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29/04/2024 | FRANCE | N°23/04533

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Pcp jtj proxi fond, 29 avril 2024, 23/04533


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à : Maître LAFFON


Copie exécutoire délivrée
le :
à : Maître RICHARD
Maître BONNET DES TUVES

Pôle civil de proximité


PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04533 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2FWD

N° MINUTE :
3 JTJ






JUGEMENT
rendu le lundi 29 avril 2024

DEMANDERESSE
Madame [L] [F],
demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître LAFFON, avocat au barreau de Paris, vestiaire #P204

DÉFENDERES

SES
S.A. BOURSORAMA,
dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître RICHARD, avocat au barreau de Paris, vestiaire #B1070

S.A.S. OLINDA,
dont le siège social est...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à : Maître LAFFON

Copie exécutoire délivrée
le :
à : Maître RICHARD
Maître BONNET DES TUVES

Pôle civil de proximité

PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04533 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2FWD

N° MINUTE :
3 JTJ

JUGEMENT
rendu le lundi 29 avril 2024

DEMANDERESSE
Madame [L] [F],
demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître LAFFON, avocat au barreau de Paris, vestiaire #P204

DÉFENDERESSES
S.A. BOURSORAMA,
dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître RICHARD, avocat au barreau de Paris, vestiaire #B1070

S.A.S. OLINDA,
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître BONNET DES TUVES, avocat au barreau de Paris, vestiaire #G685

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Sandra MONTELS, Vice-Présidente, statuant en juge unique
assistée de Laura JOBERT, Greffier,

DATE DES DÉBATS
Audience publique du 15 février 2024

JUGEMENT
contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 29 avril 2024 par Sandra MONTELS, Vice-Présidente assistée de Laura JOBERT, Greffier

Décision du 29 avril 2024
PCP JTJ proxi fond - N° RG 23/04533 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2FWD

EXPOSE DU LITIGE

Mme [L] [F] est titulaire d’un compte bancaire ouvert auprès de la société BOURSORAMA.

Voulant effectuer des travaux dans son appartement, elle a fait appel à la société OCAMPO PRO laquelle lui a envoyé par courriel du 23 février 2022 une facture d’un montant de 12 000 euros comportant les coordonnées du compte de la société.

Mme [L] [F] recevait cependant un courriel le 24 février 2022 de M. [S] [V] se présentant comme étant de la société OCAMPO PRO lui communiquant un autre RIB pour un compte détenu auprès de la banque QONTO. Mme [L] [F] ordonnait le virement de 12000 euros vers ce dernier compte le 25 février 2022 puis s’apercevait que la boite mail de la société de travaux avait été piratée et que cette dernière n’avait jamais reçu les fonds. Elle déposait alors plainte.
La société OLINDA ayant pour nom commercial « QONTO » lui retournait les sommes de 5100,99 euros et 753,90 euros dans le cadre d’une procédure de rappel de fonds.

Par acte de commissaire de justice des 4 et 12 mai 2023, Mme [L] [F] a assigné la société OLINDA et la société BOURSORAMA aux fins de, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
Condamnation in solidum de la société BOURSORAMA et de la société OLINDA « Qonto » à lui payer la somme de 6145.11 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des fautes commises, Condamnation solidaire de la société BOURSORAMA et la société OLINDA « Qonto » à lui payer la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, Condamnation de la société BOURSORAMA et la société OLINDA « Qonto » à lui payer chacune la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’affaire, appelée à l’audience du 19 octobre 2023, a été renvoyée à l’audience du 15 février 2024.

A l’audience, Mme [L] [F], représentée par son conseil qui a déposé des conclusions soutenues oralement maintient ses demandes et sollicite en outre que les défenderesses soient déboutées de l’ensemble de leurs demandes et que la société BOURSORAMA soit condamnée au paiement de la somme de 1500 euros à titre de dommages-intérêts pour violation du secret bancaire.

Sur la responsabilité de la société BOURSORAMA, Mme [L] [F] fait valoir qu’elle était soumise en application de l’article L561-6 du code monétaire et financier à un devoir de vigilance et de vérification d’absence d’irrégularités formelles ou matérielles des opérations et de tout mettre en œuvre pour déceler des opérations suspectes, que par ailleurs en application de l’article L133-18 du code monétaire et financier en raison de son manquement à son devoir de vigilance elle était tenue de rembourser le montant frauduleusement dérobé sans pouvoir invoquer l’article L133-19 dudit code, qu’il lui appartient de rapporter la preuve de l’irrégularité de l’opération que le client nie avoir autorisé. Elle soutient que les fonds ont été versés sur un compte dont la société OCAMPO PRO n’était pas titulaire ce qui relève d’une anomalie aisément décelable par un banquier diligent, que le montant du virement, inhabituel pour elle, imposait que la société BOURSORAMA s’interroge sur le bien-fondé d’un tel virement. Elle soutient en outre que l’article B9.2 du chapitre 2 du titre II des conditions générales de la convention de compte précise que les fonds doivent être retournés en cas de mauvaise exécution de l’opération, qu’une déficience technique est en l’espèce caractérisée puisque a été validé un virement pour lequel l’identité du bénéficiaire différait de celle mentionnée par le client. Sur la responsabilité de la société OLINDA, Mme [L] [F] fait valoir qu’elle ne s’est pas assurée de ses obligations en marge de l’ouverture d’un compte frauduleux et a accepté un virement sur un compte ouvert au nom d’un bénéficiaire distinct de celui renseigné, qu’elle a reconnu un manquement à ses obligations. Sur ses demandes indemnitaires elle expose avoir dû multiplier en vain les démarches auprès des défenderesses et que la société BOURSORAMA a communiqué sans autorisation ses relevés de compte ce qui est contraire à la loi n°84-46 du 24 janvier 1984 qui pose le principe du secret bancaire.

La société BOURSORAMA valablement représentée par M. [Y] [I] qui a déposé des conclusions soutenues oralement demande que Mme [L] [F] soit déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient être soumise à un devoir de non-immixtion dans les affaires de ses clients qui l’empêche d’apprécier les opérations effectuées par eux. Elle fait valoir en outre n’avoir aucunement manqué à son devoir de vigilance puisque, d’une part, Mme [L] [F] n’est pas fondée à invoquer l’obligation de vigilance spécifique prévu aux articles L561-5 et L561-6 du code monétaire et financier qui a pour seul objectif de lutter contre le trafic de stupéfiant et la criminalité organisée, que, d’autre part, elle n’a pas manqué à son devoir général de diligence car en premier lieu Mme [L] [F] a autorisé l’ordre de virement de sorte qu’elle ne peut agir sur le fondement de l’article L133-18 du code monétaire et financier et en second lieu elle ne rapporte pas la preuve d’une anomalie matérielle ou intellectuelle affectant l’opération de virement alors que le devoir de vigilance ne vient limiter le devoir de non immixtion qu’en présence d’anomalies apparentes aisément décelables par un banquier diligent, qu’elle n’est pas intervenue en tant que conseiller et n’avait donc aucune obligation de mise en garde, qu’il lui incombait uniquement de s’assurer de l’identité du donneur d’ordre et de l’état du compte, qu’en application de l’article L131-21 du code monétaire et financier elle n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération si l’IBAN fourni par le donneur d’ordre est inexact, qu’enfin le montant du virement n’avait pas à l’alerter dans la mesure où le compte détenait des provisions suffisantes.

La société OLINDA représentée par son conseil qui a déposé des conclusions soutenues oralement demande que Mme [L] [F] soit déboutée de l’ensemble de ses demandes et condamnée à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que le devoir de vigilance mentionné à l’article L651-5 du code monétaire et financier est destiné à lutter contre le blanchiment de capitaux, que le manquement d’une banque est sanctionné administrativement ou pénalement mais ne constitue pas une faute civile ou contractuelle qu’une partie à une opération de paiement pourrait invoquer à l’appui d’une action en responsabilité contre l’établissement. Elle soutient par ailleurs au visa de l’article L131-21 du code monétaire et financier n’avoir commis aucune faute dans le cadre de la réception des fonds, que son rôle est limité à l’exécution de l’ordre de virement effectué par Mme [L] [F] au bénéfice du titulaire de l’IBAN renseigné par elle. Elle soutient en outre n’avoir commis aucune faute dans le cadre de la procédure de retour de fonds, que l’article susvisé ne prévoit qu’une obligation de moyen à la charge de la banque. Elle ajoute enfin n’avoir commis aucune faute au sens de l’article 1240 du code civil.

