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17/05/2024 | FRANCE | N°21/14172

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 3ème section, 17 mai 2024, 21/14172


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expédition exécutoire
délivrée le :
à Maître LE NORMAND

Copie certifiée conforme
délivrée le :
à Maître LARUE





8ème chambre
3ème section


N° RG 21/14172
N° Portalis 352J-W-B7F-CVNC5


N° MINUTE :


Assignation du :
03 Novembre 2021






JUGEMENT
rendu le 17 Mai 2024

DEMANDEUR

Monsieur [O] [I]
[Adresse 3]
[Localité 5]

représenté par Maître Arnoult LE NORMAND, avocat au barreau de HAUTS

-DE-SEINE, vestiaire #523


DÉFENDERESSE

Société ORANGE SA
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Maître Jefferson LARUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0739







Décision du 17 Mai 2024
8è...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expédition exécutoire
délivrée le :
à Maître LE NORMAND

Copie certifiée conforme
délivrée le :
à Maître LARUE

8ème chambre
3ème section

N° RG 21/14172
N° Portalis 352J-W-B7F-CVNC5

N° MINUTE :

Assignation du :
03 Novembre 2021

JUGEMENT
rendu le 17 Mai 2024

DEMANDEUR

Monsieur [O] [I]
[Adresse 3]
[Localité 5]

représenté par Maître Arnoult LE NORMAND, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #523

DÉFENDERESSE

Société ORANGE SA
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Maître Jefferson LARUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0739

Décision du 17 Mai 2024
8ème chambre
3ème section
N° RG 21/14172 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVNC5

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Frédérique MAREC, Première Vice-Présidente
Madame Lucile VERMEILLE, Juge
Monsieur Cyril JEANNINGROS, Juge

assistés de Madame Léa GALLIEN, Greffière lors des débats, et de Madame Lucie RAGOT, Greffière lors du prononcé,

DÉBATS

A l’audience du 1er Mars 2024 tenue en audience publique devant Madame Lucile VERMEILLE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [O] [I] est propriétaire d'une maison située [Adresse 3] à [Localité 5].

Le 17 septembre 2015, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble voisin, situé [Adresse 2], a donné à bail à la SA Orange des emplacements d'une surface de 15 m², destinés aux équipements techniques nécessaires à l'installation d'une station-relais.

Les équipements ont été mis en service le 18 mars 2016.

A compter du 6 juin 2017, M. [O] [I] s'est plaint auprès du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2], d'une part des nuisances sonores résultant du système de refroidissement et d'extraction d'air par soufflerie installé dans la cour du 17 rue Gabrielle pour le fonctionnement de la station-relais, et d'autre part, des dégradations de son mur lors de l'installation de ces équipements.

Par acte d'huissier en date du 25 septembre 2019, M. [O] [I] a fait assigner la SA Orange et le syndicat des copropriétaires devant le juge des référés aux fins de désignation d'un expert judiciaire.

Par ordonnance en date du 3 décembre 2019, le juge des référés a fait droit à la demande et désigné M. [Y] [F].

Par ordonnance en date du 24 janvier 2020, M. [Y] [N] a été désigné en remplacement de M. [Y] [F].

M. [Y] [N] a déposé son rapport le 26 mars 2021.

Par acte d'huissier en date du 3 novembre 2021, M. [O] [I] a fait assigner la SA Orange afin de solliciter sa condamnation à faire cesser les atteintes sonores, à restaurer le mur et aux fins d'indemnisation.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 octobre 2022, M. [O] [I] demande au tribunal de :

"Vu les articles 544 et 545 du code civil,
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
Vu les articles R. 1336-5 et suivants du code de la santé publique,
Vu les pièces versées aux débats,

- CONDAMNER la société Orange, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter du prononcé du présent jugement, à :

o faire cesser les atteintes sonores subies, en déplaçant les équipements radiotéléphoniques situés dans la cour intérieure du 17 rue Gabrielle en haut du toit de cet immeuble et, a minima, exécuter les prescriptions de l'expert judiciaire et à en justifier auprès de lui ;

o nettoyer la façade de son mur des limailles et tout autre élément projeté lors de l'installation de l'équipement radiotéléphonique ;

