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28/05/2024 | FRANCE | N°21/07099

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 7ème chambre 1ère section, 28 mai 2024, 21/07099


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:


7ème chambre 1ère section

N° RG 21/07099
N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

N° MINUTE :

Assignation du :
25 Mai 2021






JUGEMENT
rendu le 28 Mai 2024
DEMANDEURS

Monsieur [U] [N]
domicilié : chez Maître Benoît DESCOURS
[Adresse 1]
[Localité 5]


Madame [F] [G]
domiciliée : chez Maître Benoît DESCOURS
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentés par Maître Benoît DESCOURS de la

SELARL VIGY LAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P209



DÉFENDERESSES

S.A.S. JOD ARCHITECTURE
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Chantal MALARDE de la SELAS LARRIEU...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

7ème chambre 1ère section

N° RG 21/07099
N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

N° MINUTE :

Assignation du :
25 Mai 2021

JUGEMENT
rendu le 28 Mai 2024
DEMANDEURS

Monsieur [U] [N]
domicilié : chez Maître Benoît DESCOURS
[Adresse 1]
[Localité 5]

Madame [F] [G]
domiciliée : chez Maître Benoît DESCOURS
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentés par Maître Benoît DESCOURS de la SELARL VIGY LAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P209

DÉFENDERESSES

S.A.S. JOD ARCHITECTURE
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Chantal MALARDE de la SELAS LARRIEU ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0073

Compagnie d’assurance MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS « MAF »
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentée par Maître Ladislas FRASSON-GORRET de la SELARL FRASSON - GORRET AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D2009

Décision du 28 Mai 2024
7ème chambre 1ère section
N° RG 21/07099 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Perrine ROBERT, Vice-Président
Madame Malika KOURAR, Juge
Monsieur Mathieu DELSOL, Juge

assistée de Madame Ines SOUAMES, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 23 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Madame KOURAR, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues aux deuxième alinéa de l’article de l’article 450 du Code de procédure civile
Signé par Madame Perrine ROBERT, Présidente, et par Madame Inès SOUAMES, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [U] [N] et Madame [F] [G] sont propriétaires d’une maison située [Adresse 2] à [Localité 8] qu’ils ont fait rénover.

Selon contrat du 6 juillet 2018, ils ont confié la maîtrise d’oeuvre complète de ces travaux de rénovation à la société JOD ARCHITECTURE.

Selon devis du 23 janvier 2019 accepté le 24 janvier 2019,ils ont confié la réalisation de ces mêmes travaux à la société DS, entreprise générale, pour un montant de 136.275,03 euros HT (soit 149.902 euros TTC), avec une date de livraison au 31 mai 2019.

A la suite de désaccords portant notamment sur les paiements, la société DS a informé les maîtres d’ouvrage et le maître d’oeuvre par courriel du 6 juin 2019 qu’elle quittait le chantier, les travaux étant dès lors arrêtés.

Par courrier du 12 juin 2019, la société JOD ARCHITECTURE a adressé à la société DS une mise en demeure de reprendre les travaux sous vingt-quatre heures.

Le 26 juin 2019, la société JOD ARCHITECTURE a fait constater par procès-verbal d’huissier pour l’établissement duquel ont été convoqués les maîtres d’ouvrage et la société DS, l’état d’avancement du chantier.

Par courrier signifié par voie d’huissier le 22 août 2019, après plusieurs demandes de reprise des travaux restées vaines, les maîtres d’ouvrage ont résilié le contrat les liant à la société DS.

Ils ont ensuite confié les travaux à la société HK pour un montant de 78.659,90 euros TTC.

La réception des travaux a été prononcée le 19 juin 2020 avec réserves.

A la suite d’une instance en référé intentée à l’encontre de la société DS par les maîtres d’ouvrage, une ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de BOBIGNY le 28 février 2020 a condamné cette société à verser à ces derniers la somme provisionnelle de 30.288,97 euros TTC au titre d’un trop-perçu par la société DS dans le cadre des travaux réalisés par cette dernière.

Considérant que la mauvaise exécution des travaux et la défaillance plus générale de la société DS sont également dues aux manquements contractuels de la société JOD ARCHITECTURE, Monsieur [N] et Madame [G] ont, par actes d’huissier du 25 mai 2021, assigné la société JOD ARCHITECTURE et son assureur, la société MAF, devant le Tribunal Judiciaire de Paris.

Dans leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 03 mars 2023, Monsieur [N] et Madame [G] demandent au Tribunal, au visa notamment des articles 1217 et 1231-1 du code civil, des articles 3, 4 et 39 du code de déontologie des architectes et 113-1 du code des assurances de :

“Déclarer la demande de Madame [F] [G] et M. [U] [N] recevable et bien fondée, et en conséquence de :
Constater que la société JOD Architecture SAS est tenue par une obligation de résultat,
Constater que la société JOD Architecture SAS n'a pas correctement exécuté sa mission de maitrise d'œuvre complète ;
Constater que la société JOD Architecture SAS a de par cette inexécution causé un préjudice a Madame [F] [G] et M. [U] [N] ;
Constater que le préjudice total subi par Madame [F] [G] et M. [U] [N] s'élève à la somme de 154.543, 54 €, dont 67.523,12 € au titre des surcoûts engendrés par la reprise du chantier par la société HK après l'abandon du chantier par la société DS SAS ;
Condamner la société JOD Architecture SAS, in solidum avec la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, à payer à Madame [F] [G] et M. [U] [N] la somme de 154.543, 54 € ;
Condamner la société JOD Architecture SAS, in solidum avec la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, à payer à Madame [F] [G] et M. [U] [N] à payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Décision du 28 Mai 2024
7ème chambre 1ère section
N° RG 21/07099 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

Condamner la société JOD Architecture SAS, in soiidum avec la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, les demandeurs se plaignent de plusieurs manquements de la société JOD ARCHITECTURE. Ils lui reprochent, sur le fondement des articles 1217 et 1231-1 du code civil mais également de l’article 39 du code de déontologie des architectes :

- d’avoir manqué à son obligation de résultat alors qu’elle était chargée d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre ;
*d’être ainsi responsable de l’exécution défaillante des travaux par la société DS au regard des malfaçons et du retard tels qu’ils ressortent du constat d’huissier établi le 26 juin 2019 de façon contradictoire, de ceux réalisés par la société HK qui a repris les travaux après l’abandon du chantier par la société DS, des propres constats du maître d’oeuvre ainsi que de la facturation erronée des travaux par la société DS ;
* d’avoir manqué à sa mission financière et comptable en ne leur signalant pas le décalage en leur défaveur entre les travaux réalisés et les sommes facturées par la société DS, alors qu’ils ont toujours attendu “le feu vert” de leur architecte avant de régler ;
* d’avoir manqué à son obligation de suivi et de contrôle des travaux dès lors qu’elle a réalisé 5 visites sur les 19 attendues, que les éléments produits pour justifier d’un suivi ne sont pas de véritables comptes-rendus de chantier et qu’elle ne s’est rendue compte du véritable taux d’avancement du chantier qu’après l’arrêt des travaux par la société DS (passant d’une estimation de 80% fin mai 2019 à 50% en juin 2020) ; elle n’a pas analysé le dossier de la société DS, réalisé les rendez-vous hebdomadaires et le suivi des travaux qui ont ainsi été exécutés en violation de ses propres plans, du cahier des charges et du devis ;
* d’avoir manqué à son obligation de conseil en ne vérifiant pas préalablement que la société DS était bien titulaire de la qualification “Qualibat RGE” et des assurances nécessaires, en choisissant cette société qui s’est révélée défaillante et en ne la leur déconseillant pas lorsqu’ils ont appris qu’elle était dépourvue du label “RGE-Qualibat” ;
* d’avoir manqué au moment du choix de l’entreprise chargée des travaux de l’objectivité et de l’intégrité requises par le code de déontologie après avoir perçu une commission occulte de 3% de la part de la société DS ;
* d’avoir été défaillant dans la réalisation des plans en omettant certains éléments et en en faisant d’autres sans la précision nécessaire à leur bonne exécution ;
* de ne pas avoir veillé à la bonne exécution de ses plans en validant la commande d’une colonne de douche qui s’est avérée inadaptée.

Ces manquements du maître d’oeuvre à son devoir de conseil et à sa mission de suivi des travaux leur ont causé un préjudice qu’ils évaluent à la somme totale de 154.543,54 euros. Ce préjudice est lié à un retard dans l’exécution des travaux et à un surcoût occasionné, qui ne peuvent être considérés comme une simple perte de chance de finaliser le chantier aux conditions convenues et pour le calcul duquel ne seront pas comptabilisés les travaux supplémentaires pour lesquels aucun report n’était convenu.

Ils précisent que l’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Bobigny condamnant la société DS à lui verser à titre provisionnel la somme de 30.288,97 euros TTC correspondant à un trop-perçu sur la facturation des travaux n’a pas reçu exécution à défaut de toucher la société DS ou son représentant.

Ils ajoutent qu’en tout état de cause, le trop-perçu par la société DS est en réalité de 67.523,12 euros TTC dès lors que l’avancement du chantier au moment du départ de la société DS doit être revu à la baisse à 30%. Ils estiment ainsi que la condamnation précitée ne couvre que partiellement leur préjudice réel.

* à un coût de reprise de malfaçons d’un montant total de 63.262,90 euros ; ces malfaçons ayant été constatées par la société HK qui a repris le cours des travaux abandonnés par la société DS;
* à des charges de loyer d’un montant de 17.000 euros au total pour avoir dû louer un appartement pour un montant de 1.700 euros mensuels pour y loger entre septembre 2019 et le 19 juin 2020, date de réintégration dans les lieux ;
* à un manque à gagner de 607 euros TTC dès lors que l’absence de label “Qualibat RGE” de la société DS ne leur a pas permis de bénéficier de la subvention étatique pour l’isolation des combles ;
* à des frais de garde-meubles dont ils justifient pour un montant de 5.250,52 euros TTC ;
* à l’achat d’une colonne de douche incompatible avec les plans de la société JOD ARCHITECTURE dont celle-ci a pourtant approuvé la commande ; étant observé que la colonne de douche proposée en remplacement par le maître d’oeuvre est de qualité moindre que celle convenue à l’origine.

Ils considèrent que ce préjudice a un lien de causalité direct avec les fautes reprochées au maître d’oeuvre. Ils expliquent qu’ils n’auraient jamais surpayé la société DS et que les malfaçons auraient pu être évitées si la société JOD ARCHITECTURE avait bien exécuté ses missions ; alors qu’en n’empêchant pas la surfacturation, cette dernière a ouvert la voie à l’abandon de chantier par une société qui avait ainsi perçu bien plus qu’elle n’avait exposé.

Ils considèrent enfin que ce préjudice est entièrement à la charge de la société JOD ARCHITECTURE.

