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31/05/2024 | FRANCE | N°21/13587

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 31 mai 2024, 21/13587


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :





2ème chambre civile

N° RG 21/13587 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVKY3

N° MINUTE :

Assignation du :
15 Octobre 2021

JUGEMENT
rendu le 31 Mai 2024
DEMANDERESSE

Madame [D], [U], [O] [A] épouse [N]
[Adresse 9]
[Localité 10]
Représentée par Maître Murielle-Isabelle CAHEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1194






DÉFEN

DEURS

S.A. [17]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentée par Maître Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant, vestiaire #115


Madame [S] [A] é...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre civile

N° RG 21/13587 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVKY3

N° MINUTE :

Assignation du :
15 Octobre 2021

JUGEMENT
rendu le 31 Mai 2024
DEMANDERESSE

Madame [D], [U], [O] [A] épouse [N]
[Adresse 9]
[Localité 10]
Représentée par Maître Murielle-Isabelle CAHEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1194

DÉFENDEURS

S.A. [17]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentée par Maître Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, avocat plaidant, vestiaire #115

Madame [S] [A] épouse [Z]
[Adresse 16]
[Localité 2]
Défaillante

Madame [B] [A] épouse [W]
[Adresse 12]
[Localité 3] (SUEDE)
Défaillante

Décision du 31 Mai 2024
2ème chambre civile
N° RG 21/13587 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVKY3

Madame [F] [R]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Maître Arnaud LEROY de la SCP PETIT - MARCOT - HOUILLON - & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1683

Monsieur [L] [R]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Défaillant

______________________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Madame Claire ISRAEL, Vice-Président, statuant en juge unique.
Assistée de Madame Audrey HALLOT, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 18 Mars 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 16 Mai 2024.
Ultérieurement, la date du délibéré a été prorogée au 31 Mai 2024, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au Greffe
Réputé contradictoire et en premier ressort

_______________________________

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE

[U] [R] est décédée le [Date décès 5] 2020, laissant pour lui succéder ab intestat :

-M. [G] [R], son cousin,
-Mme [P] [T] épouse [A], sa cousine.
Par testament olographe du 2 décembre 2015, elle a légué à titre particulier à Mme [D] [A] épouse [N] sa maison située à [Localité 20] et a indiqué « Je lègue mes assurances vie, [13], [19] et [15], à mes petites cousines. Ma filleule [D] [N] a été la plus favorisée. Je compte sur [S] [Z] pour adopter ma petite chienne CRAZY, la cajoler et l’aimer. C’est pour cela que je l’ai avantagée au détriment de sa sœur [B]. Mes autres petits cousins n’ont pas été oubliés ».

Par un second testament olographe daté de « juin 2020 », [U] [R] a légué sa maison située à [Localité 20] à Mme [D] [A] épouse [N] et elle a indiqué : « Je lègue mes assurances vie, [13], [19] et [15], réparties au nom de mes petites cousines, ma filleule déjà citée a été la plus favorisée.
Je compte sur [S] [Z] pour adopter ma petite chienne CRAZY, si [B] [I] habitant à [Localité 18] qui m’a promis de l’adopter était défaillante. C’est pour cela que je l’ai avantagée au détriment de sa sœur [B]. Mes autres petits cousins n’ont pas été oubliés. »

De son vivant, [U] [R] avait souscrit trois contrats d’assurance-vie :

-Un contrat souscrit le 19 mars 2001 par l’intermédiaire de [13], n°965 471961 18, géré par la société [17], dont la dernière clause bénéficiaire rédigée le 5 mars 2017 désignait les bénéficiaires suivants :

5 %, M. [L] [R], 5 %, Mme [F] [R], 15 %, Mme [B] [A] épouse [W],30 % [S] [A] épouse [Z], 45 % [D] [A], À défaut du décès de l’un des bénéficiaires, sa part reviendra aux survivants, à défaut leurs héritiers.
-Un contrat souscrit le 24 novembre 1999 par l’intermédiaire de la [14], n°405 871011 16, géré par la société [17], dont la dernière clause bénéficiaire rédigée le 26 novembre 2008 désignait Mme [D] [A] épouse [N] et à défaut « mes héritiers »,
-Un contrat souscrit par l’intermédiaire d’assurance de la banque [19], également au bénéfice de Mme [D] [A] épouse [N].

Un litige est survenu sur l’interprétation à donner à ces clauses bénéficiaires et aux testaments.

La société [17], considérant que les dispositions du testament de juin 2020 constituent une modification des clauses bénéficiaires des contrats conclus auprès d’elle, a versé un quart du capital décès du contrat [14], n°405 871011 16 à Mme [D] [A] épouse [N], un quart à Mme [S] [A] épouse [Z] et un quart à Mme [F] [R], soit la somme de 43 281,76 euros chacune, le dernier quart revenant selon la société [17] à Mme [B] [A] épouse [W] étant en attente de règlement.

Le versement du capital du contrat [13], n°965 471961 18 a été bloqué en raison du contentieux.

Par exploits d’huissier en date des 15, 19 et 26 octobre 2021, Mme [D] [A] épouse [N] a fait assigner Mme [S] [A] épouse [Z], Mme [B] [A] épouse [W], Mme [F] [R], M. [L] [R] et la société [17] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins essentielles de voir ordonner le versement par la société [17] à son profit du capital décès des contrats d’assurance-vie n°405 871011 16 à hauteur de 100% et n°965 471961 18 à hauteur de 45%, outre de voir condamner la société [17] à lui verser des dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 6 avril 2023, Mme [D] [A] épouse [N] demande au tribunal de :

-ORDONNER l’application de la clause bénéficiaire souscrite le 12 septembre 2013 sur le contrat d’assurance vie ° 40587101116 désignant Mme [D] [N] bénéficiaire à hauteur de 100 % ;
-ORDONNER l’application de la clause bénéficiaire souscrite le 28 mars 2017 sur le contrat d’assurance vie n° 96547196118/1/13B désignant Mme [D] [N] à hauteur de 45 % ;

Par conséquent ;
-CONDAMNER la [17] au versement de la somme de 45.890 euros au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie n° 96547196118/1/13B ;
-CONDAMNER la [17] au versement de la somme de 129.475,08 correspondants au restant à percevoir au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie n° 40587101116 ;
-CONDAMNER la [17] au versement de la somme de 30 000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation de sa résistance abusive ;
-CONDAMNER la [17] à verser la somme de 500 euros par jour de retard au titre d’astreinte à compter de la signification du jugement à intervenir, en cas d’inexécution de la décision à intervenir ;
-CONDAMNER la [17] au paiement d’une somme de 12 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure civile ;
-Ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction faite au profit de Maître Murielle CAHEN ;
-DIRE n’y avoir lieu à e carter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 3 avril 2023, la société [17] demande au tribunal de :

A titre principal,

-Débouter Mme [D] [N] de sa demande de condamnation de [17] à lui payer la somme de 46.940,85 euros au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie INITIATIVES TRANSMISSION n°96547196118/1/13B et la somme de 129.475,08 euros au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie GMO n°40587101116,
-Juger que le paiement du capital décès du contrat INITIATIVES TRANSMISSION n° 405 871011 16 à Mesdames [N], [R] ET [Z] à concurrence de 43.281,76 euros chacune est libératoire au sens de l’article L132-25 du Code des assurances,
-Juger qu’une demande de restitution du capital décès ne peut s’exercer pour Mme [D] [N] qu’à l’encontre de Mesdames [F] [R] et [S] [Z],

Très subsidiairement,

Pour le cas où la requérante se verrait reconnaître la qualité de bénéficiaire à concurrence de 45 % et non de 25 % du contrat d’assurance vie INITIATIVES TRANSMISSION n° 405 871011 16 et où le Tribunal considérerait que les paiements intervenus entre les mains de Mme [F] [R] et de Mme [S] [Z] ne sont pas libératoires au sens de l’article précité du Code des assurances,

-Condamner Mme [F] [R] et Mme [S] [Z] à restituer à [17] le montant des capitaux décès indument perçus par elles, soit pour chacune, la somme de 43.281,76 euros.

En tout état de cause, au visa d’une décision exécutoire et définitive statuant sur les demandes
de Mme [N],

-Ordonner le règlement des capitaux décès des contrats INITIATIVES TRANSMISSION n°96547196118/1/13B GMO n°40587101116 encore en possession de [17] à qui de droit après qu’il lui ait été justifié de l’accomplissement par le ou les bénéficiaires des fonds des formalités fiscales lui ou leur incombant ;
-Rejeter toute autre demande de Mme [D] [N] et spécialement toute demande de dommages intérêts ;
-Rejeter la demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-Rejeter toute autre demande,
-Écarter l’exécution provisoire,

A titre plus infiniment subsidiaire, pour le cas où l’exécution provisoire ne serait pas écartée,
-Ordonner, en application de l’article 521 Code de procédure civile, la consignation des sommes dues le cas échéant par [17] sur un compte séquestre jusqu’à la fin de la procédure et l’épuisement des voies de recours, le tiers dépositaire pouvant être Maître Virginie SANDRIN, avocat de [17],

A titre plus infiniment subsidiaire encore,

-Ordonner, à la charge de Mme [D] [N], la constitution d’une garantie réelle ou personnelle suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations, sur le fondement de l’article 514-5 du Code de procédure civile,
-Condamner la requérante à verser à la Société [17] la somme de 2.400 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
-La condamner aux entiers dépens

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, Mme [F] [R] demande au tribunal de :

-DEBOUTER purement et simplement Mme [D] [N] de l’ensemble de ses fins, demandes et prétentions,
-DEBOUTER la [17] de ses demandes de condamnation à l’égard de Mme [F] [R] d’avoir à restituer à [17] le montant des capitaux décès indument perçus par elles, soit pour chacune, la somme de 43.281,76 euros,

En toute hypothèse,

-CONDAMNER tout succombant d’avoir à régler à Mme [F] [R] la somme de 4.000 euros,
-CONDAMNER tout succombant aux entiers dépens.

Régulièrement assignés par actes déposés à étude, M. [L] [R] et Mme [S] [A] épouse [Z] n’ont pas constitué
avocat.

Mme [B] [A] épouse [W] résidant à l’étranger, régulièrement citée conformément aux articles 683 et 684 du code de procédure civile et de l’article 9-2 du règlement (CE) n°1393-2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, à sa dernière adresse connue à Stockholm en Suède, n’a pas constitué avocat.

En l’absence de retour de signification de l'assignation à Mme [W], il sera néanmoins statué au fond, les conditions de l’article 688 du code de procédure civile étant remplies.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 avril 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 18 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Il sera rappelé à titre liminaire que les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.

Sur les demandes au titre des contrats d’assurance-vie gérés par la société [17]

Mme [D] [A] épouse [N] demande au tribunal de condamner la société [17] à lui verser, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement:

-La somme de 45 890 euros au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie n° 965 471961 18 ;
-La somme de 129 475,08 au titre du restant à percevoir au titre de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie n° 405 871011 16.

Elle fait valoir que :

-La désignation des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie souscrits par [U] [R] était claire et la société [17] en a écarté l’application sans droit pour ne lui verser qu’un quart du capital du contrat n° 405 871011 16 et pour bloquer le versement du second contrat,
-C’est à tort que la société [17], qui n’avait pas le pouvoir d’interpréter les testaments, soutient que le testament de juin 2020 opère une modification des clauses bénéficiaires des contrats alors qu’il ne fait que les conforter, la défunte ayant clairement exprimé sa volonté de la favoriser,
-L’expression « réparties au nom de mes petites cousines » ne permet pas d’affirmer que [U] [R] souhaitait une répartition égalitaire, d’autant que qu’il ressort des deux testaments qu’elle indique, conformément à ce qui résulte des clauses bénéficiaires, que [D] [A] épouse [N] est la plus avantagée et que [S] [A] épouse [Z] est plus avantagée que sa sœur [B] [A] épouse [W],
-Toutes les personnes citées dans les testaments sont bien bénéficiaires des contrats d’assurance-vie, notamment « les autres petits cousins », à savoir M. [L] [R] et Mme [F] [R],
-Le formulaire de déclaration successorale a d’ailleurs repris la répartition claire des clauses bénéficiaires qui n’appellent pas d’interprétation,
-La société [19] lui a bien versé 100% du capital décès alors que la clause bénéficiaire de ce contrat est rédigée de la même façon que la clause du contrat souscrit auprès de la [14].

La société [17] s’oppose à ces demandes et soutient qu’elle a fait une application exacte des clauses bénéficiaires. Elle fait valoir que :

-Le testament de juin 2020 opère une modification des clauses bénéficiaires qui lui sont antérieures, annulant les désignations antérieures, de sorte que les bénéficiaires des deux contrats d’assurance-vie sont les seules « petites cousines » à l’exclusion du « petit cousin », M. [L] [R] pour le contrat souscrit par l’intermédiaire de [13],
-S’agissant du contrat souscrit par l’intermédiaire de la [14], n° 405 871011 16, la répartition n’étant pas définie, elle a été effectuée à parts égales entre les quatre petites cousines,
-Mme [D] [A] épouse [N] ne peut donc exciper des clauses antérieures qui ont été révoquées par le testament de juin 2020, et notamment prétendre au bénéfice de l’intégralité de deux d’entre eux alors que le testament vise la répartition des assurances vie, au pluriel, entre les petites cousines,
-La mention de l’avantage de Mme [D] [A] épouse [N] n’est pas en contradiction avec une répartition égalitaire des assurances-vie dès lors qu’elle est légataire du seul bien immobilier de la succession.

A titre subsidiaire, si le tribunal devait retenir l’interprétation de Mme [D] [A] épouse [N], la société [17] soutient avoir payé en toute bonne foi et s’être donc libérée de son obligation en application de l’article L.132-25 du code des assurances, de sorte qu’il ne saurait incomber qu’aux bénéficiaires qui ont indument reçu les sommes de les reverser à Mme [D] [A] épouse [N], aucune demande ne pouvant être dirigée à son encontre.

Enfin, si le tribunal devait considérer que son paiement n’est pas libératoire, elle demande la condamnation de Mme [F] [R] et Mme [S] [A] épouse [Z] à lui restituer le montant des capitaux décès indument perçus par elles, soit pour chacune, la somme de 43 281,76 euros.

En tout état de cause, elle demande qu’il lui soit ordonné de verser les sommes dues après qu’il lui ait été justifié de l’accomplissement par le bénéficiaire des fonds des formalités fiscales lui incombant.

Mme [F] [R] soutient quant à elle essentiellement que la société [17] n’a commis aucune erreur, mais qu’il ressort au contraire clairement du testament du mois de juin 2020 que [U] [R] a désigné ses petites cousines comme bénéficiaires de ses assurances vie, annulant ses volontés précédentes, la mention de l’avantage de Mme [D] [A] épouse [N] se rapportant uniquement au legs du bien immobilier.

Elle s’oppose par ailleurs à la demande subsidiaire de la société [17] en répétition de l’indu.

Sur ce

1) Sur les demandes de Mme [D] [A] épouse [N]

Aux termes du huitième alinéa de l’article L. 132-8 du code des assurances, en l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.

En l’espèce, les clauses bénéficiaires des deux contrats d’assurance-vie souscrits par [U] [R] auprès de la société [17] sont parfaitement claires.

S’agissant du contrat n°965 471961 18, souscrit le 19 mars 2001 par l’intermédiaire de [13], la dernière clause bénéficiaire rédigée le 5 mars 2017 désigne comme bénéficiaires de la garantie décès : « 5 %, M. [L] [R], 5 % Mme [F] [R], 15 %, Mme [B] [A] épouse [W], 30 % [S] [A] épouse [Z], 45 % [D] [A], à défaut du décès de l’un des bénéficiaires sa part reviendra aux survivants, à défaut leurs héritiers ».

S’agissant du contrat n°405 871011 16, souscrit le 24 novembre 1999 par l’intermédiaire de la [14], la dernière clause bénéficiaire rédigée le 26 novembre 2008, et non le 12 septembre 2013 comme l’indique par erreur la demanderesse, désigne comme bénéficiaire en cas de décès : « Madame [N] [D] née [A], à défaut mes héritiers ».

Aucune de ces deux clauses ne nécessite d’être interprétée, la volonté de l’assurée étant parfaitement exprimée, sans équivocité.

Si la désignation des bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie peut être effectuée ou modifiée par voie testamentaire, en application des dispositions précitées de l’article L. 132-8 du code de des assurances, la simple évocation dans un testament du bénéfice de contrats d’assurance-vie n’emporte pas nécessairement modification des clauses bénéficiaires et il convient d’examiner en l’espèce si le testament de juin 2020, a emporté modification ou révocation de ces deux clauses bénéficiaires.

Par ce testament, la défunte a indiqué « léguer » ses assurances vie « réparties au nom de ses petites cousines ». Cette expression ne saurait impliquer nécessairement une répartition par parts égales et exclure que l’un des contrats d’assurance-vie ait pour seule bénéficiaire l’une de ces petites cousines, comme l’ont à tort considéré la société [17] et Mme [F] [R].

Au contraire, la défunte exclut une répartition égalitaire du bénéfice des assurances-vie dès lors qu’elle précise elle-même que sa filleule, Mme [D] [A] épouse [N] est la plus favorisée et que Mme [S] [A] épouse [Z] est avantagée par rapport à sa sœur Mme [B] [A] épouse [W], ces dispositions spécifiques se rapportant bien aux seuls contrats d’assurance-vie et ne pouvant se référer uniquement au legs de la maison située à [Localité 20] à Mme [D] [A] épouse [N], dès lors qu’elles se trouvent au sein d’un paragraphe dédié uniquement aux assurances-vie et qu’elles mentionnent également l’avantage au bénéfice de Mme [S] [A] épouse [Z], laquelle n’est par ailleurs pas avantagée par un autre legs.

En outre, contrairement à ce qu’affirme la société [17], par son testament de juin 2020, [U] [R] n’a pas exclu son petit cousin M. [L] [R] puisqu’elle indique expressément : « mes autres petits cousins n’ont pas été oubliés ».

Il convient d’ailleurs d’observer que les dispositions du testament de juin 2020 relatives aux contrats d’assurances-vie reprennent celles du testament du 2 décembre 2015, lesquelles mentionnaient déjà la répartition entre les « petites cousines », alors que la clause bénéficiaire initiale du contrat n°965 471961 18 désignait déjà les mêmes cinq bénéficiaires.

Les dispositions du testament de juin 2020 constituent donc uniquement un rappel de l’existence de plusieurs bénéficiaires pour l’ensemble des contrats d’assurances-vie, sans détailler la répartition précise entre les bénéficiaires et sont tout à fait conformes aux clauses bénéficiaires des deux contrats objets du litige, qu’elles ne révoquent pas.

D’une manière plus générale, les dispositions testamentaires de [U] [R] qui se réfèrent aux contrats d’assurances-vie, tant dans le testament du 2 décembre 2015 que dans le testament de juin 2020, lesquelles sont d’ailleurs quasiment identiques, sont conformes aux clauses bénéficiaires des différents contrats d’assurances-vie dans leur rédaction à l’époque des testaments et [U] [R] a constamment exprimé sa volonté d’avantager sa filleule et dans une moindre mesure Mme [S] [A] épouse [Z].

La société [17] ne pouvait donc écarter l’application des clauses bénéficiaires des deux contrats d’assurances-vie n°965 471961 18 et n°405 871011 16, ni les interpréter à la lumière des dispositions testamentaires, sans les dénaturer.

En application de la clause bénéficiaire en date du 5 mars 2017, du contrat n°965 471961 18, souscrit par l’intermédiaire de [13], la société [17] sera donc condamnée à verser à Mme [D] [A] épouse [N], une somme correspondant à 45% du capital décès soit la somme de 45 890 euros (101 979,16 x 45%).

En application de la clause bénéficiaire en date du 26 novembre 2008, du contrat n°405 871011 16 souscrit par l’intermédiaire de la [14], la société [17] aurait donc dû verser l’intégralité du capital décès à Mme [D] [A] épouse [N].

Aucune des parties ne justifie du montant du capital de ce contrat au décès de [U] [R] mais la société [17] indique avoir versé à Mme [D] [A] épouse [N], à Mme [S] [A] épouse [Z] et à Mme [F] [R], chacune la somme de 43 281,76 euros correspondant à 25% du capital, de sorte que le tribunal en déduit que le capital total au jour du décès s’élevait à la somme de 173 127,04 euros, qui aurait dû être versée en intégralité à Mme [D] [A] épouse [N].

La société [17] se prévaut des dispositions de l’article L. 132-25 du code des assurances pour soutenir que son paiement de bonne foi à Mme [D] [A] épouse [N], à Mme [S] [A] épouse [Z] et à Mme [F] [R] est libératoire et qu’elle ne peut être condamnée à verser la totalité du solde dû à Mme [D] [A] épouse [N].

Toutefois, il résulte de ces dispositions que le paiement fait par l’assureur à un bénéficiaire qui n’est pas le dernier bénéficiaire désigné par l’assuré, par testament ou autrement, n’est libératoire que si l'assureur de bonne foi n'a pas eu connaissance de cette désignation.

En l’espèce, alors qu’elle avait parfaitement connaissance de la clause bénéficiaire du 26 novembre 2008 qui était claire et précise et désignait Mme [D] [A] épouse [N] comme seule bénéficiaire, la société [17] a versé 50% du capital du contrat n°405 871011 16 à Mme [F] [R] et Mme [S] [A] épouse [Z], après avoir fait une interprétation erronée des dispositions testamentaires et avoir décidé unilatéralement de répartir le bénéfice de ce contrat à hauteur d’un quart entre quatre bénéficiaires.

La société [17] ne peut donc invoquer sa bonne foi ni son ignorance de la clause bénéficiaire applicable et ne s’est ainsi pas libérée de son obligation par le paiement fait à Mme [F] [R] et Mme [S] [A] épouse [Z].

La demande de Mme [D] [A] épouse [N], aux termes du dispositif de ses conclusions, se limitant à la somme de 129 475,08 euros, la société [17] sera donc condamnée à lui verser cette somme correspondant au solde dû au titre de la garantie du contrat n°405 871011 16.

La demande d’astreinte sera en revanche rejetée comme n’apparaissant pas justifiée en l’espèce.

L'article 757 B I du code général des impôts prévoit que les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans.

Il résulte par ailleurs des dispositions des articles 292 A et 292 B de l’annexe II du code général des impôts que les assureurs ne peuvent se libérer des sommes dues au titre des contrats d'assurance en cas de vie ou en cas de décès souscrits à compter du 20 novembre 1991 et conclus sur la tête d'un même assuré, en vertu desquels des primes ont été versées après son soixante-dixième anniversaire, que dans les conditions prévues à l'article 806 du code général des impôts c’est-à-dire sur la présentation d'un certificat délivré par le comptable public compétent et constatant soit l'acquittement, soit la non exigibilité de l'impôt de mutation par décès.

En l’espèce, [U] [R] a souscrit les deux contrats d’assurance-vie litigieux après le 20 novembre 1991 et il n’est pas contesté par Mme [D] [A] épouse [N] que des primes ont été versées après les 70 ans de [U] [R], laquelle est décédée à l’âge de 85 ans, de sorte que certaines des primes versées se trouvent soumises à ces dispositions de nature fiscale.

En conséquence, il sera fait droit à la demande de la société [17] tendant à dire que le paiement des capitaux ne pourra intervenir que dans le respect des articles 757 B I, 292 A, 292 B II et 806 III du code général des impôts.

2) Sur la demande en restitution de l’indu

Aux termes de l’article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.

En l’espèce, il résulte des motifs qui précèdent que la société [17] a versé à Mme [F] [R] et à Mme [S] [A] épouse [Z], chacune la somme de 43 281,76 euros au titre du contrat d’assurance-vie n°405 871011 16, alors qu’elles n’étaient pas bénéficiaires de ce contrat, Mme [D] [A] épouse [N] étant la seule bénéficiaire.

En conséquence, Mme [F] [R] et Mme [S] [A] épouse [Z] seront chacune condamnée à restituer à la société [17] la somme de 43 281,76 euros indument reçue.

Sur les dommages et intérêts

Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, Mme [D] [A] épouse [N] demande la condamnation de la société [17] à lui verser la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation de sa résistance abusive. Elle fait valoir que le comportement de l’assureur relève d’une mauvaise foi blâmable.

La société [17] conclut au rejet de cette demande.

Sur ce

S’il résulte des motifs qui précèdent que la société [17] a commis une faute dans l’exécution de ses obligations en ne versant pas les sommes dues à Mme [D] [A] épouse [N], après avoir refusé d’appliquer les clauses bénéficiaires et interprété des dispositions testamentaires avec une légèreté blâmable, Mme [D] [A] épouse [N] ne justifie toutefois pas du préjudice qui résulte pour elle de ce comportement, préjudice dont elle ne qualifie pas la nature dans ses écritures et dont elle ne justifie nullement le quantum, alors qu’elle demande des dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La société [17], partie succombant essentiellement à l’instance, sera condamnée aux dépens, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera également condamnée à payer à Mme [D] [A] épouse [N] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

Il y a enfin lieu de rappeler que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

La société [17] demande au tribunal d’écarter l’exécution provisoire, sans expliquer en quoi elle serait incompatible avec la nature de l’affaire. Il n’y a donc pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

Elle ne justifie pas davantage en quoi il serait justifié de l’autoriser à consigner les sommes dues pour garantir le montant de sa condamnation, sur le fondement de l’article 521 du code de procédure civile ou en quoi il est nécessaire d’ordonner la constitution d’une garantie réelle ou personnelle par Mme [D] [A] épouse [N] sur le fondement de l’article 514-5 du code de procédure civile.

Ces demandes seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort

Condamne la société [17] à verser à Mme [D] [A] épouse [N], la somme de 45 890 euros au titre du contrat n° 965 471961 18 souscrit le 19 mars 2001 par l’intermédiaire de [13],

Condamne la société [17] à verser à Mme [D] [A] épouse [N], la somme de 129 475,08 euros correspondant au solde dû au titre du contrat n°405 871011 16 souscrit le 24 novembre 1999 par l’intermédiaire de la [14],

Rejette la demande d’astreinte,

Dit que le paiement des capitaux par la société [17] ne pourra intervenir que dans le respect des articles 757 B I, 292 A et 292 B II de l’annexe II et 806 III du code général des impôts,

Condamne Mme [F] [R] à restituer à la société [17] la somme de 43 281,76 euros indument reçue,

Condamne Mme [S] [A] épouse [Z] à restituer à la société [17] la somme de 43 281,76 euros indument reçue,

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par Mme [D] [A] épouse [N],

Condamne la société [17] aux dépens,

Dit que les dépens pourront être recouvrés par Maître Murielle CAHEN conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société [17] à payer à Mme [D] [A] épouse [N], la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit du présent jugement,

Rejette les demandes de la société [17] tendant à :

-L’autoriser à consigner les sommes dues pour garantir le montant de sa condamnation,
-Ordonner la constitution d’une garantie réelle ou personnelle par Mme [D] [A] épouse [N].

Fait et jugé à Paris le 31 Mai 2024

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/13587
Date de la décision : 31/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-31;21.13587 ?
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