TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
■
4ème chambre 2ème section
N° RG 22/09939
N° Portalis 352J-W-B7G-CXRRR
N° MINUTE :
Assignation du :
02 Août 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 30 Mai 2024
DEMANDEUR
Monsieur [W] [CV] [OO]
Ancien ambassadeur des Etats-Unis en France
[Adresse 2]
[Adresse 2]
ÉTATS-UNIS
représenté par Me Thierry MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0200
DEFENDERESSE
Madame [MG] [UP]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
ETATS-UNIS
représentée par Me Basile ADER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0438
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Matthias CORNILLEAU, Juge
assisté de Véronique BABUT, Greffier
DEBATS
A l’audience du 07 mars 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 30 Mai 2024.
ORDONNANCE
- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
FAITS ET PROCÉDURE
Par exploit d'huissier signifié le 2 août 2022, M. [W] [CV] [OO] a fait assigner Mme [MG] [UP] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :
- "CONSTATER que Madame [MG] [UP] a commis plusieurs manquements dans l’exécution du contrat de dépôt-vente la liant à Monsieur [W] [OO] ;
En conséquence,
- PRONONCER la résiliation du contrat de dépôt-vente aux torts de Madame [MG] [UP] à compter de la mise en demeure du 21 mars 2022 ;
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] à restituer à Monsieur [W] [OO] les vingt-quatre oeuvres d’art suivantes, et ce sous astreinte de 1.000 euros par oeuvre et par jour de retard à compter de la signification du jugement à venir :
1/ [Y] [IC], Untitled, 2015
2/ [Y] [IC], Untitled, 2012-2013
3/ [S] [Z], Zig-Zag Composition, 2015
4/ [C] [G], Melancholic Interior, 2010-2011
5/ [O] [FO], Eclipse, 2015
6/ [O] [FO], Untitled, 2014
7/ [H] [N], Untitled (Fugue XLIII), 2014
8/ [H] [N], Untitled (Fugue XXIX), 2014
9/ [A] [F], WhatsApp and a Cig, 2016
10/ [T] [HJ], Concerning taste, 2016
11/ [L] [WG], Small Bottom, 2015
12/ [B] [J], O.T./Untitled, 2011
13/ [X] [DY], The Screen, 2015
14/ [U] [LN], Untitled, 2012
15/ [R] [M], Antibiotic Fairy, 2016
16/ [SR] [D], Sun Fused Seeming, 2015
17/ [PW] [K], [KB], 2010
18/ [ZW] [I], Untitled, 2013
19/ [ZW] [I], Untitled, 2014
20/ [JX] [V], Of an Interior, 2013
21/ [WC] [P], Dogtooth II, 2015
22/ [WC] [P], Ball Games III, 2013
23/ [XX] [E], Untitled (Table), 2013
24/ [OF] [UL], Untitled, 2014
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] à verser à Monsieur [W] [OO] la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] à verser à Monsieur [W] [OO] la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SCP KIEJMAN & MAREMBERT."
Il expose notamment qu'alors qu'il exerçait les fonctions d'ambassadeur des Etats-Unis en France, il a rencontré Mme [RA], amatrice d'art, avec laquelle il a convenu oralement d'un contrat de dépôt-vente d'oeuvres d'art qu'elle avait préalablement acquises pour son compte mais qu'elle refuse de lui restituer les oeuvres censées ne pas avoir été vendues.
La procédure a été enregistrée sous le numéro 22/09939 et a donné lieu à l'ouverture d'une instruction à l'issue de l'audience d'orientation.
Par conclusions spécialement adressées au juge de la mise en état et notifiées le 13 janvier 2023 par message électronique, Mme [MG] [UP] a notamment soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2023 par message électronique, Mme [MG] [UP] entend voir :
"A titre principal,
- CONSTATER que les relations commerciales liaient uniquement Monsieur [W] [OO] à RBS
- DIRE que Monsieur [W] [OO] a introduit la présente action à l’encontre de Madame Mme [MG] [UP], qui n’a pas la qualité de défendeur ;
- JUGER irrecevable l’action de Monsieur [W] [OO] à l’encontre de Madame Mme [MG] [UP] ;
Par conséquent
- DÉBOUTER Monsieur [W] [OO] de l’ensemble des demandes, fins et prétentions dirigées contre Madame Mme [MG] [UP] ;
A titre reconventionnel,
- CONDAMNER Monsieur [W] [OO] à verser à Madame Mme [MG] [UP] la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts du fait de la procédure abusive initiée par Monsieur [W] [OO] ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER Monsieur [W] [OO] à verser à Madame Mme [MG] [UP] la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER Monsieur [W] [OO] aux entiers dépens."
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2023 par message électronique, M. [W] [CV] [OO] entend voir :
- “JUGER que la seule cocontractante de Monsieur [W] [OO] est Madame [MG] [UP] et non la société britannique RBS ART LIMITED ;
En conséquence,
- JUGER recevable l’action de Monsieur [W] [OO] à l’encontre de Madame [MG] [UP] ;
- DÉBOUTER Madame [MG] [UP] de ses demandes reconventionnelles sur le fondement de la procédure abusive ;
En tout état de cause,
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] à verser à Monsieur [W] [OO] la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER Madame [MG] [UP] aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SCP KIEJMAN & MAREMBERT."
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour un exposé des moyens des parties.
L'incident a été évoqué à l'audience de mise en état du 7 mars 2024 et a été mis en délibéré au 30 mai 2024.
Les parties ont été avisées du prononcé de la décision par sa mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
En application des articles 16 et 442 du code de procédure civile, les parties ont été invitées à formuler des observations par note en délibéré sur l'incompétence internationale du tribunal judiciaire de Paris relevée d'office et sur la loi applicable au contrat de "dépôt-vente" allégué.
Par message électronique notifié le 6 mai 2024 M. [SM] a sollicité la réouverture des débats faute de temps pour adresser sa note, laquelle a finalement été notifiée le 13 mai 2024.
Mme [MG] [UP] a notifié sa note par message électronique le 7 mai 2024.
MOTIFS
Il est rappelé qu’en vertu de l’article 768 du code de procédure civile, applicable à la procédure écrite devant le tribunal judiciaire dont relève l'instruction devant le juge de la mise en état, il n’y a lieu de statuer que sur les prétentions figurant au dispositif («Par ces motifs») des dernières conclusions des parties, étant observé que toute demande figurant uniquement dans la discussion de ces écritures ne sera donc ici reproduite dans un souci de lisibilité de la décision.
Ne seront pas non plus reproduites ni examinées les demandes figurant au dispositif des conclusions respectives des parties qui constituent des moyens et non des prétentions sur lesquelles le juge doit statuer au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
Sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris
Dans sa note en délibéré, M. [W] [CV] [OO] s'oppose au déclinatoire de compétence aux motifs d'une part que le juge de la mise en état n'a pas le pouvoir de relever d'office l'incompétence du tribunal judiciaire dès lors que les conditions de l'article 77 du code de procédure civile ne sont pas réunies en l'absence de compétence exclusive et en présence du défendeur. Il conclut d'autre part à la compétence internationale du tribunal judiciaire de Paris dès lors que Mme [MG] [UP] dispose à tout le moins d'un domicile apparent à [Localité 4] où l'assignation a été régulièrement signifiée, qu'un lien de rattachement existe en présence d'un contrat oral conclu en France et d'oeuvres qui s'y trouvent, et enfin que la défenderesse a comparu sans contester la compétence de la juridiction, ce qui emporte prorogation de compétence au sens de l'article 26 du règlement européen dit "Bruxelles I bis".
Dans sa note en délibéré, Mme [MG] [UP] acquiesce à l'incompétence internationale au motif qu'elle est citoyenne américaine comme son adversaire et que l'adresse à laquelle a été signifiée l'assignation correspond à un "pied-à-terre" qu'elle occupe ponctuellement pour son activité professionnelle mais qu'elle est domiciliée à [Localité 3] aux Etats-Unis, pays où elle est assujettie à l'impôt et à un régime de sécurité sociale.
Sur ce :
L'article 76 du code de procédure civile dispose :
"Sauf application de l'article 82-1, l'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l'être qu'en ces cas.
Devant la cour d'appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d'office que si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française."
L’article 77 dispose :
“En matière gracieuse, le juge peut relever d'office son incompétence territoriale. Il ne le peut, en matière contentieuse, que dans les litiges relatifs à l'état des personnes, dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction ou si le défendeur ne comparaît pas.”
Le second alinéa de l’article 76 ayant vocation à restreindre le domaine du premier alinéa, il s'infère de l’articulation de ces textes que la question de la compétence internationale compétence du juge du premier degré peut être relevée d'office par le juge de la mise en état lorsque l'affaire échappe à la connaissance de la juridiction française.
En vertu de l'article 14 du code civil, l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français.
Le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, dit "Bruxelles I bis" dispose en son article 4 :
"1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
2. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre."
L'article 62 dudit règlement dispose :
"1. Pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de l’État membre dont les juridictions sont saisies, le juge applique sa loi interne.
2. Lorsqu’une partie n’a pas de domicile dans l’État membre dont les juridictions sont saisies, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre."
L'article 26 de ce même règlement dispose :
"1. Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24."
L'article 6, 1. de ce règlement dispose que "Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25."
Au cas présent, l'examen de la procédure met en évidence que les deux parties sont de nationalité américaine sans que l'une ou l'autre ne soit par ailleurs ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne de sorte qu'il appartient au juge de la mise en état d'examiner la compétence des juridictions françaises pour connaître de la présente affaire, et ce, avant d'envisager de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par Mme [UP].