A l'issue des débats l'affaire a été mise en délibéré au 29 avril 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la demande en paiement de la somme de 6145,11 euros

A l’appui de sa demande, Mme [L] [F] invoque l’article L133-18 du code monétaire et financier lequel porte sur les opérations de paiement non autorisées. Or, cet article n’est pas applicable au cas d’espèce, Mme [L] [F] ayant donné l’ordre du virement vers un numéro d’IBAN et au profit d’un bénéficiaire qu’elle a elle-même renseignés de sorte qu’elle a autorisé l’opération.
De jurisprudence constante, les banques sont soumises à un devoir de non-ingérence dans les affaires de leurs clients.
Cette obligation peut être limitée en certaines hypothèses par leur soumission à un devoir de vigilance.
Mme [L] [F] invoque ainsi l’article L561-6 du code monétaire et financier qui prévoit que les organismes financiers exercent une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'elles ont de leur relation d'affaires.
Or, cet article s’insère au sein du chapitre 1 « Obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme » du titre VI «  Obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement des activités terroristes, les loteries, jeux et paris prohibés et l'évasion et la fraude fiscales » dudit code.
Dès lors, cette obligation de vigilance a pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de cette obligation pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier (Cour de cassation, Chambre commerciale économique et financière, 21 Septembre 2022, n° 21-12.335).
Il en résulte que Mme [L] [F] ne peut fonder son action en responsabilité contre la société BOURSORAMA et la société OLINDA sur le fondement de l’article L561-6 du code monétaire et financier lequel a uniquement pour objectif la lutte contre le blanchiment de capitaux et le terrorisme.

Il est établi que l’établissement bancaire a un devoir de vigilance en présence d’une anomalie, matérielle ou intellectuelle de l’opération, qualifiée d’apparente.
En l’espèce, outre ses allégations, Mme [L] [F] ne rapporte pas la preuve que le montant du virement était inhabituel au regard du fonctionnement habituel de son compte, étant précisé qu’elle fait même grief à la société BOURSORAMA d’avoir violé le secret bancaire en en communiquant des extraits afin de démontrer qu’il était approvisionné.
Elle ne rapporte pas davantage la preuve que l’opération de paiement contenait en elle-même un indice manifeste de fraude dont la banque aurait dû s’apercevoir.

En outre en application de l’article L133-21 du code monétaire et financier un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique. Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l'opération de paiement. Toutefois, le prestataire de services de paiement du payeur s'efforce de récupérer les fonds engagés dans l'opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement.

En l’espèce, la société BOURSORAMA et la société OLINDA ont correctement exécuté l’ordre de virement donné par Mme [L] [F] comportant un identifiant unique – le numéro IBAN - qu’elle a elle-même communiqué.

Il importe peu qu’elle ait en sus communiqué un nom de bénéficiaire, les banques n'étant responsables que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'IBAN fourni sans qu’elles ne soient tenues de vérifier la cohérence entre les données.

Le courriel d’un dénommé [H] du 31 mars 2022 par lequel celui-ci indique à Mme [L] [F] « Nous tâcherons d’être plus vigilants les prochaines fois » ne peut valoir reconnaissance d’une faute par la société OLINDA.

En l’absence de mauvaise exécution du paiement par la société BOURSORAMA, l’article B9.2 des conditions générales de la convention de compte est inapplicable.

Enfin, si la société OLINDA devait s’efforcer de récupérer les fonds, elle n’était pas soumise à une obligation de résultat de sorte qu’il ne peut lui être reproché de n’être pas parvenue à récupérer l’intégralité de la somme.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société BOURSORAMA et la société OLINDA ne sont pas responsables de la mauvaise exécution de l’ordre de virement.

Mme [L] [F] sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement de la somme de 6145,11 euros et de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande en dommages-intérêts pour violation du secret bancaire

Aux termes de l’article 12 al 1 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Par ailleurs, de jurisprudence constante les juges n’ont pas l’obligation de rechercher la règle applicable au litige dès lors que le demandeur a précisé le fondement juridique de sa prétention.

En l’espèce, Mme [L] [F] invoque à l’appui de sa demande « la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 ». Or l’article 57 de cette loi, relatif au secret professionnel, a été abrogé par l’article 4 -73° de l’ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier.

Mme [L] [F] sera en conséquence déboutée de sa demande.
Sur les autres demandes

Mme [L] [F], partie perdante, sera condamnée aux dépens.

L’équité commande de rejeter les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire est de plein droit en application de l'article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal judiciaire, statuant après débats publics, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE Mme [L] [F] de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE Mme [L] [F] aux dépens ;

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de plein droit.

Fait et jugé à Paris le 29 avril 2024.

Le greffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Pcp jtj proxi fond
Numéro d'arrêt : 23/04533
Date de la décision : 29/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-29;23.04533 ?
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