TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/1 nationalité A
N° RG 23/05339
N° Portalis 352J-W-B7H-CZUZM
N° MINUTE :
Assignation du :
31 Mars 2023
V.B.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 23 Mai 2024
DEMANDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
Parvis du Tribunal de Paris
[Localité 2]
Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
DEFENDEUR
Monsieur [M] [U] [F]
MIE GAIA 94 Groupe SOS
[Adresse 1]
[Localité 3]
non représenté
Décision du 23 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 23/05339
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Manon Allain, Greffière lors des débats et de Madame Christine Kermorvant, Greffière lors de la mise à disposition
DEBATS
A l’audience du 14 Mars 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Réputé contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
Vu les articles 56, 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 31 mars 2023 à M. [M] [F] par le procureur de la République, constituant ses dernières conclusions,
Vu l'absence de constitution de M. [M] [F] assigné selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 15 février 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 14 mars 2024,
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur la procédure
Le ministère public sollicite du tribunal de « constater que les formalités de l'article 1040 (ancien article 1043) du code de procédure civile ont été satisfaites ». Cette demande de « constat », qui ne constitue pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile, ne donnera pas lieu à mention au dispositif.
Le tribunal rappelle toutefois qu'aux termes de l’article 1040 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 19 avril 2023. La condition de l’article 1040 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action en annulation d'enregistrement de la déclaration de nationalité française
Le 15 décembre 2021, M. [M] [F], né le 11 février 2004 à [Localité 4] (Guinée), de nationalité guinéenne, a souscrit une déclaration de nationalité française devant le tribunal de proximité de Villejuif sur le fondement de l'article 21-12 du code civil, sous le numéro de dossier DnhM 408/2021. Cette déclaration a été enregistrée le 3 mai 2022 sous le numéro 96/2022 (pièce n°1 du ministère public).
Par acte du 31 mars 2023, le ministère public a assigné M. [M] [F] aux fins de contester l’enregistrement de cette déclaration de nationalité française. Il sollicite du tribunal de déclarer son action recevable, d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite et de juger que M. [M] [F] n'est pas de nationalité française.
Sur la recevabilité de l'action
Le ministère public sollicite du tribunal de déclarer son action recevable, en visant les dispositions de l'article 26-4 du code civil.
En l'espèce, M. [M] [F], n'ayant pas constitué avocat, la prescription de l'action du ministère public n'est pas soulevée.
Cette demande est donc sans objet.
Sur le fond
L'article 21-12, 3e alinéa 1° du code civil dispose que l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance, peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.
Aux termes de l’article 26-4 du code civil, dans son deuxième alinéa, dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l’enregistrement d’une déclaration acquisitive de nationalité française peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites.
Il appartient donc au ministère public, qui conteste l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [M] [F], de démontrer que les conditions légales prévues à l'article 21-12, 3e alinéa 1° du code civil ne sont pas satisfaites et qu’ainsi celle-ci a été enregistrée à tort.
En l’espèce, le ministère public conteste uniquement le caractère fiable et certain de l'état civil de M. [M] [F], faisant valoir que lors de la souscription de la déclaration, ce dernier avait produit des actes d'état civil qui, d'une part, n'étaient pas valablement légalisés et, d'autre part, n'étaient pas probants au sens de l'article 47 du code civil.
Il est donc rappelé que nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil.
Il est également rappelé qu'aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
En l'espèce, lors de la souscription de la déclaration de nationalité française, pour justifier de son état civil, M. [M] [F] avait produit devant le tribunal de proximité de Villejuif :
-un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n°15301 rendu le 30 juillet 2018 par le tribunal de première instance de [Localité 4] II (pièce n°3 du ministère public),
-une copie, délivrée le 8 août 2018, de son acte de naissance n°2925 extrait du registre de l'état civil (pièce n°4 du ministère public).
S'agissant du jugement supplétif d'acte de naissance, il comporte un cachet de légalisation apposé le 14 août 2018 par le ministère des affaires étrangères guinéen, ainsi qu'un cachet de légalisation apposé le 6 octobre 2021 par « Mme [D] [F], Chargée des Affaires Consulaires ».
Le ministère public soutient que la légalisation par le ministère des affaires étrangères, qui n'est pas une autorité compétente en matière de légalisation, n'est pas recevable, et d’autre part, que la légalisation faite par Mme [D] [F], chargée des affaires consulaires n'est pas valable en l’absence du sceau de l'ambassade.
Il est rappelé que les actes établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France doivent, au préalable, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, être légalisés pour y produire effet.
En l’absence de convention entre la France et la République de Guinée emportant dispense de la formalité de la légalisation prévue par les dispositions internationales, tout acte ne peut faire foi au sens de ce texte que s’il est légalisé par le consul français en République de Guinée ou à défaut par le consulat de la République de Guinée en France.
Dès lors, comme le relève le ministère public, la légalisation par le ministère des affaires étrangères n'est pas valable. Cependant, comme précédemment indiqué, le jugement supplétif est également revêtu d'une légalisation apposée le 6 octobre 2021 à [Localité 5] par Mme [D] [F], chargée des affaires consulaires.
Or, le ministère public, à qui incombe la charge de la preuve, produit une simple photocopie peu lisible du cachet de l'autorité consulaire, ne permettant pas au tribunal de vérifier qu'aucun sceau de l'ambassade n'est apposé sur le jugement supplétif (pièce n°3 du ministère public).
Ainsi, faute de production de l'original du jugement, ou à tout le moins d'une copie lisible, le ministère public ne démontre pas que la légalisation qui y est apposée n'est pas valable alors que par ailleurs, le cachet de légalisation qui y figure est suivi du nom, de la qualité et de la signature de l'autorité consulaire compétente.
Ces moyens soulevés par le ministère public seront donc rejetés.
Le ministère public soutient en outre que le jugement supplétif n'est pas valablement légalisé dès lors que la légalisation ne porte sur la signature du juge ayant rendu la décision, et non sur celle du greffier qui en a délivré la copie de l'acte puisque le jugement supplétif n'est pas produit sous la forme d'une expédition conforme.
Or, le jugement supplétif est revêtu d'un timbre fiscal et des cachets et signatures du juge et du greffier en chef présents à l'audience. Contrairement à ce qu'allègue le ministère public, il apparaît ainsi que M. [M] [F] n'a pas produit une copie du jugement supplétif, mais l'original dudit jugement. Le tribunal relève par ailleurs que M. [Y] [T] [R], dont la signature a été légalisée, est le président du tribunal ayant rendu la décision et le signataire du jugement, ce que reconnaît le ministère public dans ses écritures. Le cachet de légalisation vise donc expressément tant le nom que la fonction du signataire du jugement.
En tout état de cause, dès lors qu'un cachet de légalisation a été apposé par les autorités consulaires compétentes, il ne peut qu'en être déduit que les vérifications nécessaires ont été effectuées par lesdites autorités.
Le moyen soulevé par le ministère public sera donc également rejeté.
Il n'est ainsi pas démontré que le jugement supplétif n'était pas valablement légalisé.
Le ministère public soutient également que le jugement ne comporte aucune motivation, en ce qu'il se contente de reprendre les termes de la requête et de viser les pièces du dossier et les dires des témoins, sans les analyser ni en préciser le contenu ni encore indiquer les motifs de la demande d'un jugement supplétif de naissance
Or, ledit jugement vise le fondement juridique, les pièces du dossier ainsi que la requête et l'enquête à laquelle il a été procédée à la barre, outre l'audition de deux témoins, pour en déduire le bien fondé de la demande et l'exactitude des renseignements fournis. Le jugement est donc motivé.
En ce qui concerne la teneur des pièces et des témoignages sur lesquels la juridiction étrangère s'est fondée, il est rappelé que le juge français ne peut substituer sa propre appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve à celle du juge ayant rendu la décision et procéder à une révision de fond du jugement étranger.
Le moyen soulevé de ce chef par le ministère public sera donc également écarté.
Le ministère public ne démontre donc pas que le jugement supplétif méconnaît l'ordre public international et qu'il est inopposable en France.
S'agissant de l'acte de naissance de M. [M] [F], le ministère public soutient qu'il est produit sous la forme d'un extrait et non d'une copie intégrale, comme exigé par l’article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993.
Aux termes de cet article, dans sa version issue du décret n°2019-1507 du 30 décembre 2019 ici applicable, « Pour souscrire la déclaration prévue à l'article 21-12 du code civil, le déclarant fournit :
1°Son acte de naissance ;
[...] ».
Force est de relever qu'il n'y est pas précisé que l'acte de naissance du déclarant doit être produit spécifiquement sous la forme d'une copie intégrale, contrairement à ce qui est indiqué par le ministère public.
En tout état de cause, l'acte de naissance de M. [M] [F] produit lors de la souscription de la déclaration de nationalité française et versé aux débats par le ministère public consiste en un extrait du registre de l'état civil, comprenant l’ensemble des mentions figurant au dispositif du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance. Il s'agit donc d'une copie intégrale de l'acte de naissance de l'intéressé, et non d'un extrait, comme le soutient à tort le ministère public.
Le ministère public échoue ainsi à démontrer que lors de la souscription de sa déclaration de nationalité française M. [M] [F] ne justifiait pas d'un état civil fiable et certain et qu'il ne satisfaisait pas aux conditions prévues à l'article 21-12 du code civil.
En conséquence, le ministère public sera débouté de sa demande d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [M] [F] et de sa demande tendant à voir juger que celui-ci n'est pas de nationalité française.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, le ministère public, qui succombe, le sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1040 du code de procédure civile ;
Dit sans objet la demande du ministère public relative à la recevabilité de son action ;
Déboute le ministère public de sa demande d'annulation d’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [M] [U] [F] le 15 décembre 2021;
Déboute le ministère public de sa demande tendant à voir juger que M. [M] [U] [F] n'est pas de nationalité française ;
Condamne le Ministère public aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 23 Mai 2024
La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi