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31/05/2024 | FRANCE | N°19/13140

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 2ème section, 31 mai 2024, 19/13140


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




6ème chambre 2ème section


N° RG 19/13140 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRDDJ

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
07 Novembre 2019















JUGEMENT
rendu le 31 Mai 2024
DEMANDEURS

Madame [V] [T]
[Adresse 1]
[Localité 13]


Monsieur [K] [L]
[Adresse 1]
[Localité 13]

représentés par Maître Marie PFYFFER D’ ALTISHOFEN de la SELA

RLU MPA Avocat, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #lK80



DÉFENDEURS

S.A.S.U. AGENCE THIERRY MAYTRAUD
[Adresse 3]
[Localité 8]


représentée par Maître Emmanuel PERREAU de la SELASU CABINET PERREAU, avocats a...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section


N° RG 19/13140 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRDDJ

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
07 Novembre 2019

JUGEMENT
rendu le 31 Mai 2024
DEMANDEURS

Madame [V] [T]
[Adresse 1]
[Localité 13]

Monsieur [K] [L]
[Adresse 1]
[Localité 13]

représentés par Maître Marie PFYFFER D’ ALTISHOFEN de la SELARLU MPA Avocat, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #lK80

DÉFENDEURS

S.A.S.U. AGENCE THIERRY MAYTRAUD
[Adresse 3]
[Localité 8]

représentée par Maître Emmanuel PERREAU de la SELASU CABINET PERREAU, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0130

Société SCCV BRETECHELLE
[Adresse 7]
[Localité 9]

représentée par Maître Christian LEFEVRE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC385

Monsieur [X] [J]
[Adresse 6]
[Localité 12]

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS
[Adresse 4]
[Localité 11]

représentés par Maître Dominique TOURNIER de la SCP TOURNIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0263,

Compagnie d’assurance ZURICH INSURANCE PLC société de droit irlandais ayant son siège social à [Adresse 15] (République d’Irlande), représentée par sa succursale en France, immatriculée au RCS de Paris sous n° 484 373 295, et située
[Adresse 2]
[Localité 10] (Cedex 17)

représentée par Maître Anne-Sophie PIA de la SELARL AWKIS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0964

S.A. BATIPLUS
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 14]

représentée par Maître Chantal MALARDE de la SELAS LARRIEU ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0073

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Audrey BABA, Greffier

DEBATS

A l’audience du 07 mars 2024 tenue en audience publique devant Madame Marion BORDEAU, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

Décision du 31 Mai 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 19/13140 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRDDJ

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nadja Grenard , Présidente de formation et par Madame Audrey BABA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte authentique en date du 20 juillet 2017, Monsieur [L] et Madame [T] ont acquis auprès de la SCCV BRETECHELLE (ci-après la SCCV) un bien immobilier à usage d'habitation en l'état futur d'achèvement, situé [Adresse 16] (78).

Pour la réalisation de cette opération, une police d’assurance dommages-ouvrage et CNR a été souscrite auprès de la SMABTP.

Par ailleurs, la SCCV BRETECHELLE a souscrit une assurance RC auprès de la société ZURICH INSURANCE PLC.

Sont intervenus à cette opération de construction :

- Monsieur [F] [J] (maître d’œuvre de conception et d’exécution), assuré auprès de la MAF ;

- La société ATM, (agence THIERRY MAYTRAUD), chargée de la gestion EP et paysages ;

- La société BATIPLUS, contrôleur technique ;

- La société PIGEON TP (lot VRD et espaces verts), assurée auprès de la société AXA FRANCE IARD.

La livraison est intervenue le 2 août 2017 avec des réserves.

Se plaignant de non-conformités, Monsieur [L] et Madame [T] ont obtenu la désignation de Monsieur [U], en qualité d'expert judiciaire, par ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris en date du 8 novembre 2018.

L'expert a déposé son rapport le 8 janvier 2021.

