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25/04/2024 | FRANCE | N°21/00544

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 25 avril 2024, 21/00544


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :




2ème chambre civile

N° RG 21/00544 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CTSSZ

N° MINUTE :

Assignation du :
10 Août 2017


JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [I] [A]
[Adresse 2]
[Localité 10]

Madame [C] [A]
[Adresse 7]
[Localité 11]

Monsieur [BE] [A]
[Adresse 5]
[Localité 9]


Tous les trois représentés ensemble par Maître

Marie-Hélène ZIBERLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0595





DÉFENDERESSES

Madame [X] [Y]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
MAROC


S.C.I. [12]
[Adresse 1]
[Loc...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre civile

N° RG 21/00544 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CTSSZ

N° MINUTE :

Assignation du :
10 Août 2017

JUGEMENT
rendu le 25 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [I] [A]
[Adresse 2]
[Localité 10]

Madame [C] [A]
[Adresse 7]
[Localité 11]

Monsieur [BE] [A]
[Adresse 5]
[Localité 9]

Tous les trois représentés ensemble par Maître Marie-Hélène ZIBERLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0595

DÉFENDERESSES

Madame [X] [Y]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
MAROC

S.C.I. [12]
[Adresse 1]
[Localité 8]

Toutes les deux représentées ensemble par Maître Pierre SAINT-MARC GIRARDIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0941

Décision du 25 Avril 2024
2ème chambre civile
N° RG 21/00544 - N° Portalis 352J-W-B7F-CTSSZ

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M. Jérôme HAYEM, Vice-Président,
Madame Claire ISRAEL, Vice-Présidente,
Madame Sarah KLINOWSKI, Juge,

Assistés à l’audience de plaidoiries par Madame Sylvie CAVALIE, Greffière, et lors de la mise à disposition, par Madame Audrey HALLOT, Greffière,

DEBATS

A l’audience collégiale du 15 Février 2024 tenue publiquement devant Jérôme HAYEM et Claire ISRAEL, en formation double juges rapporteurs, Jérôme HAYEM a présidé et Claire ISRAEL a fait lecture du rapport, puis après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux conseils des parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 avril 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au Greffe,
Contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE

[D] [A] est décédé le [Date décès 6] 2014, laissant pour lui succéder :

-Son épouse, [R] [E], décédée depuis, le [Date décès 4] 2015,
-Leurs trois enfants, [I], [C] et [BE] [A] (ci-après les consorts [A]).

Depuis 2000, il vivait en concubinage avec Mme [X] [Y].

Le 8 février 2013 Mme [I] [A] a déposé plainte à l’encontre de Mme [X] [Y] pour abus de faiblesse commis au préjudice de [D] [A]. Cette plainte a fait l’objet d’un classement sans suite.

A la suite d’une plainte avec constitution de partie civile des consorts [A], une information judiciaire a été ouverte et après le décès de [D] [A], une expertise psychiatrique sur pièces a été ordonnée.

Par déclaration reçue au greffe du tribunal de grande instance de Perpignan, les consorts [A] ont accepté la succession de [D] [A] à concurrence de l’actif net.

Par ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 11 mai 2017, ils ont été autorisés à assigner Mme [X] [Y] aux fins de voir ordonner la restitution des fonds détournés au préjudice du défunt et voir prononcer la nullité d’actes passés par le défunt au profit de cette dernière, et à titre subsidiaire, pour le cas où l’insanité d’esprit ne serait pas retenue, solliciter la réduction des libéralités.

Par exploits d’huissier en date des 9 août 2017 et 24 août 2017, les consorts [A] ont fait assigner Mme [X] [Y] et la SCI [12] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins principales de voir condamner Mme [X] [Y] à restituer à la succession de [D] [A] diverses sommes qu’elle aurait détournées et de voir prononcer la nullité des actes consentis par [D] [A] au profit de Madame [Y] ou de la SCI [12].

En juin 2018, Mme [X] [Y] a communiqué trois testaments en date des 25 octobre 2006, 6 avril 2011 et 19 octobre 2011, par lesquels [D] [A] lui lègue les parts de la SCI [12] dont il serait encore propriétaire au jour de son décès ainsi que son compte courant dans ladite société.

Par ordonnance du 8 août 2018, dans la présente instance, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris sur la requête en nullité de l’expertise et la demande de contre-expertise présentée par les consorts [A] dans la procédure d’information judiciaire.

Par arrêt du 19 novembre 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes d’actes des consorts [A].

Par jugement du 24 septembre 2020 le tribunal judiciaire de Perpignan a ordonné la délivrance par les consorts [A] des legs consentis par [D] [A] à Mme [X] [Y]. Les consorts [A] ont interjeté appel de ce jugement.

Dans le cadre de la procédure pénale, une décision de non-lieu est intervenue le 7 octobre 2020, confirmée par arrêt de la chambre de l’instruction en date du 12 octobre 2021. Les consorts [A] ont formé un pourvoi en cassation le 15 octobre 2021, lequel a été déclaré non admis par arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2023.

Par ordonnance du 7 juillet 2022, dans la présente instance, le juge de la mise en état a :

-Déclaré irrecevable l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les consorts [A],
-Déclaré irrecevable leur demande tendant à écarter des débats les pièces 7 et 8 produites en défense,
-Rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [X] [Y] pour demander une expertise aux fins d’évaluer la valeur des biens objets d’une donation-partage des 14 et 27 décembre 2007 consentie par [D] [A] à ses enfants,
-Rejeté cette demande d’expertise formée par Mme [X] [Y] et la SCI [12].

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 mars 2023, les consorts [A] demandent au tribunal de :

-Recevoir les consorts [A] en leurs demandes
-Ecarter des débats les pièces 7 et 8 de Madame [X] [Y],
-Dire et juger qu’à la date des actes incriminés de 2010 à 2013, Monsieur [D] [A] souffrait d’une insanité d’esprit,
-Dire et juger que Madame [Y] [X] doit répondre en tant que mandataire des détournements commis au préjudice de Monsieur [D] [A],
-Condamner Madame [X] [Y] en application des dispositions de l’article 1992 du code civil à restituer à la succession de Monsieur [D] [A] les fonds détournés soit les sommes de :

592 135,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 Mars 2012 ;89 717,47 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 Septembre 2012 ;26 915,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 Septembre 2012
-Dire et juger que les actes suivants sont nuls et de nul effet en application des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du code civil et subsidiairement de l’article 901 du code civil :

Acte de cession des parts sociales de la SCI [12] portant sur les parts numéros 6 et 7 du 7 janvier 2010 ;Acte de cession des parts sociales de la SCI [12] portant sur les parts numéros 2 à 5 du 28 mars 2011 ;Achat d’un véhicule neuf 4x4 LANDROVER le 1 er Décembre 2011 pour 36 062,00 euros.

-Ordonner en conséquence de la nullité des actes suscités :
La réintégration dans le patrimoine du défunt de la propriété des 6 parts sociales de la SCI [12] portant les numéros 2 à 7 ;La restitution en valeur du véhicule à la succession de Monsieur [D] [A] ;
-Dire et juger que le jugement à intervenir sera déclaré opposable à la SCI [12],

-Dire et juger les actes suivants sont nuls et de nul effet et ce en application de l’article 901 du code civil :

Apport de 94 634,64 euros pour l’achat d’un appartement à [Localité 14] ,Renonciation au paiement de la somme de 118 098,07 pour la vente de la nue-propriété de deux appartements à [Localité 14] ,Remise de dette de la somme de 727 720,53 euros en principal et intérêts pour la villa de [Localité 15] ,Achat d’une montre ROLEX le 5 Juin 2012 pour 27 270 euros,En cas de recevabilité de la demande de délivrance de legs soumise à l’appréciation de la CA de Montpellier, les testaments des 25 octobre 2006, 6 Avril et 19 octobre 2011,
-En conséquence, condamner Madame [X] [Y], seule bénéficiaire de ces actes à rembourser aux héritiers de Monsieur [D] [A], Madame [I] [A], Madame [C] [A] et Monsieur [BE] [A] les sommes suivantes :

La somme de 94 634,64 euros au titre de l’apport ayant contribué à l’acquisition de l’appartement de [Localité 14] avec intérêts au taux légal à compter du 18 Mai 2010 ,La somme de 118 098,07 euros au titre du prix de la vente de la nue-propriété de deux appartements sis à [Localité 14] avec intérêts au taux légal à compter du 20 Avril 2011 ,La somme de 727 720,53 euros avec intérêts au taux conventionnel de 4,50 % à compter de la date de la remise de dette afférente à l’acquisition de la villa de [Localité 15], soit le 19 octobre 2011 ,La valeur de la montre ROLEX soit la somme de 27 270 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date d’acquisition ;
-Condamner la SCI [12] à payer à Madame [I] [A], Madame [C] [A] et Monsieur [BE] [A] la somme de 399 271,06 euros sauf à parfaire en remboursement du compte courant d’associé de Monsieur [D] [A] dans la SCI [12] et ce avec intérêts au taux légal à compter de la demande ,

-A TITRE SUBSIDIAIRE et pour le cas où par extraordinaire le tribunal ne retiendrait pas l’insanité d’esprit de Monsieur [D] [A],
-Recevoir les consorts [A] dans leur action en réduction de libéralités excessives,
-Dire et juger que les actes incriminés constituent en tout état de cause des libéralités et sont donc réductibles à la quotité disponible,
-Donner acte aux consorts [A] de ce qu’ils se réservent de chiffrer leur demande de réduction des libéralités excessives dès lors que le tribunal aura statué sur leurs demandes d’annulation desdites libéralités formées à titre principal, et leur accorder un délai pour ce faire ,
-Dire et juger que les intérêts au taux légal seront dus sur l’indemnité de réduction et payables à compter de l’ouverture de la succession .

