TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
C.C.C. + C.C.C.F.E.
délivrées le :
à
■
PEC sociétés civiles
N° RG 20/12190
N° Portalis 352J-W-B7E-CTKIM
N° MINUTE : 1
Assignation du :
01 décembre 2020
JUGEMENT
rendu le 29 avril 2024
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [L]
44, rue Saint Denis
75001 PARIS
représenté par Maître Jean-Claude LABORDE de la SELAS CABINET LABORDE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C2010
DÉFENDERESSE
Société SCI A86-a (SCI)
38, rue de Berri
75008 PARIS
représentée par Maître Philippe LAYE de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #U0001
Décision du 29 avril 2024
PEC sociétés civiles
N° RG 20/12190 - N° Portalis 352J-W-B7E-CTKIM
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Pascale LADOIRE-SECK, vice-présidente, présidente de la formation ;
Samantha MILLAR, vice-présidente ;
Olivier LICHY, vice-président ;
assistés de Robin LECORNU, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 02 octobre 2023, tenue en audience publique devant Pascale LADOIRE-SECK et Olivier LICHY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats,ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au Greffe le 12 février 2024, puis prorogé au 29 avril 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au Greffe
Contradictoire
En premier ressort
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SCI A86-a (la SCI) dont monsieur [Z] [L] était le gérant statutaire, est propriétaire d’un terrain à Courbevoie. Elle a signé avec la SARL HRO France (la société HRO) co-gérée par monsieur [L], une convention de gestion et de transactions aux termes de laquelle cette dernière intervient en qualité de « conseiller ».
Le 24 juillet 2019, monsieur [L] a été révoqué de ses fonctions de cogérant de la société HRO. Cette décision ayant été contestée, le caractère abusif de la mesure a, par la suite, été reconnu par le tribunal de commerce de Paris par jugement du 25 mars 2022 qui a condamné la SARL à verser 20.000 euros à titre de dommages-intérêts à son ancien gérant.
Monsieur [Z] [L] a été licencié pour faute grave du poste de salarié qu’il occupait au sein de la société HRO. Par jugement qui sera rendu le 08 juin 2021, le conseil des Prud’hommes de Paris n’a pas retenu la faute grave mais a jugé que le licenciement repose sur un cause réelle et sérieuse et a condamné en conséquence la société HRO à verser à monsieur [Z] [L] la somme de 235.345,12 euros au titre des indemnités de licenciement.
A l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire du 07 janvier 2020, les associés de la SCI A86a ont considéré que la révocation de monsieur [L] de la société HRO empêchait celui-ci de poursuivre ses fonctions de gérant de la SCI et l’ont, malgré une contestation de l’intéressé annexée au procès-verbal dressé à l’occasion de cette assemblée, relevé de sa fonction de gérant.
Monsieur [L] considère, en l’absence de lien entre les mandats sociaux exercés au sein de ces deux sociétés, et de la motivation de la décision, que cette révocation est abusive dès lors qu’aucune faute de gestion ne lui a été reprochée. Il précise encore que cette révocation a été précédée par une tentative de lui soutirer une démission en août 2019, qu’il qualifie de tentative d’extorsion.
Par acte d’huissier de justice du 1er décembre 2020, monsieur [Z] [L] a assigné la SCI A86-a aux fins de voir juger que sa révocation de son mandat de gérant de la SCI est abusive et/ou vexatoire et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter de la mise en demeure du 18 juin 2020, lesdits intérêts portant eux-mêmes intérêts en application des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil, outre la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens. Il sollicite également le bénéfice de l’exécution provisoire du présent jugement.
Aux termes de son assignation et de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées le 17 septembre 2021, monsieur [Z] [L] fonde sa demande principale sur l’article 1851 1er alinéa du code civil qui dispose que « si la révocation a été décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts ».
Il soutient n’avoir commis aucun acte susceptible de justifier sa révocation et que l’intérêt social n’exigeait pas qu’une telle mesure soit prise de sorte que cette mesure était sans juste motif.
