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03/05/2024 | FRANCE | N°21/01861

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 2ème section, 03 mai 2024, 21/01861


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




6ème chambre 2ème section


N° RG 21/01861 - N° Portalis 352J-W-B7F-CTYNY

N° MINUTE :

Réputée contradictoire

Assignation du :
29 Janvier 2021















JUGEMENT
rendu le 03 mai 2024
DEMANDERESSE

Société CHUBB EUROPEAN GROUP SE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 11]


représentée par Maître Catherine RAFFIN de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat

s au barreau de PARIS, vestiaire #P0133



DÉFENDERESSES

S.A.R.L. M20
[Adresse 1]
[Localité 10] / FRANCE


représentée par Maître Axel FORSSELL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, avocat plaidant, vest...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section


N° RG 21/01861 - N° Portalis 352J-W-B7F-CTYNY

N° MINUTE :

Réputée contradictoire

Assignation du :
29 Janvier 2021

JUGEMENT
rendu le 03 mai 2024
DEMANDERESSE

Société CHUBB EUROPEAN GROUP SE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 11]

représentée par Maître Catherine RAFFIN de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0133

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. M20
[Adresse 1]
[Localité 10] / FRANCE

représentée par Maître Axel FORSSELL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, avocat plaidant, vestiaire #B0342

Décision du 03 Mai 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 21/01861 - N° Portalis 352J-W-B7F-CTYNY

S.A.S. ALPHA CONTROLE
[Adresse 5]
[Localité 7]

Défaillante non constituée

Société AXA FRANCE IARD en qualité d’assureur de la société ALPHA CONTROLE
[Adresse 3]
[Localité 12]

représentée par Maître Sandrine DRAGHI ALONSO de la SELEURL SELARL CABINET DRAGHI-ALONSO, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1922

S.A.R.L. BATITERRE
[Adresse 9]
[Localité 6]

représentée par Maître David FERTOUT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1770

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Madame Audrey BABA, Greffier

A l’audience du 1er février 2024 tenue en audience publique devant Madame Nadja Grenard, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nadja Grenard , Présidente de formation et par Madame BABA Audrey, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS BATITERRE a fait édifier, en qualité de maître d’ouvrage, un immeuble collectif à usage d’habitation sur une parcelle située [Adresse 4] à [Localité 13] (93).

Sont notamment intervenues à l’opération de construction :

la société M2O, en qualité de maître d’œuvre d’exécutionla société BUREAU SOL CONSULTANTS, assurée auprès de la SMABTP, en qualité de bureau d’étude de sol ;la société ALPHA CONTROLE, assurée auprès de la société Axa France Iard, en qualité de contrôleur techniquela société COTRAGEST, en qualité d’entreprise généralela société BET ETR, sous-traitant de la société COTRAGEST.
Un constat d’huissier de justice a été établi avant travaux le 19 novembre 2014 sur les avoisinants.

Madame [T] [D] et Monsieur [V] [G] sont propriétaires d’un bâtiment situé sur le terrain voisin, sis [Adresse 8], à [Localité 13].

Ce bâtiment est composé de 2 parties :

- deux maisons pavillonnaires donnant sur rue, comprenant 2 cours intérieures et 3 caves dont une édifiée sur caves, située en limite de propriété du chantier, et louée à Mme [N];

- un local d’atelier en charpente métallique, accolé en partie arrière du bâtiment sur rue.

Au mois d’avril 2015, les consorts [G]-[D], alertés par leur locataire, se sont plaints de l’apparition de fissures sur leur propriété, au cours de la réalisation des fouilles du chantier.

Le 10 avril 2015, une réunion technique a été organisée lors de laquelle des jauges [L] ont été posés afin de mettre la maison sous observation.

Deux nouveaux procès-verbaux de constat d’huissier ont été réalisés le 11 mai 2015 à la requête de la société BATITERRE.

Par exploits d’huissier du 23 février 2018, Mme [T] [D] et M. [V] [G] ont saisi le président du tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, aux fins d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire au contradictoire de la société Batiterre, la société Chubb European Group Limited, la société Cotragest, la société Alpha Insurance As, la société M20 et la société Alpha Controle.

Par ordonnance du 4 avril 2018, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire et l’a confiée à M. [U] [M].

