TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 20/09536 -
N° Portalis 352J-W-B7E-CS4S2
N° PARQUET : 20-868
N° MINUTE :
Assignation du :
01 Octobre 2020
AFP
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEUR
Monsieur [H] [R] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Sarah KHIARI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0578
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 7]
[Localité 2]
Madame Virginie PRIE, Substitute
Décision du 30/05/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N°RG 20/09536
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
Assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière lors des débats et Christine Kermorvant, greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience du 28 Mars 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile par Madame Antoanela Florescu-Patoz, magistrate rapporteure, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT
Contradictoire,
en premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Madame Manon Allain, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 1er octobre 2020 par M. [H] [R] [J] au procureur de la République,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 3 juin 2022, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 1er juillet 2022,
Vu la révocation de l'ordonnance de clôture du 1er juillet 2022,
Vu les dernières conclusions de M. [H] [R] [J] notifiées par la voie électronique le 22 septembre 2023,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 22 septembre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 8 mars 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 28 mars 2024,
MOTIFS
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 8 juillet 2021. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
M. [H] [R] [J], se disant né le 11 décembre 1988 à [Localité 6], revendique la nationalité française par double droit du sol, sur le fondement de l'article 19-3 du code civil, en faisant valoir être né en France d'un père, [G] [C], né le 30 mai 1959 à [Localité 4], en Algérie alors département français.
Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 15 juin 2015 par le greffier en chef du pôle de la nationalité française de [Localité 5] au motif que les documents d'état civil et les pièces d'identité produites par l'intéressé comportaient des incohérences concernant la date de naissance de son père et la date de mariage de ses parents (pièce n°19 du demandeur).
Sur les demandes de M. [H] [R] [J]
Le demandeur sollicite du tribunal de :
- lui donner acte des compléments et rectifications que les dernières pièces comportent,
- dire établie la concordance entre tous les actes d'état civil qu'il produit notamment l'acte de naissance de son père et l'acte de mariage de ses parents,
- dire conformes ces pièces à la réglementation de l'Etat civil,
- dire ainsi que si les griefs de monsieur le procureur pouvaient se justifier avant la production des dernières pièces ce n'est plus le cas,
- dire parfaitement régulière la carte nationale d’identité accordée en 2014.
L'ensemble de ces demandes ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais des moyens qui ne donneront dès lors pas lieu à mention au dispositif.
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de la nationalité Section B
N°RG 20/09536
Par ailleurs, M. [H] [R] [J] sollicite du tribunal de voir « ordonner l'enregistrement de cette nationalité sur son état civil »..
A défaut de toute explication sur ce point, le tribunal considère que le demandeur sollicite du tribunal que soit ordonné l'apposition de la mention prévue par l'article 28 du code civil, il sera statuer sur cette demande ainsi qualifiée.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée du demandeur, sa situation est régie par les dispositions de l'article 19-3 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 16 mars 1998 selon lequel « Est Français l'enfant né en France lorsque l'un des parents au moins y est lui-même né », étant précisé qu'aux termes de l'article 23 de la loi 73-42 du 9 janvier 1973, modifié par la loi n°98-170 du 16 mars 1998, entrée en vigueur le 1er septembre 1998, les articles 19-3 et 19-4 du code civil sont applicables à l'enfant né en France avant le 1er janvier 1994, d'un parent né sur un territoire qui avait, au moment de la naissance de ce parent, le statut de colonie ou de territoire d'outre-mer de la République française.
Il appartient ainsi à M. [H] [R] [J], qui n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, de rapporter, d'une part, la preuve de sa naissance en France, et, d'autre part, de la naissance de l'un de ses parents sur le territoire des départements français d'Algérie, et d’un lien de filiation établi à l'égard de ce dernier, à l’aide d’actes de l’état civil établis conformément aux dispositions de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 20-1 du code civil, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.
Aux termes de l’article 47 du code civil en effet, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Par ailleurs, nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil et de celui des ascendants qu’il revendique, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
En l'espèce, pour justifier de l'état civil de son père revendiqué, M. [G] [C], le demandeur verse aux débats plusieurs copies de son acte de naissance :
- une délivrée le 28 mai 2020, en photocopie dès lors dépourvue de toute valeur probante, mentionnant qu'il est né le 30 mai 1959 à [Localité 4] de [O] et de [U] [E] (pièce n°2 du demandeur),
- une délivrée le 1er août 2022, mentionnant qu'il est né le 30 mai 1959 à [Localité 4] de [O], âgé de 24 ans, journalier et de [U] [E], âgée de 19 ans, l'acte ayant été dressé sur déclaration de [Z] par [Y] officier de l'état civil (pièce n°24 du demandeur),
- une délivrée le 1er août 2023, mentionnant qu'il est né le 30 mai 1959 à [Localité 4] de [O], âgé de 24 ans, journalier, et de [U] [E], âgée de 19ans, sans profession, domiciliés à [Localité 4], l'acte ayant été dressé sur déclaration de [Z] [Y] (pièce n°30 du demandeur).
Le ministère public conteste la force probante des différentes copies en faisant notamment valoir que les copies délivrées les 28 mai 2020 et 1er août 2023 ne mentionnent pas le nom de l'officier d'état civil ayant dressé l'acte. Il indique également que si la copie dressée le 1er août 2022 mentionne comme officier d'état civil « [Y] » il est impossible de déterminer s'il s'agit bien de l'officier d'état civil ou du déclarant « [Z] [Y] » tel qu'il est mentionné dans la copie délivrée le 1er août 2023.
Aux termes de l'article 34 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 11 mars 1803 applicable à la date de la transcription de l'acte, les actes de l’état civil énonceront l’année, le jour et l’heure où ils seront reçus, les prénoms et nom de l’officier de l’état civil, les prénoms, noms, professions et domiciles de tous ceux qui y seront dénommés.
Or, comme l'a relevé le ministère public, les copies délivrées les 28 mai 2020 et 1er août 2023, ne comportent pas le nom de l'officier de l'état civil l'ayant dressé (pièces n°2 et 24 du demandeur).
Il est rappelé qu'un acte d'état civil est un écrit dans lequel l'autorité publique constate, d'une manière authentique, un événement - en l'espèce la naissance - dont dépend l'état d'une personne. Dès lors, l'absence de mention du nom de l'officier d'état civil ayant dressé l'acte leur retire toute force probante.
Par ailleurs, si la copie délivrée le 1er août 2022 mentionne « [Y] » comme nom d'officier d'état civil et « [Z] » comme déclarant, la copie délivrée le 1er août 2023 mentionne que le déclarant est « [Z] [Y] », le demandeur indiquant qu'il s'agit de l'identité complète du déclarant.
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Or, comme le soulève le ministère public, le fait que le déclarant soit « [Z] [Y] » dans la copie délivrée le 1er août 2023 est incompatible avec le fait que le déclarant soit « [Z] » et l'officier d'état civil « [Y] » dans celle délivrée le 1er août 2022, de sorte qu'il n'est pas possible de déterminer l'identité de l'officier d'état civil ayant dressé l'acte.
Le demandeur n'a pas formulé d'observation sur cette incohérence quant à l'identité de l'officier d'état civil ayant dressé l'acte, alors même qu'elle a été soulevée par le ministère public, se contentant d'indiquer que [Z] [Y] est la personne ayant déclarée la naissance.
Il s'ensuit que l'acte de naissance de M. [G] [C] est dépourvu de toute force probante au sens des dispositions de l'article 47 du code civil.
Dès lors, faute de rapporter la preuve d'un état civil certain et fiable pour son père, duquel il tiendrait sa propre nationalité française, M. [H] [R] [J] doit dès lors être débouté de l’ensemble de ses demandes dès ce stade et il sera jugé qu'il n’est pas français.
En conséquence, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens soulevés par le ministère public, M. [H] [R] [J] sera débouté de sa demande tendant à se voir reconnaître la nationalité française sur le fondement de l'article 19-3 du code civil. En outre, dès lors qu'il ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'il n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [H] [R] [J], qui succombe, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
DIT la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [H] [R] [J] de sa demande tendant à voir juger qu'il est de nationalité française ;
JUGE que M. [H] [R] [J], né le 11 décembre 1988 à [Localité 6], n'est pas de nationalité française ;
ORDONNE la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
CONDAMNE M. [H] [R] [J] aux dépens.
FAIT et jugé à Paris le 30 Mai 2024
La GreffièreLa Présidente
Manon AllainAntoanela Florescu-Patoz