Il considère que sa révocation de gérant de la SCI est intervenue d’une part sans juste motif et d’autre part de manière abusive comme étant injustifiée car exclusivement motivée par la décision de révocation de ses fonctions de cogérant de la société HRO. Il considère en conséquence que le motif de la révocation est extérieure à l’exercice du mandat qui lui a été confié.
Il entend donc obtenir une réparation de son préjudice qui prendra en compte l’ancienneté de ses mandats, son âge, l’absence de toute nouvelle activité professionnelle et l’absence de toute indemnisation au titre de la perte de son mandat social.
Il justifie ses demandes par la perte de revenus et par l’absence de couverture sociale, faute de pouvoir prétendre au bénéfice d’allocations chômage ou à des indemnités au titre du contrat d’assurance GSC conclu par la SCI au profit de son gérant dès lors que l’assurance chômage souscrite n’a pu trouver à s’appliquer, la perte de ses fonctions de gérant de la SCI étant intervenue pendant la période de carence contractuelle.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées le 20 mai 2022, la SCI considère au contraire que la révocation est intervenue dans un cadre loyal puisque l’assemblée générale s’est tenue à l’initiative et sous la présidence d’un mandataire ad hoc, et que de surcroît, elle a eu lieu dans un cadre contradictoire qui a permis à monsieur [L] de faire valoir sa défense. En effet l’intéressé ne pouvait ignorer la volonté des associés de le démettre de ses fonctions de gérant de la SCI puisque le 25 juillet 2019, soit 6 mois avant la tenue de l’assemblée générale, les associés lui avait demandé de réunir une assemblée générale à cette fin pour cette raison, ce que monsieur [L] avait refusé, en violation de ses obligations statutaires, justifiant ainsi la désignation d’un mandataire ad hoc judiciairement désigné dans le cadre d’une procédure à laquelle il est volontairement intervenu.
Elle soutient encore que ce dernier avait été nommé gérant de la SCI en raison du fait qu’il était co-gérant de la société HRO et que les deux sociétés étaient liées par un contrat de gestion de projet et d’actifs et que pour cette raison, il n’était pas possible de maintenir monsieur [L] à la tête de la SCI.
Cette révocation était donc justifiée par l’intérêt social de la SCI. Par ailleurs, elle rappelle que monsieur [L] a contesté sa révocation de ses fonctions de gérant de la SARL HRO devant le tribunal de commerce de Paris qui a estimé que celle-ci était certes intervenue sans juste motif mais pas de manière brutale et vexatoire comme il le prétendait.
Il lui était donc parfaitement loisible de connaître les motifs retenus et de faire valoir ses arguments.
Par ailleurs à aucun moment, la SCI n’a tenté de lui extorquer sa démission, contrairement à ce que monsieur [L] prétend.
Elle en conclut que celui-ci sera débouté de ses demandes d’indemnisation faute de démontrer le préjudice subi en lien avec la prétendue faute de la SCI. Elle rappelle que du fait de ses fonctions de gérant, monsieur [L] ne ne pouvait ignorer qu’il ne pouvait percevoir une indemnité chômage de Pôle Emploi, et que le contrat GSC versé aux débats a été conclu par la société HRO.
Reconventionnellement elle sollicite la condamnation du demandeur à lui régler une indemnité de procédure de 5.000 euros et que le présent jugement soit assorti de l’exécution provisoire.
MOTIFS
Sur la demande de dommages et intérêts
L’alinéa 1er de l’article 1851 du code civil dispose que : « sauf dispositions contraires de statuts, le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts ».
En l’espèce les statuts de la SCI ne prévoit rien quant aux modalités de destitution du gérant, sauf à noter que monsieur [L] était gérant statutaire, et que sa révocation entraîne la modification des statuts dans les conditions qu’ils fixent.
Le juste motif suppose une faute du gérant ou bien un risque fort d’une paralysie dans le fonctionnement de la société qui peut être caractérisé par une divergence d’appréciation et/ou une perte de confiance réciproque entre les associés et le représentant légal de la société.
Il revient à la société de rapporter la preuve de l’existence d’un juste motif puisqu’elle seule est en mesure d’apporter la preuve que l’intérêt social exigeait la révocation de son gérant.
Il résulte de :
l’article 6 des statuts de la SCI que les associés sont les sociétés MSheet, Zelytre, A86LG, A86-B Inst, A86-B SARL ; l’article 20 de ces statuts que monsieur [L] a été désigné gérant de la SCI depuis le 26 septembre 2012 ; l’article 16 dispose que les décisions extraordinaires comme une modification statutaire, sont prises à la majorité en nombre des associés représentant les ¾ des parts sociales ; du contrat de gestion d’actif immobilier et de son avenant (pièces 3bis et 5bis de la défenderesse) que la SCI est propriétaire d’un terrain à Courbevoie, et que la société HRO n’intervient qu’en qualité de « conseiller » ; du courrier du 25 juillet 2019 que les sociétés A86LG, A86-B Inst, A86-B SARL, titulaires de 248.800 parts sur les 250.000 parts qui représentent le capital, ont sollicité la convocation d’une assemblée générale en vue de la révocation du demandeur motif pris que l’intéressé « était par ailleurs co-gérant de la société HRO , elle-même liée à la société par un contrat de gestion d’actif, l’associé unique ayant eu connaissance de la révocation décidée par ladite société HRO des fonctions de co-gérant de monsieur [Z] [L] … » ; l’ordonnance du 31 octobre 2019, qu’un mandataire ad hoc a été désigné par le président de ce tribunal pour organiser une assemblée générale, monsieur [L] ayant refusé d’y procéder, sa révocation figurant à l’ordre du jour ; du procès-verbal dressé lors de cette assemblée générale, qu’ayant cessé ses fonctions de cogérant de la société HRO en juillet 2019, les associés majoritaires de la SCI « s’attendaient à ce que monsieur [Z] [L] provoque la tenue d’une assemblée générale pour voir nommer un nouveau gérant … » ; qu’à l’exception des sociétés MSheet, non représentée et Zephyre, représentée par monsieur [L] et qui s’est abstenue, titulaires chacune de 600 voix, les autres associés, représentés par monsieur [W] [T] et représentant 248.800 voix, ont décidé de la révocation et de la désignation de monsieur [T] en qualité de gérant ;
En l’espèce la SCI ne s’explique pas sur la nécessité, voire l’intérêt, que ses associés majoritaires avaient à révoquer monsieur [L] de ses fonctions de gérant du seul fait qu’il avait subi ce sort de la part d’une société HRO. En effet, faute de préciser l’existence de liens capitalistiques ou d’associés communs, la preuve d’un intérêt social commun à un éventuel groupe de sociétés n’est pas rapportée. De plus et surtout, la SCI ne rapporte pas la preuve que les fonctions de conseiller de la société était difficilement substituable.
Pour ces raisons, la révocation de monsieur [L] sera considérée comme étant dénuée de juste motif.
En revanche, celui-ci ne rapporte pas la preuve que cette mesure présenterait un caractère abusif ou discriminatoire. Au soutien de cette allégation, il ne verse aux débats qu’un échange de courriers relatifs à la perte de son mandat de la société HRO (pièces 5 et 6).
En raison de son ancienneté dans les fonctions de gérant de la SCI et de son âge, la SCI sera condamnée à lui régler 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 juin 2020. Il n’y a en revanche pas lieu de faire droit aux demandes de majoration et d’anatocisme.
Sur les demandes accessoires
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens.
La SCI A86-a qui succombe à la présente instance sera donc condamnée aux dépens.
Eu égard à la condamnation aux dépens, la SCI A86-a sera condamnée à payer à Monsieur [Z] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
En application de l’article 514-1 du même code, le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.
Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.
Par exception, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé, qu'il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l'instance, qu'il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu'il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.
En l’espèce, il n’y a pas lieu de déroger au principe posé de l’exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
CONDAMNE la SCI SCI A86-a à régler à monsieur [Z] [L] 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 juin 2020 ; DEBOUTE monsieur [Z] [L] de ses demandes de majoration et d’anatocisme ; DEBOUTE les partiesCONDAMNE la SCI SCI A86-a à régler à monsieur [Z] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la SCI A86-a aux dépens ;RAPELLE l’exécution provisoire de droit ;
Fait et jugé à Paris le 29 avril 2024
Le Greffier La Présidente
Robin LECORNU Pascale LADOIRE-SECK