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30/05/2024 | FRANCE | N°22/00086

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 2ème section, 30 mai 2024, 22/00086


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




8ème chambre
2ème section


N° RG 22/00086
N° Portalis 352J-W-B7F-CVZ4I

N° MINUTE :


Assignation du :
27 décembre 2021







JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEURS

S.C.I. PLEIN CIEL, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 7]

S.C.I. LIMILIAAR, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [O]

[Z]
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [W] [S]
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [P] [U]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Tous représentés par Maître Jean-marie JOB de la SELARL JTBB AVOCATS, avoca...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

8ème chambre
2ème section


N° RG 22/00086
N° Portalis 352J-W-B7F-CVZ4I

N° MINUTE :

Assignation du :
27 décembre 2021

JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEURS

S.C.I. PLEIN CIEL, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 7]

S.C.I. LIMILIAAR, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [O] [Z]
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [W] [S]
[Adresse 5]
[Localité 7]

Monsieur [P] [U]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Tous représentés par Maître Jean-marie JOB de la SELARL JTBB AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #P0254

Décision du 30 Mai 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 22/00086 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVZ4I

DÉFENDEURS

Le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son syndic, la société JEAN CHARPENTIER-SOPAGI, SA
[Adresse 1]
[Localité 7]

représenté par Maître Benjamin SEMAN de la SELARL JUB AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C1623

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Frédéric LEMER GRANADOS, Vice-Président
Anita ANTON, Vice-Présidente
Olivier PERRIN, Vice-Président

assistés de Lucie RAGOT, Greffière lors des débats et de Nathalie NGAMI-LIKIBI, Greffière lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 28 Mars 2024 présidée par Frédéric LEMER GRANADOS tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] sont propriétaires de lots commerciaux au sein de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5].

L’ensemble immobilier du [Adresse 5] comprend cinq bâtiments, savoir :
- Un immeuble en façade de six étages (bâtiment A), donnant sur rue et sur une première cour ;
- Quatre lots en arrière-cour (bâtiments B, C, D et E), composés de pavillons, maisons et immeubles d’un étage maximum, donnant sur une seconde cour.

S’agissant des parties communes, l’ensemble immobilier comprend :
- Un passage d’accès aux divers bâtiments, ouvrant sur la [Adresse 8] ;
- Une première cour où se trouve l’entrée du bâtiment A ;
- Une seconde cour à l’extrémité du passage où prennent accès les bâtiments B, C, D et E.

L’ensemble immobilier est un ensemble mixte à destination d’habitation et de commerce.

Historiquement, l’ensemble immobilier abritait à la fois des ateliers (d’artisans et d’artistes) et des habitations.

Les ateliers se situaient dans les immeubles B à E et avaient naturellement vocation à accueillir du public (artisans, fournisseurs, clients…).

Ces ateliers ont été progressivement transformés en commerces, bureaux et logements. Ils ont successivement abrité un atelier d’architectes, une agence de mannequins et d’artistes, une agence immobilière, un atelier et commerce de mode, une agence de coaching, communication et marketing, soit des activités accueillant quotidiennement, au sein de la copropriété, un flux de salariés, prestataires, clients.

L’ensemble a fait l’objet d’un état descriptif de division et se trouve soumis à un règlement de copropriété daté du 23 mai 1956, transcrit par devant Notaire le 20 juillet 1956 et désignant « un immeuble de rapport à usage de commerce, d’habitation, atelier ».

Ce règlement précise notamment, en son article 8 relatif aux « parties constituant une partie privée » :

« 2° - Occupation : les appartements et locaux dépendant de la maison ne pourront être occupés et habités que par des personnes de bonnes vie et mœurs, bourgeoisement, professionnellement, artisanalement ou commercialement.
Spécialement, les occupants des lots n°17, 18, 19, 42, 43, 44 et 45 pourront continuer l’exploitation de leur commerce ou industrie sans que les autres occupants, locataires ou copropriétaires de l’immeuble puissent élever la moindre réclamation de ce chef.
Aucun local ne pourra être occupé par une personne tenant un cours de danse dans l’immeuble, par une personne y exerçant sa profession de musicien ou de chanteur ou encore par une personne qui ferait de la musique ou du chant à la manière d’un professionnel, ou un bruit quelconque pouvant troubler les voisins, à moins d’une autorisation donnée par l’assemblée de propriétaires comme il est sous l’article dix-neuf numéro neuf ci-après ».