Par acte d'huissier en date du 7 novembre 2019, Madame [V] [T] et Monsieur [K] [L] ont assigné devant le tribunal judiciaire de Paris la SCCV BRETECHELLE et la S.A.R.L. MDH PROMOTION.

Par acte d'huissier en date du 6 mai 2020, la SCCV BRETECHELLE a assigné en intervention forcée et en garantie :

- Monsieur [F] [J] et son assureur la MAF

- la société ZURICH INSURANCE PLC en qualité d'assureur RC de la SCCV BRETECHELLE

- la SMABTP en qualité d'assureur DO et CNR de la SCCV BRETECHELLE

- la SA BATIPLUS

- la SASY AGENCE THIERRY MAYTRAUD.

Les affaires ont été jointes.

Suivant ordonnance du 12 mars 2021, le juge de la mise en état a mis hors de cause la société MDH PROMOTION et a débouté Monsieur [L] et Madame [T] de leur demande de provision.

Suivant ordonnance du 3 juin 2022, le juge de la mise en état a constaté le désistement d'instance de la SCCV BRETCEHELLE à l'égard de la SMABTP.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 13 mars 2023, Madame [V] [T] et Monsieur [K] [L] sollicitent du tribunal de :

- “Débouter la SCCV BRETECHELLE et toute autre partie de toute demande, fins et prétentions à l’encontre de Monsieur [L] et Madame [T],

- Juger que la SCCV BRETECHELLE engage sa responsabilité au titre des articles 1642-1 et suivants du Code civil.

En conséquence :

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à la réalisation des travaux de mise en conformité de la maison de Monsieur [L] et Madame [T] au permis de construire du 8 janvier 2014, à savoir la suppression des bassins de rétention et à la mise en place des puisards prévus au dossier de permis de construire,

- Assortir la réalisation des travaux de mise en conformité d’une condamnation à astreinte 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu’au jour du complet achèvement des travaux de mise en conformité des constructions au permis de construire,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à réaliser les travaux de mise en accessibilité de la maison acquise (garage, rez de chaussée, accès terrasse), sous astreinte d’un montant de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu’au jour de complet achèvement desdits travaux ;

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à payer à Monsieur [L] et Madame [T] la somme de quinze mille (15.000) euros au titre de la réfection sur prix de vente,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à verser à Madame [T] et Monsieur [L], 50 euros par jour à compter du 2 août 2017, soit la somme de 102.200 euros à parfaire à la date du jugement à intervenir, au titre de leur préjudice de jouissance résultant du manquement à l’obligation de délivrance,

- Condamner la SCCV BRETCEHELLE à verser à Madame [T] et Monsieur [L] la somme de 14.292 € TTC au titre des travaux de reprise,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à verser à Madame [T] et Monsieur [L] une indemnisation de 5.000 euros en réparation de leur trouble de jouissance au titre de la garantie des articles 1642-1 et suivants du Code civil,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à verser à Madame [T] et Monsieur [L] la somme 20.000 euros, à parfaire à la date du jugement à intervenir, au titre de leur préjudice moral,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à rembourser à Madame [T] et Monsieur [L] la somme de 8.536,36 € TTC correspondant aux frais d’expertise,

- Condamner la SCCV BRETECHELLE à verser à Madame [T] et Monsieur [L] la somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 20 mars 2023, la SCCV BRETECHELLE sollicite du tribunal de :

“A TITRE PRINCIPAL :

. Débouter Madame [T] et Monsieur [L] de toutes leurs demandes, fins et prétentions au visa des articles 1642-1, 1648 alinéa 2, 1103, 1112-1 et suivants du Code Civil

. Condamner reconventionnellement et solidairement Madame [T] et Monsieur [L], au paiement de la somme de 8 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du CPC

. Condamner reconventionnellement et solidairement Madame [T] et Monsieur [L], au paiement des entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître LEFEVRE, avocat aux offres de droit, et dont le recouvrement sera assuré conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.

À TITRE SUBSIDIAIRE :

. En cas de condamnations de la SCCV BRETECHELLE, condamner la compagnie ZURICH INSURANCE PLC, Monsieur [F] [J], la MAF, la SA BATIPLUS et ATM à garantir la SCCV BRETECHELLE de toutes condamnations

. Condamner reconventionnellement et solidairement tout succombant, au paiement de la somme de 8 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du CPC

. Condamner reconventionnellement et solidairement tout succombant, au paiement des entiers dépens dont distraction sera faite au profit de Maître LEFEVRE, avocat aux offres de droit, et dont le recouvrement sera assuré conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 19 septembre 2022, la société Zurich Insurance Plc sollicite du tribunal de:

o “Débouter les consorts [L] [T] de leurs demandes à l’encontre de la SCCV Brétechelle, et partant, de Zurich Insurance Plc,

A toutes fins,

o Débouter la SCCV Brétechelle de sa demande en garantie contre Zurich Insurance Plc dans la mesure où :

En toute hypothèse,

o Faire application des limites de garantie de Zurich Insurance Plc, et notamment d’une franchise contractuelle de 3.500 € par sinistre, et Rejeter toute demande de solidarité entre Zurich Insurance Plc et la SCCV Brétechelle sur les montants prévus au titre des franchises contractuelles,

En tout état de cause,

o Condamner la SCCV Brétechelle, ou tout succombant, aux entiers dépens,

o Condamner la SCCV Brétechelle, ou tout succombant, à verser à Zurich Insurance Plc la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 21 novembre 2022, Monsieur [J] et son assureur la MAF sollicitent du tribunal de :

- “DEBOUTER toutes parties de toutes demandes formées à l’encontre de Monsieur [F] [J] et de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS,

- DEBOUTER la SCCV BRETECHELLE de son appel en garantie formé à l’encontre de
Monsieur [F] [J] et de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS,

En tout état de cause,

- DEBOUTER, les consorts [T] [L] de leurs demandes d’indemnisation,

- CONDAMNER la SCCV BRETECHELLE à payer à Monsieur [F] [J] et à la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER la SCCV BRETECHELLE aux entiers dépens”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le ME PERREAU, la SASU AGENCE THIERRY MAYTRAUD (ATM) sollicite du tribunal de :

“A titre principal

- DEBOUTER les consorts [T] [L] de leurs demandes portant sur les bassins de rétention,

- DEBOUTER toute partie de sa demande de garantie dirigée à l’encontre de la société ATM,

A titre subsidiaire

- CONDAMNER la seule SCCV au titre des demandes relatives aux bassins de rétention,

En tout état de cause

- CONDAMNER tout succombant à payer à la société ATM la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 3 novembre 2021, la société BATI PLUS sollicite du tribunal de :

“DEBOUTER la SCCV BRETECHELLE et toute autre partie de toute demande de condamnation formée à l’encontre de la société BATIPLUS ;

A titre subsidiaire,

JUGER que la Société BTP CONSULTANTS ne saurait être condamnée in solidum ;

LIMITER la responsabilité de la Société BTP CONSULTANTS à 1% dans la survenance des désordres ;

A titre plus subsidiaire,

DIRE bien fondée la société BATIPLUS à être relevée et garantie indemne par la Société SIP ;
En conséquence

CONDAMNER in solidum les sociétés ATM (BET Gestion EP et Paysage), la SCCV BRETECHELLE et son assureur Zurich INSURANCE PLC à relever et garantir indemne la concluante des condamnations pouvant intervenir à son encontre

JUGER que l’équité commande que la quote-part des codébiteurs insolvables soit répartie entre les codébiteurs in bonis au prorata des responsabilités ;

En tout état de cause,

DEBOUTER la SCCV BRETECHELLE ou toute partie de leur demande tendant à voir prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Et, si par extraordinaire la juridiction saisie n’écartait pas l’exécution provisoire, LA CONDAMNER elle ou toute autre partie à constituer une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations conformément à l’article 514-5 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la SCCV BRETECHELLE ou tout autre succombant au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que les entiers dépens conformément aux dispositions des articles 696 et 699 du code de procédure civile”.

*

Suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 21 novembre 2022, la SMABTP sollicite du tribunal de :

“Mettre hors de cause la SMABTP et débouter tous intervenants de toute demande dirigée à son encontre ses garanties n’étant pas mobilisables.

Condamner tous contestants aux dépens outre au paiement d’une indemnité de 1500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile”


L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I.Sur les demandes principales

Les demandeurs soutiennent que la SCCV Bretechelle a manqué à son obligation de délivrance, d'information et de conseil et qu'elle engage sa responsabilité au titre des articles 1642-1 et suivants du code civil.

A) Sur la demande de condamnation sous astreinte à réaliser les travaux relatifs à la suppression des bassins de rétention et à la mise en place des puisards

Monsieur [L] et Madame [T] soutiennent que :

- le permis de construire initial du 8 janvier 2014 visait la mise en place de puisards pour la gestion des eaux pluviales des maisons individuelles, dont celle qu'ils ont acquise ;

- la SCCV Bretechelle n’a pas réalisé lesdits puisards mais les a remplacés par des bassins à ciel ouverts, sans autorisation préalable de l’autorité administrative ;

- l’autorité administrative a refusé de régulariser les non-conformités et a dressé un procès-verbal d’infractions ;

- la SCCV Bretechelle qui n’a en conséquence pas été en mesure de délivrer le certificat de conformité, a manqué à son obligation de délivrance.

En réponse, la SCCV Bretechelle soutient que :

- son engagement envers les acquéreurs doit s’apprécier au regard du contrat de vente et de la notice descriptive et non par rapport au permis de construire ;

- la notice descriptive prévoit que des bassins d’infiltration seront réalisés ;

- les bassins de rétention à ciel ouverts présentent une aptitude analogue aux puisards en termes de gestion des eaux de pluie ;

- les demandeurs ne démontrent pas de défaut de fonctionnement ou de préjudice lié au fonctionnement des bassins,

- aucun préjudice ne résulte pour Madame [T] et Monsieur [L] d’une éventuelle non délivrance du certificat de conformité ;

- la dénonciation de ces éventuelles non-conformités n’a pas été effectuée dans le délai annal, et partant, l’action de Madame [T] et Monsieur [L], sur ce point, est forclose en application des dispositions de l’article 1648 alinéa 2 du Code Civil ;

- aucune réserve ne figure sur le procès-verbal de livraison quant à la présence des bassins d’infiltrations.

*

Le vendeur en état futur d'achèvement est tenu à l'égard des acquéreurs:

- des vices apparents et des défauts de conformités apparents sur le fondement de l'article 1642-1 du code civil selon lequel le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents.

- des défauts de conformités, non-apparents à la livraison, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme du vendeur en application de l'article 1604 du code civil, ce qui entraîne l'application du régime contractuel de l'inexécution.

En application des articles 1603 et 1604 du code civil, le vendeur en état futur d'achèvement est tenu de réaliser un immeuble conforme aux prévisions du contrat. Il s'agit de déterminer toute différence existant entre le bien tel qu'il a été promis au contrat et le bien tel qu'il est finalement livré à l'acquéreur.

La conformité de l’immeuble édifié est appréciée non seulement par référence aux stipulations du contrat de vente (l'acte de vente, ses annexes ou les documents auxquels l'acte s'est référé) mais également au regard des dispositions du permis de construire.

Le seul constat d'un défaut de conformité aux prévisions contractuelles, quel que soit son importance, caractérise un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme.

Le défaut de conformité apparent à la livraison est soumis à la garantie prévue à l'article 1642-1 du code civil, au même titre que le vice apparent.

Les vices de construction et défaut de conformité apparents sont ceux révélés par un examen superficiel ou susceptibles d’être détectés par un homme sans compétence technique particulière, procédant à des vérifications élémentaires.

Si l'immeuble vendu est affecté de vices de construction et/ou de défauts de conformité apparents, l'acquéreur dispose d'un délai d'un an à compter du plus tardif des deux événements visés à l'article 1642-1 du code civil, à savoir l'expiration du délai d'un mois suivant la prise de possession ou la réception si elle est postérieure.

Selon les termes de l'article 1648, alinéa 2, le non-respect du délai annal qui y est posé est sanctionné par une forclusion.

Les désordres apparents à la livraison qui affectent un immeuble vendu en état futur d'achèvement sans revêtir de gravité décennale ou biennale relèvent exclusivement de la garantie de l'article 1642-1 du code civil, de sorte que la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée du vendeur n'est pas applicable, même à titre subsidiaire.

*

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le permis de construire initial déposé le 15 octobre 2013 et approuvé le 8 janvier 2014 (en page 3) ne mentionne pas expressément l'existence de bassins de rétention d'eau ou la mise en place de puisards, prévoyant ainsi la possibilité de recours à plusieurs solutions en ces termes :

« Conformément au règlement du service d'assainissement collectif de la ville des [Localité 17], les eaux pluviales devront être infiltrées sur la parcelle privée (puits d'infiltration ou épandage), ou dirigées, vers un ouvrage de stockage pour réutilisation de l'eau (arrosage, WC...) avec rejet de trop plein en infiltration. Seule une étude démontrant l'impossibilité d'infiltrer les eaux pluviales sur le terrain pourra justifier une autorisation de rejet, après rétention, dans le réseau public. En l'espèce, votre système de récupération devra être conforme aux plans annexés au présent permis de construire. »

Est annexée au permis de construire « une notice d'insertion dans le site » validée par la mairie le 8 janvier 2014 laquelle précise en page 4 «les évacuations d'eaux pluviales des maisons et collectifs sont repris par le moyen de puisards (après étude d'infiltration) sur l'opération tandis que les évacuations de la voirie et parkings imperméables passeront par un bassin de rétention. (…) Le bassin de rétention calculé actuellement est prévu pour reprendre l'ensemble des eaux pluviales (voiries + bâtiment) et un nouveau calcul de volume du bassin de rétention sera donné après étude d'infiltration du sol si cette solution est avalisée avant sa réalisation ».

En outre, il est également versé aux débats l'avis de la CLE (Commission Locale de l'Eau) sur le permis de construire déposé le 15 octobre 2013 par la SCCV Bretechelle lequel est annexé à la décision du 8 janvier 2014 d'accorder le permis de construire initial.

Il est expressément indiqué que «le pétitionnaire prévoit la création de bassins de rétentions de 125m3 chacun, enterrés sus la chaussée. (…)». Compte tenu des éléments techniques développés par la CLE, il est indiqué que «le dimensionnement des basins de rétention devra être revu et adapté à chaque surface captée sur le projet. Les débits de fuite devront être précisés. (…) En tant que président de la CLE j'émets un avis favorable sur ce dossier sous réserves des modifications et des précisions à apporter à la gestion des eaux pluviales ».

De plus, il convient de relever que la présence des bassins de rétention des eaux pluviales figure sur le plan de l'acte de vente ainsi qu'à l'article 7.7.8 «évacuation des eaux de pluie et de ruissellement » en page 33 de la notice descriptive.

Il convient de noter qu'il ressort d'un courrier du 23 avril 2017 signé par Monsieur [L] et Madame [T] que ces derniers reconnaissent avoir «reçu l'acte du notaire ainsi que la notice descriptive ».

Enfin, le procès-verbal de livraison du 2 août 2017 ne mentionne aucune réserve concernant la présence de bassins de rétention.

Aussi, les acquéreurs ne peuvent pas reprocher à la SCCV Bretechelle d'avoir installé des bassins de rétention en lieu et place des puisards et ils ne peuvent valablement soutenir que les bassins seraient non conformes aux stipulations contractuelles ou au permis de construire initial. Ainsi, la SCCV Bretechelle justifie avoir vendu ce qui avait été convenu.

En outre, il convient de relever que le procès-verbal de constat d'infraction à la législation du Code de l'urbanisme ayant été dressé par la commune de [Localité 17] le 18 octobre 2017, la non-conformité des bassins de rétention porte sur la gestion et le traitement des eaux pluviales et non sur l'existence même dudit bassin.

Il ne ressort d'aucune stipulation contractuelle qu'il résulterait une obligation pour la SCCV Bretechelle de fournir un certificat de conformité des bassins de rétention aux acquéreurs.

En outre, il convient de relever que l'ordonnance de référé du 8 novembre 2018, a fixé la mission de l’Expert, Monsieur [U] suite aux griefs émis par Madame [V] [T] et Monsieur [L] dans leur assignation des 17 et 20 août 2018 à savoir :

- difficulté d'accès à la terrasse extérieure depuis le séjour ;
- difficultés de manœuvre de la porte coulissante extérieure d’accès à cette même terrasse ;
- poignée de la porte intérieure située à 40 cm d’un angle entrant (porte d’accès au garage).

Ainsi, la non-conformité des bassins de rétention n'a été alléguée par les demandeurs qu'au cours des opérations d'expertise soit postérieurement au délai annal de forclusion.

Par ailleurs, les demandeurs indiquent que la SCCV Bretechelle aurait dû les alerter sur les conséquences de la présence des bassins de rétention, dans leur ampleur, leur nécessité d’entretien et leur dangerosité vis-à-vis notamment de jeunes enfants, reprochant ainsi à la SCCV Bretechelle un manquement à son obligation de conseil et d’information.

En réponse à ce moyen, il convient de relever qu'en pages 36 et 38 de son rapport, l’expert souligne concernant les bassins d’infiltration, qu' « il n’a pas été constaté de désordres de fonctionnement au cours des opérations d’expertise » et précise qu'en l'état il n'est pas en mesure d'évaluer un quelconque préjudice subi par les demandeurs (page 39 de son rapport).

Enfin, au surplus, il convient de noter qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'une expertise a été ordonnée par le Tribunal Administratif de Versailles afin d'analyser le stockage des eaux pluviales, dans le cadre de la procédure administrative de contestation du procès-verbal d'infraction.

Il en ressort en page 23 du rapport d'expertise de Monsieur [W] que « les ouvrages sont en capacité de tamponner la crue centennale. D'une façon globale, les ouvrages sont satisfaisants et qu'il existe même une marge d'environ 195m3 ».

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la demande de Madame [T] et Monsieur [L] à ce titre sera rejetée.

B) Sur les demandes relatives à la mise aux normes « accès handicapé »

Les demandeurs sollicitent dans le même temps la condamnation de la SCCV Bretechelle à réaliser les travaux de remise aux normes sous astreinte et la condamnation à des dommages et intérêts au titre des travaux réparatoires.

Monsieur [L] et Madame [T] soutiennent que la SCCV Bretechelle a manqué à son obligation de conseil et d’information et à la bonne foi contractuelle dès lors qu'elle connaissait l'état de handicap de Madame [T] laquelle est atteinte d'une sclérose en plaques, et pour laquelle l'utilisation d'un fauteuil roulant sera nécessaire à l'avenir.

Ils font valoir que l’ouvrage n’est pas conforme aux règles d’accessibilité aux personnes handicapées dès lors qu'ils déplorent :

- une difficulté d’accès à la terrasse depuis le séjour

- une difficulté d’ouverture et de fermeture de la porte coulissante

- que la poignée d'accès au garage est située à moins de 40 cm d'un angle entrant.

En réponse, la SCCV Bretechelle soutient que le rapport d’expertise est clair et qu'il a conclu qu'il n’existe aucune violation des normes réglementaires et aucune violation des stipulations contractuelles. La SCCV Bretechelle précise que l'expert n'a retenu aucun désordre. La SCCV Bretechelle indique que la société BATIPLUS a émis une attestation d'accessibilité aux personnes handicapées. La SCCV Bretechelle ajoute que Madame [T] ne subit aucun préjudice dès lors qu'elle n’est pas en fauteuil roulant.

i) sur la difficulté d’accès à la terrasse depuis le séjour

Madame [T] et Monsieur [L] indiquent que la réglementation en vigueur au moment du litige édicte que le seuil du ressaut doit être de 2 cm maximum alors qu'en l’espèce, le ressaut est de plus de 10 cm empêchant tout passage avec un fauteuil roulant. Le rapport d'expertise relève expressément l’impossibilité d’accéder à la terrasse en fauteuil roulant.

Les demandeurs soutiennent qu'en refusant de répondre à Madame [T] qui alertait expressément sur son handicap et interrogeait sans ambiguïté sur la hauteur du seuil de la porte fenêtre, la SCCV Bretechelle a manqué à son devoir de conseil et d’information.

La SCCV Bretechelle soutient que l'ouvrage est conforme à la réglementation.

Il ressort des pièces versées aux débats que suivant un courrier du 15 mai 2017, Madame [T] indiquait « au vu de mon handicap, nous vous demandons d'électrifier l'ensemble des volets battants du rez-de-chaussée (le seuil des portes fenêtre étant beaucoup trop élevé pour pouvoir ouvrir et fermer les volets (…) l'important est que je puisse y aller en fauteuil. Si vous avez besoin de ma carte d'handicapé pur justifier cela dites le moi (…). »

Suivant un courriel du 30 mai 2017, Madame [T] écrivait à l'architecte «je vous préviens que nous achetons la maison pour les normes handicapées (car je suis handicapée). Il est donc très important pour moi que ces normes soient respectées (seuils des portes, accès terrasse...) ».

Ainsi, il n'est pas contestable que la SCCV Bretechelle avait connaissance de l'état de handicap de Madame [T] et qu'elle s'est engagée à fournir un ouvrage conforme aux normes PMR.

La société BATIPLUS a en qualité de contrôleur technique émis un avis favorable le 15 mars 2018 précisant que la construction était conforme aux articles R 111-5 et R 111-18-4 à R 111-18-7 du CCH, relatifs à l’accessibilité aux personnes handicapées des maisons individuelles lors de lors construction ainsi qu'à l'arrêté du 1er août 2006 (modifié par l’arrêté du 30 novembre 2007) fixant les conditions prises pour l’application des articles R 111-5 et R 111-18 à R 111-18-7 du CCH relatives à l’accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d’habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leur construction.

S'il a été établi par le rapport de l’assurance dommages-ouvrage ainsi que par Monsieur [U] que le seuil de la terrasse est situé à 102 mm au-dessus du plancher intérieur de la maison, l'expert judiciaire relève que la réglementation est muette sur le passage de l’intérieur vers l’extérieur de l’habitation et n’impose pas de ressaut maximal.

Par ailleurs, si Madame [T] a envoyé plusieurs courriels pour spécifier son état de santé aucune spécificité technique renforcée relative aux normes PMR n’est entrée dans le champ contractuel.

En conclusion, Monsieur [U] indique en page 25 de son rapport que « l’ouvrage mis en place est réglementaire».

Dès lors, la demande formée par Madame [T] et Monsieur [L] à ce titre sera rejetée.

ii)sur la difficulté d’ouverture et de fermeture de la porte coulissante

En page 25 de son rapport, l'expert relève en ce qui concerne l’ouverture de la porte-fenêtre coulissante, qu' « il apparaît que celle-ci offre une « certaine résistance à l’ouverture et à la fermeture ».

L’expert a donc mesuré avec une jauge de force du fabricant SAUTER n° 919749, l’effort à l’ouverture et fermeture en mode PEAK (force maximale d’atteinte) au cours de l’essai, au droit de la poignée d’ouverture.

L'expert indique dans un premier temps que la force en traction et en pression a été mesurée à 7 kg (70 newton), ce qui est contraire à l’article 22 de l'arrêté du 1er août 2006, modifié par l'arrêté du 30 novembre 2016.