EN TOUT ETAT DE CAUSE

-Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
-Débouter Madame [X] [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-Condamner Madame [X] [Y] à payer à chacun des requérants la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
-Condamner Madame [X] [Y] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Marie-Hélène ZIBERLIN, Avocat aux offres de droit.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 16 mai 2023, Mme [X] [Y] et la SCI [12] demande au tribunal de :

-Déclarer que Madame [Y] conteste avoir bénéficié des largesses de Monsieur [A] telles que mentionnées dans l’assignation régularisée à la demande des Consorts [A],
-Déclarer que les Consorts [A] n’apportent pas la preuve d’une quelconque insanité d’esprit de Monsieur [D] [A] à l’époque des faits dont ils font état,
-Déclarer que les Consorts [A] échouent à rapporter la preuve de l’existence de donations consenties par Monsieur [D] [A] à Madame [X] [Y],
-Déclarer acquises aux débats les pièces 7 et 8 communiquées dans l’intérêt de Madame [Y],
-Débouter les Consorts [A] de toutes leurs demandes, dirigées tant contre Madame [Y] que contre la SCI [12],
-Condamner in solidum Madame [I] [A], Madame [C] [A] et Monsieur [BE] [A] à verser à Madame [X] [Y] la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral,
-Condamner in solidum Madame [I] [A], Madame [C] [A] et Monsieur [BE] [A] à verser à Madame [X] [Y] la somme de 10.000 euros au titre de l’indemnité de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
-Condamner in solidum Madame [I] [A], Madame [C] [A] et Monsieur [BE] [A] au paiement des dépens, dont distraction au profit de Pierre SAINT-MARC GIRARDIN, Avocat aux offres de droit.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 mai 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 15 février 2024.

Dans le temps du délibéré et sur autorisation du tribunal, les parties lui ont communiqué l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier en date du 22 mars 2024, qui confirme le jugement du tribunal judiciaire de Perpignan du 24 septembre 2020 en ce qu’il a ordonné la délivrance à Mme [X] [Y] des legs consentis par [D] [A] par testaments des 6 avril 2011 et 19 octobre 2011 mais l’a déboutée de sa demande de délivrance de legs au titre du testament du 25 octobre 2006.

MOTIFS DE LA DECISION

Il sera rappelé à titre liminaire que les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.

Sur la demande de « restitution » à la succession au titre des virements sur le compte marocain

Les consorts [A] se fondent sur les dispositions de l’article 1992 du code civil pour demander la condamnation de Mme [X] [Y] à restituer à la succession les sommes prélevées par elle sur le compte bancaire ouvert par le défunt à la [16] au Maroc. Ils font valoir que :

-Apparaît au débit du compte un virement de la somme de 6 600 000 MAD (dirham marocain) le 7 mars 2012, soit une somme de 592 135,36 euros au profit de Mme [Y] ; qu’il est probable que cette dernière avait procuration sur ce compte et qu’elle n’a jamais expliqué ce virement,
-Mme [Y] a elle-même signé deux virements à son profit le 13 septembre 2012 pour la somme de 1 000 000 MAD soit 89 717,47 euros et le 14 septembre 2012 pour la somme de 300 000 MAD soit 26 915,24 euros ; qu’il est probable qu’elle avait procuration sur ces comptes et que ces prélèvements inexplicables constituent un abus de son mandat ; qu’elle n’a fourni aucune explication sur ces virements.

Mme [X] [Y] conteste tout « abus de mandat » et fait valoir qu’il appartient aux demandeurs d’en rapporter la preuve, s’agissant d’actes accomplis ou décidés par leur père et soutient qu’à supposer l’existence d’un mandat, [D] [A] était parfaitement capable de gérer son patrimoine.

Sur ce

Aux termes des dispositions de l’article 1992 du code civil, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.

Néanmoins, en application des dispositions de l’article 1353 du même code, il appartient à ceux qui se prévalent des fautes de gestion d’un mandataire de rapporter la preuve préalable de l’existence d’un tel mandat.

En l’espèce, Mme [X] [Y] ne reconnaît pas avoir été titulaire d’une procuration sur les comptes bancaires marocains de [D] [A].

Il ressort des pièces versées aux débats par les consorts [A] que plusieurs virements ont été effectués au débit du compte Société Générale de [D] [A] en faveur de Mme [X] [Y] : un virement d’un montant de 6 600 000 MAD en date du 7 mars 2012 et deux virements respectivement d’un montant de 1 000 000 et 300 000 MAD en date des 13 et 14 septembre 2012.

Les consorts [A] ne démontrent toutefois pas que Mme [X] [Y] était titulaire d’une procuration sur ce compte, ni que c’est elle qui a signé les ordres de virement qui sont produits.

Leur demande, fondée sur les dispositions relatives à l’exécution d’un contrat de mandat dont l’existence n’est pas prouvée, sera donc rejetée.

Sur les demandes de nullité pour insanité d’esprit

Les consorts [A] demandent au tribunal, sur le fondement des articles 414-1 et 414-2, de prononcer la nullité des cessions par [D] [A] à Mme [X] [Y] de parts sociales de la SCI [12] intervenues les 7 janvier 2010 (deux parts) et 28 mars 2011 (4 parts), de même que de l’acquisition pour le compte de Mme [X] [Y] d’un véhicule 4x4 Landrover le 1er décembre 2011 au prix de 36 062 euros.

Subsidiairement, ils demandent au tribunal de requalifier ces actes en donations déguisées et de les annuler sur le fondement de l’article 901 du code civil.

Par ailleurs, sur le fondement du seul article 901 du code civil, ils demandent au tribunal de prononcer la nullité d’actes constitutifs selon eux de donations déguisées et exposent que :

-Par acte notarié du 18 mai 2010, Mme [X] [Y] a acquis un appartement à [Localité 14] au prix de 725 000 MAD, qu’elle n’était pas en mesure de payer elle-même à défaut de revenus personnels, mais encore que le jour-même [D] [A] a fait un chèque au profit du vendeur pour la somme de 24 100 euros, soit 240 000 MAD, soit un tiers du prix, cette dépense faite hors la comptabilité du notaire et s’ajoutant au prix de vente, devant être qualifiée de don manuel au profit de Mme [Y]. Ils demandent au tribunal de prononcer la nullité de ces dons manuels et d’ordonner la restitution à la succession des sommes payées soit 65 862,39 euros correspondant au prix de 725 000 MAD et 24 100 euros, outre les frais à hauteur de 672,25 euros, soit un total de 90 634,64 euros. ;
-Par deux actes notariés du 20 avril 2011, [D] [A] a vendu à Mme [X] [Y] la nue-propriété de deux appartements situés à [Localité 14], chacun moyennant un prix de 650 000 MAD ; que le prix est indiqué dans les deux cas payé « hors la vue du notaire » ; que Mme [Y] n’avait pas les moyens de payer ces prix et qu’il n’a été retrouvé aucune trace de paiement des prix de vente de sorte qu’il peut être déduit que Mme [X] [Y] n’a pas payé les prix de vente, la renonciation à percevoir le prix de vente de [D] [A] constituant une donation déguisée qui doit être annulée ;
-Le 19 mars 2008, Mme [X] [Y], se substituant à [D] [A] dans le bénéfice d’un compromis de vente, a acquis une villa à [Localité 15] moyennant un coût total (prix et frais) de 569 700 euros, payé entièrement par [D] [A], ce dernier ayant également versé une somme de 30 000 euros au notaire du vendeur en exécution du compromis de vente et retiré en espèce une somme de 30 000 euros le jour de la vente le 19 mars 2008, de sorte qu’il a payé en tout une somme de 629 700 euros. Le même jour, une reconnaissance de dette notariée a été signée par Mme [X] [Y] pour une somme de 569 700 euros, remboursable sous cinq ans, moyennant un taux de 4,5% par an, ce prêt étant garanti par une hypothèque sur le bien inscrite le 25 avril 2008 pour un montant de 626 670 euros. Or, le 19 octobre 2011, [D] [A] a signé la mainlevée de l’hypothèque et déclaré au notaire que la créance avait été remboursée au 11 mai 2011, ce qui est faux. Cet acte de renonciation à une créance contre Mme [X] [Y] constitue une donation déguisée, laquelle doit être annulée ;
-Et que [D] [A] a acquis le 5 juin 2012 une montre ROLEX au prix de 27 270 euros, en or rose et brillante, soit un modèle féminin, qui constitue un cadeau à Mme [X] [Y] excédant un présent d’usage et constitue une donation.

Enfin, ils demandent au tribunal d’annuler les testaments des 6 avril et 19 octobre 2011, « dans l’hypothèse dans laquelle la cour d’appel de Montpellier déclarerait recevable la délivrance de legs », la demande de nullité portant sur le testament du 25 octobre 2006 ne saisissant pas le tribunal dès lors que la délivrance des legs n’a pas été ordonnée à ce titre.

Pour soutenir que [D] [A] n’était pas sain d’esprit au moment de la conclusion de ces actes, ils font valoir que :

-Une procédure de tutelle avait été introduite à leur demande par requête du 11 juin 2013,
-[D] [A] a lui-même saisi le juge des tutelles de Paris le 12 mars 2014 mais la procédure n’a pas abouti, en raison de son décès,
-L’état de santé de [D] [A] était fortement altéré les années précédant son décès et le diagnostic de maladie d’Alzheimer avait été posé en 2011,
-Le bilan en 2011 montre une importante désorientation temporo-spatiale, des fluctuations attentionnelles, un ralentissement, un syndrome dysexécutif, une apraxie,
-Le 16 octobre 2012, le Docteur [F] relève que [D] [A] reste dans les tâches complexes un peu affaibli et d’un raisonnement qui ne correspond pas à son très haut niveau culturel, que perdure une apathie relativement importante et que Mme [Y] indique que son asthénie physique et psychique s’est aggravée au cours des deux derniers mois,
-Mme [Y] elle-même a signalé que l’état de santé de [D] [A] a commencé à se dégrader 3 ans avant le diagnostic, soit depuis 2008,

-Deux IRM cérébrales des 25 juillet 2011 et 30 mars 2013 ont été soumises à un spécialiste, le Docteur [L] [H], les 15 et 22 mars 2017, lequel conclut que l’IRM de 2011 est « en faveur d’une importante atrophie cortico-sous-corticale témoignant d’une dégénérescence cérébrale majeure. L’atrophie hippocampique importante est également en faveur de lésions dégénératives de type Alzheimer » et il la qualifie de stade IV soit un stade avancé,
-L’expertise de Mme [U], expert désignée par le juge d’instruction, est contestable car en sa qualité de psychiatre, elle n’est pas compétente pour analyser une pathologie liée à la dégénérescence neurologique et analyser les IRM, et ne s’est adjointe aucun sapiteur ; la contre-expertise a été refusée,
-Elle n’a jamais rencontré [D] [A] et son affirmation selon laquelle les troubles constatés de 2011 à 2014 sont décrits comme modérés est inexacte au regard des courriers des Docteur [P] et [F] notamment et du certificat du 12 mars 2013, du Docteur [V] en vue d’une mise sous protection judiciaire,
-Le 10 mars 2014, le Docteur [K], médecin spécialiste inscrit sur la liste prévue à l’article 431 du code civil qui établit le certificat médical indique que [D] [A] n’a plus toutes les capacités nécessaires pour se débrouiller seul et a besoin d’un entourage rassurant,
-Le test de l’horloge réalisé, non daté, montre qu’il n’est plus capable de placer correctement les aiguilles,
-Tous les témoins qui l’ont connu ont confirmé qu’il était dépendant de Mme [Y] qui s’occupait de ses affaires et qu’il ne les reconnaissait plus et apparaissait inapte à gérer ses affaires,
-Lors de son audition par les services de police le 5 février 2013 il déclare ne pas connaître l’état de son patrimoine ni de ses revenus et indique ne pas avoir fait de testaments,
-Lors de son audition par le juge des tutelles le 28 mai 2014, il n’est pas capable de décrire son patrimoine, ce qui a déterminé le juge à ordonner une expertise,
-M. [A] n’était donc pas en mesure de consentir aux actes complexes dont Mme [Y] a bénéficié de 2010 à 2013.