Et en son article 9 relatif aux « parties communes » :

« Usage – Chacun des propriétaires, pour la jouissance des locaux qui appartiendront divisément, pourra user librement des parties communes suivant leur destination et sans faire obstacle aux droits des autres propriétaires ».

La SCI Plein Ciel est propriétaire du lot n°44, correspondant au bâtiment D, un ancien atelier réaménagé en loft et bureaux. Soit un lot à destination mixte d’habitation et commerciale, qui a successivement hébergé diverses sociétés.

Décision du 30 Mai 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 22/00086 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVZ4I

Le bâtiment est situé dans la deuxième cour, élevé sur terre-plein d’un rez-de-chaussée et d’un étage.

Il dispose en outre d’un patio intérieur.

En février 2020, la SCI Plein Ciel a reçu une offre pour l’acquisition de son lot de la part d’un acquéreur, M. [D] [X], souhaitant y exploiter une activité de coworking.

Cette offre était toutefois assortie d’une condition suspensive d’acquisition des lots voisins, la superficie du seul lot 44 étant insuffisante pour le projet.

L’intermédiaire immobilier de l’acquéreur a alors démarché les voisins de la SCI Plein Ciel et notamment Mme [N] [Y] et M. [V] [R], qui ont annoncé être vendeurs de leur loft de 180 m² au prix, jugé élevé par l’intermédiaire immobilier, de 2.000.000 €.

En mars 2020, compte tenu du contexte économique lié au confinement et à la crise sanitaire, l’acquéreur a renoncé à l’opération d’acquisition initialement envisagée.

En juin 2020, M. [X] a recontacté la SCI Plein Ciel en vue de l’acquisition du lot lui appartenant.

Les circonstances sanitaires et le contexte économique ayant amené l’acquéreur à revoir son projet à la baisse, l’offre soumise ne contenait plus de condition suspensive d’acquisition de lots voisins.

A l’occasion de l’assemblée générale des copropriétaires du 12 octobre 2020, M. [X] a exposé son projet d’installation d’une activité de coworking dans le bâtiment D.

M. [R], propriétaire du lot voisin et vendeur à M. [X] en février 2020 avant l’abandon du projet initial, a alors découvert que l’opération immobilière avait vocation à se poursuivre sans lui.

M. [R] a été élu au conseil syndical lors de l’assemblée générale du 12 octobre 2020.

Le conseil syndical a diffusé auprès des copropriétaires une note intitulée « Point d’information du conseil syndical aux copropriétaires : changement d’activités au sein du bâtiment D (façade rouge, 2e étage) risquant de modifier profondément la vie de la copropriété ».

Le conseil syndical a mandaté un avocat pour obtenir une consultation à charge sur la compatibilité d’une activité de coworking avec la destination de l’immeuble et le règlement de copropriété.

A l’occasion de l’assemblée générale annuelle des copropriétaires du 4 novembre 2021 (pour laquelle la SCI Plein Ciel n’a pas reçu de convocation), le conseil syndical a mis à l’ordre du jour et fait voter :

- une résolution (n°3) tendant à faire « appliquer les conditions de majorité fixées par la loi du 10 juillet 1965 pour adopter valablement les décisions inscrites à l’ordre du jour nonobstant toutes dispositions contraires qui seraient stipulées par le règlement de copropriété de l’immeuble » ;
- une résolution (n°20) relative à la « conformité de certaines activités au règlement de copropriété (art 24 de la loi du 10 juillet 1965) ».