Les opérations d’expertise ont été rendues opposables à :
- la société AXA FRANCE, en qualité d’assureur de la société ALPHA CONTROLE ;
- la société BUREAU SOL CONSULTANTS, et son assureur la SMABTP.

L’expert a déposé son rapport le 30 juillet 2019.

Par exploits d’huissier en date du 4 mars 2020, M. [G] a saisi le Président du Tribunal Judiciaire de PARIS statuant en référé d’une demande de condamnation provisionnelle à l’encontre de la société BATITERRE et de la société CHUBB EUROPEAN GROUP SE prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de la société BATITERRE.

La société CHUBB EUROPEAN GROUP SE a assigné en garantie la société M2O, la société ALPHA CONTROLE et son assureur AXA FRANCE et les instances ont été jointes.

Par ordonnance du 16 novembre 2020, le juge des référés a notamment :
-condamné solidairement la société Batiterre et la société Chubb European Group SE à payer à M.[V] [G] la somme provisionnelle de 233 085,82 € au titre des travaux de réparation outre une somme de 19 009 € au titre des travaux accessoires et frais ;dit que la garantie susvisée de la société Chubb European Group SE est contractuellement limitée à la somme de 125 108,93 € ;pour le surplus dit n’y avoir lieu à référé et renvoyé les parties à se pourvoir au fond.
Par courrier du 24 décembre 2020, la société Chubb European Group SE a adressé, par l’intermédiaire de son conseil, à M. [G] un chèque de 125 108,93 € en exécution de cette décision.

Engagement de la procédure au fond

Par exploit d’huissier du 29 janvier 2021, la société Chubb European Group SE a assigné la société M20, la société Alpha Controle, son assureur la société Axa France Iard et la société Batiterre devant le Tribunal judiciaire de Paris aux fins d’exercice de ses recours subrogatoires.

Moyens et prétentions des parties

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 15 février 2022, la société Chubb European Group SE sollicite de voir :

condamner in solidum la société M2O, la société Alpha Controle et son assureur la société Axa France Iard à lui rembourser la somme de 125.108,93 € au titre des condamnations mises à sa charge par ordonnance de référé du 16 novembre 2020 du Président du Tribunal Judiciaire de PARIS (RG N°20/52537) au titre des désordres dénoncés par Monsieur [G];
condamner in solidum la société M2O, la société Alpha Controle et son assureur la société Axa France à lui rembourser la somme de 21 891,07 € au titre des frais avancés pour le compte de qui il appartiendra, faisant partie intégrante du coût des travaux de reprise pour mettre un terme aux désordres subis par Monsieur [G] ;
condamner in solidum la société M2O, la société Alpha Controle et son assureur la société Axa France à lui verser une somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens, incluant le montant de la provision complémentaire sur frais et honoraires de l’Expert judiciaire versée à hauteur de 800 € en exécution de l’ordonnance commune du 16 mars 2019, conformément aux dispositions des articles 695 et 699 du Code de procédure civile ;
déclarer le jugement à intervenir commun à la société Batiterre ;
A l’appui de ses prétentions, elle expose être subrogée dans les droits de M. [G] à hauteur des sommes versées en exécution de l’ordonnance de référé du 16 novembre 2020 (125.108,93 €) et des sommes préfinancées pour déterminer les travaux de reprise (21.891,07€) et pour la consignation au titre des frais d’expertise (800 €).

A ce titre elle soutient que la responsabilité objective de la société M20 doit être retenue dans la mesure où :

- l’expert judiciaire a retenu comme cause des désordres la modification de la méthodologie du chantier d’excavation appliquée en cours de chantier ;

- la société M20 est intervenue en qualité de maître d’oeuvre tant au stade de la conception que de l’exécution et à ce titre devait établir la méthodologie du chantier d’excavation de 3 niveaux inférieurs au niveau des fondations de la propriété [G] et en suivre l’exécution ;

- le maître d’oeuvre a validé une méthodologie non conforme à ce qui avait été préconisé par le bureau d’études de sol et sans études complémentaires de stabilité des ouvrages mitoyens et reconnaissance de fondations.

Elle expose en outre que la responsabilité de la société Alpha Controle doit être également retenue dès lors que :

- le contrôleur technique s’était vu attribuer une mission spécifique AV relative à la stabilité des avoisinants ;

- malgré la transmission des documents, le contrôleur technique n’a formulé aucun avis suspendu ou défavorable dans le cadre de sa mission AV, n’a formulé aucune mise en garde sur les conséquences éventuelles de l’absence d’études sur avoisinants alors qu’elle avait connaissance du démarrage effectif du chantier, étant destinataire de l’ensemble des comptes rendus de chantier.

Enfin elle indique qu’aucune faute ne peut être reprochée à la société Batiterre dans la survenance des désordres dans la mesure où elle est intervenue en qualité de professionnel de l’immobilier et non du bâtiment, qu’il n’est démontré ni immixtion ni validation de la méthodologie choisie par le maître d’oeuve en pleine connaissance de causes et des risques faute pour le maître d’oeuvre de démontrer l’avoir alerté en formulant une contre-indication ou réserve à la substitution de l’exécution d’une paroi parisienne par celle des voiles par la société COTRAGEST.

***

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 1er décembre 2021, la société M20 sollicite de voir :

débouter la société Chubb European Group SE de la totalité de ses demandes formées à son encontre ;
condamner tout succombant à lui verser la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles outre les dépens.
Au soutien de sa défense, la société M20 expose que sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que :

- elle n’était pas en charge de veiller aux aspects techniques qui relevaient de la société ALPHA CONTROLE, en sa qualité de contrôleur technique ;

-il ne lui incombait pas d’alerter le maître d’ouvrage, professionnel de la construction, de la nécessité de réaliser une étude de sols, dont il avait déjà connaissance dans le cadre du contrat conclu avec la société Cotragest et dès lors qu’il appartenait au contraire au maître d’ouvrage de la fournir à la maîtrise d’oeuvre ;

- elle a néanmoins sollicité une étude de sols complémentaire auprès du bureau d’études de sol dont les préconisations ont été respectées par l’entreprise de gros-œuvre ;

-le maître d’ouvrage ne pouvait ignorer les difficultés rencontrées en cours de chantier dès lors qu’elle a accepté, de manière délibérée, le devis complémentaire établi par la société Cotragest du 1er juin 2015 prévoyant l’adaptation de la méthodologie et le blindage renforcé, alors même que cette dernière avait attiré son attention sur la présence d’une nappe d’eau et d’un sol nécessitant la technique de voiles par passe.

***

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 22 novembre 2021, la société Axa France Iard en qualité d’assureur de la société Alpha Controle sollicite de voir :

débouter la société Chubb European Group SE ou toute autre partie de toute demande de garantie formées à son encontre ;
condamner les sociétés Batiterre et son assureur la société Chubb European Group SE et M2O à la garantir de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre ;
cantonner toute condamnation aux limites de ses garanties prévues dans le contrat souscrit par Alpha Controle;
condamner la société Chubb European Group SE à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
A l’appui de ses demandes, la société Axa France Iard en qualité d’assureur de la société Alpha Controle expose qu’aucune responsabilité ne peut être retenue à l’encontre du contrôleur technique dans la mesure où :

- l’expert judiciaire n’a retenu aucune imputabilité technique au contrôleur technique qui a alerté dès son avis initial de la nécessité d’adopter une méthodologie appropriée et de mettre en place des méthodes observationnelles qui auraient pu permettre d’éviter le sinistre ;

- le contrôleur technique ne conçoit pas les travaux, ne les dirige pas, ne les exécute pas, ne les suit pas, ne participe pas à leur réception et n’est pas tenu d’une obligation générale d’information et de conseil ;

- le contrôleur technique a émis un avis suspendu et alerté le maître d’ouvrage de la nécessité de faire réaliser une étude de stabilité des ouvrages mitoyens préalablement aux travaux, a recommandé la mise en place de témoins et sollicité des précisions sur le plan de phasage, le justificatif, le plan de bétonnage et les fondations mitoyennes ;

-le contrôleur technique a émis 17 avis sollicitant la levée des réserves émises dans son rapport initial auxquels il n’a pas été répondu.

***

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 1er décembre 2021, la société Batiterre sollicite de voir :

condamner la société M20, la société ALPHA CONTROLE et son assureur la société AXA France IARD à la garantir indemne de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre et au profit de Monsieur [G] en principal, frais et accessoires y compris article 700 et dépens, aux termes de l’ordonnance de Référé du 16 novembre 2020 (RG 20/52537) ;
condamner tout succombant à lui payer la somme de 5.000 euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens d’instance au titre de l’article 699 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître David FERTOUT ;
déclarer le jugement à intervenir commun à la société CHUBB EUROPEAN GROUP SE.
Au soutien de ses demandes, la société Batiterre expose qu’aucune part de responsabilité ne peut lui être imputée dès lors que :

- le recours à la procédure de référé préventif n’est pas obligatoire et ce d’autant plus qu’elle a fait établir un constat d’huissier d’état des avoisinants avant le démarrage des travaux ;

- les désordres trouvent leur origine dans les travaux de construction réalisés par les entreprises chargées de la réalisation de l’opération de construction et non dans l’absence de recours à un référé préventif ;

- elle ne s’est pas immiscée dans la réalisation des travaux.

Elle expose en outre que la société M20 et la société Alpha contrôle doivent seules assumer la responsabilité des désordres en leur qualité de voisins occasionnels au titre du trouble anormal de voisinage dès lors que le maître d’oeuvre d’exécution est tenu d’une obligation générale de s’assurer de la bonne exécution des travaux, qu’il assiste le maître d’ouvrage dans les aspects techniques permettant d’assurer une bonne exécution des travaux, conformément aux règles de l’art et qu’en l’occurrence il a laissé les travaux se poursuivre, en toute connaissance de cause des risques qu’ils pouvaient engendrer, sans alerter le maître d’ouvrage.

*

Conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties.

La clôture est intervenue le 12 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

La société Chubb European SE sollicite de voir rechercher la responsabilité de la société M20 et de la société Alpha Controle sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, responsabilité objective ne nécessitant pas la démonstration d’une faute, en sa qualité de subrogée dans les droits de M. [G].

Sur le fondement des demandes

Il est constant qu’un maître de l'ouvrage condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n'est établi ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques est, subrogé, après paiement de l'indemnité, dans les droits de la victime et est bien fondé, avec son assureur, à recourir contre les constructeurs qui par leur action ont été seuls à l'origine des troubles invoqués et leurs assureurs, sans avoir à prouver leur faute, pour obtenir leur garantie intégrale.

En application de la théorie du trouble anormal de voisinage, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Cette responsabilité constitue une responsabilité objective qui n’est dès lors pas subordonnée à la démonstration d’une faute. Il appartient à celui qui s’en prévaut de démontrer l’anormalité du trouble allégué et un lien de causalité entre la survenance du trouble et la propriété voisine.

La responsabilité de l’intervenant à l’acte de construire peut être recherchée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage à la condition de faire la démonstration d’un lien de causalité entre la survenance d’un trouble et l’action de l’intervenant à l’acte de construire. Cette responsabilité constitue une responsabilité objective de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute mais à la démonstration que le comportement du voisin occasionnel soit entré dans la chaîne causale ayant conduit à la survenance du trouble.

Au cas présent, il convient de constater que l’existence de troubles anormaux de voisinage, se caractérisant par l’apparition d’infiltrations et de fissurations structurelles affectant les ouvrages avoisinants appartenant à M. [G] n’est pas contestée, ce qui ressort en outre de l’ordonnance rendue le 16 novembre 2020 par le juge des référés.

Or aux termes du rapport d’expertise, l’expert a conclu que :

- l’origine de ces désordres était liée à l’apparition de mouvements de tassements différentiels engendrés par la décompression des sols supports des ouvrages avoisinants dans la zone d’influence des excavations effectuées sur le chantier de construction située sur la parcelle des [Adresse 4] ;

- au vu des constatations et des constats d’huissier réalisés les 19 novembre 2014 et 11 mai 2015, les tassements différenciels trouvaient leur cause dans les travaux d’exécution en infrastructure de la construction voisine et adjacente située sur la parcelle des [Adresse 4] réalisés en mai 2015.