Sans répondre sur chacune des opérations litigieuses, Mme [X] [Y] et la SCI [12] opposent essentiellement que :

-L’expertise de Mme [W] [U] conclut à l’absence d’éléments médicaux en faveur d’un état de vulnérabilité ou de faiblesse psychique de [D] [A] entre 2011 et 2014,
-Les consorts [A] ont été déboutés de toutes leurs demandes d’actes ou de contre-expertise et le non-lieu a été confirmé par la cour d’appel de Paris et leur pourvoi a été déclaré non-admis,

-Ils ont également été déboutés de leurs demandes dirigées contre elle au titre du changement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie par arrêt du 21 mai 2019 de la cour d’appel de Paris, confirmant le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 octobre 2017, après avoir examiné les mêmes pièces que celles soumises à l’examen du tribunal dans la présente instance,
-De même la chambre de l’instruction dans son arrêt du 12 octobre 2021 a retenu qu’il résulte des pièces médicales que les lésions qui affectaient le fonctionnement cérébral de [D] [A] plusieurs années avant son décès, par leur ampleur et leur localisation n’affectaient pas sa capacité de jugement ou de gérer ses propres affaires, que les investigations ont pu montrer qu’il était capable de raisonnement,
-L’audition de [D] [A] par les services de police en 2013 démontre qu’il a choisi ses réponses,
-Le Docteur [F] a bien relevé le 12 février 2014 la stabilité de l’état psychique et cognitif de [D] [A], capable de gérer les affaires financières courantes à l’exception de situation de gestion très complexes,
-Les consorts [A] cherchent à lui nuire depuis des années alors que Mme [Y] conteste avoir bénéficié des largesses de [D] [A].

Sur ce

Aux termes des articles 414-1 et 414-2 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :

1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou aux fins d'habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.

L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 2224.

L’article 901 du même code dispose que pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

En l’espèce, les actes argués de nullité en raison de l’insanité d’esprit de [D] [A] datent au plus tôt du 7 janvier 2010 et au plus tard du 5 juin 2012. Il appartient donc aux consorts [A] de démontrer l’existence d’un trouble mental de [D] [A] à cette période tel qu’il était privé de sa faculté de discernement.
Il est constant qu’avant le décès de [D] [A], une action a été introduite par les consorts [A] aux fins de voir ordonner une mesure de protection judiciaire à son profit et la recevabilité de l’action des demandeurs n’est d’ailleurs pas contestée.

Toutefois, l’action aux fins de protection de [D] [A] n’a été introduite par les consorts [A] que par requête du 11 juin 2013, soit un an après le dernier acte litigieux et l’analyse des pièces médicales versées aux débats ne permet pas de démontrer qu’au jour des actes litigieux, les facultés mentales de [D] [A] étaient altérées d’une façon telle qu’il n’était pas en mesure d’en apprécier l’objet et la portée et partant, qu’il n’était pas sain d’esprit au sens des articles 414-1 et 901 du code civil.

Par courrier du 29 avril 2011, le Professeur [O] [P] (néphrologue) se contente de souligner l’état « extrêmement adynamique » de son patient qu’il adresse à un gériatre.

Dans son courrier du 3 mai 2011, le Docteur [Z] [F] (gériatre), diagnostique un « début de maladie neurodégénérative », et s’il note que d’après Mme [Y], présente lors du rendez-vous, « les choses ont commencé à se dégrader il y a 3 ans environ », aucune précision n’est donnée sur les éventuels troubles antérieurs et il relève au jour de son examen des troubles se manifestant principalement par un ralentissement, un désintérêt progressif et une hypersomnie, ainsi que des troubles de la mémoire qui sont « finalement relativement modestes » tout en soulignant que « le reste des fonctions cognitives en consultation est plutôt assez bien préservé même si compte tenu de son niveau social certaines réponses sont à la limite de la normale ».

Le 27 juillet 2011, le Docteur [T] [S] qui a réalisé des examens complémentaires, note une importante désorientation temporo-spatiale, des fluctuations attentionnelles, un ralentissement, un syndrome dysexécutif, une apraxie réflexive sans troubles visuo-spatiaux ni trouble du langage » mais indique que ces troubles s’expliquent en grande partie par le syndrome d’apnées du sommeil sévère du patient.

