TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/1 nationalité A
N° RG 22/14250
N° Portalis 352J-W-B7G-CYLT2
N° PARQUET : 23/532
N° MINUTE :
Assignation du :
24 Novembre 2022
AJ du TGI DE PARIS
du 7 décembre 2021
N° 2021/047298
V.B.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 15 Mai 2024
DEMANDERESSE
Madame [V] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Julie MADRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0688
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/047298 du 07/12/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]
Madame Laureen SIMOES, Substitute
Décision du 15 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 22/14250
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
Assistées par Madame Christine Kermorvant, Greffière
DEBATS
A l’audience du 06 Mars 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile par Madame Victoria Bouzon, Magistrate rapporteure, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
En raison de l’empêchement de la présidente, la présente décision est signée par Madame Victoria Bouzon, magistrate ayant pris part au délibéré conformément aux dispositions de l’article 456 du code de procédure civile et par Madame Christine Kermorvant, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 24 novembre 2022 par Mme [V] [U] au procureur de la République,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 13 septembre 2023,
Vu les dernières conclusions de Mme [V] [U] notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 1er février 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 6 mars 2024,
MOTIFS
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1040 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 25 avril 2023. La condition de l’article 1040 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
Mme [V] [U], se disant née le 8 juillet 1996 à [Localité 4] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation maternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Elle fait valoir que sa mère, Mme [S] [U], née le 20 février 1961 à [Localité 10], [Localité 8] (Algérie), est française par l'effet collectif de la déclaration recognitive de nationalité française souscrite le 30 octobre 1965 devant le juge d'instance de Bellac par son propre père, [K] [U], né le l1 mars 1941 à [Localité 5], [Localité 7], [Localité 8] (Algérie).
Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 18 novembre 2020 par le directeur des services de greffe judiciaires du pôle de la nationalité française du tribunal d'instance de Paris aux motifs que plusieurs actes d'état civil, que l'intéressée avait produits, ne comportaient pas certaines mentions substantielles prescrites par les dispositions de l’ordonnance du 19 février 1970 relative à l'état civil en Algérie et que les copies de l'acte de naissance de l'intéressée n'étaient pas conformes au décret du 17 février 2014 (pièce n°1 de la demanderesse).
Le ministère public indique qu'il s'en rapporte quant à la nationalite française de Mme [V] [U], sous réserve de production des actes d'état civil locaux par la demanderesse.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par la demanderesse, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.
Décision du 15 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 22/14250
Il est en outre rappelé que les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance des départements d’Algérie, fixés au 1er janvier 1963, sont régis par l’ordonnance n°62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n°66-945 du 20 décembre 1966 ; ils font actuellement l’objet des dispositions des articles 32-1 et 32-2 du code civil ; il résulte en substance de ces textes que les Français originaires d’Algérie ont conservé la nationalité française:
- de plein droit, s’il étaient de statut civil de droit commun ce qui ne pouvait résulter que de leur admission ou de celle de l’un de leur ascendant, ce statut étant transmissible à la descendance, à la citoyenneté française en vertu exclusivement, soit d’un décret pris en application du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, soit d’un jugement rendu sur le fondement de la loi du 4 février 1919 ou, pour les femmes, de la loi du 18 août 1929, ou encore de leur renonciation à leur statut personnel suite à une procédure judiciaire sur requête, étant précisé que relevaient en outre du statut civil de droit commun les personnes d’ascendance métropolitaine, celles nées de parents dont l’un relevait du statut civil de droit commun et l’autre du statut civil de droit local, celles d’origine européenne qui avaient acquis la nationalité française en Algérie et les israélites originaires d’Algérie qu’ils aient ou non bénéficié du décret “Crémieux” du 24 octobre 1870 ;
- s’ils étaient de statut civil de droit local, par l’effet de la souscription d’une déclaration de reconnaissance au plus tard le 21 mars 1967 (les mineurs de 18 ans suivant la condition parentale dans les conditions prévues à l’article 153 du code de la nationalité française), ce, sauf si la nationalité algérienne ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962, faute de quoi ils perdaient la nationalité française au 1er janvier 1963.
Selon l'article 153 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°45-2441 du 19 octobre 1945, modifiée par la loi n°60-752 du 28 juillet 1960 « les enfants mineurs de dix-huit ans, non mariés, des personnes ayant bénéficié des dispositions de l’article 152 suivront la condition :
1° s’ils sont légitimes, de leur père ou, en cas de prédécès, de leur mère survivante ;
2° s’ils sont enfants naturels, du parent à l’égard duquel leur filiation est d’abord établie ou, en cas de prédécès de celui-ci, de l’autre parent survivant ».
Il appartient donc à Mme [V] [U], non titulaire d'un certificat de nationalité française, d'une part, de démontrer un lien de filiation à l'égard de sa mère revendiquée, et, d'autre part, d'établir la nationalité française de celle-ci, par des actes d’état civil fiables et probants au sens de l’article 47 du code civil, étant rappelé qu'aux termes de l’article 20-1 du code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.
En l'espèce, Mme [V] [U] indique que son état civil est établi par la production de son de son acte de naissance, transcrit sur les registres du service central de l'état civil, mentionnant qu'elle est née le 8 juillet 1996 à [Localité 4] (Algérie) à 17 heures, de [H] [U], né le 16 septembre 1967 à [Localité 6] (Algérie), et de [S] [U], née le 20 février 1961 à [Localité 10], [Localité 8] (Algérie), son épouse, domiciliés à [Localité 4] (pièce n°3 de la demanderesse).
Le ministère public fait valoir que la transcription de l'acte de naissance algérien de la demanderesse n'a pas pour effet de purger l'acte de ses vices et de ses irrégularités ; qu'il n'est pas nécessaire pour le juge de la nationalité d'obtenir au préalable, par le juge nantais de la transcription, l'annulation de la transcription à l'état civil français pour remettre en cause le caractère probant de cet acte ; qu'en l'espèce, les prénom et nom du déclarant sont absents sur la transcription de l'acte algérien, et l'absence de production de l'acte algérien de la demanderesse ne permet pas de vérifier que l'acte a été dressé en conformité avec les textes en vigueur en Algérie, notamment les articles 30 et 62 de l’ordonnance du 19 février 1970.
Comme le relève à juste titre la demanderesse, son acte de naissance a été transcrit sur les registres d'état civil français le 16 octobre 2012. Or, l'article 47 du code civil, précité, régit les actes faits à l'étranger.
En effet, l’article 1048 du code de procédure civile réserve l’examen de la régularité de l’acte nantais à la seule juridiction nantaise par l’expression : « est seule compétente la juridiction du lieu d’établissement du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères pour les actes détenus par ce service ». L’articulation des articles 47 du code civil, plus général en ce qu’il concerne l’ensemble des actes rédigés à l’étranger, et de l’article 1048 du code de procédure civile, plus particulier en ce qu’il se limite à l’hypothèse d’un acte transcrit, reconnaît ainsi à la fois la prescription de l’article 5 alinéa 2 du décret n°2008-521 du 2 juin 2008 qui impose aux autorités françaises de ne transcrire que les actes conformes aux dispositions de l’article 47 du code civil, unifie le contentieux quant à la valeur probante des actes nantais qui ne font qu’un avec les actes qu’ils transcrivent et enfin, assure la sécurité juridique des actes qui ont été transcrits dans les conditions particulièrement strictes précitées.
Ainsi, au cas particulier, la transcription de l'acte de naissance de Mme [V] [U] sur les registres du service central de l'état civil, dont il n'est ni allégué ni démontré qu'il aurait fait l'objet d'une annulation judiciaire, fait obstacle à la remise en cause de la force probante de l'acte de naissance algérien.
Partant, le moyen soulevé de ce chef par le ministère public doit être rejeté et l'acte de naissance de Mme [V] [U], transcrit sur les registres du service central d'état civil le 16 octobre 2012, doit être tenu pour probant.
Il est ainsi justifié pour Mme [V] [U] d'un état civil fiable et certain.
Elle produit également l'acte de mariage de M. [H] [U] et de Mme [S] [U], transcrit sur les registres du service central de l'état civil, indiquant que ces derniers se sont mariés le 14 décembre 1989 à [Localité 11] (Algérie), soit avant sa naissance (pièce n°11 de la demanderesse).
Il est ainsi justifié du lien de filiation entre Mme [V] [U] et Mme [S] [U].
L'acte de naissance de celle-ci, établi sur les registres du service central de l'état civil, indique qu'elle est née le 20 février 1961 à [Localité 10] (Algérie), de [K] [U] et de [Y] [E], son épouse (pièce n°5 de la demanderesse).
La demanderesse justifie ainsi de l'état civil de sa mère.
En ce qui concerne la preuve de sa nationalité française, Mme [V] [U] invoque les dispositions de l'article 30-2 du code civil et fait valoir qu'elle, ainsi que Mme [S] [U], ont joui de manière constante de la possession d'état de français.
Le ministère public n'a formulé aucune observation quant à l'application de ces dispositions.
L’article 30-2 du code civil dispose que lorsque la nationalité française ne peut avoir sa source que dans la filiation, elle est tenue pour établie, sauf la preuve contraire, si l'intéressée et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre ont joui d'une façon constante de la possession d'état de Français.
En l'espèce, c'est bien par filiation, maternelle, que Mme [V] [U] revendique la source de sa nationalité française.
Il appartient donc à la demanderesse de justifier d'éléments de possession d'état pour elle-même et pour sa mère.
La possession d’état de Français est le fait pour l’intéressé de s’être considéré comme tel et d’avoir été traité et regardé comme tel par les autorités publiques. Elle est établie par un ensemble d'éléments, dont l'appréciation est purement objective, et qui traduisent l'apparence du lien de nationalité unissant une personne à l'Etat français. En ce sens, pour être efficace, la possession d'état doit être constante, continue, non équivoque, et ne pas avoir été constituée ou maintenue par fraude ou mauvaise foi.
Comme précédemment relevé, l'acte de naissance de la demanderesse a été transcrit sur les registres du service central de l'état civil le 16 octobre 2012 (pièce n°3 de la demanderesse).
La demanderesse produit également une copie de sa carte nationale d'identité, délivrée le 3 mars 2022 et valable jusqu'au 2 mars 2032 et une copie de son acte de mariage, transcrit le 24 septembre 2018 sur les registres du service central de l'état civil (pièces n° 4 et 16 de la demanderesse).
Ainsi, Mme [V] [U] justifie avoir été considérée comme française par l’administration, et ce depuis le 16 octobre 2012. Il est ainsi établi qu'elle a joui de manière constante, continue et non équivoque de la possession d'état de français.
Mme [V] [U] produit en outre, pour justifier de la possession d'état de française de sa mère, Mme [S] [U] :
- l'acte de naissance de celle-ci, établi le 11 juillet 1969 sur les registres du service central de l'état civil (pièce n°5 de la demanderesse),
- le certificat de nationalité française délivrée à cette dernière le 8 avril 1981 par le juge d'instance de Guéret (pièce n°6 de la demanderesse),
- la carte nationale d'identité, délivrée à celle-ci le 29 avril 1981 (pièce n°19 de la demanderesse),
- la carte nationale d'identité, délivrée à celle-ci le 5 janvier 2012 et valable jusqu'au 4 janvier 2022 (pièce n°7 de la demanderesse),
- l'inscription de celle-ci au registre des Français établis hors de France, indiquant une première immatriculation le 10 novembre 2010 et attestant de son inscription jusqu'au 19 septembre 2026 (pièce n°8 de la demanderesse),
- l'acte de mariage de celle-ci, transcrit le 20 septembre 2012 sur les registres du service central de l'état civil (pièce n°11 de la demanderesse).
Mme [V] [U] justifie donc que Mme [S] [U] a été considérée, et est toujours considérée, comme française par les autorités publiques. Il est ainsi établi que Mme [S] [U] a joui, et continue de jouir, de la possession d'état de française depuis plus de cinquante ans, et ce de manière constante, continue et non équivoque.
Il appartient donc au ministère public, conformément à ces dispositions, d'en rapporter la preuve contraire.
Or, comme précédemment rappelé, le ministère public n'élève aucune contestation sur le fondement de l'article 30-2 du code civil.
Ainsi, la demanderesse et sa mère jouissant d'une façon constante de la possession d'état de Français, sans qu'il ne soit apportée la preuve contraire, la nationalité française de Mme [V] [U] est tenue pour établie conformément aux dispositions de l'article 30-2 du code civil.
Dès lors, il sera jugé que Mme [V] [U] est française par filiation maternelle sur le fondement de l'article 18 du code civil, précité.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens
L'instance ayant été nécessaire pour l'établissement des droits de Mme [V] [U], chaque partie conservera la charge de ses propres dépens lesquels seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle.
Sur l'article 700 2° du code de procédure civile
Mme [V] [U] conservant la charge de ses propres dépens, sa demande au titre des dispositions de l'article 37 de la la loi du 10 juillet 1991, au profit de Maître [B] [L], ne peut qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1040 du code de procédure civile ;
Juge que Mme [V] [U], née le 8 juillet 1996 à [Localité 4] (Algérie), est de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Rejette la demande formée par Mme [V] [U] au titre des dispositions de l'article 700 2° du code de procédure civile ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions sur l'aide juridictionnelle.
Fait et jugé à Paris le 15 Mai 2024
La GreffièrePour la Présidente empêchée
Christine KermorvantVictoria Bouzon