Il s’ensuit qu’il est suffisamment démontré que les désordres, caractérisant un trouble anormal de voisinage à la propriété de M. [G], ont été occasionnés par les travaux diligentés sous la maîtrise d’ouvrage de la société Batiterre.

Sur la responsabilité de la société M20

Au vu des pièces du dossier, notamment du contrat de maîtrise d’oeuvre d’exécution du 10 juin 2014, il est établi que la société M20 est intervenue sur le chantier Batiterre en qualité de maître d’oeuvre d’exécution et que dans ce cadre, elle était en charge de la direction des travaux et de l’approbation des plans d’exécution des entreprises incluant, tel que le souligne l’expert judiciaire, la direction des travaux d’exécution en infrastructure et le visa des études de dimensionnement et de méthodologie d’exécution de ces travaux.

Il s’ensuit que le lien de causalité est suffisamment établi entre les désordres occasionnés à la propriété de M. [G] et l’intervention de la société M20 sur le chantier.

Sur la responsabilité de la société Alpha Controle

S’agissant de l’intervention de la société Alpha contrôle, il est établi au vu de la convention de contrôle technique du 17 novembre 2014, que la société Alpha Controle s’est vue confier une mission de contrôle technique portant notamment sur la stabilité des avoisinants (limitée aux premiers avoisinants) dite mission « AV ».

Or il ressort qu’aux termes de son rapport initial de contrôle technique du 12 décembre 2014, le contrôleur technique a émis un avis suspendu concernant la mission AV aux termes duquel il a été indiqué « avis suspendu : une étude de stabilité des ouvrages mitoyens devra être effectuée préalablement au début des travaux, puis au coulage des voiles. Des cibles témoins pourront être utilisées. Cette étude devra aussi préciser le plan de phasage, le justificatif et le plan de bétonnage. Absence de reconnaissance de fondation mitoyenne ». Force est de constater que dans ses avis émis les 15, 27 janvier, 1er avril et 11 mai notamment, le contrôleur technique a réitéré à chaque fois la nécessité de procéder à la levée des réserves émises dans son rapport initial.

Aux termes de son rapport d’expertise, l’expert judiciaire a mis en exergue dans la chaîne causale l’absence de réalisation des études de stabilité des avoisinants les plus proches / les plus sensibles. Or dans la mesure où il est établi que le contrôleur technique a alerté les intervenants à la construction sur la nécessité de procéder à cette étude, a préconisé la mise en place de cibles témoins et où il ressort, au vu des nombreux avis émis, que son avis n’a pas été suivi d’effet, il convient de constater qu’il n’est pas démontré de lien entre l’intervention de la société Alpha Controle et la survenance des désordres.

La société demanderesse reproche à la société Alpha Controle de ne pas avoir émis d’avis sur les coupes et élévation lesquels font apparaître une construction en limite d’un voisinage, de ne pas avoir émis un avis suspendu ou défavorable dans sa mission AV, et de l’absence de mise en garde sur les conséquences éventuelles de l’absence d’études sur avoisinants alors qu’elle avait connaissance du démarrage effectif du chantier, étant destinataire de l’ensemble des comptes rendus de chantier.

Force est de constater qu’au vu du rapport initial du contrôle technique dont les termes ont été rappelés ci-dessus, il ressort de manière explicite que le contrôleur technique a émis un avis suspendu concernant sa mission sur avoisinants dans l’attente de la transmission de l’étude sollicitée sur la stabilité des avoisinants, à laquelle il a été choisi de ne pas faire suite, que la mise en garde souhaitée par le maître d’ouvrage découlait suffisamment de la suspension de son avis (et dès lors de sa mission) en l’absence de transmission de l’étude préconisée.

En conséquence et tel que l’a également retenu l’expert judiciaire, il n’est pas établi de lien de causalité entre l’intervention de la société Alpha Controle et la survenance des désordres.

Sur la faute de la société Batiterre

Il est constant que pour pouvoir laisser à la charge du maître d’ouvrage ou de son assureur tout ou partie de la charge finale de l’indemnisation du tiers voisin victime des troubles anormaux de voisinage, il doit être caractérisé une faute telle que l’immixtion fautive dans l’exécution des travaux ou l’acceptation délibérée des risques.

S’il est établi, en l’espèce, que le maître d’ouvrage n’a, comme l’a souligné l’expert judiciaire, pas mis en œuvre les mesures provisoires destinées à éviter l’apparition des troubles anormaux aux avoisinants, notamment le recours à un référé préventif et la commande d’une étude de stabilité des avoisinants telle que préconisée par le contrôleur technique dans son rapport initial, il n’en demeure pas moins que la société M20 ne démontre nullement que le maître d’ouvrage se faisant a accepté les risques en toute connaissance de cause. En effet, il n’est pas établi, d’une part, que le maître d’ouvrage était un professionnel du bâtiment, d’autre part, qu’il a été averti par les intervenants à la construction des conséquences de ce choix en l’absence de toute pièce produite permettant de justifier d’un avertissement ainsi donné à la maîtrise d’ouvrage.

Par ailleurs la société M20 reproche au maître d’ouvrage d’avoir accepté délibérément la modification de la méthodologie des techniques de fondation alors qu’elle avait connaissance des caractéristiques du sol. Force est de constater que ce moyen ne peut prospérer, d’une part, parce que la société M20 ne peut reprocher au maître d’ouvrage d’avoir accepté des travaux complémentaires auprès de la société Cotragest, dont elle reconnaît être à l’initiative, d’autre part, dès lors qu’elle n’expose aucunement avoir alerté le maître d’ouvrage, dont il n’est pas démontré de compétences particulières en matière de connaissance des techniques de fondations et des risques liés à la nature du sol, des risques pris en acceptant ce devis.

En conséquence, en l’absence de faute commise par la maîtrise d’ouvrage à l’origine des désordres, aucune part de responsabilité ne pourra être retenue à son encontre.

Sur le quantum des demandes

Dans la mesure où au vu des éléments du dossier, il est justifié et non contesté que la société Chubb European Group SE a:

- préfinancé des études à hauteur de la somme de 21 891,07 € ;

- exécuté les condamnations de l’ordonnance de référé du 16 novembre 2020 à hauteur de la somme de 125.108,93 € au titre des travaux de reprises,

et dès lors que la subrogation englobe autant les sommes réglées directement à la victime que pour le compte de la victime, il convient de faire droit au recours subrogatoire formé par la société demanderesse à hauteur de la somme de 147.000 euros.

Sur l’obligation à la dette

Au vu des développements précédemment exposés, il convient de condamner la société M20 à payer à la société Chubb European Group SE, subrogée dans les droits de M. [G], la somme de 147 000 €.

En revanche il convient de la débouter de ses recours formés contre la société Alpha Controle et son assureur la société Axa France Iard.

En l’absence de lien de causalité entre les désordres et l’intervention de la société Alpha Controle, et dans la mesure où il n’a en outre pas été retenu de faute imputable au maître d’ouvrage, il convient de débouter la société M20 de ses appels en garantie.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La société M20, succombant dans ses demandes, doit être condamnée aux dépens incluant la provision versée à hauteur de 800 € au titre des frais d’expertise par la société Chubb European Group SE et à payer à la société Chubb European Group SE la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles engagés.

Enfin l’équité ne commande pas de faire droit aux demandes de condamnation formées par les autres parties au titre des frais irrépétibles.

Il convient de rappeler que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par décision réputée contradictoire, rendue en premier ressort, par voie de mise à disposition au greffe en application de l'article 450 du Code de procédure civile, les parties en ayant été avisées,

CONDAMNE la société M20 à payer à la société Chubb European Group SE, subrogée dans les droits de M. [G], la somme de 147 000 € (cent-quarante-sept-mille euros) ;

DEBOUTE la société Chubb European Group SE de ses demandes formées à l’encontre de la société Alpha Controle et son assureur la société Axa France Iard ;

CONDAMNE la société M20 à payer à la société Chubb European Group SE la somme de 5000 € (cinq-mille euros) au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société M20 aux dépens (incluant la provision versée à hauteur de 800 € (huit cents euros) au titre des frais d’expertise par la société Chubb European Group SE);

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DECLARE le présent jugement opposable à la société BATITERRE ;

ADMET les avocats qui peuvent le prétendre et qui en ont fait la demande au bénéfice des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 03 mai 2024

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/01861
Date de la décision : 03/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-03;21.01861 ?
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