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15/05/2024 | FRANCE | N°20/06417

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/1/2 resp profess du drt, 15 mai 2024, 20/06417


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/1/2 resp profess du drt


N° RG 20/06417 -
N° Portalis 352J-W-B7E-CSMRM

N° MINUTE :


Assignation du :
17 Juin 2020
25 Juin 2020













JUGEMENT
rendu le 15 Mai 2024
DEMANDEURS

Madame [T] [F]
[Adresse 11]
[Localité 21]

Madame [H] [F]
[Adresse 1]
[Localité 19]

Monsieur [Y] [F]
[Adresse 26]
[Adresse 26]
[Localité 10]

Madame [K]

[F]
[Adresse 18]
[Localité 5]

Madame [A] [F]
[Adresse 4]
[Localité 23]
QUEBEC (CANADA)

Monsieur [U] [F]
[Adresse 22]
[Localité 10]

Madame [L] [F]
[Adresse 24]
[Localité 6]
Décision du 15 Mai 2024
1/1/2 resp profess...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt


N° RG 20/06417 -
N° Portalis 352J-W-B7E-CSMRM

N° MINUTE :

Assignation du :
17 Juin 2020
25 Juin 2020

JUGEMENT
rendu le 15 Mai 2024
DEMANDEURS

Madame [T] [F]
[Adresse 11]
[Localité 21]

Madame [H] [F]
[Adresse 1]
[Localité 19]

Monsieur [Y] [F]
[Adresse 26]
[Adresse 26]
[Localité 10]

Madame [K] [F]
[Adresse 18]
[Localité 5]

Madame [A] [F]
[Adresse 4]
[Localité 23]
QUEBEC (CANADA)

Monsieur [U] [F]
[Adresse 22]
[Localité 10]

Madame [L] [F]
[Adresse 24]
[Localité 6]
Décision du 15 Mai 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 20/06417 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSMRM

Madame [I] [F]
[Adresse 27]
[Adresse 27]
[Localité 15]

Madame [X] [F]
[Adresse 3]
[Localité 13]

Madame [P] [F]
[Adresse 9]
[Localité 20]

représentés par Maître Jean-Baptiste MESNIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G836

DÉFENDERESSES

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 2]
[Localité 16]

Maître [G] [S] [V]
[Adresse 12]
[Localité 17]

représentées par Maître Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0042

PARTIE INTERVENANTE

S.A MMA IARD
[Adresse 2]
[Localité 16]

représentée par Maître Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0042

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Samir NESRI, Greffier

DEBATS

A l’audience du 03 Avril 2024
tenue en audience publique

Décision du 15 Mai 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 20/06417 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSMRM

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [J] [F] avait acquis le 3 janvier 1991 des locaux commerciaux au sein d’un immeuble situé [Adresse 14] et [Adresse 8] à [Localité 25].

Ces locaux à destination de brasserie étaient loués par la société King George.

Par acte extrajudiciaire du 30 juillet 2003, Madame [F] a fait délivrer à cette société un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction pour le 3 février 2004.

Elle a été assistée dans les procédures judiciaires qui ont suivi par Maître [G] [S] [V], de la société civile professionnelle [S]-Sabban Leboucher & associés.

Par jugement du 24 juin 2008, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné l’expulsion de la société King George, a constaté la prescription de la demande d’indemnité d’éviction et fixé l’indemnité annuelle d’occupation à hauteur de 50 594€.

La cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement par arrêt du 16 juin 2010, en écartant la prescription de la demande d’indemnité d’éviction et en fixant cette indemnité à 1 957 499€.

Suite à cet arrêt, Madame [F] a notifié à la société King George son droit de repentir par acte d’huissier du 30 juin 2010, préparé par Maître [S] [V] et Maître Le Boucher. Cet acte contenait notamment la mention suivante : “la propriétaire se réserve le droit de critiquer la décision rendue en ce qu’elle a écarté l’exception de prescription qui avait été accueillie par les premiers juges, et de former un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt précité”.

La société King George a estimé qu’en raison de cette clause, le droit de repentir n’avait pas été valablement exercé et a inscrit une hypothèque judiciaire sur le bien de Madame [F].

Le 31 octobre 2012, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt en rectification portant le montant de l’indemnité d’éviction à 2 167 854€. Suite à cet arrêt, Madame [F] a de nouveau notifié son droit de repentir par acte du 14 novembre 2012.

Entre temps, Madame [F] avait saisi le tribunal de grande instance de Paris à jour fixe par acte du 24 mai 2012 afin de voir constater que son droit de repentir avait été valablement exercé, obtenir la radiation de l’hypothèque et voir fixer le montant du loyer du bail renouvelé.

Par jugement du 25 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris a estimé que le droit de repentir avait été valablement exercé.

Ce jugement a toutefois été infirmé par la cour d’appel le 10 septembre 2014. La cour d’appel a estimé que la mention reproduite ci-dessus ôtait à l’acte son caractère irrévocable et ne pouvait donc caractériser l’exercice par Madame [F] de son droit de repentir. La cour d’appel a donc jugé que cette dernière était redevable de l’indemnité d’occupation à hauteur de 2 167 854€.

Dans un arrêt du 30 septembre 2015, rendu par cour d’appel saisie sur omission de statuer, la cour d’appel a jugé que l’arrêt rectificatif du 31 octobre 2012 n’avait pas ouvert de nouveaux droits aux parties et que Madame [F] n’avait donc pas pu exercer valablement son droit de repentir par un nouvel acte.

Madame [F] est décédée le [Date décès 7] 2014, laissant pour lui succéder Madame [T] [F], Monsieur [Y] [F], Madame [K] [F], Madame [A] [F], Monsieur [U] [F], Madame [L] [F], Madame [I] [F], Madame [X] [F], Madame [P] [F] et Madame [H] [F] (“les consorts [F]”). Les consorts [F] ont accepté la succession à concurrence de l’actif net.

Les consorts [F] ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 10 septembre 2014 et l’arrêt du 30 septembre 2015. Les pourvois ont été rejetés respectivement les 22 septembre 2016 et 15 décembre 2016.

Entre temps, le local litigieux et un bureau situé au premier étage ont fait l’objet de ventes par adjudication en dates des 13 novembre 2014 et 23 mars 2017.

Par acte des 17 et 25 juin 2020, les consorts [F] ont fait assigner Maître [S] [V] et son assureur, la société MMA IARD Assurances Mutuelles devant ce tribunal.

La société MMA Iard est intervenue volontairement à l’instance par conclusions du 23 octobre 2020.

Le 18 novembre 2021, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer de la procédure par ordonnance du 14 avril 2022, en l’attente de l’arrêt d’appel concernant la prescription. La cour d’appel a confirmé l’ordonnance du 18 novembre 2021 le 30 novembre 2022.

Par dernières conclusions du 9 mai 2023, les consorts [F] demandent au tribunal de condamner in solidum Maître [S] [V] et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à leur payer :
- 1 152 417,68€ au titre du remboursement de l’indemnité d’éviction,
- 985 800€ au titre de la perte de valeur des biens immobiliers saisis,
- 401 719,38€ au titre de la perte de loyers jusqu’au 14 janvier 2016,
- 192 041,52€ au titre de la perte de loyers du 15 janvier 2016 au jour des présentes,
- 59 547,26€ au titre des frais et honoraires engendrés par les saisies,
- 100 000€ au titre du préjudice moral,
- 15 000€ au titre des frais irrépétibles.
Ils sollicitent également la condamnation in solidum de Maître [S] [V] et de la société MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Baptiste Mesnier, et demandent au tribunal d’ordonner l’exécution provisoire du jugement.

Les consorts [F] reprochent à Maître [S] [V] d’avoir rédigé des actes de repentir équivoques et dépourvus d’efficacité, puisque annulés par la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation.
Ils lui reprochent également de n’avoir tenté aucun rapprochement amiable avec la société locataire, qui aurait pu permettre d’aboutir à une solution moins dommageable.

Ils exposent que l’inefficacité de l’acte de repentir leur a causé un préjudice considérable, en lien avec la faute, puisque aucune indemnité d’éviction n’aurait été due, le bail n’aurait pas été résilié et des loyers auraient été perçus si l’acte avait été efficace.

Au titre du préjudice, ils soutiennent que le paiement de l’indemnité d’éviction aurait pu être intégralement évité et exposent que ce paiement résulte de la distribution du prix du jugement d’adjudication. Ils précisent que Madame [F] n’avait pas accepté judiciairement de payer cette somme. Ils soulignent que le patrimoine de leur mère a été réduit par cette somme, entraînant un préjudice malgré l’acception de la succession sous bénéfice d’inventaire.

Ils ajoutent, concernant la dépréciation des biens immobiliers saisis, que leur prix de vente aurait été supérieur en l’absence de contentieux avec le locataire au moment de la vente forcée ou dans le cadre d’une vente à l’amiable. Ils précisent que les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté entre 2012 et 2014 et que l’expertise effectuée en 2012 ne peut servir de référence. Ils relèvent qu’ils auraient conservé le bien s’ils n’avaient pas été tenus de payer l’indemnité d’éviction. Ils font valoir qu’il n’est pas démontré que sans la faute de la défenderesse, les autres créanciers n’auraient pas été payés.

Les consorts [F] exposent par ailleurs avoir subi une perte de loyers et avoir dû s’acquitter de frais et honoraires suites aux saisies opérées par la société King George.

Ils font enfin état d’un préjudice moral, résultant de la disparition de deux biens immobiliers, dont le siège de la société familiale et des multiples saisies et inscriptions d’hypothèque, qui ont nui à leur image auprès des établissements bancaires.

Par dernières conclusions du 16 juin 2023, Maître [S] [V], la société MMA Iard Assurances Mutuelles et la société MMA Iard (“les MMA”) demandent au tribunal de débouter les consorts [F] de leurs demandes, de les condamner solidairement aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jérôme Depondt ainsi qu’au paiement de 10 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elles demandent également au tribunal d’écarter l’exécution provisoire du jugement.

Maître [S] [V] et les MMA contestent toute faute de cette première.
Concernant le manquement allégué à son obligation de conseil, à défaut d’avoir conseillé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 10 septembre 2014, elles relèvent qu’un pourvoi a bien été formé.
Concernant la faute alléguée en lien avec l’exercice du repentir, les défenderesses soutiennent que le repentir était rédigé de manière claire et non équivoque, comme l’a jugé le tribunal de grande instance. Elles font valoir que la cour d’appel a fait une mauvaise appréciation des faits de l’espèce, en les dénaturant comme l’avait souligné l’avocat aux conseils consulté dans cette affaire. Elles soulignent que ce tribunal n’est pas lié par l’appréciation de la cour d’appel et lui demandent de retenir que Maître [S] [V] n’a manqué à son obligation de rédiger un acte et efficace.

Au titre du préjudice, les défenderesses soulignent qu’il peut être économiquement préférable pour un bailleur de donner congé, contre indemnité d’éviction, plutôt que d’offrir le renouvellement du bail. Elles ajoutent qu’un preneur peut toujours s’opposer au repentir, qui ne vaut que tant que le locataire n’a pas quitté les lieux ou n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble en vue de sa réinstallation, en application de l’article L145-58 du code de commerce. Madame [F] avait ainsi accepté le risque d’avoir à régler l’indemnité d’éviction. Par ailleurs, en cas de renouvellement du bail, le loyer aurait été plafonné. Les locaux ont été vendus à prix supérieur, puisque juridiquement vides - la différence de prix venant en déduction du préjudice. Enfin, Madame [F] a perçu des indemnités d’occupation de la part de la société King Georges, supérieures au loyer qu’elle aurait reçu en cas de repentir.

Les défenderesses ajoutent que les consorts [F] ne rapportent pas la preuve d’avoir effectivement réglé l’indemnité d’éviction. En tout état de cause, elles soulignent que la somme qu’ils prétendent avoir versée (1 152 417,68€) est inférieure à celle acceptée par leur mère et prononcée par la cour d’appel. Ils n’existent donc selon elle aucun préjudice.

Elles précisent que la vente du bien par adjudication est sans lien avec la faute alléguée, puisque que Madame [F] était très endettée et que ses biens faisaient l’objet de nombreuses inscriptions. La saisie immobilière a été initiée par un autre créancier et la première adjudication a eu lieu avant l’arrêt d’appel. La faute alléguée est donc sans lien avec la saisie immobilière. Elles estiment que l’absence de paiement de loyers depuis 2004 n’est pas en lien de causalité avec les fautes alléguées et que leur paiement n’aurait pas permis d’éviter cette saisie. Elles précisent qu’il n’est pas établi que les biens ont été vendus en-dessous de leur valeur et qu’il est peu probable que les consorts [F] auraient pu les conserver après la succession.

Au titre des frais et honoraires engendrés par les saisies, elles rappellent que ces saisies ont été réalisées par le Crédit Agricole Mutuel de [Localité 25] et non par la société King George et sont donc sans lien avec la faute alléguée.

Concernant enfin le préjudice moral, les défenderesses soutiennent que ce préjudice n’est qu’indirect pour les héritiers et que les difficultés financières étaient préexistantes à la faute alléguée. Ce préjudice est donc sans lien de causalité avec la faute.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

A l’audience du 3 avril 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 15 mai 2024, date de ce jugement.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur les fautes

L’avocat est tenu d’un devoir de compétence et d’une obligation de diligence dans ses fonctions. Ces obligations lui imposent de veiller à la validité et à l’efficacité des actes qu’il rédige. A défaut, il commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.

En l’espèce, les deux actes de repentir rédigés par Maître [S] [V] ont été reconnus comme inefficaces par la cour d’appel de Paris, dont les arrêts ont été confirmés par la Cour de cassation sur ce point.

Maître [S] [V] ne soutient pas que la décision de la Cour de cassation constituait un revirement de jurisprudence ou était imprévisible. Elle ne peut dès lors utilement soutenir que l’absence d’efficacité des actes résulte d’une erreur commise par la cour d’appel, qui aurait dénaturé les actes litigieux, alors que la Cour de cassation a expressément rejeté le moyen tenant à une éventuelle dénaturation dans son arrêt du 22 septembre 2016.

Maître [S] [V] a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

La seconde faute alléguée, relative à l’insuffisance des démarches amiables entreprises par la défenderesse, contribue au même dommage allégué et ne sera pas examinée.

2. Sur le préjudice et le lien de causalité

En application de l’article 1353 du code civil, il appartient au client recherchant la responsabilité de son avocat de rapporter la preuve du préjudice résultant de la faute retenue.

Les différents chefs de préjudice invoqués seront examinés successivement, avant d’examiner l’existence du préjudice d’un point de vue global.

Sur l’indemnité d’éviction

Il est constant que l’indemnité d’éviction n’aurait pas été due en l’absence de la faute de la défenderesse.

Si Maître [S] [V] et les MMA rappelle qu’en application de l’article L145-58 du code de commerce, le droit de repentir ne peut s’exercer qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation, elles n’allèguent pas que la société King George se trouvait dans cette dernière situation.

Le fait que Madame [F] avait proposé devant la cour d’appel de Paris un chiffrage, à titre subsidiaire, pour l’indemnité d’éviction, est sans incidence sur l’existence éventuelle du préjudice, puisqu’elle soutenait à titre principal que la demande d’indemnité d’éviction était prescrite et que l’arrêt d’appel est antérieur à l’exercice litigieux du droit de repentir. Il n’est donc pas établi que Madame [F] avait accepté de verser une indemnité d’éviction à hauteur de 1 380 737€.

Les consorts [F] produisent par ailleurs un jugement rendu le 17 mars 2016 par le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris, aux termes duquel est ordonnée la collocation du prix de vente de l’immeuble loué, suite à son adjudication. Ce jugement confirme l’assertion des consorts [F], qui indiquent que la société King George a pu bénéficier d’un paiement partiel, compte de tenu de l’ordre de ses créances, à hauteur de 503 825€.

Par ailleurs, les consorts [F] produisent un projet de distribution du prix de vente forcée d’autres lots de copropriété appartenant aux demandeurs, laissant apparaître une distribution à hauteur de 648 592,68€. En l’absence de discussion de ce document émanant du conseil de la société King George et non des demandeurs, ce montant sera retenu.

Enfin, il importe peu que les consorts [F] aient accepté la succession à concurrence de l’actif net. La sortie des sommes évoquées ci-dessus du patrimoine de leur mère emportant mécaniquement une baisse de l’actif dont ils ont bénéficié.

Les consorts [F] justifient ainsi de paiement à hauteur de 1 152 417,68€ en exécution des décisions de la cour d’appel de Paris.

Sur la dépréciation des biens immobiliers saisis

Le local litigieux a été adjugé en novembre 2014 pour un prix de 1 620 000€.

Les consorts [F] soutiennent que la vente forcée résulte de la faute de Maître [S] [V]. Il ressort toutefois du jugement ordonnant la distribution du prix de vente que la saisie immobilière a été initiée par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 25] et d’Île de France. Ce jugement laisse apparaître des créanciers, hors société King George, à hauteur de 988 270,40€, comme le soulignent les défenderesses ; seul un versement à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de [Localité 25] et d’Île de France est mentionné par ce jugement.

Aucune pièce produite n’établit par ailleurs que ces autres créanciers auraient pu être réglés, comme l’évoquent les demandeurs.

Il n’est donc pas suffisamment établi que la faute de Maître [S] [V], à l’origine de l’obligation pour Madame [F] de s’acquitter d’une indemnité d’éviction, est en lien de causalité avec l’adjudication des locaux, qui serait manifestement intervenue sans cette faute.

Ce chef de préjudice ne sera pas retenu.

Sur la perte de loyers

Les consorts [F] sollicitent la condamnation des défenderesses au paiement de la somme de 401 719,38€, correspondant aux arriérés de loyers diminués de la différence entre le montant des loyers et de l’indemnité d’occupation.

L’absence de perception d’arriérés de loyers est toutefois sans lien de causalité avec l’exercice inefficace du droit de repentir.

Par ailleurs, pour les raisons indiquées ci-dessus concernant l’origine de l’adjudication, il n’est pas établi que les demandeurs auraient été en mesure de rester propriétaire de l’immeuble litigieux.

Ce chef de préjudice ne sera pas retenu.

Sur les frais et honoraires engendrés par les saisies de la société King George

Les consorts [F] produisent des factures d’avocats. Ces factures ne laissent cependant pas apparaître de lien avec des saisies que la société King George aurait effectuées, à défaut de précisions ou parce qu’elles se rapportent à d’autres procédures, alors que le contentieux entre Madame [F], ses héritiers et la société King George se poursuivait sur la même période devant le tribunal de grande instance ou la cour d’appel de Paris.

Ce chef de préjudice sera écarté.

Sur les bénéfices allégués tirés de la faute

Les défenderesses soutiennent que la résiliation du bail, résultant de l’ineffectivité du droit de repentir, a conduit à une augmentation de la valeur vénale de l’immeuble du fait de l’éviction et de la perspective que les locaux soient laissés vides.

Elles exposent en effet que les locaux ont été vendus 1 620 000€ en 2014, alors qu’une expertise produite les estimait à 1 180 000€ en 2012.
Il convient toutefois de relever que les locaux étaient encore occupés lors de l’adjudication, même sans bail commercial en cours. Par ailleurs, aucune pièce ne permet de mettre l’évolution du prix avec une éventuelle évolution des prix du marché de l’immobilier sur la période.

Les défenderesses ne rapportent donc pas la preuve d’un effet de la résiliation du bail sur la valeur du bien en l’espèce.

Elles ajoutent que l’absence de droit de repentir valide a conduit la demanderesse à être créditrice d’une indemnité d’occupation annuelle (50 594€) d’un montant supérieur au loyer plafonné (26 262,30€).

Il ressort toutefois des pièces produites, et plus spécifiquement du jugement du 17 mars 2016 du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris, que la société King George était débitrice au 14 janvier 2016 de la somme de 509 309,38€, au titre de “loyers”, auprès des consorts [F]. Il n’est donc pas établi que le solde positif résultant du montant de l’indemnité d’occupation aurait été recouvré. Par ailleurs, ce solde, estimé en défense à 107 590€, aurait été probablement compensé avec la partie de l’indemnité d’éviction non payée au terme des distributions des prix. Les défenderesses ne rapportent donc pas la preuve que ces sommes auraient été effectivement perçues et auraient minoré le préjudice.

Ainsi, le préjudice matériel s’élève à 1 152 417,68€.

Sur le préjudice moral

Les demandeurs exposent subir un préjudice moral résultant de la saisie de leurs biens immobiliers et la perte de leur patrimoine. Ces saisies et cette perte n’entretiennent pas toutefois de lien de causalité établi avec la faute retenue.

Dès lors, les demandeurs ne rapportent pas la preuve d’un préjudice moral en lien de causalité avec la faute.

3. Sur les autres demandes

Maître [S] [V] et la société MMA IARD Assurances Mutelles, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Maître Jean-Baptiste Mesnier.

Elles seront par ailleurs condamnées in solidum à payer aux consorts [F] la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucune circonstance particulière ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de ce jugement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et par jugement susceptible d’appel,

Condamne in solidum Maître [G] [S] [V] et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer la somme totale de 1 152 417,68€ à Madame [T] [F], Monsieur [Y] [F], Madame [K] [F], Madame [A] [F], Monsieur [U] [F], Madame [L] [F], Madame [I] [F], Madame [X] [F], Madame [P] [F] et Madame [H] [F] en réparation de leur préjudice matériel,

Condamne in solidum Maître [G] [S] [V] et la société MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jean-Baptiste Mesnier,

Condamne in solidum Maître [G] [S] [V] et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer la somme totale de 3 000€ à Madame [T] [F], Monsieur [Y] [F], Madame [K] [F], Madame [A] [F], Monsieur [U] [F], Madame [L] [F], Madame [I] [F], Madame [X] [F], Madame [P] [F] et Madame [H] [F] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes,

Rappelle que l’exécution provisoire de ce jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 15 Mai 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/1/2 resp profess du drt
Numéro d'arrêt : 20/06417
Date de la décision : 15/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-15;20.06417 ?
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