A cet égard, le règlement dit "Bruxelles I bis" attribue compétence aux juridictions françaises pour connaître des litiges civils et commerciaux qui y sont visés dès lors que le défendeur est domicilié en France. Aussi convient-il de déterminer si le domicile de Mme [UP] y est localisé au sens du droit interne, l'article 102 du code civil le définissant comme le lieu du principal établissement.
Il est constant que l'assignation a été signifiée à l'adresse d'un appartement situé à [Localité 5] dont la défenderesse reconnaît expressément être propriétaire. Cette adresse est également celle déclarée aux autorités britanniques comme son lieu de résidence par Mme [UP] dans le cadre de son activité de dirigeante de la société RBS Art Limited.
Toutefois est versée aux débats la copie du permis de conduire de Mme [UP] édité en 2019, soit trois ans avant l’introduction de l’instance, sur laquelle figure une adresse new-yorkaise qui correspond à celle renseignée par son conseil lors de sa constitution et dans ses écritures successives, dont aucun élément ne permet d'établir un quelconque intérêt à modifier cette adresse puisque la question de la compétence n'avait pas encore été évoquée et ne l'a été que d'office. Il est également justifié de ce que Mme [UP] est affiliée auprès d’un organisme de sécurtié sociale américain et que les courriers de celui-ci lui sont envoyées à son adresse new-yorkaise.
A l'inverse, les mises en demeures et les actes d'huissier que produit M. [OO] sont postérieurs à la naissance de son différend avec Mme [UP] et ne sauraient, du fait de leur caractère unilatéral, suffire à établir que l’adresse qui y est mentionnée correspond au lieu du principal établissement de cette dernière. S'il soutient que Mme [UP] a reconnu qu'un huissier s'était rendu à son "domicile personnel", il ne peut qu'être relevé qu'employée dans un registre de langage courant cette expression peut renvoyer au simple fait d'occuper un lieu dont on est propriétaire. Le fait qu’elle lui a écrit vivrement à [Localité 3] et [Localité 4] n’est pas non plus déterminant du lieu du principal établissement puisque, au contraire, il démontre que Mme [UP] n’avait pas quitté [Localité 3] pour s’installer uniquement en France.
Aussi y a-t-il lieu, en considération de la nature et de la date des documents officiels délivrés par les autorités du pays dont les parties sont ressortissantes mais également du jugement du tribunal administratif de Montreuil rendu le 21 février 2023 et qui confirme que Mme [UP] est domiciliée aux Etats-Unis y compris fiscalement, de considérer que le lieu du principal établissement principal de Mme [UP] est à [Localité 3] et non à [Localité 4], qui doit être regardée comme la ville où elle dispose d'une simple résidence, et ce, qu'elle y séjournât régulièrement ou non dans le cadre de son activité professionnelle pour la société Tajan.
M. [OO] qui concède avoir entretenu une relation amicale ténue avec Mme [UP] ne saurait par ailleurs raisonnablement soutenir avoir ignoré l'existence de son domicile [Localité 3] de sorte qu'il n'est pas fondé à se prévaloir d'un domicile apparent.
Aucune des parties n'étant domiciliée en France, la compétence du tribunal judiciaire de Paris doit être examinée selon les règles de droit interne conformément à l'article 6,1. susvisé qui exclut l'application de la prorogation de compétence prévue à l'article 26 dudit règlement.
Or, si le demandeur justifie que certains de ses tableaux lui ont été restitués depuis les locaux d'une société située en [Localité 6], il n'en demeure pas moins que ce fait ne peut, à lui seul et en présence d'un possible contrat oral conclu entre deux ressortissants américains qui ne sont pas domiciliés en France et de demandes relatives à des oeuvres achetées et payées à une société britannique dont les factures sont adressées à M. [OO] à son adresse américaine sans qu'aucune adresse de livraison ou de transport en France n'y figure, constituer un lien de rattachement suffisant avec le territoire français,
Le litige échappe donc à la compétence des juridictions françaises.
En conséquence, et sans qu'il n'y ait lieu d'examiner le surplus des moyens soulevés, il y a lieu de déclarer le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître de l'affaire et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir en application de l'article 81 du code de procédure civile.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696, 700 et 790 du code de procédure civile, l'exception d'incompétence ayant été relevée d'office l'équité commande mettre à la charge de chacune des parties les dépens qu'elle a exposés et de dire n'y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
Nous, juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort et mise à disposition au greffe,
DÉCLARONS le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître de la procédure introduite par M. [W] [CV] [OO] à l'encontre de Mme [MG] [UP] par assignation en date du 2 août 2022 ;
RENVOYONS les parties à mieux de pourvoir ;
METTONS à la charge de chacune des parties la part des dépens qu'elle a exposée ;
DISONS N'Y AVOIR LIEU à condamnation au titre des frais irrépétibles ;
CONSTATONS la suspension de l'instance conformément à l'article 80 du code de procédure civile ;
Faite et rendue à Paris le 30 Mai 2024
Le GreffierLe Juge de la mise en état