TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/1 nationalité A
N° RG 21/04469
N° Portalis 352J-W-B7F-CUCYC
N° PARQUET : 17/1045
N° MINUTE :
Assignation du :
13 Septembre 2017
V.B.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDERESSE
Madame [J] [T] [Y] [L]
[Adresse 1]
[Adresse 1] (ALGÉRIE)
représentée par Me Leila PERRIMOND, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0496
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Madame Laureen SIMOES, Substitute
Décision du 25 avril 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/04469
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière
DEBATS
A l’audience du 29 Février 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 13 septembre 2017 par Mme [J] [L] au procureur de la République,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 avril 2019,
Vu la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 11 septembre 2019,
Vu l'ordonnance de radiation rendue le 5 décembre 2019,
Vu le rétablissement de l'affaire le 26 mars 2021,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 1er juillet 2021,
Vu les dernières conclusions de la demanderesse notifiées par la voie électronique le 19 avril 2023,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 1er février 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 29 février 2024,
Vu les conclusions du ministère public, sollicitant la révocation de l'ordonnance de clôture, notifiées par la voie électronique le 21 février 2024,
MOTIFS
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Suivant conclusions notifiées par la voie électronique le 21 février 2024, le ministère public sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture.
Aux termes de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
En l'espèce, le ministère public indique qu'il n'a pas pu communiquer ses conclusions et pièces pour l'audience de mise en état du 29 septembre 2022 à la suite de dysfonctionnement interne et souhaite les communiquer à présent.
Or, le ministère public n'invoque pas de cause grave l’ayant empêché de communiquer les conclusions et pièces avant la clôture, le dysfonctionnement interne n'étant pas démontré. De surcroît, le tribunal relève que le 1er février 2024, le ministère avait sollicité lui-même la clôture de l'affaire.
Dès lors, la demande de révocation de l'ordonnance de clôture sera rejetée.
En conséquence, les conclusions au fond du ministère public, également notifiées par la voie électronique le 21 février 2024, postérieurement à l'ordonnance de clôture, seront déclarées irrecevables en vertu des dispositions de l'article 802 du code de procédure civile.
Sur la procédure
Le ministère public sollicite du tribunal de « constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ». Cette demande de « constat », qui ne constitue pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile, ne donnera pas lieu à mention au dispositif.
Le tribunal rappelle toutefois qu'aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 20 octobre 2017. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Décision du 25 avril 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/04469
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
Mme [J] [L], se disant née le 30 mai 1993 à [Localité 4] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation maternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Elle expose que sa mère, Mme [R] [E], née le 8 février 1958 à [Localité 2] (Maroc), est née française sur le fondement de l'article 17-1° du code de la nationalité dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945, comme enfant légitime née d'un père français et a conservé la nationalite française lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie sur le fondement de l'article 32-1 du code civil, pour être issue de [W] [Z], née le 17 juin 1933 à [Localité 5], de statut civil de droit commun.
Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 13 novembre 2014 par le greffier en chef du service de la nationalité des Français nés et établis hors de France au motif que la copie de son acte de naissance produite lors de sa demande n'était pas conforme à la copie de ce même acte adressée par les autorités algériennes, comprenant des mentions divergentes (pièce n°1 de la demanderesse).
Le ministère public demande au tribunal de dire que la demanderesse n'est pas de nationalite française.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code, sans possibilité, pour lui, d'invoquer les certificats délivrés à des membres de sa famille, fussent-ils ses ascendants, dans la mesure où la présomption de nationalité française qui est attachée à ces certificats ne bénéficie qu'à leurs titulaires, et ce même s'ils n'ont fait l'objet d'aucune contestation.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par la demanderesse, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.
Il est rappelé à cet égard que les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance des départements d’Algérie, fixés au 1er janvier 1963, sont régis par l’ordonnance n°62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n°66-945 du 20 décembre 1966 ; ils font actuellement l’objet des dispositions des articles 32-1 et 32-2 du code civil ; il résulte en substance de ces textes que les Français originaires d’Algérie ont conservé la nationalité française:
- de plein droit, s’il étaient de statut civil de droit commun ce qui ne pouvait résulter que de leur admission ou de celle de l’un de leur ascendant, ce statut étant transmissible à la descendance, à la citoyenneté française en vertu exclusivement, soit d’un décret pris en application du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, soit d’un jugement rendu sur le fondement de la loi du 4 février 1919 ou, pour les femmes, de la loi du 18 août 1929, ou encore de leur renonciation à leur statut personnel suite à une procédure judiciaire sur requête, étant précisé que relevaient en outre du statut civil de droit commun les personnes d’ascendance métropolitaine, celles nées de parents dont l’un relevait du statut civil de droit commun et l’autre du statut civil de droit local, celles d’origine européenne qui avaient acquis la nationalité française en Algérie et les israélites originaires d’Algérie qu’ils aient ou non bénéficié du décret “Crémieux” du 24 octobre 1870 ;
- s’ils étaient de statut civil de droit local, par l’effet de la souscription d’une déclaration de reconnaissance au plus tard le 21 mars 1967 (les mineurs de 18 ans suivant la condition parentale dans les conditions prévues à l’article 153 du code de la nationalité française), ce, sauf si la nationalité algérienne ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962, faute de quoi ils perdaient la nationalité française au 1er janvier 1963.