L’assemblée générale a adopté, à la demande du conseil syndical, et à la majorité simple de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965, la résolution suivante :

« L’assemblée générale, vu le règlement de copropriété, considère que la présence simultanée et la circulation fréquente d’un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour et plus encore de nuit, sont sources de nuisances objectives pour l’ensemble des copropriétaires, ainsi que d’une fragilisation de la sécurité d’accès à l’immeuble.
L’assemblée générale, vu le règlement de copropriété, et après en avoir délibéré, confirme en conséquence que les activités professionnelles, artisanales ou commerciales qui sont de nature à générer ces situations, ainsi que celles qui génèrent des nuisances sonores ou olfactives, sont contraires au règlement de copropriété et à la destination de l’immeuble.
Les activités professionnelles, artisanales ou commerciales donnant sur rue ne doivent pas permettre à leur clientèle d’accéder aux parties communes (sauf en cas d’urgence, incendie…).

Cette décision est adoptée à la majorité des 330/731 tantièmes ».

La SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U], représentant 313 tantièmes, ont voté contre cette résolution.

Par exploit d’huissier délivré le 27 décembre 2021, la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] ont assigné le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son syndic, la société Jean Charpentier – Sopagi S.A. devant le tribunal judicaire de Paris aux fins de voir principalement annuler la résolution n° 20 de l’assemblée générale des copropriétaires du 4 novembre 2021.

Par dernières conclusions en réplique n°2 notifiées par voie électronique le 17 mai 2023, la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] demandent au tribunal de :

« Vu les articles 24 et 26 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis,
Vu le règlement de copropriété de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5],
Vu le procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5] du 4 novembre 2021,

ANNULER la résolution n°20 de l’assemblée générale des copropriétaires de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5] du 4 novembre 2021 ;

DEBOUTER le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5] de ses entières, demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5] à verser la somme de 1.500 € à chacun des requérants, savoir la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNER le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL JTBB Avocats, avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ».

Par conclusions récapitulatives n°2 notifiées par voie électronique le 15 juin 2023, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son Syndic, la société Jean Charpentier – Sopagi S.A., demande au tribunal de :

« Vu les articles 8, 9, 26 et 42 de la loi du 10 juillet 1965
Vu les articles 9 et 10 du décret du 17 mars 1967

DIRE ET JUGER le syndicat des copropriétaires recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

DEBOUTER la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, Monsieur [O] [Z], Monsieur [W] [S] et Monsieur [P] [U] de l’intégralité de leur demande,

CONDAMNER solidairement la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, Monsieur [O] [Z], Monsieur [W] [S] et Monsieur [P] [U] à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER solidairement la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, Monsieur [O] [Z], Monsieur [W] [S] et Monsieur [P] [U] aux entiers dépens ».

Pour l’exposé exhaustif de leurs moyens en fait et en droit des parties, il est renvoyé à leurs écritures, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 juin 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries du 28 mars 2024.

À l’issue des débats, les parties ont été informées de la mise en délibéré de la décision au 30 mai 2024, date à laquelle elle a été prononcée par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la demande d’annulation de la résolution n°20 de l’assemblée générale du 4 novembre 2021

La SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U], au soutien de leur demande d’annulation de la résolution n° 20, affirment qu’elle porte atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives. Ils soutiennent que :

- l’assemblée générale est venue ajouter des restrictions aux types et conditions d’exercice des activités professionnelles pouvant être exercées dans les locaux professionnels ou commerciaux ainsi qu’à leurs conditions d’exercice et qu’il s’agit d’une atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives,

- elle a décidé in abstracto, afin de faire entrer les restrictions nouvelles dans le champ des interdictions existant déjà dans le règlement de copropriété, que la présence simultanée de nombreuses personnes dans les locaux privés professionnels ou commerciaux dépendant de la copropriété entrainerait « la présence simultanée et la circulation fréquente d’un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour comme de nuit », ce qui serait source « de nuisances objectives pour l’ensemble des copropriétaires, ainsi que d’une fragilisation de la sécurité d’accès à l’immeuble »,

- l’interdiction des activités professionnelles de nature à générer la présence d’un « grand nombre de personnes » vient restreindre le type d’activités professionnelles susceptibles d’être exercées dans les locaux commerciaux dépendant de la copropriété puisque, en l’état du règlement de copropriété, seules sont interdites les activités générant des nuisances sonores,

- la présence de personnes n’est pas nécessairement génératrice de nuisances sonores : l’assemblée générale des copropriétaires a procédé à un raccourci sur une base purement théorique,

- cette restriction des activités pouvant être exercées dans les locaux commerciaux ou professionnels constitue une atteinte aux modalités de jouissance des parties privatives, non prévue par le règlement de copropriété actuel, refusée par les propriétaires desdits lots et par conséquent interdite,

- la limitation du nombre de personnes pouvant accéder aux locaux professionnels et commerciaux, sous couvert d’atteinte potentielle aux parties communes et au calme de la copropriété, vient restreindre les activités professionnelles pouvant être exercées dans ces locaux et leurs conditions d’exercice et, par extension, modifie les modalités de jouissance des parties privatives,

- il s’agit d’une grave restriction aux modalités de jouissance des parties privatives, empêchant l’exercice d’une activité professionnelle normale dans les parties privatives, une telle restriction étant d’autant moins fondée qu’elle s’appuie sur une réflexion purement théorique et une interdiction globale, et non l’analyse précise des émissions sonores d’une activité professionnelle en particulier,

- la notion de « nuisance objective », volontairement large et imprécise, dépasse la seule notion de nuisance sonore présente dans le règlement de copropriété, et vient ajouter des restrictions aux conditions de jouissance des parties privatives,

- enfin, la notion de « fragilisation de la sécurité d’accès à l’immeuble » est un ajout, cette notion ne figurant pas dans le règlement de copropriété,
- il s’agit d’une restriction supplémentaire.

Subsidiairement, la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] soutiennent que cette résolution, apportant une modification à la destination de l’immeuble et au règlement de copropriété concernant la jouissance, l’usage et l’administration des parties communes, a été prise en violation des règles de majorité applicables.

Le syndicat des copropriétaires conteste toute atteinte aux modalités de jouissances des parties privatives en faisant valoir que :

- l’immeuble est d’abord et avant tout à destination bourgeoise, pour l’usage d’habitation et les bâtiments B à E étaient, lors de la mise en copropriété de l’immeuble, des ateliers, et que l’activité était une activité relativement sédentaire, avec des allées et venues modérées dans les parties communes et relativement peu de personnel,

- ces locaux sont devenus en outre des locaux à usage d’habitation depuis une trentaine d’années, usage qui implique une faible densité de population : la très grande majorité des copropriétaires d’aujourd’hui n’a jamais connu l’immeuble autrement,

- l’activité de co-working – ou de bureaux partagés – se définit comme une activité de prestation de services portant sur la mise à disposition d’un local équipé à usage de bureau, l’équipement mis à disposition et la durée de mise à disposition variant selon les formules retenues. Parmi ces équipements, les espaces de co-working comprennent notamment des salles de réunion, des bureaux en espace ouvert ou fermé, une cafeteria, etc.,

- il en résulte que le co-working suppose non seulement les allées et venues des clients, mais également de leurs relations dans le cadre de réunions, de leurs fournisseurs, de leurs prestataires, etc.,

- s’agissant de locaux recevant du public, leur exploitation nécessite de surcroit un certain nombre d’aménagements permettant d’assurer la protection des personnes contre les risques d’incendie et l’accès aux locaux pour les personnes à mobilité réduite,

- cette activité implique « la présence simultanée et la circulation fréquente d'un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour et plus encore de nuit »,

- les allées et venues de plusieurs dizaines de personnes quotidiennement dans l’immeuble ne peut qu’accroître les risques de nuisances : nuisances sonores du fait des passages et de la circulation des personnes et des discussions, nuisances olfactives du fait notamment de la consommation de tabac dans les espaces communs extérieurs, encombrement des espaces communs avec le remisage de vélos et trottinettes,

- la question de l’accès à l’immeuble par un bien plus grand nombre d’occupants, de jour comme de nuit, constitue également un risque patent à [Localité 6] pour la sécurité des personnes et des biens,

Décision du 30 Mai 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 22/00086 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVZ4I

- « la présence simultanée et la circulation fréquente d'un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour et plus encore de nuit » constitue une atteinte aux droits des autres copropriétaires,

- l’activité de co-working se heurte par ailleurs aux dispositions de l’article 8, 15° du règlement de copropriété, qui n’autorise que la location des locaux dans leur intégralité et prohibe la location, meublée ou non, à des personnes distinctes, c’est-à-dire ne relevant pas du même foyer ou de la même entreprise,

- l’activité de co-working consiste très exactement à mettre à disposition de différentes personnes des espaces de travail distincts dans les mêmes locaux,

- le règlement de copropriété interdit l’occupation d’un même local par « des personnes distinctes », c’est-à-dire détentrices d’un droit d’occupation distinct (quelle qu’en soit la nature : bail, contrat de services…) dans le même local,

- au cas présent, la destination de l’immeuble entend très clairement limiter l’occupation des locaux à un nombre réduit de personnes pour éviter, justement, des allées et venues intempestives et des nuisances pour les parties communes et les autres copropriétaires,

- la présence simultanée et la circulation fréquente d'un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour et plus encore de nuit, apparait expressément contraire aux dispositions du règlement de copropriété,

- l’assemblée générale n’a imposé aucune modification aux modalités de jouissance des parties privatives qui ne résulteraient pas des dispositions du règlement de copropriété.

Le syndicat des copropriétaires conteste avoir violé les règles de majorité applicables soutenant n’avoir procédé par cette résolution qu’à une interprétation des dispositions du règlement de copropriété.

***
En droit, il est constant que sur les parties privatives de son lot, les prérogatives du copropriétaire se rapprochent de celles attachées à la propriété classique. En effet, l’article 2, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose que « les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire », est complété par l’article 9 qui prévoit que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ».
L’article 26 de la même loi vient préserver ces prérogatives du copropriétaire sur les parties privatives de son lot en prévoyant que « l'assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu'elles résultent du règlement de copropriété ».

Les dispositions de l'article 26 prohibent toute atteinte à la jouissance des parties privatives qui empêche le copropriétaire d'utiliser son lot conformément aux stipulations du règlement de copropriété et à la destination de l'immeuble. Est prohibée toute atteinte qui excède d'évidence les sujétions que les copropriétaires doivent s'attendre à supporter du fait de l'état de copropriété.

La légalité de la décision doit être appréciée au regard de l'importance des troubles causés au copropriétaire en comparaison des intérêts collectifs en jeu.

En outre, s’agissant spécifiquement de l’atteinte à la jouissance de parties privatives découlant des modalités d’accès à l’immeuble pour des lots à usage commercial, la Cour de cassation a déjà jugé qu’une cour d'appel avait souverainement retenu que la décision de l'assemblée, en maintenant le cumul des deux systèmes de protection actuels (fermeture porte cochère plus grille avec interphone), portait atteinte aux conditions de jouissance du lot n°2 [à usage commercial], après avoir relevé que le plan produit localisait la porte cochère et le digicode installés à l'entrée du porche de l'immeuble, côté rue, et l'interphone placé dans le porche commun, à une faible distance de la grille (3ème Civ., 20 septembre 2011, pourvoi n°10-23.421).

