TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le : 16.05.2024
à : toutes les parties
Pôle social
■
Elections professionnelles
N° RG 23/04289 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3TQZ
N° MINUTE :
24/00123
JUGEMENT
rendu le 16 mai 2024
DEMANDERESSE
Syndicat CGT GROUPE AIR LIQUIDE-REGION PARISIENNE, dont le siège social est sis [Adresse 14]
représentée par Me Emmanuel GAYAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #P0028
DÉFENDEURS
Société ALIZENT INTERNATIONAL,
dont le siège social est sis [Adresse 12]
représentée par Maître Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : #K0020
Syndicat CFE-CGC,
dont le siège social est sis [Adresse 8]
représentée par Me Betty ESTREM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #E0594
Syndicat CFTC,
dont le siège social est sis [Adresse 9]
non comparante, ni représentée
Madame [N] [K],
demeurant [Adresse 11]
non comparante, ni représentée
Monsieur [D] [W],
demeurant [Adresse 13]
représenté par Me Betty ESTREM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #E594
Madame [I] [U],
demeurant [Adresse 4]
non comparante, ni représentée
Décision du 16 mai 2024
Pôle social - Elections Professionnelles - N° RG 23/04289 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3TQZ
Monsieur [V] [J],
demeurant [Adresse 5]
non comparant, ni représenté
Monsieur [M] [S],
demeurant [Adresse 3]
non comparant, ni représenté
Madame [E] [T],
demeurant [Adresse 6]
non comparante, ni représentée
Monsieur [X] [F],
demeurant [Adresse 7]
non comparant, ni représenté
Madame [B] [L],
demeurant [Adresse 1]
non comparante, ni représentée
Monsieur [A] [Z],
demeurant [Adresse 2]
non comparant, ni représenté
Monsieur [O] [C] [R],
demeurant [Adresse 10]
non comparant, ni représenté
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Xavier REBOUL, Vice-président,
assisté de Alexis QUENEHEN, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 26 avril 2024
JUGEMENT
réputé contradictoire et en dernier ressort prononcé par mise à disposition le 16 mai 2024 par Xavier REBOUL, Vice-président, assisté de Alexis QUENEHEN, Greffier
Décision du 16 mai 2024
Pôle social - Elections Professionnelles - N° RG 23/04289 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3TQZ
EXPOSE DU LITIGE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société Alizent International, a convoqué les organisations syndicales le 1er septembre 2023 pour négocier un protocole d'accord préélectoral (PAP), en vue du renouvellement des membres du comité social et économique (CSE).
Un PAP a été signé le 29 septembre 2023, à la double majorité, par la CFE-CGC et la CFTC, mais non par le syndicat CGT groupe Air Liquide de la région parisienne.
À l'issue du premier tour, organisé du 5 au 7 décembre 2023, les nouveaux membres du CSE de la société Alizent International ont été élus.
Par déclarations au greffe enregistrées les 10 novembre et 15 décembre 2023, le syndicat CGT groupe Air Liquide de la région parisienne (le syndicat CGT) a saisi le tribunal judiciaire de Paris pour solliciter l’annulation du PAP du 29 septembre 2023, et de l’élection du 7 décembre 2023. Il demande d’ordonner la relance du processus électoral, par une première réunion de négociation d'un nouveau PAP, sous 8 jours à compter de la notification de la décision, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, ainsi que la transmission aux organisations syndicales de la liste des salariés, à jour à la date de la négociation du PAP, précisant pour chacun la qualification et le coefficient, sous astreinte de 1000 € par jour de retard. Il sollicite également la condamnation de la société Alizent International à lui payer 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat CGT groupe Air Liquide de la région parisienne soutient que les négociations du PAP n'ont pas été loyales, qu’il ne disposait pas des qualifications des salariés (intitulés de poste), ni de leurs coefficients, éléments nécessaires pour exercer un contrôle réel sur la répartition du personnel et des sièges des collèges.
Il ajoute que l’employeur, qui n’a pas remis la classification, ni les coefficients des salariés, a manqué à son obligation de loyauté dans le cadre des négociations du PAP. Il reproche également au PAP de ne pas avoir créé de collège électoral spécifique pour les ingénieurs et cadres, dans la mesure où les techniciens et agents de maîtrise y ont été intégrés.
C’est pourquoi il sollicite l’annulation du PAP signé le 29 septembre 2023, ainsi que du premier tour des élections professionnelles, du 7 décembre 2023.
La SAS Alizent International objecte que le syndicat CGT n'a pas la capacité d’agir en justice, faute d'être valablement représenté, l'action engagée par un syndicat devant être réalisée par une personne valablement habilitée à agir en son nom. Elle demande la nullité des requêtes du syndicat CGT.
Elle rappelle que les négociations ont été parfaitement loyales et que le nombre de collèges fixés par le PAP est parfaitement valable. Elle conclut au débouté des demandes du syndicat CGT et à sa condamnation à lui payer 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, en cas d'annulation de toute partie des élections professionnelles, elle demande le report des effets de l'annulation, à la date de la proclamation des résultats des nouvelles élections professionnelles à intervenir.
Le syndicat national des techniciens, agents de maîtrise et cadres de la chimie et connexes (le SNCC CFE-CGC) dit que les requêtes de la CGT sont nulles, que ce syndicat, qui n'a émis aucune réserve sur le nombre de collèges électoraux, lors de la négociation du PAP, et n’a pas présenté de candidats, n’est pas recevable à le contester aujourd'hui. Il conclut également au mal fondé des demandes de la CGT.
MOTIFS
1/ Sur la capacité d’agir en justice du syndicat CGT ;
L’article 117 du code de procédure civile dispose : « Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte : Le défaut de capacité d'ester en justice ; Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ; Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. »
L’article 119 du même code ajoute : « Les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que la nullité ne résulterait d'aucune disposition expresse. »
Les actions en justice diligentées par des syndicats professionnels doivent impérativement l’être par des personnes valablement habilitées à agir en leur nom ; le représentant d’un syndicat en justice doit obligatoirement justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts l’habilitant à cette fin.
L'article 15 des statuts du syndicat CGT stipule : « La commission exécutive élit en son sein le bureau… Il est chargé … de décider des actions en justice, tant en demande qu'en défense, dès lors que les intérêts du syndicat, d'un syndiqué ou ceux de la profession sont en cause …
Le bureau peut désigner l'un de ses membres ou un membre de la commission exécutive pour représenter le syndicat en justice… »
Le 15 octobre 2023, le bureau du syndicat CGT Groupe Air liquide de la région parisienne a donné pouvoir à M. [Y] [P] [G], secrétaire du syndicat, afin d'engager une action en justice en vue de contester le processus électoral initié le 1er septembre 2023 pour le renouvellement des membres du CSE de la société Alizent International (pièce n° 11 du syndicat CGT).
Une nouvelle délibération du 20 octobre 2023, du bureau du syndicat CGT, a décidé « … c’est M. [Y] [P] [G] qui représente le syndicat dans le cadre de l’action en justice en vue de contester le processus électoral initié le 1er septembre 2023 pour le renouvellement des membres de la société Alizent International. » (Pièce n° 12 du syndicat CGT).
En l'espèce, l'action justice a été initiée par MM. [G] et [H], membres du bureau du syndicat, et M. [G] dispose d'un pouvoir spécial conforme aux dispositions statutaires (Pièces n° 3, 9 et 10 du syndicat CGT). Le tribunal constate la validité des deux requêtes.
2/ Sur les annulations demandées du PAP et des élections, du fait du caractère déloyal de la négociation ;
Le syndicat CGT soutient qu’il ne disposait pas des qualifications des salariés (intitulés de poste), ni de leurs coefficients, éléments nécessaires pour exercer un contrôle réel sur la répartition du personnel et des sièges des collèges.
Il ajoute que l’employeur, qui n’a pas remis la classification, ni les coefficients des salariés, a manqué à son obligation de loyauté dans le cadre des négociations du PAP. Il sollicite l’annulation du PAP signé le 29 septembre 2023, ainsi que du premier tour des élections professionnelles, du 7 décembre 2023.
L’employeur qui a l'obligation de négocier loyalement le PAP, doit être en mesure de communiquer, dans ce cadre, tout élément permettant de contrôler l’effectif et la régularité de la liste électorale, tel que le registre unique du personnel. Il doit fournir aux syndicats participant à la négociation les éléments nécessaires au contrôle de l’effectif et de la régularité de la liste électorale (Cass Soc, 13 novembre 2008, n° 07-60.434, Cass Soc, 13 mai 2009, n° 08-60.530). L'employeur qui remet aux syndicats le registre unique du personnel satisfait à son obligation de loyauté, lors de la négociation du PAP (Cass Soc, 16 septembre 2020, n° 19-60.185, Cass Soc, 6 janvier 2016, n° 15-10.975).
Le registre unique du personnel retrace les noms et prénoms des salariés, leur nationalité et date de naissance, leur sexe, leur emploi, leur qualification, ainsi que les date d’entrée et de sortie (code du travail, articles L 1221-13 et D 1221-23). L'employeur, qui a présenté aux organisations syndicales des documents suffisants, a rempli son obligation de négociation loyale du PAP et elles ne peuvent obtenir en justice des documents complémentaires (Cass Soc, 16 septembre 2020, n° 19-60.185).
Dès lors, ce document contient toutes les informations utiles à la répartition du personnel entre les collèges et la vérification des listes électorales.
En l’espèce, la société Alizent International a tenu plusieurs réunions avec les organisations syndicales, les 22 et 27 septembre 2023. Elle leur a transmis, par courriels des 22 et 27 septembre 2023 : l’accord relatif au vote électronique et au renouvellement du CSE, le support de présentation projeté lors de la première réunion de négociation, la liste des effectifs arrêtée à la date du 30 septembre 2023, indiquant notamment l’identité, le type de contrat, la classification (TAM ou Cadres), le sexe ou la qualité d’électeur et d’éligible, et le projet de PAP, résultant de la première réunion de négociation (Pièce n°1 du syndicat CGT, pièces n° 3, 4 et 5 de la société Alizent International)
Le syndicat CGT reconnaît la communication du registre unique du personnel : « … Lors de la réunion du 27 septembre, vous avez présenté à l’écran, les éléments du registre unique du personnel où là encore, ne figure que les éléments d’informations liés à l’emploi occupé et à la qualification… » (Pièce n°1 du syndicat CGT) ; ainsi, lors de la seconde réunion de négociation du 27 septembre 2023, le registre unique du personnel a été présenté aux organisations syndicales, contenant leur nationalité, date de naissance, sexe, intitulés de postes, qualifications, dates d’entrée ou sortie, et types de contrat (CDD ou CDI).
La société Alizent International a remis les informations nécessaires aux organisations syndicales dans le cadre de la négociation du PAP et respecté son obligation de négociation loyale.
Le syndicat CGT est débouté de ses demandes d’annulation du PAP et du premier tour des élections professionnelles, pour négociation déloyale du PAP.
3/ Sur la mise en place d'un collège spécifique pour les ingénieurs et cadres ;
Au moment de la négociation du PAP la société Alizent International avait un effectif de 85,8 salariés, répartis de la façon suivante : 1er collège (Ouvriers et employés) aucun salarié, 2ème collège (Techniciens et agents de maîtrise) 4 salariés, et 3ème collège (Ingénieurs et cadres) 81,8 salariés.
Le syndicat CGT reproche au PAP de ne pas avoir créé de collège électoral spécifique pour les ingénieurs et cadres, dans la mesure où les techniciens et agents de maîtrise y ont été intégrés.
L’article L 2314-11 du code du travail prévoit : « Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont élus sur des listes établies par les organisations syndicales pour chaque catégorie de personnel :
- d'une part, par le collège des ouvriers et employés ;
- d'autre part, par le collège des ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés …
En outre, dans les entreprises, quel que soit leur effectif, dont le nombre des ingénieurs, chefs de service et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés sur le plan de la classification est au moins égal à vingt-cinq au moment de la constitution ou du renouvellement de l'instance, ces catégories constituent un troisième collège … ».
Une entreprise qui emploie plus de 25 cadres, doit prévoir un collège pour les cadres, qui ne peut être supprimé, ce collège étant rendu obligatoire en raison de l’effectif de l’entreprise (Cass Soc, 13 octobre 2004, n° 03-60.275).
La division des travailleurs d'une entreprise en collèges électoraux ayant pour finalité d'assurer une représentation spécifique de catégories particulières de personnels, la constitution d'un collège électoral ne peut priver une catégorie de salariés de toute représentation en violation des droits électoraux qui leurs sont reconnus pour assurer l'effectivité du principe de participation prévu par l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. (Cass Soc, 16 octobre 2013, n° 13-11.324, Cass Soc, 4 juillet 2012, n° 11-60.229). Un collège électoral ne peut être créé sans qu'aucun siège ne lui soit attribué, pour ne pas exclure une catégorie du personnel du processus électoral, en la privant du droit de vote et du droit d'avoir des élus. C'est pourquoi un salarié doit être inscrit dans un autre collège que celui auquel il appartient, dès lors qu’il s’agit du seul collège auquel des sièges sont attribués par le PAP.
Il est possible de modifier le nombre et la composition des collèges électoraux, par accord collectif conclu par l’unanimité des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise (article L 2314-12, al. 1 du code du travail), notamment, si l’application de la règle de la proportionnelle conduit à n’attribuer aucun siège à un collège considéré, compte-tenu de son faible effectif. En l'espèce, la modification a fait l’objet d’un accord unanime, la CFE-CGC étant seule représentative dans l’entreprise.
Compte tenu des effectifs (85,8 salariés, dont 4 dans le 2ème collège et 81,8 dans le 3ème collège), cinq sièges sont à pouvoir, portant le quotient théorique à 17,16 (85,8 / 5 = 17,16). L’application de la répartition à la proportionnelle conduit à répartir les sièges comme suit : 2ème collège, aucun siège (4 / 17,16 = 0,2) et 3ème collège, 4 sièges (81,8 / 17,16 = 4,76), auquel se rajoute le 5ème siège, réparti en application de la règle du plus fort reste.
Aucun siège n’est attribué au 2ème collège. Comme un collège ne peut être dépourvu de siège, le PAP du 29 septembre 2023 a convenu de permettre aux 4 agents de maitrise de voter au sein du collège Ingénieurs et cadres, et, le cas échéant, de se présenter (pièce n°2 de la société Alizent International) ; le PAP n’a pas supprimé le collège Ingénieurs et cadres, mais y a intégré les 4 agents de maîtrise, solution qui leur a permis de disposer d’une représentation du personnel, par le biais du vote et, le cas échéant de candidatures. Le nombre de collège mis en place par le PAP du 29 septembre 2023 est valable.
Le syndicat CGT est débouté de ses demandes d’annulation du PAP et du premier tour des élections professionnelles.
Ne sont pas soumises à l’exigence d’une motivation, les décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge, notamment l’allocation d’une somme pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,
Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les n° 23/04289 et 23/03948 ;
Constate la validité des deux requêtes du syndicat CGT ;
Déboute le syndicat CGT de ses demandes d’annulation du PAP et du premier tour des élections professionnelles ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe dans les trois jours, par lettre recommandée avec avis de réception, en application de l’article R. 2314 – 25 du code du travail.
Le greffier, Le président