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07/05/2024 | FRANCE | N°21/12089

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 07 mai 2024, 21/12089


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 21/12089
N° Portalis 352J-W-B7F-CU7II

N° MINUTE :




Assignation du :
10 Août 2021









JUGEMENT
rendu le 07 Mai 2024








DEMANDERESSE

Madame [K] [D]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Elodie CAZENAVE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0499


DÉFENDERESSES

S.A. CNP ASSURANCE<

br>[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #115

Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique PREFON
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me V...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 21/12089
N° Portalis 352J-W-B7F-CU7II

N° MINUTE :

Assignation du :
10 Août 2021

JUGEMENT
rendu le 07 Mai 2024

DEMANDERESSE

Madame [K] [D]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Elodie CAZENAVE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0499

DÉFENDERESSES

S.A. CNP ASSURANCE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #115

Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique PREFON
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie SANDRIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #115

Décision du 07 Mai 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/12089 - N° Portalis 352J-W-B7F-CU7II

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 28 Février 2024 tenue en audience publique devant Madame MASMONTEIL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le 20 janvier 2016, Mme [K] [D] a adhéré à un contrat d’assurance de groupe PREFON-Retraite, qu’elle a abondé par deux versements pour un total de 18.000 euros.

Le régime PREFON retraite est un contrat d’assurance de groupe souscrit par la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique, association ci-après désignée « la PREFON » (le souscripteur) auprès de CNP ASSURANCES (l’assureur) qui assume en outre la gestion administrative.

Le 9 octobre 2019, Mme [D] a contracté un emprunt immobilier auprès de la banque LCL d’un montant de 328.703,28 euros afin de financer l’acquisition de sa résidence principale.

Le 26 novembre 2019, le contrat de vente du bien immobilier, acheté en état futur d’achèvement, a été signé devant notaire.

Par courriel du 25 novembre 2019, puis par courrier recommandé avec accusé de réception du 1er décembre 2019, Mme [D] a indiqué à la PREFON sa volonté de racheter son capital pour financer l’acquisition de sa résidence principale, conformément à la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », ayant harmonisé les anciens produits existant en les remplaçant par le Plan d’Epargne Retraite (PER).

En l’absence de toute réponse, elle a adressé des courriels de relance le 30 décembre 2019 et le 15 janvier 2020, soulignant l’urgence de sa demande.

Le centre de gestion PREFON a accusé réception de sa demande par un courriel du 15 janvier 2020, en présentant ses excuses pour sa réponse tardive et pour le délai supplémentaire nécessaire pour répondre à sa demande, compte tenu de l’affluence de demandes du même type.

Par deux courriers en date du 7 et du 19 février 2020, le centre de gestion PREFON et CNP ASSURANCES ont informé Mme [D] de la valeur de rachat de son contrat et des conditions du rachat anticipé de celui-ci pour l’achat de sa résidence principale, sollicitant la transmission des documents suivants :
« - Une attestation sur l’honneur, sur papier libre, datée et signée, indiquant que le versement du PER sous la forme d’un capital est destiné à financer l’acquisition de [sa] résidence principale.
- En outre, en cas de prêt, le plan de financement émanant de l’établissement de crédit mentionnant le montant de votre apport personnel. En effet, dès lors que le déblocage du PER sous la forme d’un capital est destiné à l’acquisition de la résidence principale, le montant ainsi débloqué ne peut être supérieur au montant à financer hors emprunt.
- (…)
- Pour l’acquisition d’un bien en état futur d’achèvement, le contrat de vente.
- Le cas échéant, une demande d’affectation de [ses] droits détenus au sein du compartiment C0 ‘’Dispositif non éligible au PER’’ au compartiment C1 ‘’versements individuels déductibles’’ ».

Par courriels du 6 mars 2020, CNP ASSURANCES a accusé réception des éléments justificatifs adressés par Mme [D], et lui a indiqué que le montant de l’apport PREFON devait apparaître dans le dossier de financement.

Mme [D] a transmis à CNP ASSURANCES la réponse de son conseiller bancaire aux termes de laquelle il lui indiquait que les offres de prêts ne comprenaient pas « le détail de l’origine de l’apport ».

A défaut de trouver une solution amiable, et sans retour de CNP ASSURANCES, Mme [D], par l’intermédiaire de son assureur de protection juridique, a mis en demeure la PREFON de lui répondre, avant d’entamer des poursuites.

Le conseil de Mme [D] a adressé une ultime mise en demeure le 15 mai 2020 par lettre recommandée avec accusé de réception, aux fins d’obtenir le déblocage des fonds.

Mme [D] a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 5 février 2021, a constaté l’existence d’une contestation sérieuse et a dit n’y avoir lieu à référé.

Par actes d’huissier délivrés le 10 août 2021, Mme [D] a assigné CNP ASSURANCES et la PREFON devant le tribunal judiciaire de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 9 mars 2022, elle demande au tribunal de :
« Vu l’article 71 de la loi n°2019-486 dite loi « PACTE » créant le Plan Epargne Retraite (PER), telle que complétée par l’Ordonnance du 24 juillet 2019 ;
Vu l’article L.224-4 du Code monétaire et financier ;
Vu l’article 1231-1 du Code civil ;
Vu les articles 699 et suivants du Code de Procédure Civile
Vu les dispositions 6.1.1 de l’Avenant à la notice d’information du régime de Retraite Complémentaire de la PREFON – Mise en application au 1er décembre 2019 ;
Vu les autres pièces versées aux débats ;
(…)
DIRE ET JUGER Madame [K] [D] bien fondées en ses demandes et y faire droit.
En conséquence,
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à débloquer par anticipation les droits à la retraite de Madame [K] [D], soit la somme 18.664,22 € bruts ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à verser à Madame [K] [D] la somme de 1.311,94 € au titre du remboursement de son prêt, arrêté à l’échéance d’août 2021, et pour mémoire jusqu’à la date de la décision à intervenir ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à verser à Madame [K] [D] la somme de 1.680,00 € au titre des RTT avancés ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à verser à Madame [K] [D] la somme de 3.938,00 € au titre de la perte de son épargne ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à verser à Madame [K] [D] la somme de 2.500,00 € au titre du préjudice moral qu’elle a subi ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP, ès qualité d’assureur de la PREFON, d’avoir à verser à Madame [K] [D] la somme de 11.132,80 € au titre du préjudice économique qu’elle a subi ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP à payer à Madame [K] [D] une somme de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER solidairement la PREFON et la CNP aux entiers dépens de l’instance, lesquels comprendront le coût de l’ensemble des dépens de la présente instance et les frais d’exécution forcée éventuels ; ».

Elle expose que conformément aux dispositions de l’article L.224-4 du code monétaire et financier, reprises par l’avenant à la notice d’information du régime de retraite complémentaire de la PREFON, les épargnants peuvent bénéficier d’un rachat exceptionnel de leurs droits, notamment s’ils affectent la somme épargnée à l’acquisition de leur résidence principale. Elle relève que ces textes ne prévoient pas d’autres critères d’application que celui de l’affectation précitée et que la PREFON ne pouvait pas exiger que le montant de l’apport PREFON apparaisse clairement dans le plan de financement, montant qui, selon son conseiller bancaire, n’est jamais détaillé dans l’offre de prêt.

Ayant transmis l’intégralité des documents nécessaires au déblocage des fonds et ayant justifié de leur destination, elle estime que la PREFON, et son assureur, lui sont redevables de la somme de 18.664,22 euros. Répondant aux arguments des parties défenderesses, elle précise que c’est en toute bonne foi qu’elle a intégré dans son plan de financement le montant des droits dus dans le cadre de son contrat PREFON, la loi PACTE et l’ordonnance du 24 juillet 2019 étant bien antérieures aux dates de signature de l’offre de prêt et de l’acte notarié de vente.

Enfin, elle souligne que l’inexécution contractuelle de PREFON l’a conduite dans une situation financière tendue et sollicite l’indemnisation de ses différents préjudices économique et moral, tenant notamment à la nécessité de solliciter un prêt, à la perte de ses congés, à l’incapacité de pouvoir épargner, à l’investissement pour faire valoir ses droits, à l’impossibilité de faire face aux imprévus.

Par leurs conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2022, CNP ASSURANCES et PREFON demandent au tribunal de :
« Vu l'article 9 du Code de procédure civile
Vu l’article L.224-4 du Code monétaire et financier
(…)
Débouter Madame [D] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de CNP ASSURANCES et PRÉFON.
En tout état de cause :
Débouter Madame [D] de ses demandes de condamnations solidaires de CNP ASSURANCES et PRÉFON à lui verser :
1.311,94 euros à titre de remboursement d’un prêt personnel, arrêté à l’échéance d’août 2021, et pour mémoire jusqu’à la date de la décision à intervenir ; la somme de 1.680,00 euros au titre des RTT avancés ; la somme de 3.938,00 euros au titre de la perte de son épargne ; la somme de 2.500,00 euros au titre du préjudice moral ; la somme de 11.132,80 euros au titre du préjudice économique. La débouter de sa demande de condamnation solidaire de CNP ASSURANCES et PRÉFON à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que de sa demande de condamnation aux dépens.
Écarter en totalité l’exécution provisoire.
Condamner Madame [D] à payer à CNP ASSURANCES et à PRÉFON la somme de 1.000 euros chacune en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner Madame [D] aux entiers dépens de l’instance ».

Les défenderesses soulignent que Mme [D] a signé l’offre de prêt émise par sa banque le 9 octobre 2019 et l’acte authentique de vente du bien immobilier le 26 novembre 2019, soit antérieurement à la faculté offerte pour les adhérents du contrat PREFON-retraite, conformément à l’article 3.5.3 de l’avenant à la notice d’information, de transférer leurs droits acquis antérieurement sur le compartiment ‘’versement individuels déductibles’’ afin de procéder à la liquidation des droits. Ils mentionnent que Mme [D] a émis cette demande de bascule le 26 février 2020.

Elles font valoir qu’il appartient au gestionnaire, à savoir CNP ASSURANCES, de vérifier que les sommes débloquées sont effectivement employées à la réalisation de l’opération d’acquisition envisagée, et qu’à défaut pour Mme [D] d’apporter la preuve de l’affectation des sommes à cette opération, CNP ASSURANCES s’est légitimement opposée au déblocage. Elles expliquent s’être reportées, par assimilation, aux dispositions de la circulaire interministérielle du 14 septembre 2005 sur l’épargne salariale, remplacée par le « Guide de l’épargne salariale » publié en juillet 2014, faute de texte spécifique applicable au Plan d’Epargne Retraite, guide qui précise qu’à l’appui d’une demande de déblocage anticipé des droits attribués aux salariés au titre de la participation, d’un Plan d’Epargne Entreprise (PEE) ou d’un Plan d’Epargne Interentreprise (PEI), pour l’acquisition d’une résidence principale, le plan de financement doit faire apparaître le montant des avoirs au titre de la participation ou du plan d’épargne.

Elles rappellent que les courriers envoyés à l’adhérente mentionnaient cette exigence et n’excluaient pas la possibilité pour le gestionnaire de solliciter une ou des pièces complémentaires. Elles soutiennent à cet égard que l’article R.224-2 du code monétaire et financier permet au gestionnaire de déterminer la liste des justificatifs nécessaires au déblocage, rendant inopérant l’argument de la requérante selon lequel l’exigence de la mention des avoirs dans le plan de financement n’est pas prévue par la notice d’information.

Elles relèvent qu’aucun élément extrinsèque au plan de financement de Mme [D] ne permet de démontrer la destination des fonds sollicités et que compte tenu de la date de l’offre de prêt, antérieure à l’information de l’adhérente de l’avenant à la notice d’information, les droits litigieux ne pouvaient entrer dans la constitution de son apport personnel.

Elles considèrent que le prix du bien immobilier ayant été versé par Mme [D] antérieurement à l’ordonnance de référé du 5 février 2021, les fonds s’ils venaient à être débloqués ne pourraient en toute hypothèse pas être affectés à l’acquisition en cause, celle-ci ayant d’ores et déjà été réalisée. Elles en déduisent que le déblocage ne peut être ordonné judiciairement.

Enfin, elles contestent les sommes sollicitées à titre de dommages et intérêts. S’agissant de la demande de remboursement de prêt, elles font valoir que ce prêt a vocation à financer une cuisine, et non l’acquisition du bien immobilier, et que la preuve de ce prêt, dont le coût financier n’est que de 122,50 euros, n’est pas démontrée. Elles soutiennent que ni le rachat des RTT de Mme [D], ni l’impossibilité de constituer une épargne salariale ne sont corrélés au défaut de rachat de son épargne retraite. Elles constatent enfin que Mme [D], à défaut de pouvoir démontrer la faute de CNP ASSURANCES, ses préjudices et le lien causal entre les deux, ne peut qu’être déboutée de ses demandes indemnitaires au titre de ses préjudices moral et économique.

La clôture a été prononcée le 13 septembre 2022. L'affaire, initialement fixée à l'audience du 27 juin 2023, a été renvoyée à l'audience du 28 février 2024, en raison de l'indisponibilité du juge rapporteur.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de déblocage des fonds

En application de l’article L.224-1 du code monétaire et financier, créé par la loi 2019-486 du 22 mai 2019 et entré en vigueur le 1er octobre 2019 : « Les personnes physiques peuvent verser des sommes dans un plan d'épargne retraite. Le plan a pour objet l'acquisition et la jouissance de droits viagers personnels ou le versement d'un capital, payables au titulaire à compter, au plus tôt, de la date de liquidation de sa pension dans un régime obligatoire d'assurance vieillesse ou de l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale.
Le plan donne lieu à ouverture d'un compte-titres ou, pour les plans ouverts auprès d'une entreprise d'assurance, d'une mutuelle ou union, d'une institution de prévoyance ou union, à l'adhésion à un contrat d'assurance de groupe dont l'exécution est liée à la cessation d'activité professionnelle ou, pour les plans ouverts auprès d'un organisme de retraite professionnelle supplémentaire, à l'adhésion à un contrat ayant pour objet la couverture d'engagements de retraite supplémentaire mentionnés à l'article L. 381-1 du code des assurances.
Le plan prévoit la possibilité pour le titulaire d'acquérir une rente viagère à l'échéance prévue au premier alinéa du présent article, ainsi qu'une option de réversion de cette rente au profit d'un bénéficiaire en cas de décès du titulaire ».

La loi met en place un mécanisme de déblocage anticipé des fonds dans certains cas limitativement énumérés. Ainsi, l’article L.224-4 du code monétaire et financier prévoit que :
« I.-Les droits constitués dans le cadre du plan d'épargne retraite peuvent être, à la demande du titulaire, liquidés ou rachetés avant l'échéance mentionnée à l'article L. 224-1 dans les seuls cas suivants :
(…)
6° L'affectation des sommes épargnées à l'acquisition de la résidence principale. Les droits correspondants aux sommes mentionnées au 3° de l'article L. 224-2 du présent code ne peuvent être liquidés ou rachetés pour ce motif ».

L’article L224-5 du même code prévoit qu’à « l'échéance mentionnée à l'article L. 224-1 :
1° Les droits correspondant aux sommes mentionnées au 3° de l'article L. 224-2 sont délivrés sous la forme d'une rente viagère ;
2° Les droits correspondant aux autres versements sont délivrés, au choix du titulaire, sous la forme d'un capital, libéré en une fois ou de manière fractionnée, ou d'une rente viagère, sauf lorsque le titulaire a opté expressément et irrévocablement pour la liquidation de tout ou partie de ses droits en rente viagère à compter de l'ouverture du plan ».

En outre, l’article L. 224-40 du même code, créé par l’article 2 de l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019, dont l’entrée en vigueur a été fixée au 1er octobre 2019, conformément au décret n° 2019-807 du 30 juillet 2019 portant réforme de l'épargne retraite, indique :
« I.-Sont transférables dans un plan d'épargne retraite mentionné au présent chapitre, les droits individuels en cours de constitution sur :
(…)
3° Un contrat relevant du régime de retraite complémentaire institué par la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique mentionné à l'article L. 132-23 du code des assurances ».

Aux termes de l’article R.224-2 du code monétaire et financier, « Le gestionnaire du plan d'épargne retraite au sens de l'article L. 224-8 communique chaque année au titulaire :
(…)
9° Les modalités de disponibilité de l'épargne mentionnées aux articles L. 224-4 et L. 224-5 ».

Le nouveau dispositif PER ainsi créé a été intégré par PREFON qui a communiqué au 4ème trimestre 2019 à ses adhérents :
- une « notice d’information du régime de retraite complémentaire Préfon-Retraite » applicable au 1er décembre 2019 ;
- « avenant à la notice d’information du régime de Retraite Complémentaire de la PREFON – Mise en application au 1er décembre 2019 », applicable au 1er décembre 2019.

La notice, mise à jour des dispositions et créations législatives, prévoit en son article 7 « – FACULTE DE RACHAT EXCEPTIONNEL AU TITRE DU DISPOSITIF PER :
Conformément aux articles L. 132-23 alinéa 2 du Code des assurances et L. 224-4 du code monétaire et financier, tout ou partie des droits inscrits sur le compte de l’Affilié, calculés conformément au 8.2 de la présente notice d’information, peuvent lui être versés (ou « être liquidés ou rachetés ») avant la retraite dans les seuls cas suivants :
(…)
L’affectation des sommes épargnées à l’acquisition de la résidence principale. (…)Conformément aux règles de prescription mentionnées à l’article 9 de la présente notice d’information, le rachat doit être demandé dans les deux ans qui suivent la survenance de l’évènement qui ouvre cette possibilité ».

L’avenant précise :

A l’article 3.5.3 :
« A compter du 1er janvier 2020 et jusqu’au 31 décembre 2022, il est offert à tout affilié, présent avant le 1er décembre 2019, la possibilité, sur sa demande expresse et irrévocable, d’affecter tous ses points inscrits dans le compartiment ‘’Dispositif non éligible au PER’’ vers le compartiment ‘’versements individuels déductibles’’ ».

A l’article 6.1.1 :
« Conformément aux articles L132-23, alinéa 2 du Code des assurances et L.224-4, du Code monétaire et financier, tout ou partie des droits inscrits sur le compte de l’affilié, calculés conformément au 6.3.2 ci-dessous, peuvent lui être versés (ou ‘’être liquidés ou rachetés’’) avant la retraite dans les seuls cas suivants :
(…)
- L’affectation des sommes épargnées à l’acquisition de la résidence principale. Toutefois, les droits inscrits dans le compartiment ‘’entreprise’’ ne peuvent être liquidés ou rachetés pour ce motif ».

Il ressort des différents textes susvisés que le déblocage anticipé des fonds versés sur un plan d’épargne retraite est de droit lorsque les fonds libérés ont vocation à financer l’achat d’une résidence principale.

Conformément à l’article 7 de la notice d’information, à jour des nouvelles dispositions législatives, applicable à compter du 1er décembre 2019, Mme [D] avait la possibilité de demander le rachat anticipé de ses droits « dans les deux ans » suivant l’acquisition de sa résidence principale, c’est-à-dire en l’espèce jusqu’au 26 novembre 2021, l’acte de vente portant sur sa résidence principale ayant été signé le 26 novembre 2019.

C’est donc à tort que les défendeurs invoquent l’antériorité de l’offre de prêt et de l’acte authentique de vente signés par Mme [D] à la bascule de ses droits acquis vers le compartiment « versements individuels déductibles » opérée le 26 février 2020, bascule nécessaire avant libération des fonds. Outre que les défendeurs n’en tirent aucune conséquence, il y a lieu de constater que Mme [D] a sollicité cette bascule dans les temps et conformément à l’article 3.5.3 de l’avenant à la notice d’information, c’est-à-dire après le 1er janvier 2020, et qu’elle avait, à cette date, encore la possibilité de demander le rachat de ses droits, demande qu’elle a réitérée notamment par courrier du 26 février 2020, dont CNP ASSURANCES ne conteste pas la réception.

Par ailleurs, aucune disposition légale ou, en l’espèce, conventionnelle, ne prévoit que la libération des fonds demandée soit précédée de la mention expresse, dans le plan de financement du bien acheté, du montant des fonds déposés sur le PER. Le fait que le « Guide de l’épargne salariale » publié en juillet 2014 et remplaçant la circulaire interministérielle du 14 septembre 2005 le prévoit est indifférent dans la mesure où ce texte n’a aucune valeur normative et concerne les cas de déblocages anticipés d’une participation, d’un plan d’épargne d’entreprise ou d’un plan d’épargne interentreprise.

L’article R. 224-2 9° du code monétaire et financier invoqué par les défendeurs a pour objectif d’astreindre le gestionnaire du plan d’épargne retraite à informer annuellement ses adhérents sur les cas de déblocages anticipés prévus par la loi et les modes de versement des fonds sous la forme d’une rente viagère ou d’un capital. Il ne peut se déduire de ces dispositions que le gestionnaire serait libre d’unilatéralement fixer les justificatifs nécessaires au déblocage anticipé des fonds. Les documents contractuels mis aux débats ne font alors état d’aucun accord entre les parties sur une liste de justificatifs devant être impérativement transmis à l’assureur en cas de déblocage des fonds en raison du financement de son acquisition. S’agissant d’un fait juridique, il s’en déduit que Mme [D] pouvait rapporter cette preuve par tous moyens.

C’est donc à tort que CNP ASSURANCES a refusé le déblocage des fonds au seul motif de l’absence de mention des fonds versés sur le PER dans le plan de financement, sans rechercher si Mme [D] justifiait de la destination des fonds par d’autres moyens. A ce titre, l’envoi d’une déclaration sur l’honneur attestant que « le versement du PER sous la forme d’un capital est bien destiné à financer l’acquisition de [sa] résidence principale » adressé par la requérante au gestionnaire par courrier du 26 février 2020, doit être pris en compte. CNP ASSURANCES, qui a sollicité ce document, n’en conteste pas sa réception.

Outre ce document, Mme [D] a adressé les pièces justifiant de l’achat de sa future résidence principale, à savoir l’offre de prêt acceptée le 9 octobre 2019 et ayant pour objet le financement d’un bien « à usage de : résidence principale », ainsi que l’acte authentique de vente du bien du 26 novembre 2019, CNP ASSURANCES ne pouvant que relever la coïncidence temporelle de la demande de déblocage anticipé de ses droits et de son projet immobilier.

Les défendeurs ne peuvent être suivis lorsqu’ils affirment qu’à ces deux dates - le 9 octobre et le 26 novembre 2019 - Mme [D] n’avait pas connaissance de l’avenant de la notice d’information de sorte que les droits qu’elle avait acquis aux termes de son contrat PREFON retraite ne pouvaient entrer dans la constitution de l’apport, alors même que nul n’est censé ignorer la loi et qu’à la date de signature des deux contrats susvisés, la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 et l’ordonnance n°2019-766 du 24 juillet 2019 venue la compléter et créant la possibilité d’un transfert d’un ancien produit, notamment un contrat relevant du régime de retraite complémentaire PREFON, tel que celui détenu par Mme [D], vers un PER, conformément à L. 224-40 du code monétaire et financier, étaient déjà entrées en vigueur depuis le 1er octobre 2019. Le tribunal en déduit que la requérante pouvait légitimement anticiper à cette date qu’elle allait bénéficier de ces nouvelles dispositions et les intégrer dans l’apport personnel spécifié à son offre de prêt, sans qu’il puisse lui être reproché de ne pas avoir attendu de connaître les modalités précises de déblocage prévues à son contrat.

Enfin, la lecture des pièces fait ressortir que Mme [D] a interrogé son conseiller bancaire qui lui a confirmé que les offres de prêt émises par la banque ne précisent pas « l’origine de l’apport en détail », plaçant Mme [D] dans l’impossibilité d’apporter la preuve d’une telle mention.

De ces éléments, qui démontrent de manière suffisante l’intention de la requérante d’affecter les fonds au financement de sa résidence principale, le tribunal en déduit qu’elle a justifié auprès de son assureur et conformément à la loi sa demande de déblocage anticipé de son PER, peu important les modalités de financement employées in fine par Mme [D] pour finaliser son achat, en raison du refus opposé par l’assureur l’ayant contrainte à initier le présent litige.

En conséquence, il y a lieu d’ordonner à CNP ASSURANCES, assureur et gestionnaire du PER, de débloquer des fonds, qui s’élèvent désormais à la somme de 18.664,22 euros. Il n’y a pas lieu de condamner la PREFON compte tenu de sa qualité de simple souscripteur.

Sur les demandes de dommages et intérêts

En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

L’article 9 du code de procédure civile prévoit qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l’espèce, en refusant de satisfaire à la demande de déblocage des fonds effectuée par Mme [D], CNP ASSURANCES a commis une faute contractuelle.

Mme [D] sollicite les sommes suivantes, en réparation de ses préjudices :

1- « la somme de 1.311,94 euros au titre du remboursement de son prêt, arrêté à l’échéance d’août 2021, et pour mémoire jusqu’à la date de la décision à intervenir »

Mme [D] affirme avoir contracté un prêt pour financer l’achat de sa cuisine, ayant investi toute son épargne pour faire face aux manquements de la PREFON.

Sur ce point, le tribunal n’est pas en mesure d’apprécier, à défaut d’élément sur la situation financière de Mme [D], si ce prêt était indispensable au financement de sa cuisine, de sorte que le lien de causalité entre ce préjudice, qui ne pourrait au demeurant correspondre qu’en une perte de chance de ne pas contracter un prêt, et la faute, qui ne pourrait être que celle de CNP ASSURANCES, n’est pas établi.

Elle sera déboutée de cette demande.

2- « la somme de 1.680,00 € au titre des RTT avancés »

Mme [D] ne communique aucune pièce à l’appui de cette demande, qui ne pourra qu’être rejetée.

3- « la somme de 3.938,00 € au titre de la perte de son épargne »

A défaut de justificatifs permettant au tribunal d’apprécier la situation financière de Mme [D] dans son ensemble, le tribunal n’est pas mis en mesure de vérifier si elle a été placée dans l’incapacité d’épargner, de sorte que la demande tendant à réparer la perte de son épargne et de l’abondement afférant sera rejetée.

4- « la somme de 2.500,00 € au titre du préjudice moral »

La faute contractuelle de CNP ASSURANCES a nécessairement causé un préjudice moral à Mme [D] qu’il convient d’évaluer à la somme de 1.500 euros. CNP ASSURANCES sera condamnée à payer cette somme à Mme [D].

En revanche, aucune faute de la PREFON en lien avec l’absence de déblocage des fonds n’étant établie, la demande de Mme [D] sera nécessairement rejetée à l’encontre de cette défenderesse.

5- « la somme de 11.132,80 € au titre du préjudice économique » décomposé comme suit :
- 3.768,00 euros (taux horaire 25.12 euros x 7.5h x 20 jours) indemnisant le temps et les ressources utilisées par Mme [D] pour faire valoir ses droits
- 5.840, 00 euros (584 jours x 10 euros) indemnisant l’absence de marge de manœuvre pour faire face aux imprévus

- 1.260,00 euros indemnisant le coût de séances de sophrologie et d’ostéopathie pour gérer son stress
- 444,80 euros correspondant au manque à gagner qu’elle a subi concernant le placement qu’elle aurait pu faire de la somme de 10.000 euros.

A défaut de pièces justificatives et de plus amples explications sur le calcul de ces sommes, cette demande ne peut qu’être rejetée.

Sur les autres demandes

CNP ASSURANCES, partie perdante, sera condamnée aux dépens. Il n’y a pas lieu d’ordonner sa condamnation aux frais d’exécution forcée éventuels, qui sont par nature hypothétiques et ne relèvent pas de l’appréciation de ce tribunal.

Condamnée aux dépens, CNP ASSURANCES sera condamnée à verser à Mme [D] une somme qu’il est équitable de fixer à 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020. A défaut pour les parties défenderesses d’expliquer quelles pourraient être les problématiques fiscales liées au déblocage des droits PREFON qui justifieraient d’écarter l’exécution provisoire de droit, et compte tenu de l’ancienneté du litige, il n’y a pas lieu de l’écarter.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

CONDAMNE la société anonyme CNP ASSURANCES à débloquer par anticipation les droits à la retraite de Mme [K] [D], en lui versant la somme de 18.664,22 euros ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande de déblocage dirigée à l’encontre de la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) ;

CONDAMNE la société anonyme CNP ASSURANCES à payer à Mme [K] [D] la somme de 1.500 euros en réparation de son préjudice moral ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande indemnitaire pour préjudice moral dirigée à l’encontre de la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande tendant à voir condamner solidairement l’association la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) et la société anonyme CNP ASSURANCES à lui verser la somme de 1.311,94 euros au titre du remboursement de son prêt, arrêté à l’échéance d’août 2021 ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande tendant à voir condamner solidairement l’association la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) et la société anonyme CNP ASSURANCES à lui verser la somme de 1.680 euros au titre des RTT avancés ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande tendant à voir condamner solidairement l’association la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) et la société anonyme CNP ASSURANCES à lui verser la somme de 3.938 euros au titre de la perte de son épargne ;

DÉBOUTE Mme [K] [D] de sa demande tendant à voir condamner solidairement l’association la Caisse Nationale de Prévoyance de la Fonction Publique (PREFON) et la société anonyme CNP ASSURANCES à lui verser la somme de 11.132,80 euros au titre du préjudice économique ;

CONDAMNE la société anonyme CNP ASSURANCES à payer à Mme [K] [D] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société anonyme CNP ASSURANCES aux dépens.

DIT n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige ;

Fait et jugé à Paris le 07 Mai 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/12089
Date de la décision : 07/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-07;21.12089 ?
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