Elle a également jugé dans le même sens pour des lots à usage d’habitation qu’une cour d’appel a légalement justifié sa décision en retenant souverainement que les voies de circulation, constituant un accessoire nécessaire au droit de chaque copropriétaire sur les parties privatives des lots à usage d'appartement, la décision qui lui interdisait de les utiliser pour accéder, à partir de la voie publique, à ceux-ci, avait pour effet de lui imposer une modification des modalités de la jouissance de ses parties privatives, que la nécessité de réglementer le stationnement à l'intérieur de la copropriété ne saurait suffire à justifier (3ème Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.151).

En l’espèce, parmi les parties communes de l’ensemble immobilier décrites à l’article 3 du règlement de copropriété figurent :
- un passage d’accès aux divers bâtiments, ouvrant sur la [Adresse 8] ;
- une première cour où se trouve l’entrée du bâtiment A ;
- une seconde cour à l’extrémité du passage où prennent accès les bâtiments B, C, D et E.

Ce passage d’accès a vocation à permettre aux occupants des locaux des bâtiments B, C, D et E et à leurs visiteurs d’accéder auxdits locaux (pièce n°3 de la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U]).

Il est constant que les lots de la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U] ont abrité et abritent toujours les bureaux de diverses entreprises ou des commerces, conduisant quotidiennement à la présence et à des allées et venues, au sein de la copropriété, de salariés, prestataires, clients, et qu’en particulier pour accéder aux locaux qui sont situés dans la seconde cour à l’arrière de la copropriété, l’ensemble de ces personnes passent nécessairement par les parties communes.

L’article 8 relatif aux « parties constituant une partie privée » du règlement de copropriété précise :
« 2° - Occupation : les appartements et locaux dépendant de la maison ne pourront être occupés et habités que par des personnes de bonnes vie et mœurs, bourgeoisement, professionnellement, artisanalement ou commercialement.
Spécialement, les occupants des lots n°17, 18, 19, 42, 43, 44 et 45 pourront continuer l’exploitation de leur commerce ou industrie sans que les autres occupants, locataires ou copropriétaires de l’immeuble puissent élever la moindre réclamation de ce chef.
Aucun local ne pourra être occupé par une personne tenant un cours de danse dans l’immeuble, par une personne y exerçant sa profession de musicien ou de chanteur ou encore par une personne qui ferait de la musique ou du chant à la manière d’un professionnel, ou un bruit quelconque pouvant troubler les voisins, à moins d’une autorisation donnée par l’assemblée de propriétaires comme il est sous l’article dix-neuf numéro neuf ci-après ».

Le règlement de copropriété ajoute en son article 9 relatif aux « parties communes » :
« Usage – Chacun des propriétaires, pour la jouissance des locaux qui appartiendront divisément, pourra user librement des parties communes suivant leur destination et sans faire obstacle aux droits des autres propriétaires ».

Lors de l’assemblée générale des copropriétaires du 4 novembre 2021, la résolution n° 20 suivante a été adoptée :

« 20 - CONFORMITE DE CERTAINES ACTIVITES AU REGLEMENT DE COPROPRIETE (ART 24 DE LA LOI DU 10 JUILLET 1965)

20.1 - Préambule
L'article 8 du règlement de copropriété relatif aux modalités d'usage et de jouissance des parties privatives dispose à son paragraphe 1° que:
« Chacun des propriétaires aura, en ce qui concerne les locaux lui appartenant exclusivement, leurs annexes et accessoires, le droit d'en jouir comme de choses lui appartenant en toute propriété à la condition de ne pas nuire aux droits des autres propriétaires, de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité de la maison et sous les réserves qui vont être ci-dessous formulées. » Le paragraphe 2° précise que :
« Les appartements et locaux dépendant de la maison pourront être occupés et habités par des personnes de bonnes vie et mœurs, bourgeoisement, professionnellement, artisanalement ou commercialement. » Enfin, le paragraphe 5° précise que les copropriétaires « ne pourront faire ou laisser aucun bruit anormal, aucun travail avec ou sans machines et outils, de quelque genre que ce soit, de nature à nuire à la solidité de l'immeuble ou à gêner leurs voisins par le bruit, l'odeur ou autrement ».
Au regard de la configuration des lieux et de la destination de l'immeuble telle qu'elle résulte des dispositions précitées du règlement de copropriété, il apparait important de préciser que les locaux et leurs parties communes ne peuvent supporter, sans provoquer des nuisances, une présence simultanée et/ou la circulation d'un nombre important de personnes.