Il appartient donc à la demanderesse, non titulaire d'un certificat de nationalité française, de démontrer, d'une part, une chaîne de filiation légalement établie à l'égard de son ascendante revendiquée et, d'autre part, d'établir que celle-ci relevait du statut civil de droit commun, par des actes d’état civil fiables et probants au sens de l’article 47 du code civil, étant rappelé qu'aux termes de l’article 20-1 du code civil, la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
Par ailleurs, nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil et de celui des ascendants qu’il revendique, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
En l'espèce, le ministère public soutient que l'acte de mariage produit pour justifier de la filiation de Mme [R] [E], mère de la demanderesse, à l'égard de [W] [Z], devenue [Y] [O], de statut civil de droit commun, est la transcription à l'état civil algérien d'un acte étranger et n'est donc pas probant.
La demanderesse n'a pas formulé d'observation sur ce point.
La copie intégrale, délivrée le 12 novembre 2019, de l'acte de mariage n°276 bis mentionne que le 23 février 1977 a été transcrit le mariage célébré le 17 février 1957 à [Localité 2] au Maroc de [H] [C] [E] et de [Y] [O] (pièce n°16 de la demanderesse).
Comme indiqué à juste titre par le ministère public, cet acte n'est donc pas l'original dressé à [Localité 2], mais la transcription à l'état civil algérien d'un acte étranger.
Or, en l'absence de production de l'acte original, le tribunal ne peut vérifier si les énonciations de l'acte algérien sont identiques à l'acte originel. Cet acte est donc dénué de valeur probante.
Par ailleurs, en tout état de cause, comme le relève à juste titre le ministère public, cet acte ne mentionne pas le nom de l'officier d'état civil l'ayant dressé, de sorte qu'il ne peut se voir reconnaître aucune force probante.
Or, en application de l'article 30 de l’ordonnance n°70/20 du 19 février 1970, applicable à la date de la transcription de l'acte, les actes d'état civil énoncent notamment les prénoms, nom et qualité de l'officier de l'état civil ayant dressé l'acte.
L'article 36 ajoute que « ces actes sont signés par l'officier d'état civil, par le comparant et les témoins ; mention est faite de la cause qui empêche les comparants et les témoins de signer ».
Il en résulte que la mention du nom de l'officier d'état civil qui a dressé l'acte de mariage constitue une mention substantielle, dont l'absence prive l'acte de toute force probante au sens de l'article 47 du code civil.
Le tribunal rappelle par ailleurs qu'un acte d'état civil est un acte par lequel un officier d'état civil constate personnellement un fait. Les mentions qui y sont apposées permettent ainsi d'attester de ce fait, soit, en l'espèce, de la naissance de l'intéressé.
Ainsi, en l'absence de cette mention substantielle, l'acte de mariage n’est pas conforme aux exigences de la loi applicable à la date de la transcription du mariage et, par ailleurs, ne répond pas à la qualification d'acte d'état civil. Il ne peut se voir reconnaître aucune force probante.
La demanderesse, qui soutient que l'omission du nom de l'officier d'état civil est une pratique usitée dans les centres d'état civil algérien, ne procède que par allégation et n'apporte pas d’élément précis et circonstancié démontrant l'existence d'un tel usage.
Dès lors, il n'est pas justifié d'un lien de filiation entre la mère revendiquée de la demanderesse, Mme [R] [E], et [W] [Z], de sorte que la demanderesse ne peut se prévaloir du statut civil de droit commun de cette dernière pour démontrer que sa mère a conservé la nationalité française de plein droit lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie.
La demanderesse ne justifie donc pas qu'elle est née d'une mère française.
En conséquence, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le ministère public, il y a lieu de débouter Mme [J] [L] de sa demande tendant à voir dire qu'elle est de nationalité française par filiation maternelle. Par ailleurs, dès lors qu'elle ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'elle n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [J] [L], qui succombe, sera condamnée aux dépens.
Par voie de conséquence, la demande de recouvrement des dépens au profit de Maître Leila Perrimond sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par le ministère public ;
Déclare irrecevables les conclusions au fond du ministère public, notifiées par la voie électronique le 21 février 2024 ;
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [J] [T] [Y] [L] de sa demande tendant à voir juger qu'elle est de nationalité française ;
Juge que Mme [J], [T] [Y] [L], née le 30 mai 1993 à [Localité 4] (Algérie), n'est pas de nationalité française ;
Déboute Mme [J] [T] [Y] [L] du surplus de ses demandes ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Condamne Mme [J], [T] [Y] [L] aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 25 Avril 2024
La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi