TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 20/04442 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSC4B
N° PARQUET : 20/502
N° MINUTE :
Assignation du :
03 Juin 2020
AJ du TJ DE PARIS du 14 Septembre 2020 N° 2020/017171
[1]C.B.
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 24 Mai 2024
DEMANDEUR
Monsieur [C] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Anaïs PLACE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0208 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/017171 du 14/09/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 6]
[Localité 1]
Sophie Bourla Ohnona, vice-procureure
Décision du 24/05/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 20/04442
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Manon Allain, Greffière.
DEBATS
A l’audience du 22 Mars 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 3 juin 2020 par M. [C] [F] au procureur de la République,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 3 septembre 2021, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 9 décembre 2021,
Vu le jugement rendu le 9 décembre 2021, ayant révoqué l'ordonnance de clôture du 3 septembre 2021,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 1er avril 2022, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 22 avril 2022,
Vu le jugement rendu le 17 juin 2022, ayant révoqué l'ordonnance de clôture du 1er avril 2022,
Vu les dernières conclusions de M. [C] [F] notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2022,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 8 mars 2021,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 8 mars 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 22 mars 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il est relevé qu'aux termes de ses écritures, M. [C] [F] se dit né à Phalia au Pakistan. Toutefois, la copie délivrée le 30 septembre 2019 de son acte de naissance mentionne qu'il est né dans le district de [K] [L], au Pakistan (pièces n°2 et 14 du demandeur).
En l'absence de toute observation des parties sur ce point, le tribunal retiendra le lieu de naissance indiqué sur son acte de naissance.
Sur la procédure
Le ministère public sollicite du tribunal de « constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ». Il sera donc rappelé qu'une demande de « constat » ne constitue pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civil de sorte que le tribunal ne répondra pas à cette demande, laquelle ne donnera pas lieu à mention au dispositif.
Le tribunal rappelle toutefois qu'aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 16 décembre 2020. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action en contestation de refus d'enregistrement de déclaration de nationalité française
Le 20 décembre 2019, le directeur des services de greffe judiciaire du tribunal d'instance de Sannois a refusé l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 29 novembre 2019, sous le numéro 491/2019, par M. [C] [F], se disant né le 6 février 2002 dans le district de [K] [L] (Pakistan), de nationalité pakistanaise, sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, récépissé délivré le 12 décembre 2019, au motif que la légalisation de son acte de naissance ne respectait pas la coutume internationale (pièces n° 1 et 13 du demandeur).
M. [C] [F] sollicite du tribunal d'ordonner l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française et de dire qu'il est français. Il expose qu'il remplit l'ensemble des conditions de l'article 21-12 du code civil.
Le ministère public s'oppose à ces demandes et sollicite du tribunal de dire que M. [C] [F] n'est pas de nationalité française. Il soutient que le demandeur ne justifie pas d'un état civil fiable et certain.
Sur le fond
Aux termes de l'article 21-12 alinéa 3, 1° du code civil, l’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et est confié aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance, peut, jusqu’à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.
Il résulte de l'article 26-3 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 applicable en l'espèce, que la décision de refus d'enregistrement doit intervenir six mois au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de recevabilité de la déclaration. L'article 26-4 du code civil poursuit qu'à défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.
En l'espèce, le récépissé de la déclaration a été remis à M. [C] [F] le 12 décembre 2019. La décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française lui a été notifiée le 20 décembre 2019, soit moins de 6 mois après la remise du récépissé (pièce n°1 et 13 du demandeur).
Il appartient donc à M. [C] [F] de rapporter la preuve de ce que les conditions de la déclaration de nationalité française, posées par l'article 21-12, 3e alinéa 1° du code civil précitées, sont remplies.
Conformément aux dispositions de l’article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, modifiées par le décret n°2005-25 du 14 janvier 2005 ici applicables, la souscription de la déclaration prévue à l’article 21-12 du code civil doit être accompagnée de la production d’un extrait de l'acte de naissance du déclarant.
Il est en outre rappelé que nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original.
Il est également rappelé qu'aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
M. [C] [F] doit donc également justifier d'un état civil fiable et certain, attesté par des actes d'état civil probants au sens de cet article.
Enfin, en l’absence de convention entre la France et Pakistant emportant dispense de la formalité de la légalisation prévue par les dispositions internationales, tout acte ne peut faire foi au sens de ce texte que s’il est légalisé par le Consul français au Pakistan ou à défaut par le Consulat général du Pakistan à [Localité 5].
La légalisation des actes d'origine étrangère permet d'attester de la véracité d'une signature sur un acte, de la qualité du signataire de l'acte, et de l'identité du sceau ou du timbre apposé sur l'acte ; cela signifie concrètement que le consul doit attester que c'est bien l'officier d'état civil de tel centre d'état civil ou le greffier en chef de telle juridiction qui a apposé sa signature sur la copie d'acte certifiée conforme au registre ou sur la copie de jugement certifiée conforme à l’original de la minute. Elle relève de la compétence des ambassadeurs et consuls français établis dans le pays émetteur de l'acte.
En effet, le décret n°2007-1205 du 10 août 2007, en son article 4 relatif aux attributions des différentes autorités, dispose que les ambassadeurs et les chefs de poste consulaire peuvent légaliser les actes publics (dont les expéditions des actes de l'état civil établis par les officiers de l'état civil) émanant d'une autorité de l'Etat de résidence et destinés à être produits en France, ce qui exclut toute autre autorité.
En l'espèce, pour justifier de son état civil, M. [C] [F] produit une copie, délivrée le 30 septembre 2019, de son acte de naissance, accompagnée de sa traduction en langue française, qui mentionne qu'il est né le 6 février 2002, dans le district de [K] [L] (Pakistan), de M. [R] [Z] et de Mme [T] [M] (pièces n°2 et 14 du demandeur).
Le ministère public fait valoir que l'acte ne mentionne pas le nom de l'officier d'état civil ayant délivrée la copie de l'acte.
Le demandeur répond que la signature du secrétaire de la municipalité est apposée manuscritement, à l'encre bleue, au-dessus du tampon attestant de la qualité de l'autorité locale ayant délivré l'acte.
La copie de l'acte de naissance porte effectivement cachet et signature du secrétaire du Conseil d'union n°3 Dhaul District M. [S] [I] ([K] [L]) qui l'a délivré, et que si ce dernier n'est pas nommé, il est à tout le moins identifiable.
Dès lors, ce moyen du ministère public est inopérant.
Le ministère public fait également valoir que l'acte n'a pas été légalisé par les autorités consulaires mais porte seulement indication que l'acte a été contresigné par le chef de section consulaire à l'ambassade du Pakistan en France.
Le demandeur soutient que son acte de naissance a été légalisé dans les formes requises.
Le tribunal relève que l'acte d'état civil porte des cachets apposés en vert "légalisé", "signature attestée", apposé le "30 mai 2020" par "M. [Y] [X] [H], chef de la section consulaire de l'Ambassade du Pakistan en France" (pièces n°2 et 14 du demandeur), ce qui constitue un cachet de légalisation apposé par l'autorité compétente après que les vérifications nécessaires aient été effectuées par lesdites autorités.
Le moyen soulevé de ce chef par le ministère public sera donc écarté.
L'acte d'état civil n'étant pas autrement critiqué par le ministère public, M. [C] [F] justifie d'un acte de naissance probant et partant, d'un état civil fiable et certain et de sa minorité au moment de la souscription de la déclaration de nationalité française.
Le ministère public ne conteste ni la prise en charge de M. [C] [F] par l'aide sociale à l'enfance (ci-après ASE) pendant la durée requise aux termes de l'article 21-12, alinéa 3 1° du code civil, ni qu'il résidait en France lors de la souscription de la déclaration de nationalité française.
Par ailleurs, M. [C] [F] verse aux débats une attestation délivrée le 14 octobre 2019 de la présidente du conseil départemental du Val d'Oise qui atteste que ce dernier est pris en charge par le service de l'ASE depuis le 25 août 2016 et dans le cadre d'une mesure de tutelle, du 30 mars 2018 au 6 févier 2020 (pièce n°7 du demandeur). Il produit également une attestation d'hébergement du directeur du foyer [4] à [Localité 3] en date du 21 janvier 2020, et ce depuis le 13 mars 2017 (pièce n°8 du demandeur).
Il est donc établi que M. [C] [F] a été recueilli en France depuis au moins trois années à la date de la souscription de sa déclaration de nationalité française le 29 novembre 2019, confié et pris en charge par l'ASE, et qu'il résidait en France à cette date.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. [C] [F] justifie qu'il remplit les conditions posées par les dispositions de l'article 21-12, 3e alinéa 1°.
En conséquence, il y a lieu d'ordonner l'enregistrement de la déclaration de nationalité française qu'il a souscrite sous le numéro DnhM 491/2019.
En application des articles 21-12, 3e alinéa 1° et 26-5 du code civil, il sera donc jugé que M. [C] [F], né le 6 février 2002 dans le district de [K] [L] (Pakistan), a acquis la nationalité française le 29 novembre 2019, date à laquelle la déclaration de nationalité française a été souscrite.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.
Sur les dépens
L'instance ayant été nécessaire pour l'établissement des droits de M. [C] [F], qui bénéficie en outre de l'aide juridictionnelle totale, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Par voie de conséquence, la demande de recouvrement des dépens au profit de Maître Anaïs Place sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par décision mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Ordonne l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [C] [F], le 29 novembre 2019, en vertu de l’article 21-12 du code civil, devant le tribunal d'instance de Sannois, sous le numéro de dossier DnhM 491/2019 ;
Juge que M. [C] [F], né le 6 février 2002 dans le district de [K] [L] (Pakistan), a acquis la nationalité française le 29 novembre 2019 ;
Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil en marge des actes concernés ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Rejette la demande de recouvrement des dépens au profit de Maître Anaïs Place.
Fait et jugé à Paris le 24 Mai 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