Dans ces conditions, et comme cela est prévu au paragraphe 3° de l'article 8, il vous demandé votre avis sur la conformité de certaines activités au regard de la destination l'immeuble.

20.2 - Résolution
L'assemblée générale, vu le règlement de copropriété, considère que la présence simultanée et la circulation fréquente d'un grand nombre de personnes dans les parties communes, de jour et plus encore de nuit, sont sources de nuisances objectives pour l'ensemble des copropriétaires ainsi que d'une fragilisation de la sécurité d'accès à l'immeuble.
L'assemblée générale, vu le règlement de copropriété, et après en avoir délibéré, confirme en conséquence que les activités professionnelles, artisanales ou commerciales qui sont de nature à générer ces situations, ainsi que celles qui génèrent des nuisances sonores ou olfactives, sont contraires au règlement de copropriété et à la destination de l'immeuble.

Les activités professionnelles, artisanales ou commerciales donnant sur rue ne doivent pas permettre à leur clientèle d'accéder aux parties communes (sauf en cas d'urgence, incendie...)

Cette décision est adoptée à la majorité de 330/731 tantièmes. » (pièce n°8 de la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U]).

Cette résolution, qui ne vise aucune activité précise, interdit les activités professionnelles, artisanales ou commerciales générant la présence et la circulation d'un grand nombre de personnes dans les parties communes, comme étant contraires au règlement de copropriété et à la destination de l'immeuble.

Elle interdit à ces activités professionnelles, artisanales ou commerciales exercées au sein de l’immeuble d’utiliser les parties communes pour accéder aux lots privatifs dans lesquelles elles sont exercées.

Cette résolution a donc, en violation de l’article 26 de loi du 10 juillet 1965, pour effet d’imposer aux copropriétaires de ces lots une modification des modalités de la jouissance de leurs parties privatives, que la nécessité de sécuriser l’accès à l’immeuble ou d’éviter des nuisances ne saurait suffire à justifier.

En conséquence, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens, la résolution n° 20 de l’assemblée générale du 4 novembre 2021 sera annulée.

2. Sur les demandes accessoires :

- Sur les frais non compris dans les dépens

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Tenu aux dépens, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5] PARIS, qui succombe, sera en outre condamné à payer la somme globale de 3.000 euros à ce titre à la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U], ceux-ci faisant leur affaire dans leur répartition entre eux de cette somme.

Il sera débouté de l’intégralité de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

- Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], partie perdant le procès, sera condamné au paiement des entiers dépens de l'instance, avec autorisation donnée à la SELARL JTBB Avocats, en ayant fait la demande, de recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

- Sur l’exécution provisoire

Aux termes des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

En l'espèce, rien ne justifie d’écarter l'exécution provisoire de droit.

Les parties seront déboutées de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par un jugement contradictoire, en premier ressort, après débats en audience publique et par mise à disposition au greffe,

ANNULE la résolution n° 20 de l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble [4] sis [Adresse 5] à [Localité 7] en date du 4 novembre 2021 ;

DEBOUTE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son syndic, la société Jean Charpentier – Sopagi S.A., de l’intégralité de sa demande formée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son syndic, la société Jean Charpentier – Sopagi S.A., aux entiers dépens de l’instance, avec autorisation donnée à la SELARL JTBB Avocats de recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 5], représenté par son syndic, la société Jean Charpentier – Sopagi S.A. à payer à la SCI Plein Ciel, la SCI Limiliaar, M. [Z], M. [S] et M. [U], la somme globale de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire du jugement est de droit ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes.

Fait et jugé à Paris le 30 Mai 2024

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/00086
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;22.00086 ?
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