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02/05/2024 | FRANCE | N°21/05088

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/2/1 nationalité a, 02 mai 2024, 21/05088


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/1 nationalité A

N° RG 21/05088
N° Portalis 352J-W-B7F-CUF7S

N° PARQUET : 21/591

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Mars 2021

M.M.


[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :








JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024









DEMANDERESSE

Madame [Y] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6] (MADAGASCAR)

représentée par Me Stéphanie CALVO, avocat au barreau de PARIS, avocat pla

idant, vestiaire #A0599


DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
Parvis du Tribunal de Paris
[Localité 2]

Madame Sophie BOURLA-OHNONA, Vice-Procureure
Décision du 2 mai 2024
Chambre du conte...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

1/2/1 nationalité A

N° RG 21/05088
N° Portalis 352J-W-B7F-CUF7S

N° PARQUET : 21/591

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Mars 2021

M.M.

[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024

DEMANDERESSE

Madame [Y] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6] (MADAGASCAR)

représentée par Me Stéphanie CALVO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0599

DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
Parvis du Tribunal de Paris
[Localité 2]

Madame Sophie BOURLA-OHNONA, Vice-Procureure
Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/05088

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs

assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière

DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue publiquement

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,

Vu l'assignation délivrée le 30 mars 2021 par Mme [Y] [D] au procureur de la République,

Vu les dernières conclusions de Mme [Y] [D], notifiées par la voie électronique le 6 octobre 2022 et le bordereau de communication de pièces notifié par la voie électronique le 14 février 2024,

Vu les dernières conclusions du ministère public, notifiées par la voie électronique le 25 mai 2023,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 15 février 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 7 mars 2024,

MOTIFS

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 5 mai 2021. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

Mme [Y] [D], se disant née le 26 mai 1986 à [Localité 3] (Madagasacar), revendique la nationalité française par filiation paternelle. Elle expose que son père, M. [D] [M], né le 20 octobre 1944 à [Localité 4] (Madagascar), s'est vu attribuer de naissance la nationalité française en application de l'article 23 de l'ordonnance 45-2441 du 19 octobre 1945 en sa qualité d'enfant légitime né en France ou aux colonies, d'un père et d'une mère qui y sont nés ; qu'issu d'un père, [W] [X] [M] né le 15 mars 1911 à [Localité 5] (Madagascar), M. [D] [M], domicilié à Madagascar à la date de l'indépendance de ce pays et mineur de 18 ans, a de plein droit conservé sa nationalite française en application de l'article 32-3 du code civil.

Par jugement du 2 juin 2009, le tribunal de grande instance d'Orléans a, notamment, constaté l'extranéité de M. [D] [M] (pièce n°10 de la demanderesse).

Mme [Y] [D] a formé tierce opposition contre ce jugement et sollicite du tribunal de la recevoir en sa tierce opposition, de rétracter à son égard ledit jugement et, par conséquent, de dire et juger qu'elle est de nationalite française.

Le ministère public demande au tribunal de déclarer la tierce opposition formée par Mme [Y] [D] recevable, de dire que le jugement précité a effet à l'égard de celle-ci, de la débouter de ses demandes et de dire qu'elle n'est pas française.

Sur la tierce opposition

En application des dispositions de l’article 29-5 du code civil, les jugements et arrêts en matière de nationalité, rendus par le juge de droit commun, ont effet même à l’égard de ceux qui n’y ont été ni parties, ni représentés, tout intéressé étant cependant recevable à les attaquer par la voie de la tierce opposition, à condition de mettre en cause le procureur de la République

Aux termes de l’article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/05088

En vertu de l’article 583 du même code, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

En l’espèce, il ressort du jugement rendu le 2 juin 2009 par le tribunal de grande instance d'Orléans, que :
- le 26 mars 2007, M. [D] [M], né le 29 octobre 1944 à [Localité 4] (Madagascar), a assigné le procureur de la République aux fins de voir déclarer qu'il était de nationalité française en faisant valoir qu'ayant vécu à [Localité 4] et mineur de 16 ans à l'indépendance de Madagascar, il avait conservé la nationalité française ; que, né d'un père français, il était de nationalité française avant l'indépendance de Madagascar ; que son père, ne s'étant pas vu conférer la nationalité malgache, avait conservé sa nationalité française ;
- le ministère public s'opposait aux demandes de M. [D] [M] en faisant valoir que la preuve de la nationalité française de [W] [X] [M] avant l'indépendance de Madagascar, n'était pas rapportée ; qu'il n'était pas davantage établi que celui-ci ou M. [D] [M] ne s'étaient pas vu conférer la nationalité française de l'un des nouveaux Etats de la communauté lors de l'indépendance ;
- si le père de M. [D] [M], [W] [X] [M], s'était vu refuser par décision du 14 août 2008 du tribunal de première instance d'Antananarivo la délivrance d'un certificat de nationalite malgasy, il n'était pas pour autant établi que cette personne était, d'une part de nationalité française, et d'autre part qu'elle aurait conservé cette nationalite lors de l'accession à l'indépendance.

Le débouté de son père revendiqué ayant, aux termes de l’article 29-5 du code civil, précité, un effet relatif d’autorité de la chose jugée à l’égard de la demanderesse à la présente instance, qui n’a été dans l’instance engagée par M. [D] [M], ni partie ni représentée, la tierce opposition est recevable.

Il y a donc lieu de réexaminer la nationalité française invoquée de M. [D] [M] dans ses seules conséquences à l’égard de sa fille revendiquée, Mme [Y] [D], la présente décision ne remettant nullement en cause la décision du tribunal de grande instance d'Orléans à l’égard de M. [D] [M] lui-même, jugé non français.

Sur le fond

En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par la demanderesse, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, aux termes duquel est Français l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins est français.

Il convient également de rappeler que les effets sur la nationalité de l’accession à l’indépendance de Madagascar sont régis par la loi numéro 60-752 du 28 juillet 1960 et par le chapitre VII du titre 1er bis du livre premier du code civil (soit ses articles 32 à 32-5), qui s’est substitué au titre VII du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, dont il résulte que seuls ont conservé la nationalité française :
- les personnes originaires (et leurs descendants) du territoire de la République française tel que constitué le 28 juillet 1960,
- les personnes qui ont souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française,
- les personnes qui ne se sont pas vu conférer la nationalité de l’un des nouveaux Etats anciennement sous souveraineté française,
- les personnes originaires de Madagascar, qui avaient établi leur domicile hors de l’un des Etats de la Communauté lorsqu’ils sont devenus indépendants.

Il appartient donc à Mme [Y] [D], non titulaire d'un certificat de nationalité française, de rapporter la preuve de la nationalité française de son père, et d'un lien de filiation légalement établi à l'égard de celui-ci au moyen d'actes d'état civil probants au sens de l'article 47 du code civil, étant précisé qu'aux termes de l’article 20-1 du code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.

Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et Madagascar, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 26 de la convention d'entraide judiciaire signée le 4 juin 1973 et publiée le 30 juillet 1975 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et certifiés conformes à l'original par ladite autorité.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.

En l'espèce, en ce qui concerne la nationalité française de M. [D] [M] avant l’indépendance de Madagascar, Mme [Y] [D] invoque les disposition de l'article 23 du code de la nationalité française dans sa version issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945 selon lequel est français l'enfant légitime né en France d'un père qui y est lui-même né ou l'enfant naturel né en France lorsque celui de ses parents à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie, est lui-même né en France.

Il résulte de l'acte de naissance de M. [D] [M] qu'il est né le 29 octobre 1944 à [Localité 4] (Madagascar), de [W] [X] [M] et de [L] [N] (pièce n°2 de la demanderesse).

Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date et du lieu de naissance de M. [D] [M], sa situation est régie par les dispositions de l'article 2 du décret du 24 février 1953 limitant l'application à Madagascar des articles 23, 24, 25, 44, 45 et 52 du code de la nationalité française à la démonstration préalable de la nationalité française de l'un des deux parents au moins au moment de la naissance de l'enfant.

Ainsi, la seule démonstration d'une naissance par double droit du sol à Madagascar de M. [D] [M] est insuffisante à apporter la preuve de sa nationalité française au moment de sa naissance, contrairement à ce qui est allégué par la demanderesse.

Or, comme le relève le ministère public, la preuve de la nationalité française de [W] [X] [M] avant l'indépendance de Madagascar n'est pas rapportée. A cet égard, la demanderesse se borne à faire état de la carte nationale d'identité délivrée à [W] [X] [M] laquelle constitue un élément de possession d'état de la nationalité française mais ne permet nullement d'en rapporter la preuve (pièce n°7 de la demanderesse).

Il est en outre relevé que Mme [Y] [D] n'a formulé aucune observation sur la nationalité française de [L] [N] et ne produit aucune pièce permettant d'établir la nationalité française de celle-ci.

Il n'est ainsi pas justifié de la nationalité française de M. [D] [M] avant l'indépendance de Madagascar, la preuve de sa qualité d'originaire de Madagascar n'étant pas rapportée.

Par ailleurs, en tout état de cause, la preuve de la conservation de la nationalité française à l'indépendance de Madagascar par M. [D] [M] ou [W] [X] [M] n'est pas rapportée.

En effet, si la demanderesse fait état de l'attestation militaire pour les années 1939 à 1945 délivrée à titre posthume à [W] [X] [M], il est rappelé que le fait d’avoir servi dans l’armée française ne constitue pas un critère de conservation de la nationalité française à l’indépendance (pièce n°8 de la demanderesse).

Par ailleurs, pour démontrer que [W] [X] [M] ne s'est pas vu conférer d'office la nationalite malgache, la demanderesse verse aux débats une décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité malgasy à l'intéressé rendue le 14 avril 2008 par le tribunal de première instance d'Antananarivo (pièce n°9 de la demanderesse).

Toutefois, comme le relève à juste titre le ministère public, cette décision – au demeurant produite en simple photocopie dépourvue de toute garantie d'authenticité et de valeur probante – n'indique nullement que l'intéressé n'est pas de nationalite malgache mais uniquement que « les pièces fournies n'apportent pas la preuve de la nationalité malgasy» de celui-ci. Cette décision ne permet donc pas d'établir que [W] [X] [M] n'était pas de nationalite malgache.

En outre, cette décision ne permet pas davantage d'établir que l'intéressé était de nationalité française avant l'indépendance de Madagascar et qu'il aurait conservé cette nationalite après cette date.

Echouant à rapporter la preuve de la nationalité française de son père revendiqué, Mme [Y] [D] ne démontre pas être de nationalité française en application des dispositions de l’article 18 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, précité.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande tendant à se voir reconnaître la nationalité française par filiation paternelle. En outre, dès lors qu'elle ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'elle n'est pas de nationalité française.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [Y] [D], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;

Juge recevable la tierce opposition formée par Mme [Y] [D] contre le jugement rendu le 2 juin 2009 par le tribunal de grande instance d'Orléans sous le numéro RG 07/00859 ;

Déboute Mme [Y] [D] du surplus de ses demandes ;

Juge que Mme [Y] [D], née le 26 mai 1986 à [Localité 3] (Madagasacar), n'est pas de nationalité française ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

Condamne Mme [Y] [D] aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 02 Mai 2024

La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/2/1 nationalité a
Numéro d'arrêt : 21/05088
Date de la décision : 02/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-02;21.05088 ?
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