de cette nature n’est alors justifiée dans le cadre du présent litige.

De plus, la société Predica reconnaît s’être vue transmettre le courrier de main-levée de la mesure en pièce jointe d’un courriel de M. [T] du 12 mars 2018. La défenderesse, ainsi informée, se devait d’exécuter dès cette date la demande de son assurée, aucun obstacle légitime ne s’opposant désormais à la valorisation et au rachat total des fonds investis.

En ayant attendu alors dix jours supplémentaires, soit jusqu’au 22 mars 2018, pour apprécier la valeur du capital racheté et en imposant cette date à son assurée, la société Predica a commis un manquement dans la bonne exécution de ses obligations contractuelles, susceptible d’engager sa responsabilité.

Sur le préjudice en lien causal

Concernant la société Crédit Lyonnais

Mme [T] prétend que la prise en compte de sa demande de rachat seulement à la date du 22 mars 2018 est à l’origine d’un préjudice de 12.365,27 euros, compte tenu de la fluctuation de la valeur du capital investi entre cette date et celle du 15 février 2018.

Néanmoins, la société Crédit Lyonnais n’est, en qualité de souscriptrice de l’assurance-vie, aucunement débitrice de l’obligation de libération du capital laquelle incombe à l’assureur. Ainsi que précédemment retenu, si sa faute réside dans le délai pris dans la transmission du bordereau de rachat, la société Predica a seule fait le choix, après réception de ce bordereau, de reporter la date de valorisation du capital investi en raison de l’avis à tiers détenteur.

Dans ces conditions, la faute de la société Crédit Lyonnais est sans incidence sur la date du 22 mars 2018 finalement retenue pour cette valorisation. Elle est donc sans lien causal établi avec le préjudice invoqué.

En conséquence, Mme [T] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes en indemnisation, principale comme subsidiaire, formées à l’encontre de la société Crédit Lyonnais. 

Concernant la société Predica

La faute retenue à l’encontre de la société Predica, laquelle aurait dû valoriser, conformément aux stipulations du contrat et aux circonstances ci-avant retenues, le capital investi à la date du 12 mars 2018, est en lien causal direct et certain avec le préjudice invoqué par Mme [T].

Néanmoins, la date de valorisation retenue par le tribunal différant de celle alléguée par la demanderesse dans ses écritures, celle-ci ne produit alors aucun élément probant permettant de retenir, au jour du 12 mars 2018, un écart de valeurs à hauteur de la somme qu’elle sollicite à titre principal.

Elle sera donc déboutée de sa demande en condamnation de la société Predica au paiement de la somme de 12.365,27 euros.

Toutefois, la société Predica, dans son courrier daté du 6 septembre 2018 accompagnant le projet d'accord transactionnel soumis à Mme [T], a d'elle-même reconnu que le rachat réalisé à la date du 22 mars 2018 ne respectait pas la notice d'information valant conditions générales et a offert, à titre transactionnel, la somme de 6.491,70 euros en réparation de son manquement contractuel. Elle souligne de nouveau dans ses écritures qu'en cas de faute retenue à son encontre, « Mme [T] n'aurait pu prétendre qu'à une somme de 6.491,70 € qui lui a été proposée début septembre 2018 ».

Dans ces circonstances, le tribunal constate que la société Predica a de manière constante admis l'existence d'un préjudice subi par Mme [T], dans la limite de la somme de 6.491,70 euros, ce qui correspond à la prétention subsidiaire formée par la demanderesse.

Il y a donc lieu de condamner la société Predica à payer à Mme [T] la somme de 6.491,70 euros.

Sur les autres demandes

La société Predica, succombant seule, sera condamnée aux dépens, avec droit de recouvrement conforme aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par Mme [T] à l’occasion de la présente instance. Elle sera ainsi condamnée à lui payer la somme de 3.000 euros.

L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l'écarter.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Déboute Mme [H] [P] épouse [T] de sa demande aux fins de voir rejeter des débats le bordereau de rachat du compte assurance-vie Acuity n° [XXXXXXXXXX05] (pièce n°4 de la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole),

Déboute Mme [H] [P] épouse [T] de sa demande de voir prononcer une amende civile,

Déboute Mme [H] [P] épouse [T] de ses demandes principales en condamnation solidaire de la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole et de la SA Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 12.365,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 février 2018,

Condamne la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole à payer à Mme [H] [P] épouse [T] la somme de 6.491,70 euros à titre de dommages-intérêts,

Déboute Mme [H] [P] épouse [T] de sa demande subsidiaire à l’encontre de la SA Crédit Lyonnais,

Condamne la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole à payer à Mme [H] [P] épouse [T] la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

Condamne la SA Predica-Prévoyance dialogue du Crédit agricole aux dépens, lesquels pourront être recouvrés par Me Frédéric Levade, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

Rappelle que la présente décision est, de droit, exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 04 Juin 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 20/04819
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;20.04819 ?
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