- En conséquence, DIRE ET JUGER que le tribunal saisi conservera le droit de liquider les astreintes prononcées pour chacune des condamnations ;

- CONDAMNER la société Orange à verser à Monsieur [O] [I] les sommes de :

o 31 427,36 euros au titre des travaux nécessaires pour protéger sa maison contre le bruit de l'équipement de radiotéléphonie et des frais exposés pour la défense de ses intérêts (expertise,
huissier et avocat) ;

o 133 280 euros au titre du préjudice de jouissance subi du fait des nuisances sonores depuis 2017 ;

o 60 000 euros au titre du préjudice moral du fait des nuisances sonores et de l'inertie de la société Orange à l'entendre et faire cesser les nuisances sonores depuis 2017 et de l'intervention sans autorisation sur son mur ;

- CONDAMNER la société Orange au paiement d'une somme de 5.000 euros au profit de Monsieur [O] [I], en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société Orange au paiement des entiers dépens au profit de Monsieur [O] [I] qui seront recouvrés par Maître Arnoult Le Normand, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile ;


- ORDONNER l'exécution provisoire des condamnations prononcées aux bénéfices de Monsieur
[O] [I], en application de l'article 514 du code de procédure civile."

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 avril 2023, la SA Orange demande au tribunal de :

"Vu le rapport d'expertise ;
Vu les pièces versées aux débats,

Sur les astreintes sollicitées pour la remise en état du mur litigieux et la cessation des nuisances sonores :

- Constater que la société Orange SA a bien exécuté les travaux de réfection du mur litigieux au mois de juin 2021 ;

- Constater que la société Orange SA a bien exécuté les travaux de suppression du ventilateur en cause et a, plus généralement, supprimé les nuisances sonores qui émanaient des équipements litigieux appartenant à la société Orange SA ;

- Par conséquent, débouter Monsieur [O] [I] de sa demande tendant à voir condamner la société Orange SA "sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé du présent judiciaire, à faire cesser les atteintes sonores subies (…) et nettoyer la façade [dudit] mur" ;

- Sur l'indemnisation de Monsieur [O] [I] au titre des nuisances sonores :

- Sur le préjudice de jouissance :

- Constater que c'est en toute légalité que la société Orange SA a installé son antenne-relais sur le toit de l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] ;

- Constater que la société Orange SA a bien exécuté les travaux de suppression du ventilateur en cause et a, plus généralement, supprimé les nuisances sonores qui émanaient des équipements litigieux appartenant à la société Orange SA ;

- Constater que Monsieur [O] [I] ne rapporte pas la preuve de ce qu'il a subi des nuisances sonores dès le mois de juin 2017 du fait du fonctionnement des équipements litigieux appartenant à la société Orange SA ;

- Par conséquent, débouter Monsieur [O] [I] de sa demande tendant à voir condamner à la société Orange SA à lui payer la somme de 133.280,00 euros au titre du préjudice de jouissance subi du fait des nuisances sonores ;

- A titre subsidiaire, réduire le montant de l'indemnisation accordée à Monsieur [O] [I] à de plus justes proportions ;

- Sur les travaux réalisés par Monsieur [O] [I] :

- Sur l'achat et la pose d'une fenêtre :

- Constater que les frais afférents à l'achat et la pose d'une fenêtre dans la cuisine du domicile de Monsieur [O] [I] sont totalement étrangers aux nuisances sonores ;

- Par conséquent, débouter Monsieur [O] [I] de sa demande tendant à condamner Orange à lui payer la somme de 1.551 euros au titre des frais précités ;

- Sur l'achat et la pose d'un système de climatisation :

- Constater que les frais afférents à l'achat et la pose d'un système de climatisation au domicile de Monsieur [O] [I] constitue une amélioration non justifiée des équipements dudit domicile sans lien avec les nuisances sonores alléguées ;

- Par conséquent, débouter Monsieur [O] [I] de sa demande tendant à condamner Orange à lui payer la somme de 5.106,01 euros au titre des frais précités ;

- A titre subsidiaire, réduire le montant de l'indemnisation accordée à Monsieur [O] [I] au titre des frais afférents à la pose et l'installation d'un système de climatisation à de plus justes proportions ;

- Sur les frais d'huissier et les frais d'expertise

- Donner acte à la société Orange SA de ce qu'elle se rapporte à justice concernant la demande de prise en charge des frais d'huissiers et les frais d'expertise supportés par Monsieur [O] [I] dans le cadre de la présente procédure ;

- Sur le préjudice moral

- Constater que Monsieur [O] [I] ne rapporte pas la preuve de ce qu'il a subi un préjudice moral du fait de la présence des équipements de la société Orange SA ;

- Par conséquent, débouter Monsieur [O] [I] de sa demande tendant à condamner la société Orange SA à lui payer la somme de 60.000 euros au titre de son prétendu préjudice moral ;

En tout état de cause :

- Dire que chacune des parties conservera à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans le cadre de la présente instance ;

- Ecarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir."

Il sera expressément renvoyé aux conclusions des parties précitées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 avril 2023 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 1er mars 2024. La décision a été mise en délibéré au 17 mai 2024.

MOTIFS

I - Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage

M. [O] [I] indique que les nuisances sonores ont débuté le 18 mars 2016 et persistent à la date de ses dernières conclusions. Il considère qu'il existe deux périodes distinctes :

- la période du 18 mars 2016, date de la mise en service des équipements, au 22 septembre 2017, date d'intervention de la SA Orange, qui a eu pour effet, selon lui, de diminuer de 50 % le bruit émis par ces derniers,

- la période du 23 septembre 2017 au jour du jugement.

M. [O] [I] se plaint par ailleurs des désordres dus à la production de limailles sur le mur de façade côté cour.

La SA Orange fait valoir que le 22 septembre 2017, elle a, à la demande de M. [O] [I], atténué les nuisances sonores existantes en modifiant les paramètres du régulateur. Elle indique qu'aucun courrier de réclamation ne lui a été adressé préalablement à la signification d'une assignation en référé. Elle expose qu'elle a réalisé l'ensemble des travaux de nature à supprimer les nuisances. Elle affirme que les deux procès-verbaux de constat d'huissier de justice produits évoquent des mesures réalisées à l'aide d'un simple sonomètre, et ne mentionnent ni la durée, ni l'heure précise à laquelle les mesures acoustiques ont été réalisées, ni les pièces de l'appartement concernées par les nuisances.

En l'espèce, il est constant que M. [O] [I] a acquis sa maison avant l'installation des équipements litigieux par la SA Orange en 2016. Il ressort des éléments du débat que la maison de M. [O] [I] donne à la fois sur la rue et sur une cour intérieure. Sa pièce à vivre est située sous le niveau de la chaussée et prend jour par un toit en carreau de verre constituant le plancher de sa terrasse. Elle prend également jour par deux fenêtres donnant sur les cours intérieures des deux immeubles voisins, l'une située au 17 et l'autre au 21 de la même rue.

Par lettre recommandée reçue le 7 juin 2017, M. [O] [I] s'est plaint auprès du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2] occasionnées par le matériel installé dans l'immeuble.

La SA Orange justifie d'une intervention sur les lieux le 22 septembre 2017, dont le compte-rendu mentionne les éléments suivants (sic) : "Suite à une plainte bailleur, nous sommes intervenus hier afin de constater le bruit. Aucun bruit anormal ni de vibration sur le caisson, celui-ci est correctement installé. Il faut savoir qu'un système de ventilation reste toujours plus bruyant qu'une climatisation. Nous avons atténué au mieux les nuisances sonores existantes (-50 %). Reprise des paramètres du régulateur : marche mode nuit réduit de 50 % de 21h à 8h -Vitesse journée maximum à 70 % - Etalonnage des sondes - Température des consignes à 29° c."

Suivant procès-verbaux établis le 18 juin et le 26 juin 2019 à la demande de M. [O] [I], Maître [T] [C], huissier de justice, relate les mesurages établis sur les lieux à l'aide d'un sonomètre numérique enregistreur.

Maître [T] [C] relève qu'un local technique se trouve dans la cour intérieure de l'immeuble sis [Adresse 2] ; que depuis la fenêtre qui donne sur cette cour, il entend un bruit de type machinerie/soufflerie qui provient de la zone où se situe le local technique susvisé ; que le bruit est continu en sa présence, soit environ trente minutes. Il relève que le 18 juin 2019, les mesures s'échelonnent entre 51 dBa et 53 dBa et entre 57 dBa et 61 dBa le 26 juin 2019.

Depuis la fenêtre donnant sur la cour intérieure de l'immeuble sis [Adresse 4], Maître [T] [C] entend un bruit continu de type machinerie/soufflerie de manière très diffuse, et les mesures sont comprises entre 40 dBa et 41 dBa.

Le 18 juin 2019, sur la terrasse du demandeur, dont le plancher communique avec la pièce à vivre, il constate que le bruit de type machinerie/soufflerie est parfaitement audible.

Le 26 juin 2019, il relève que ce même bruit est audible dans la chambre située sous le toit, dont les vélux donnent sur la cour intérieure.

Monsieur [Y] [N], expert judiciaire, a réalisé deux réunions d'expertise le 6 mars 2020 et le 8 décembre 2020.

Aux termes de son rapport, il expose que les investigations de mesures sonores ont mis en évidence l'apparition et l'intensité du bruit émis par le fonctionnement d'une installation de ventilation à usage professionnel située dans le local technique exploité par la SA Orange. Il expose que l'équipement litigieux occasionne des dépassements significatifs d'émergence limites admissibles par le décret n° 2017-1244 à l'intérieur du logement du demandeur (séjour fenêtre ouverte sur la cour intérieure, et chambres d'étage donnant sur la terrasse) et à l'extérieur (terrasse). Il mentionne que l'intensité du bruit permanent du ventilateur, notamment en période de nuit, selon les besoins d'évacuation de la chaleur produite dans le local technique de la SA Orange, contraint M. [O] [I] à maintenir l'unique fenêtre du séjour en position fermée, faisant obstacle à l'aération de la pièce et d'autre part, prive le demandeur de la libre jouissance du calme régnant de la terrasse.

Il relève que la présence du bruit permanent présente un caractère d'incongruité pour M. [O] [I] qui ne peut s'y opposer et doit le subir.

Dans sa note n° 8, annexée au rapport, l'expert indique que "les dépassements d'émergences fixées par le décret en vigueur n° 2017-1244 en matière de bruit de voisinage, mesurées sur les parties privatives de la terrasse et du séjour, sont dépassées de façon très significatives sur la terrasse et très fortement dépassées dans le séjour (12,6 dBA en niveau global et dans toutes les bandes d'octaves), notamment dans le niveau spectral du bruit de la ventilation du local Orange".

S'agissant des désordres dus à la production de limailles sur le mur de façade côté cour, l'expert mentionne que leur apparition remonte à la période des travaux sur la structure en treillis métallique du pylône de l'antenne SA Orange. Il explique que ces travaux ont libéré des particules métalliques volatiles, lors du meulage d'éléments métalliques, qui se sont déposées sur la façade du mur pignon et ont formé un oxyde de fer par effet de corrosion en présence de l'humidité ambiante extérieure. Il note que les conséquences relatives à l'existence visuelle de ce désordre ne portent pas sur la solidité ni l'habitabilité du mur pignon mais se limitent à affecter visiblement de façon très marquée l'esthétique du mur de façade par la présence d'oxyde de fer sur une grande partie de la façade pignon.

L'ensemble des pièces ainsi produites atteste de la réalité des nuisances sonores subies et du caractère anormal du trouble, en ce que ces nuisances, au vu de leur intensité, de leur durée et de l'altération des conditions de vie qu'elles induisent, dépassent ce que tout voisin est tenu de supporter en termes de nuisances sonores. Compte tenu de l'atteinte très marquée à l'esthétique de la façade, les désordres dus à la production de limailles constituent également un trouble anormal de voisinage.

II - Sur la responsabilité

M. [O] [I] recherche la responsabilité de la SA Orange sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Le droit d'un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.

En toute occurrence, la responsabilité pour trouble de voisinage, qui s'appuie sur la seule constatation du dépassement d'un seuil de nuisance, suppose simplement que le dommage causé excède les inconvénients ordinaires du voisinage, l'anormalité du trouble s'appréciant en fonction des circonstances de temps et de lieu tout en tenant compte de la perception ou de la tolérance de la personne qui s'en plaint.

S'agissant d'un régime de responsabilité objectif, spécifique et autonome, le constat d'un dommage en lien certain et direct de cause à effet avec le trouble anormal suffit à entraîner la mise en oeuvre du droit à réparation de la victime du dommage, sans qu'il soit donc nécessaire pour M. [O] [I] de prouver une faute du défendeur.

Le caractère excessif du trouble doit s'apprécier compte tenu de toutes les circonstances de fait et notamment de ce que les voisins ont l'habitude de subir dans telle région et à telle époque.

Il est acquis que l'action en indemnisation sur ce fondement peut être dirigée contre un voisin "occasionnel" et que la légalité de l'installation des équipements ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une responsabilité.

En l'espèce, M. [O] [I] démontre qu'il subit des troubles avérés et caractérisés en relation directe avec l'implantation des équipements de la SA Orange et des travaux opérés par celle-ci pour cette implantation.

Par conséquent, il convient de retenir la responsabilité de la SA Orange s'agissant de ces désordres.

III - Sur la réalisation de travaux

Aux termes de son rapport, l'expert mentionne que pour remédier au litige et corriger la situation, la SA Orange a présenté un devis établi par la société Circet pour un montant de 31 000 euros HT, prévoyant la suppression du ventilateur situé dans le local technique.

L'expert considère que la solution proposée par la SA Orange est de nature à supprimer la source de bruit objet du litige et des nuisances sonores alléguées.

S'agissant des désordres dus à la production de limailles, l'expert a validé le devis de la société Sabta, présenté par M. [O] [I] et prévoyant pour un montant de 5 100 euros HT le nettoyage du mur.

M. [O] [I] affirme que les travaux validés par l'expert n'ont pas été réalisés. La SA Orange oppose au contraire les avoir effectués mais n'en justifie nullement.

Par conséquent, il convient de condamner la SA Orange à supprimer le ventilateur situé dans le local technique et à nettoyer le mur selon les devis fournis dans le cadre de l'expertise judiciaire, dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) par jour de retard, astreinte qui courra sur une période de deux mois à l'issue de laquelle il sera de nouveau statué si nécessaire par le juge de l'exécution.

IV - Sur l'indemnisation des préjudices

- sur le préjudice de jouissance

M. [O] [I] sollicite la condamnation de la SA Orange à lui verser la somme de 133 280 euros au titre du préjudice de jouissance subi du fait de nuisances sonores depuis 2017.

La SA Orange s'oppose à titre principal à cette demande au motif que le caractère inhabitable du logement ne serait pas démontré, M. [O] [I] ayant continué à l'occuper de manière continue. Elle expose qu'aucune mesure acoustique n'a été réalisée dans la chambre à coucher du demandeur. Elle affirme que l'expert ne s'est nullement prononcé sur ce point alors que cette question faisait partie de sa mission. Elle indique que le domicile de M. [O] [I] se situe dans un environnement bruyant du fait notamment de la fréquentation touristique et des restaurants qui se trouvent à proximité.

Il est établi par les pièces produites que M. [O] [I] s'est plaint de nuisances sonores à compter du 6 juin 2017. A compter du 22 septembre 2017, les nuisances ont diminué de moitié, selon les affirmations du demandeur. Il ressort néanmoins du rapport d'expertise déposé en mars 2021 que l'apparition répétitive et l'intensité du bruit du ventilateur ont été constatées dans le séjour, les chambres à l'étage et sur la terrasse privative.

Compte tenu de la nature et de l'intensité des nuisances sonores décrites ci-dessus, qui ont eu lieu de jour comme de nuit et qui ont contraint M. [O] [I] à maintenir en position fermée l'unique fenêtre du séjour, qui constitue la pièce à vivre du logement, il a été porté atteinte à une libre jouissance de l'appartement.

Comme indiqué ci-dessus, le tribunal relève que la réalisation des travaux de nature à mettre un terme aux désordres n'est pas démontrée.

Par conséquent, il convient de faire droit à la demande de dommages et intérêts au titre de la perte de jouissance qui sera évaluée, compte tenu de la nature des nuisances, de leur durée, de la configuration et de la localisation du bien, à la somme de 30 000 euros.

- sur le préjudice matériel

M. [O] [I] demande au tribunal de condamner la SA Orange à lui verser la somme de 31 427,36 euros au titre des travaux nécessaires pour protéger sa maison contre le bruit de l'équipement de radiotéléphonie et des frais exposés pour la défense de ses intérêts (expertise, huissier et avocat).

Il y a lieu de rappeler que les frais d'expertise relèvent des dépens et seront examinés à ce titre. En outre, les frais d'avocat seront étudiés au titre des frais irrépétibles.

Le demandeur explique qu'il a fait installer une climatisation dans la mesure où il a été privé de la possibilité d'aérer librement son séjour.

Il indique également qu'il a fait installer une fenêtre à double vitrage pour atténuer les nuisances sonores.

M. [O] [I] justifie de la réalité du préjudice matériel invoqué par la production :

- d'une facture en date du 13 mars 2018, émise par la SARL Agence Point Clim prévoyant des frais à hauteur de 5 106, 01 euros TTC pour l'installation d'une climatisation,
- d'une facture établie le 10 décembre 2018 par la société Sabta et faisant état d'un montant de 1 551 euros TTC pour l'installation d'une fenêtre à double vitrage.

Par conséquent, il convient de faire droit à la demande d'indemnisation du préjudice matériel à hauteur de 6657, 01 euros.

- sur le préjudice moral

M. [O] [I] qui ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par le préjudice de jouissance et les frais de procédure, sera débouté de sa demande.

V - Sur les demandes accessoires

La SA Orange, qui succombe en ses demandes, est condamnée aux dépens avec distraction au profit de Maître Arnoult Le Normand.

Tenue aux dépens, la SA Orange est condamnée à verser à M. [O] [I] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande formée à ce titre.

S'agissant d'une assignation délivrée postérieurement au 1er janvier 2020 (II de l'article 55 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019), l'exécution provisoire est de droit, à moins que la décision rendue n'en dispose autrement, en application des dispositions de l'article 514 du Code de procédure civile.

Aucun élément ne justifie en l'espèce que l'exécutoire provisoire, qui est compatible avec la nature de la présente affaire, soit écartée, conformément à l'article 514-1 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Condamne la SA Orange à effectuer les travaux portant sur la ventilation située dans le local technique et sur le nettoyage du mur, validés par l'expert, M. [Y] [N] le 26 mars 2021 et figurant sur :

- le devis de l'entreprise Circet en date du 12 janvier 2021 pour un montant de 31 000 euros HT,
- le devis de la société Sabta en date 12 février 2021 pour un montant de 5 100 euros HT.

Ce dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) par jour de retard, astreinte qui courra sur une période de deux mois à l'issue de laquelle il sera de nouveau statué si nécessaire par le juge de l'exécution.

Condamne la SA Orange à verser à M. [O] [I] :

- la somme de 30 000 euros au titre du trouble de jouissance ;
- la somme de 6 657, 01 euros au titre de son préjudice matériel ;

Déboute M. [O] [I] de sa demande d'indemnisation du préjudice moral ;

Condamne la SA Orange aux dépens ;

Accorde à Maître Arnoult Le Normand le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Orange à verser à M. [O] [I] la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit ;

Rejette les autres demandes plus amples et contraires.

Fait et jugé à Paris le 17 Mai 2024.

La GreffièreLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 21/14172
Date de la décision : 17/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-17;21.14172 ?
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