Ils exposent que la garantie d’assurance de responsabilité civile de la société MAF est acquise. Ils réfutent l’application des exclusions de garantie dont la société MAF se prévaut dès lors que “l’exercice anormal de la profession d’architecte” qu’elle avance ne figure dans les stipulations contractuelles de la police d’assurance et qu’aucune faute intentionnelle au sens de l’article 113-1 du code des assurances n’est reprochée et établie à l’égard de son assurée et qu’en tout état de cause la violation de règles déontologiques n’est pas le seul manquement mis à la charge du maître d’oeuvre.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 21 novembre 2022, la société JOD ARCHITECTURE, au visa des articles 1231 du code civil et 9 du code de procédure civile, demande au Tribunal de :

“ JUGER qu’un architecte n’est tenu que d’une obligation de moyens

JUGER que le maître de l’ouvrage n’est pas en mesure d’administrer la preuve d’une faute qui lui serait imputable en relation avec les préjudices qu’il prétend subir ;

En conséquence,

DEBOUTER purement et simplement le maître de l’ouvrage de toutes ses demandes fins et conclusions telles que formées à l’encontre du cabinet JOD ;

LE CONDAMNER à lui verser 3 000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens”.

Au soutien de ses prétentions, elle expose que les demandes de Monsieur [N] et Madame [G] fondées sur les dispositions de l’article 1231-1 du code civil nécessitent que soit prouvée à son encontre l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces derniers. Elle précise n’être tenue qu’à une obligations de moyen et non de résultat comme le soutiennent les demandeurs, qui interprètent de manière erronée la jurisprudence qu’ils invoquent, et que son étendue est appréciée au regard du contenu du contrat de maîtrise d’oeuvre.
Elle ajoute que sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que les demandeurs n’apportent pas la preuve de manquements qui lui seraient imputables.

Ainsi, elle réfute :
- avoir manqué à son obligation de conseil puisque :

*s’agissant du choix de l’entreprise, elle explique qu’il s’est porté sur la société DS après un appel d’offres avec la consultation de trois entreprises et parce que cette société proposait le devis le moins disant ; niant avoir perçu la moindre commission pour favoriser ce choix, commission dont l’existence n’est de toute façon pas démontrée

*s’agissant des validations qu’elle aurait données pour des situations de travaux inexactes, le décalage est seulement dû à la majoration du montant initial des travaux par la prise en compte de nombreux travaux supplémentaires et à la commande directe de matériaux par les maîtres d’ouvrage, de sorte qu’elle réfute avoir mal évalué ces situations de travaux ; le seul tableau produit par les demandeurs étant une preuve qu’ils se sont constituée à eux-mêmes et qui est donc dépourvue de valeur probante ;
- avoir manqué à sa mission de direction de travaux puisque :
*la preuve n’est pas rapportée par les maîtres d’ouvrage qu’elle n’aurait réalisé que 5 visites de chantier sur 19 prévues ;
*il ne lui appartenait pas de réaliser les plans d’exécution critiqués par les demandeurs et les éléments graphiques des plans généraux établis par ses soins ne pouvaient être précisés qu’après un retour des maîtres d’ouvrage qui n’était pas systématique ;
*il ne peut lui être reproché de retard dans la conduite des travaux dès lors que l’architecte n’est pas tenu des délais d’exécution des travaux et qu’elle a en tout état de cause fait diligenceà la suite de la défaillance de la société DS en adressant à cette dernière une mise en demeure de reprendre promptement les travaux, en faisant établir un procès-verbal de constat d’huissier, en conseillant aux maîtres d’ouvrage de changer les serrures et de rompre le contrat les liant à la société DS dès lors que celle-ci n’avait pas réagi, en conduisant le second appel d’offre et en chargeant une entreprise sous-traitante sur le chantier initial de la poursuite des travaux qui ont finalement pleinement donné satisfaction aux maîtres d’ouvrage ;
* elle n’était aucunement chargée d’assurer la coordination des intervenants sur le chantier dès lors que la société DS était une entreprise générale chargée de l’ensemble des lots à l’exception du lot menuiserie et qu’il appartenait à cette dernière de coordonner l’intervention de ses propres sous-traitants ;
* les malfaçons dénoncées par les demandeurs et listées par la société remplaçante HK ne peuvent lui être opposées, dès lors qu’elles ont été constatées plusieurs semaines après le départ de la société DS et ce, de manière non contradictoire.

La défenderesse conteste également les sommes réclamées au titre des préjudices invoqués.
- s’agissant des malfaçons et non-conformités, elle en conteste la matérialité ; elle avait cependant accepté de prendre en charge le remplacement de la colonne de douche ;
- s’agissant des préjudices immatériels, les maîtres d’ouvrage ne prouvent pas avoir exposé des frais de relogement dès lors qu’ils résidaient à l’étranger pendant les travaux puis au domicile de leurs parents ;
- la somme de 30.288,97 euros allouée par le président du tribunal judiciaire de Bobigny devra venir en déduction des sommes réclamées.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 2 décembre 2022, la société MAF demande, au visa des articles 1231-1 et suivants du code civil et des articles L.112-6 et L.113-5 du code des assurances au tribunal de :

“DIRE ET JUGER la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS bien fondée en ses écritures et l’y recevoir ;

A titre principal,

DIRE ET JUGER que les époux [N] – [G] ne rapportent pas la preuve d’une faute de JOD ARCHITECTURE ;

En conséquence,

DEBOUTER les époux [N] – [G] de leurs demandes de condamnation présentées contre JOD ARCHITECTURE et la MAF ;

A titre subsidiaire,

DIRE ET JUGER que le préjudice des époux [N] – [G] doit s’interpréter comme une perte de chance, que le Tribunal fixera souverainement ;

DEBOUTER les époux [N] – [G] des demandes relatives au trop-payé à l’entreprise DS et pour lesquelles ils bénéficient déjà d’une décision judiciaire exécutoire ;

RAMENER les demandes des époux [N] – [G] à de bien plus justes proportions ;

DIRE ET JUGER que la perception d’une commission par l’architecte sur le montant du marché de l’entreprise constitue un exercice anormal de la profession d’architecte, faisant l’objet d’une clause d’exclusion de garantie ;

En conséquence,

DIRE ET JUGER la MAF bien fondée à opposer aux époux [N] – [G] et à JOD ARCHITECTURE ladite clause d’exclusion

DEBOUTER les époux [N] – [G] de leurs demandes de mobilisation des garanties de la police MAF ;

A titre infiniment subsidiaire,

DIRE ET JUGER que toute condamnation de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS ne pourra être prononcée que dans les limites contractuelles de sa garantie facultative et notamment le plafond et la franchise contractuelle ;

En tout état de cause,

CONDAMNER les époux [N] – [G] à verser à la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER tout succombant, aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés par Maître Ladislas FRASSON-GORRET, Avocat à la Cour, dans les termes de l’article 699 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, elle expose que :

- la responsabilité du maître d’oeuvre n’est pas engagée puisque les maîtres d’ouvrage échouent à démontrer la moindre faute qui lui serait imputable. Ainsi :
*s’agissant de la commission occulte prétendument perçue par l’architecte, les seuls éléments produits (extraits de messageries téléphoniques entre des lignes difficilement identifiables évoquant “une commission de 3% sur Rueil”) ne suffisent pas à établir son existence;
*s’agissant de l’absence de suivi des situations de travaux, elle considère que les pièces versées aux débats permettent d’établir que le maître d’oeuvre a rempli sa mission conformément aux stipulations contractuelles ; qu’aucune faute n’est établie à l’égard de l’architecte ; rien ne justifiant que la somme de 30.288,97 euros, que la société DS a été condamnée par le juge des référés à reverser aux maîtres d’ouvrage au titre d’un trop-perçu et qui n’a pas pu être recouvrée, ne soit mise à la charge du maître d’oeuvre ;
* s’agissant des malfaçons imputables à la société DS, ni le procès-verbal de constat d’huissier, qui ne fait que donner une photographie d’un chantier inachevé ni le devis de la société HK, faisant état de travaux complémentaires, n’en établissent l’existence ;
* s’agissant du retard pris dans l’avancement du chantier, elle considère que seule l’entreprise alors chargée des travaux en était comptable, le maître d’oeuvre n’ayant pas contracté une mission OPC.

A titre subsidiaire, elle soutient que si des fautes devaient être retenues à l’encontre du maître d’oeuvre, il ne pourrait être reproché à l’égard de celle-ci qu’une perte de chance de “finaliser son chantier dans le cadre du budget initialement fixé, y compris les travaux supplémentaires validés en cours de travaux”.

Elle conteste les quantum des préjudices évoqués par les demandeurs en raison de l’absence de faute susceptible de fonder leur allocation. Elle précise qu’en ce qui concerne le trop-perçu de 30.288,97 euros dont le remboursement a été mis à la charge de la société DS, condamner la société JOD ARCHITECTURE à le payer reviendrait à lui octroyer un enrichissement sans cause.

- Subsidiairement également, elle se prévaut d’une exclusion de garantie de la police d’assurance relative aux cas d’exercice anormal de la profession d’architecte, dès lors que les demandeurs évoquent à l’encontre de ce dernier l’existence d’une commission occulte qu’il aurait perçue de la société DS.
- A titre infiniment subsidiaire, elle soutient que les limites et plafonds de la garantie facultative relative à la garantie responsabilité civile doivent s’appliquer, si cette dernière devait être retenue.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 octobre 2023.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé que les demandes de “dire et juger” et “juger que” ne constituent pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile et que le tribunal, qui est chargé de trancher les différends, n'a pas à y répondre.

I. Sur les demandes formées à l’encontre de la société JOD ARCHITECTURE et de la société MAF

1. Sur les manquements de la société JOD ARCHITECTURE

Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il résulte de ce texte que la charge de la preuve de l’existence d’un désordre revient à celui qui l’allègue.

L’article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Il résulte de ce texte que le maître d’oeuvre est tenu d’une obligation de moyens qui l’oblige à mettre en oeuvre toutes les diligences nécessaires au succès de sa mission. La charge de la preuve du manquement du maître d’oeuvre à son obligation de moyen incombe au maître de l’ouvrage.
Décision du 28 Mai 2024
7ème chambre 1ère section
N° RG 21/07099 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

En l’espèce, Monsieur [N] et Madame [G] reprochent à la société JOD ARCHITECTURE plusieurs manquements contractuels à l’orgine du retard et des surcoûts engendrés par la défaillance de la société DS, initialement en charge des travaux de rénovation de leur maison.

Le contrat signé le 9 août 2018 entre les maîtres d’ouvrage et le maître d’oeuvre stipule quatre points :
1. Existant (...)
2. Etudes préliminaires (Esquisses)
3. Etudes de projet : (...)

Il précise en son point 4 relatif au “suivi des travaux et réception des travaux” :
“Cette mission est constituée :
- De l’analyse des dossiers des entreprises,
- D’un rendez-vous de chantier hebdomadaire avec les entreprises,
- Du suivi et du respect des plans de l’architecte,
- De la réception des travaux avec réserves ou sans réserve,
- De la levée des réserves s’il y a lieu,
- Remise d’un dossier complet comprenant les plans réalisés et un ensemble de photographies réalisé par un professionnel”.

1.1 Sur le manquement à son obligation de conseil

Les demandeurs reprochent au maître d’oeuvre de les avoir incités à choisir la société DS alors que celle-ci ne disposait pas du label “Qualibat RGE” leur permettant de bénéficier d’aides d’Etat pour l’isolement de leurs combles et des compétences nécessaires ; incitation pouvant s’expliquer par le fait qu’il avait préalablement perçu une commission occulte de cette entreprise.

Il ne ressort cependant d’aucun élément du dossier que le label “Qualibat RGE” aurait été déterminant du choix de l’entreprise, l’obtention de ce label n’assurant pas en tout état de cause des capacités de l’entreprise à mener à bien le chantier.

Quant à l’existence d’une commission occulte perçue par le maître d’oeuvre pour ce chantier, les seuls échanges de messages téléphoniques tendus entre le maître d’oeuvre et le gérant de la société DS versés aux débats et évoquant pour l’un d’entre eux en post scriptum “[L], je te conseil de me reverser les 3% de com sur reuil et tous le cache que tu m’as taxé” n’étant pas à eux seuls de nature à l’établir.

Dès lors, ce manquement ne sera pas retenu.

1.2 Sur le manquement à la mission de suivi

Sur le défaut de suivi des situations de travaux

Les demandeurs soutiennent que le suivi de la facturation n’a pas été assuré par le maître d’oeuvre de sorte qu’ils ont payé des travaux non dus.

En l’espèce, le devis stipule :
10% à la signature ;20% à la mobilisation sur le chantier ;60% à l’avancement ;10 % retenue de garantie.
Il revenait en conséquence au maître d’oeuvre d’assurer un suivi de l’avancement du chantier de manière à permettre un paiement au plus près de la situation réelle d’avancement.

Il ressort cependant des pièces du dossier que :
- les maîtres d’ouvrage libéraient les fonds sur demande du maître d’oeuvre qui adressait les situations de chantier (mail du 19 février 2019 pour la situation n°1 ; mail du 29 avril 2019) ;
- le maître d’oeuvre avait déjà relayé auprès des maîtres d’ouvrage une première situation de chantier avec un avancement supérieur à celui observé par les maîtres d’ouvrage au regard du devis ; qu’après demande d’explications de Monsieur [N] au regard de la situation réelle sur le chantier correspondant à un avancement de 35%, il a précisé par courriel du 28 février 2019 : “Ci-joint la première situation. La méthode d’Erhan n’était pas la même, son calcul portait sur la totalité du marché avec déduction au prorata de l’acompte au fur et à mesure, un peu compliqué. Voilà la facture modifiée selon l’avancement du chantier à 35%” ; concédant ainsi qu’une rectification était nécessaire ;
- le maître d’oeuvre a adressé en mai 2019 une situation de travaux à 80% pour laquelle Monsieur [N] a fait part de ses doutes et en réponse à ceux-ci, le maître d’oeuvre a par mail du 5 juin 2019 indiqué : “Voici le tableau recap. En gros, le truc c’est qu’on est bien à quasi 80% d’avancement du chantier mais du chantier en enlevant les moins values donc ça complique beaucoup les choses” ;
- il procédait d’ailleurs à la facturation de ses propres honoraires à ce niveau d’avancement de 80% ;
- dans un échange de sms du 12 juin 2019 (extrait d’un fil Whatsapp), le maître d’oeuvre indiquait au gérant de la société DS un trou de “15.000 euros” expliquant : “je suis missionné pour tenir les comptes” ;
- dans le cadre de l’instance en référé engagée le 29 novembre 2019 et ayant conduit à la condamnation d’un trop perçu à titre provisionnel de 30.288,97 euros, l’avancement du chantier était en réalité évalué à 57% ;
- pour finir, la société JOD ARCHITECTURE émettait le 30 juin 2020 un état d’avancement des travaux de la société DS à 50%.

Les pièces du dossier et notamment ce dernier état d’avancement des travaux confiés à la société DS établi par le maître d’oeuvre au 30 juin 2020 et signé par ses soins attestent d’un état d’avancement du chantier à hauteur de 50% qu’il convient de retenir comme l’état d’avancement réel des travaux au moment de l‘abandon de chantier par la société DS.

Il en résulte qu’alors qu’il était prévu au contrat un rendez-vous hedomadaire de chantier lui permettant d’apprécier l’état d’avancement réel du chantier, le maître d’oeuvre s’est contenté de relayer auprès des maîtres d’ouvrage des situations de chantier inexactes les déterminant à faire des versements plus importants que ceux convenus.

Le manquement de la société JOD ARCHITECTURE quant au suivi des comptes est donc avéré.

Sur le défaut de suivi de l’exécution des travaux du chantier

Monsieur [N] et Madame [G] expliquent que ce défaut de suivi du chantier se manifeste par :
- l’existence de malfaçons découvertes après le départ du chantier de la société DS ;
- l’existence d’un retard dans l’avancement du chantier constaté également après l’abandon de chantier.

Les malfaçons

Monsieur [N] et Madame [G] dénoncent des malfaçons affectant les travaux réalisés par la société DS. Ils considèrent que si la société JOD ARCHITECTURE avait suivi le chantier de manière rigoureuse, aucune malfaçon n’aurait été commise.

La société JOD ARCHITECTURE et la MAF s’en défendent en exposant d’une part que l’existence de ces malfaçons n’est pas établie et d’autre part, que la mission de l’architecte ne lui impose pas une présence quotidienne sur le chantier.

Pour justifier de l’existence de ces malfaçons découvertes après le départ de la société DS, les demandeurs produisent :
- un procès-verbal d’huissier du 26 juin 2019 ;
- un courrier du 20 juin 2020 émanant de la société HK faisant état d’une liste de malfaçons et non-conformités au devis initial constatées par ses soins à la suite de la reprise du chantier.

Cependant, il convient d’observer que le procès-verbal d’huissier fournit essentiellement des constats sur l’état d’avancement du chantier (postes et éléments manquants) et que s’il est fait état de défauts d’alignement des plafonniers et d’un ragréage défectueux (“tâches et surépaisseurs d’enduit ou de plâtre” ; “important faïençage avec fissures légèrement ouvertes”) qui se situe exclusivement dans le séjour, ces malfaçons ne se retrouvent pas ou que très partiellement dans les “constats” faits par la société HK à sa reprise des travaux. Quant aux non-conformités au devis de la société DS, elles ne sont relevées que par la société HK chargée par les maîtres d’ouvrage de reprendre le chantier.

En conséquence, le procès-verbal d’huissier du 26 juin 2019, bien que contradictoire à l’égard du maître d’oeuvre, et le courrier du 20 juin 2020 émanant de la société HK, dont on ignore les conditions dans lesquelles il a été établi, ne suffisent pas à établir que des malfaçons affectaient effectivement les travaux réalisés par la société DS.

Dès lors, en l’absence de preuve de malfaçons, aucun manquement dans le suivi des travaux du chantier lorsque la société DS intervenait encore ne peut être établi à l’encontre de la société JOD ARCHITECTURE.
Le retard du chantier

Le devis signé le 24 janvier 2019 mentionne une date “de livraison” au 31 mai 2019.

Dans la proposition d’honoraires du maître d’oeuvre signée le 9 août 2018, il est indiqué : “Pour information, je fais mon devis en fonction du nombre d’heures estimées de travail (base 100 € HT/heure). Je ne me base pas sur le pourcentage de travaux. La conséquence c’est :
i) un prix forfaitaire, si les travaux coûtent plus cher parce que vous choisissez un carrelage plus cher ou une robinetterie de luxe mon prix ne change pas. Donc pas de surprise ;
ii) je n’ai aucun intérêt financier à vous faire dépenser plus ;
iii) mon but est que votre chantier se termine le plus rapidement.”

Il est rappelé qu’au moment de son abandon le 6 juin 2019, le chantier était avancé à 50% comme l’indique le tableau récapitulatif des travaux établi et signé par le maître d’oeuvre le 30 juin 2020.

La société JOD ARCHITECTURE ne justifie pas avoir mis en oeuvre les diligences nécessaires, telles que des interpellations de l’entreprise dans des comptes-rendus de chantier et/ou des mises en demeure, pour faire avancer le chantier de manière à tenir les délais contractualisés, alors qu’elle était tenue d’une mission de suivi de l’exécution du chantier.

Aucune explication n’est apportée par le maître d’oeuvre sur ce retard dont il apparaît au vu des développements précédents sur le défaut de suivi des situations de chantier qu’il ne l’a lui-même constaté qu’après l’abandon de chantier du 06 juin 2019.

Il en résulte que sa mission de suivi du chantier n’a qu’imparfaitement été exécutée, bien que, comme le soulève la société MAF, il n’avait pas de mission OPC ; dans la mesure où indépendamment d’une telle mission, il lui appartenait de veiller à l’avancement régulier du chantier comme le requiert tout suivi, et à tout le moins, de s’assurer que l’entreprise respecte le délai contractualisé de livraison.

Il a ainsi manqué à son obligation de moyen.

Monsieur [N] et Madame [G], qui estiment que l’abandon du chantier les a contraints à différer de fin mai 2019 au mois de juin 2020 leur retour dans leur maison, imputent au maître d’oeuvre l’intégralité du retard subi.

Cependant, aucune pièce du dossier ne corrobore l’affirmation des demandeurs selon laquelle le maître d’oeuvre serait responsable de l’abandon du chantier par la société DS ; le mail du 6 juin 2019 de la société DS adressé à Monsieur [N] et au maître d’oeuvre, produit aux débats, qui précise “Messieurs, Merci de bien vouloir dès demain si possible vous rendre sur le chantier afin de faire l’inventaire des lieux. En attendant que vous vous mettiez d’accord on va se retirer provisoirement ou définitivement selon la situation. Raison principale : Perte de temps subie à cause de l’entreprise des Mex et dossier technique pas à jour tenu du chantier” s’inscrivant dans un contexte (auquel il est fait référence) où un désaccord est survenu entre les maîtres d’ouvrage et la société DS sur l’état d’avancement réel du chantier.

Par ailleurs, la mise en demeure adressée le 12 juin 2019 par la société JOD ARCHITECTURE à la société DS de reprendre les travaux, la convocation adressée le 24 juin 2019 par le maître d’oeuvre à cette même société à se rendre sur le chantier le 26 juin 2019 pour le constat d’huissier, les différents devis produits des 24 juillet et 4 et 18 septembre 2019 pour attester de la mise en concurrence de plusieurs entreprises en vue de la reprise des travaux qui a finalement eu lieu à compter du 25 novembre 2019 attestent au contraire de diligences faites par le maître d’oeuvre aux fins que le chantier puisse reprendre au plus vite.

Dans ces conditions, seul le retard pris par la société DS pendant le premier chantier alors qu’il lui incombait de veiller à ce que la date de fin de chantier du 31 mai 2019 prévue au devis soit tenue, lui sera imputé. Le chantier étant avancé à seulement 50% au 31 mai 2019 pour un chantier qui devait durer 4 mois, il convient de retenir un retard de 2 mois à l’encontre du maître d’oeuvre.

Le non-respect et l’imprécision de certains plans

Les demandeurs reprochent au maître d’oeuvre d’avoir validé une commande de colonne de douche incompatible avec les plans qu’il a lui-même conçus. Ils reprochent également les imprécisions sur les plans ayant conduit à un mauvais positionnement de spots dans la salle de douche et la salle de bain.

Contrairement à ce que soutient la société JOD ARCHITECTURE, il relevait bien de sa mission de vérifier la conformité de l’exécution des travaux à ses plans.

Il en résulte de la part du maître d’oeuvre un manquement à sa mission de suivi et de contrôle du chantier.

Il sera cependant observé que s’agissant de l’imprécision des plans ayant conduit à un mauvais positionnement de spots, les demandeurs n’évoquent aucun préjudice dont ils souhaitent l’indemnisation.

2. Sur les préjudices

Il est de droit constant que pour être réparé, tout préjudice doit être réel, direct, personnel et certain.

2.1. Sur les préjudices liés au retard du chantier

Monsieur [N] et Madame [G] font valoir que le retard pris dans l’exécution des travaux leur a causé plusieurs préjudices.

Il convient de rappeler que le chantier ayant été abandonné par la société DS qui n’avait alors réalisé que 50% des travaux contractuellement prévus, le retard à prendre en considération et à imputer au maître d’oeuvre est celui qui avait été pris en se plaçant au moment du départ de la société DS soit un retard de deux mois compris entre le 31 mai et le 31 juillet 2019.

Monsieur [N] et Madame [G] sollicitent au titre du retard :

*le remboursement des sommes acquittées pour disposer d’un autre logement le temps de l’achèvement des travaux

Ils justifient d’un contrat de bail signé le 31 août 2019 pour une location jusqu’en juin 2020 pour un montant de 1.700 euros mensuels.

Cependant, le retard retenu de 2 mois sur une période comprise entre le 31 mai 2019 et le 31 juillet 2019 à l’encontre de la société DS ne concerne pas la période de location du logement.

En conséquence, la demande formée par Monsieur [N] et Madame [G] à l’encontre de la société JOD ARCHITECTURE au titre des frais de relogement à la suite du retard de chantier sera rejetée.

*le remboursement des frais liés à la location d’un garde-meubles

Les demandeurs indiquent avoir dû exposer des frais pour faire garder leurs meubles en raison du retard avec lequel ils ont réintégré leur maison ; frais qu’ils évaluent à la somme de 5.250,52 euros.

Ils produisent un contrat de location du 03 décembre 2019 ainsi que des justificatifs de virement d’une somme mensuelle de 477,32 euros pour la période du mois d’août 2019 au mois de juin 2020.

Cependant, au regard du retard effectivement imputable au maître d’oeuvre (2 mois à compter du 31 mai 2019), la location du garde-meubles à compter du mois d’août 2019 ne peut être imputable à la société DS et donc au maître d’oeuvre.

La demande formée par les demandeurs à ce titre sera rejetée.
2.2. Sur le préjudice lié à la surfacturation

Il a été précédemment démontré que le maître d’oeuvre était chargé du suivi de l’exécution des travaux et que ce faisant, il était en mesure d’apprécier au plus juste l’état d’avancement du chantier et de conseiller les maîtres d’ouvrage sur la facturation qui leur était présentée tout au long du chantier ; cette mission de conseil prenant tout son sens dès lors que le devis mentionne que 60% du montant du marché est à acquitter en fonction de l’état d’avancement.

Les demandeurs sollicitent le remboursement des surcoûts engendrés par la reprise par la société HK du chantier abandonné par la société DS à seulement 30% de son avancement, selon nouveau décompte ; surcoût évalué à 67.523,12 euros ; sans cependant justifier d’éléments permettant de revoir encore à la baisse l’état d’avancement du chantier qui, au 30 juin 2020, était établi à 50% par l’architecte.

La société MAF conteste l’indemnisation d’un tel surcoût. Elle concède tout au plus que les demandeurs ont perdu une chance de “finaliser [leur] chantier dans le cadre du budget initialement fixé, y compris les travaux supplémentaires validés en cours de travaux”.

Il sera ainsi observé que les demandeurs disposent, à la suite d’une ordonnnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny le 28 février 2020, d’une créance non contestée d’un montant de 30.288,97 euros TTC à l’égard de la société DS correspondant à un trop-perçu de cette dernière au regard de l’état d’avancement du chantier.

Comme indiqué ci-avant, le maître d’oeuvre a une responsabilité dans la surfacturation résultant de l’évaluation erronée de l’état d’avancement des travaux dès lors qu’il n’a pas vérifié la concordance entre avancement réel des travaux et sommes réclamées par l’entreprise.

La société MAF conteste une indemnisation des demandeurs à hauteur de la somme de 30.288,97 euros dès lors que la société DS a déjà été condamnée par le juge des référés à leur payer cette somme ; considérant qu’il s’agirait d’un enrichissement sans cause.

Il sera cependant relevé d’une part, que le titre exécutoire ne résulte que d’une décision n’ayant pas autorité de chose jugée au principal et qui ne lie pas le juge du fond et d’autre part, que Monsieur [N] et Madame [G] justifient bien d’un préjudice dès lors qu’ils ont fait les diligences nécessaires pour recouvrer leur créance auprès de la société DS mais sans succès, comme en atteste le courrier du 13 janvier 2021 de l’huissier chargé de ces diligences évoquant avoir “testé toutes les adresses fournies par le client” pour retrouver la société DS ainsi que son gérant et qui interroge les demandeurs sur leur souhait éventuel qu’il “tente de nouveau une saisie-attribution”.

Afin d’évaluer ce préjudice, il convient de tenir compte de la dernière situation de travaux réelle arrêtée par le maître d’oeuvre lui-même à hauteur de 50%, comme en atteste le tableau établi et signé par JOD ARCHITECTURE le 30 juin 2020.

Le devis de la société DS signé par les demandeurs confirme l’existence d’un marché initial d’un montant de 149.902,53 euros TTC.

Il n’est pas contesté que Monsieur [N] et Madame [G] ont versé la somme de 99.500 euros HT soit 109.450 euros TTC pour un chantier avancé à 50%.

Leur préjudice s’établit donc à la somme de (109.450 - [149.902,53 / 2]=) 34.499,02 euros.

Dès lors, en ne procédant pas aux vérifications préalables nécessaires, le maître d’oeuvre a commis une faute ayant causé à Monsieur [N] et Madame [G] un préjudice qu’il convient justement d’évaluer à la somme de 34.498,73 euros TTC.

En conséquence, la société JOD ARCHITECTURE sera condamnée au paiement de la somme de 34.498, 73 euros TTC à ce titre.

2.3. Sur le préjudice lié à l’installation d’une colonne de douche inadaptée

Les demandeurs reprochent à la société JOD ARCHITECTURE d’avoir approuvé la commande d’une colonne de douche qui s’est révélée incompatible avec ses propres plans avec la conséquence que l’arrivée d’eau a été placée à une hauteur trop basse par rapport aux standards.

Ils versent aux débats un échange de mails des 27 et 30 juin 2020 au terme duquel le maître d’oeuvre s’engage à prendre en charge le coût de la colonne de douche.

La société JOD ARCHITECTURE rappelle dans ses conclusions qu’elle s’était déjà engagée à assurer à ses frais le remplacement de la colonne de douche et ne conteste pas le montant de 900 euros réclamé à ce titre.

En conséquence, la société JOD ARCHITECTURE sera condamnée à payer la somme de 900 euros en remboursement du coût de la colonne de douche.

2.4 Sur le préjudice lié à l’absence de label “Qualibat RGE”

Les demandeurs soutiennent ne pas avoir pu bénéficier de la somme de 607 euros TTC pour l’isolation de leurs combles en raison du défaut de détention du label “Qualibat RGE”.

S’ils produisent un échange de mails entre le maître d’oeuvre et la société DS au terme duquel celle-ci s’excuse d’avoir conservé le logo “Qualibat RGE” alors qu’elle n’est désormais plus éligible aux aides y afférentes, aucune pièce du dossier n’établit que la détention de cette certification était déterminante du choix de l’entreprise, étant observé que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, cette certification ne constituait pas un gage de compétence de l’entreprise.

En conséquence, la demande d’indemnisation de ce chef sera rejetée.

En conséquence, la société JOD ARCHITECTURE et la société MAF seront condamnées in solidum à payer à Monsieur [N] et Madame [G] la somme de :
- 34.498, 73 euros euros TTC en réparation du préjudice lié à la surfacturation des travaux par la société DS ;
- 900 euros en réparation du préjudice lié au remplacement de la colonne de douche.

3. Sur la garantie de la société MAF

L’article 124-3 du code des assurances dispose que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.

En l’espèce, la société MAF ne conteste sa garantie qu’au motif de l’existence d’une clause du contrat d’assurance excluant sa mise en oeuvre en cas d’exercice anormal de la profession d’architecte, ce qu’elle considère être le cas en l’espèce dès lors qu’est reproché au maître d’oeuvre d’avoir perçu une commission occulte de la part de la société DS pour lui garantir le marché.

La preuve de l’existence d’une telle commission n’est pas rapportée.

En conséquence, la garantie de la société MAF est mobilisable, dans les limites contractuelles de la police s’agissant d’une garantie facultative.

4. Sur les demandes accessoires

Sur les dépens :

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, la société JOD ARCHITECTURE et la société MAF, qui perdent le procès, seront condamnées in solidum aux dépens.

Sur les frais irrépétibles :

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

En l’espèce, la société JOD ARCHITECTURE et la société MAF, condamnées aux dépens, seront condamnées in solidum à payer la somme de 4.000 euros à Monsieur [U] [N] et Madame [F] [G].

Décision du 28 Mai 2024
7ème chambre 1ère section
N° RG 21/07099 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUPNY

La société JOD ARCHITECTURE et la société MAF, qui ont formé des demandes à ce titre également, seront quant à elles déboutées de ces demandes.

Sur l’exécution provisoire :

L’article 514 du code de procédure civile dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En conséquence, l’exécution provisoire est de droit et aucun élément ne justifie de l’écarter.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe :

REJETTE les demandes de Monsieur [U] [N] et de Madame [F] [G] d’indemnisation des préjudices liés :

à l’absence de certificat RGE Qualibat de la société DS ;aux malfaçons ;à la location d’un autre logement ;à la location d’un garde-meuble ;
CONDAMNE in solidum la société JOD ARCHITECTURE et la société MAF à payer à Monsieur [U] [N] et Madame [F] [G] les sommes suivantes :
- 34.498, 73 euros TTC en réparation du préjudice lié à la surfacturation des travaux par la société DS ;
- 900 euros en réparation du préjudice lié au remplacement de la colonne de douche ;

DIT que la garantie de la société MAF est mobilisable à l’égard de Monsieur [U] [N] et de Madame [F] [G], dans ses limites et plafonds contractuels ;

CONDAMNE in solidum la société JOD ARCHITECTURE et la société MAF aux dépens;

CONDAMNE in solidum la société JOD ARCHITECTURE et de la société MAF à payer la somme de 4.000 euros à Monsieur [U] [N] et de Madame [F] [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la société JOD ARCHITECTURE et la MAF de leurs demandes en indemnisation de leurs frais irrépétibles ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

Fait et jugé à Paris le 28 Mai 2024

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 7ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/07099
Date de la décision : 28/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-28;21.07099 ?
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