Le 23 août 2011, le Docteur [F] écrit que « l’évaluation neuropsychologique a bien montré un profil neurodégénératif évocateur avant tout de maladie d’Alzheimer. L’intensité du déclin cognitif est dans ce bilan puissamment modulée par des gros troubles de l’attention » et pense que la prise en charge du syndrome d’apnée du sommeil améliorera considérablement les performances cognitives du malade », ce syndrome étant sévère et l’appareillage permettant une nette amélioration.

D’ailleurs, lors de l’examen du 5 août 2011, le Professeur [P] expose que [D] [A] a répondu très correctement aux questions posées.

Le 9 octobre 2012, le Professeur [P] relève que lors de la consultation du 28 septembre 2012, [D] [A] a été en mesure de venir seul de l’Opéra jusqu’à l’hôpital (dans le [Localité 8]).

Le 16 octobre 2012, soit postérieurement à la date du dernier acte argué de nullité, le Docteur [F] écrit que l’état cognitif de [D] [A] est plutôt satisfaisant, que les tests de routine sont pratiquement normaux, ce qui atteste d’une part d’amélioration liée au traitement du syndrome d’apnée du sommeil. Il indique que [D] [A] « reste dans les tâches complexes un peu affaibli et un raisonnement qui ne correspond pas à son très haut niveau culturel » mais que « pour autant le déficit est extrêmement modéré et ne l’empêche pas de mener une vie normale avec sa compagne ».

Il résulte de l’ensemble de ces éléments, ainsi que des attestations et témoignages versés aux débats par les demandeurs – qui portent pour certaines sur des périodes postérieures aux actes litigieux – ou de l’analyse réalisée par le Docteur [L] [H] en 2017, à partir de l’IRM cérébrale réalisée le 25 juillet 2011, que [D] [A] était atteint d’une maladie neurodégénérative débutante et d’un syndrome d’apnée du sommeil important qui le fatiguaient beaucoup et qui ont pu affecter ses capacités mentales, en comparaison à son niveau intellectuel antérieur mais il n’est pas démontré qu’entre le 7 janvier 2010 et le 5 juin 2012, il n’était pas en mesure de comprendre la portée des actes qu’il a conclus.

Il convient d’ailleurs de souligner que les cessions de parts de la SCI [12], l’acquisition par Mme [X] [Y] de l’appartement à [Localité 14] et les dons manuels allégués à ce titre, sont antérieurs aux premiers éléments médicaux communiqués.

Les demandeurs font valoir que l’analyse du Docteur [H] conclurait à une maladie d’Alzheimer d’un stade avancé, mais cette analyse de l’imagerie ne peut à elle seule permettre de déterminer l’état exact de [D] [A] à la date considérée, alors que le Docteur [H] n’a pas examiné le patient, à la différence du Docteur [F] par exemple.

Les demandeurs se fondent également sur des éléments médicaux postérieurs aux actes attaqués, de mars 2013 à mars 2014, donc postérieurs d’au moins neuf mois au dernier acte litigieux du 5 juin 2012, de sorte que ces éléments sont peu pertinents s’agissant de l’état mental de [D] [A] au moment des actes objets du présent litige.

Toutefois, il est intéressant de noter que le 29 avril 2013, le Docteur [G] [M] réalise le bilan après une hospitalisation consécutive à un malaise, qui s’il fait clairement apparaître des troubles somatiques et indique que l’IRM réalisée 15 jours avant l’hospitalisation montrait des signes d’un accident ischémique semi-récent, relève néanmoins sur le plan cognitif : « au plan neurologique, conscience normale. Bonne orientation temporo-spatiale. (…) pas d’aphasie » et que le 10 mars 2014, soit près de deux ans après le dernier acte attaqué, le Docteur [J] [K], médecin spécialiste inscrit sur la liste prévue à l’article 431 du code civil qui établit le certificat médical en vue de la procédure de mise sous protection, écrit que l’intéressé est capable de commenter l’actualité dans ses grandes lignes, il comprend ce qui se raconte et s’il conclut que l’intéressé « n’a plus toutes les capacités nécessaires pour se débrouiller seul », il ajoute qu’il est néanmoins en mesure d’établir un mandat de protection futur.

Il ressort en outre de l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris en date du 12 octobre 2021, que le Docteur [F] a confirmé lors de son audition dans le cadre de la procédure pénale que le 1er février 2013, soit postérieurement aux actes argués de nullité dans la présente instance, [D] [A] avait conservé des capacités intellectuelles « parfaitement compatibles avec la maîtrise de la gestion de ses affaires civiles et personnelles », précisant que le diagnostic d’une maladie chronique évolutive à un stade débutant « n’entraîne pas la mise en œuvre d’une mesure qui peuvent être légitimes à des stades avancés », ce qui n’était pas le cas de son patient, même au moment de son décès.

L’expert judiciaire désigné dans le cadre de la procédure pénale pour procéder à une expertise psychiatrique sur les dossiers médicaux de [D] [A], Mme [W] [U] a ainsi conclu le 18 décembre 2017 que : « tous les éléments médicaux évoqués et sur le faisceau d’arguments, nous considérons que l’état psychique de M. [D] [A] entre 2011 et 2014 lui permettait d’être en mesure de comprendre la portée de ses actes et particulièrement de nature financière. Il n’existe pas d’élément en faveur de l’état de vulnérabilité ou de faiblesse psychique de Monsieur [A] entre 2011 et 2014 ».

Enfin, les consorts [A] se fondent sur l’audition de [D] [A] par les services de police le 5 février 2013. Il convient toutefois de souligner que dans le contexte très spécifique d’une audition dans le cadre d’une procédure pénale, l’intéressé peut tout à fait avoir orienté ses réponses et même menti, notamment sur l’existence de testaments ou la composition de son patrimoine de sorte qu’il ne saurait être déduit du caractère objectivement erroné de certaines déclarations, que [D] [A] n’était pas sain d’esprit, alors qu’au contraire, il ressort de cette pièce qu’il était capable de répondre assez précisément à des questions dans un contexte qui peut être stressant.

Dès lors, l’ensemble des demandes principales ou subsidiaires formées par les consorts [A] tendant à prononcer la nullité des divers actes consentis par lui étant fondées sur son insanité d’esprit, elles seront rejetées en l’absence de preuve d’une telle insanité d’esprit, ainsi que l’ensemble des demandes subséquentes de restitution, réintégration, remboursement à la succession, sans qu’il ne soit besoin d’examiner la demande de requalification de certains actes en libéralités.

Sur le compte courant d’associé

Les consorts [A] demandent au tribunal de condamner la SCI [12] à leur verser la somme de 399 271,06 euros au titre du compte courant d’associé de [D] [A], avec intérêts au taux légal à compter de la demande.

Ils font valoir que l’acquisition de l’hôtel à Perpignan par la SCI [12] a été financée au moyen d’un prêt in fine sur 8 ans, le 11 janvier 2005, pour un montant de 500 000 euros souscrit auprès du [13] et garanti par une assurance vie Lionvie Rouge Corinthe Serie 2 souscrite par [D] [A], laquelle a été mobilisée le 26 mars 2013, puisqu’il a sollicité à cette date le rachat anticipé de son assurance vie pour rembourser le prêt de la SCI à hauteur de 380 000 euros. Il a donc financé l’acquisition de l’hôtel à titre personnel à hauteur de 380 000 euros alors qu’il ne détenait qu’une seule part de la SCI, ce paiement bénéficiant indirectement mais quasi exclusivement à Mme [X] [Y] propriétaire à 90% de la société. Cet apport est inscrit au compte de la société qui s’élève au 31 décembre 2017 à hauteur de 399 271,06 euros.

Sur ce

Aux termes de l’article 1014 du code civil, tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.

En l’espèce, il est constant que par testament des 6 avril 2011 et 19 octobre 2011, [D] [A] a légué à Mme [X] [Y] son compte courant de la SCI [12].

La demande tendant à prononcer la nullité de ces testaments a été rejetée ci-avant.

Par ailleurs, par arrêt du 22 mars 2024, confirmant ainsi le jugement du tribunal judiciaire de Perpignan du 24 septembre 2020, la cour d’appel de Montpellier a ordonné la délivrance par les consorts [A] à Mme [X] [Y] des legs consentis par ces deux testaments, en ce compris donc, le legs du compte courant. Cette décision est revêtue de l’autorité de chose jugée.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que par l’effet du legs et par application de l’article 1014 précité, Mme [X] [Y] est devenue propriétaire du compte courant, lequel ne saurait donc être « restitué » aux héritiers.

La demande des consorts [A] à ce titre sera donc rejetée.

Sur la demande subsidiaire de requalification en libéralités et « l’action en réduction »

A titre subsidiaire, si le tribunal ne retenait pas l’insanité d’esprit, les consorts [A] demandent au tribunal de qualifier l’ensemble des actes litigieux de libéralités selon les moyens exposés ci-dessus, de « leur donner acte qu’ils se réservent de chiffrer leur demande de réduction des libéralités excessives » sur le fondement de l’article 920 du code civil, et de leur « accorder un délai pour ce faire ».

Ils font valoir que l’importance des opérations patrimoniales consenties par le défunt au profit de Mme [Y] démontre l’intention libérale, cette dernière n’invoquant d’ailleurs ni une obligation naturelle ni la rémunération d’un quelconque service rendu.

Ils soutiennent que leur demande constitue bien une action en réduction, contrairement à ce qu’a considéré le juge de la mise en état dans sa décision du 7 juillet 2022, mais exposent qu’ils ne sont pas en mesure de reconstituer le patrimoine pour le calcul de la quotité disponible et donc de chiffrer l’indemnité de réduction, le tribunal n’ayant pas encore statué sur les libéralités dont ils demandent à titre principal l’annulation et la cour d’appel de Montpellier n’ayant pas statué sur l’action en délivrance des legs.

Mme [X] [Y] et la SCI [12] opposent que les consorts [A] échouent à rapporter la preuve de l’existence de libéralités et plus précisément à prouver qu’elle n’aurait pas disposé des moyens financiers lui permettant d’acquérir son patrimoine, que [D] [A] en a financé l’acquisition, qu’il s’agit d’opérations déguisées et qu’il a agi dans une intention libérale et non pas en exécution d’une dette civile ou naturelle, ou d’une rémunération en raison des soins reçus durant leurs 15 années de vie commune.
Elles ajoutent qu’en tout état de cause, si le tribunal devait retenir l’existence libéralités au profit de Mme [Y], devraient être pris en compte les biens donnés par [D] [A] à ses enfants aux termes des donations partage des 14 et 27 décembre 2007 (ses pièces 7 et 8) pour leur valeur réelle à la date de la donation et non celle déclarée à l’acte.

Sur ce

Le tribunal n’étant saisi que d’une demande tendant à « donner acte aux consorts [A] de ce qu’ils se réservent de chiffrer leur demande de réduction des libéralités excessives dès lors que le tribunal aura statué sur leurs demandes d’annulation desdites libéralités formées à titre principal, et leur accorder un délai pour ce faire » n’est pas saisi d’une action en réduction au sens des articles 921 et suivants du code civil.

Cette demande de « donner acte » et tendant à accorder un délai à une partie pour lui permettre de former une nouvelle demande, ne constitue en effet pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, en l’absence de précision sur les donations dont une éventuelle réduction serait demandée, d’élément dans les écritures sur le patrimoine du défunt et l’ensemble des donations antérieures permettant les opérations de réduction, alors qu’il était tout à fait possible aux demandeurs, contrairement à ce qu’ils indiquent, de chiffrer leur demande ou au moins d’évaluer la masse des biens permettant le calcul de la quotité disponible après la réunion fictive prévue à l’article 922.

Il ne sera donc pas répondu à ces demandes au dispositif du présent jugement.

Leur demande tendant à écarter des débats les pièces 7 et 8 produites en défense sera par ailleurs rejetée, cette demande étant sans objet dès lors que ces pièces ne fondent nullement la décision du tribunal en ce qu’elles sont produites au soutien d’une demande qui ne constitue pas une prétention et dont le tribunal n’est donc pas saisi.

Sur les dommages et intérêts

A titre reconventionnel, Mme [X] [Y] demande au tribunal de condamner les consorts [A] sur le fondement de l’article 1240 code civil à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Les consorts [A] opposent qu’elle ne démontre aucune faute de leur part qui ne saurait résulter de la seule saisine du tribunal.

Sur ce

L’exercice d’une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, Mme [X] [Y] ne rapporte pas la preuve d’une telle faute des consorts [A] et sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

Les consorts [A], parties succombant à l’instance seront condamnés in solidum aux dépens, avec distraction dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Toutefois, l’équité commande de rejeter l’ensemble des demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il y a lieu de rappeler que la présente décision est assortie de plein droit de l’exécution provisoire sans qu’il ne soit nécessaire de l’ordonner.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort

Rejette les demandes formées par Mme [I] [A], Mme [C] [A] et M. [BE] [A], tendant à :

-Ecarter des débats les pièces 7 et 8 de Mme [X] [Y],
-Condamner Mme [X] [Y] à restituer à la succession de [D] [A] les sommes de 592 135,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2012, 89 717,47 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2012 et 26 915,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2012,

-Prononcer la nullité des actes suivants :
Les actes de cession des parts sociales de la SCI [12] des 7 janvier 2010 et 28 mars 2011, L’acte d’acquisition d’un véhicule neuf 4x4 LANDROVER du 1er décembre 2011, L’apport de 94 634,64 euros pour l’achat d’un appartement à [Localité 14], La renonciation au paiement de la somme de 118 098,07 pour la vente de la nue-propriété de deux appartements à [Localité 14], La remise de dette de la somme de 727 720,53 euros en principal et intérêts pour la villa de [Localité 15],L’achat d’une montre ROLEX le 5 juin 2012 pour 27 270 euros,Les testaments des 25 octobre 2006, 6 avril 2011 et 19 octobre 2011,
-Ordonner en conséquence de la nullité des actes suscités :
La réintégration dans le patrimoine du défunt de la propriété des 6 parts sociales de la SCI [12], La restitution en valeur du véhicule à la succession de [D] [A], Le remboursement par Mme [X] [Y] aux héritiers de [D] [A], des sommes suivantes : 94 634,64 euros au titre de l’apport ayant contribué à l’acquisition de l’appartement de [Localité 14] avec intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2010 ; 118 098,07 euros au titre du prix de la vente de la nue-propriété de deux appartements sis à [Localité 14] avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2011 ; 727 720,53 euros avec intérêts au taux conventionnel de 4,50 % à compter de la date de la remise de dette afférente à l’acquisition de la villa de [Localité 15], soit le 19 octobre 2011 ; la valeur de la montre ROLEX soit la somme de 27 270 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date d’acquisition,
-Condamner la SCI [12] à leur payer la somme de 399 271,06 euros sauf à parfaire en remboursement du compte courant d’associé de [D] [A],

Dit que ne constituent pas des prétentions, les demandes suivantes formées par Mme [I] [A], Mme [C] [A] et M. [BE] [A], tendant à :

-« Dire et juger que les actes incriminés constituent en tout état de cause des libéralités et sont donc réductibles à la quotité disponible,
-Donner acte aux consorts [A] de ce qu’ils se réservent de chiffrer leur demande de réduction des libéralités excessives dès lors que le tribunal aura statué sur leurs demandes d’annulation desdites libéralités formées à titre principal, et leur accorder un délai pour ce faire.
-Dire et juger que les intérêts au taux légal seront dus sur l’indemnité de réduction et payables à compter de l’ouverture de la succession »,

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par Mme [X] [Y],

Condamne Mme [I] [A], Mme [C] [A] et M. [BE] [A], in solidum aux dépens,

Dit que les dépens pourront être directement recouvrés par Maître [N] [B], dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,

Rejette l’ensemble des demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 25 Avril 2024

La GreffièreLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/00544
Date de la décision : 25/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-25;21.00544 ?
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