Il convient de relever que si l'article 10 de l'arrêté du 1er août 2006, modifié par l'arrêté du 30 novembre 2016 disposait que «lorsqu'une porte comporte un système d'ouverture électrique, le déverrouillage doit être signalé par un signal sonore et lumineux, l''effort nécessaire pour ouvrir la porte doit être inférieur ou égal à 50 N, que la porte soit ou non équipée d'un dispositif de fermeture automatique. », cet article a été abrogé par l'article 22 de l'arrêté du 20 avril 2017 et il convient en outre de relever que la porte coulissante litigieuse ne comporte aucun système d'ouverture électrique.

Aussi l'expert conclut en page 50 de son rapport que « cette expertise, au travers des différentes analyses, diagnostics réalisés, montre que pour les points de litige évoqués, il n’y a pas véritablement de non conformités aux règles de l’art, ni d’exécution défectueuse ».

Dès lors, la matérialité de la non-conformité n'est pas établie et la demande formée par Madame [T] et Monsieur [L] a ce titre sera rejetée.

iii) sur la poignée d'accès au garage située à moins de 40 cm d'un angle entrant

Il ressort du rapport d'expertise (page 26) qu'il a été mesuré lors des opérations d’expertise que le niveau de la poignée de la porte d’accès au garage était situé à 21cm d’un angle rentrant (soit une poignée située à moins de 40 cm d’un angle entrant).

Toutefois, l'expert indique que la réglementation laquelle impose que la poignée de la porte d’entrée doit être facilement préhensile, son extrémité doit être située à 40 cm au moins d’un angle de paroi n'est valable que pour les portes et portails situés sur les cheminements extérieurs, ce qui n’est pas le cas pour la porte d’accès au garage.

Dès lors, aucune non-conformité n'est établie.

C)Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la réfection du prix de vente

Les demandeurs sollicitent la somme de 15.000 euros et soutiennent qu'ils n’auraient pas acquis la maison, au prix demandé, s’ils avaient eu pleinement connaissance des défauts d’accessibilité, de l’ampleur et des conséquences des bassins de rétention.

Aucune non-conformité ni désordre n'ayant été retenu, la demande sera rejetée.

D)Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance

Les consorts [L]/[T] ne rapportent pas la preuve du préjudice, étant relevé qu'il n'est pas soutenu que l'un ni l'autre ne puisse profiter pleinement de la terrasse ou de la maison, étant précisé qu'à la date du dépôt du rapport d'expertise Madame [T] ne se déplaçait pas en fauteuil roulant.

L'expert relève en page 43 de son rapport que « que Madame [T], aujourd’hui, utilise la marche pour se déplacer et peut passer le seuil de cette porte-fenêtre. »

Par conséquent, la demande sera rejetée.

E) Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral

Les demandeurs indiquent avoir « nécessairement subi un préjudice moral du fait de la non-conformité de leur bien immobilier aux normes d’accessibilité PMR et au regard de l’absence d’attention et de conseils portés à cet égard par la SCCV Bretechelle. »

Aucune non-conformité ni désordre n'ayant été retenu, la demande sera rejetée.

II.Sur les demandes accessoires

En application de l'article 696 du code de procédure civile, Madame [T] et Monsieur [L] succombant, les dépens (en ce compris les frais d'expertise) seront mis à leur charge.

En raison de l'équité, chaque partie supportera ses propres frais irrépétibles.

L'ancienneté du litige commande le prononcé de l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Statuant par jugement contradictoire rendu par voie de mise à disposition au greffe et en premier ressort :

DÉBOUTE Madame [V] [T] et Monsieur [K] [L] de l'intégralité de leurs demandes ;

CONDAMNE Madame [V] [T] et Monsieur [K] [L] aux entiers dépens (en ce compris les frais d’expertise) ;

DIT que chaque partie supportera ses propres frais irrépétibles ;

DIT que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire du jugement ;

Fait et jugé à Paris le 31 mai 2024

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 19/13140
Date de la décision : 31/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-31;19.13140 ?
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