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24/04/2024 | FRANCE | N°22/12901

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/1/2 resp profess du drt, 24 avril 2024, 22/12901


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :


â– 

1/1/2 resp profess du drt


N° RG 22/12901 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYB27

N° MINUTE :


Assignation du :
25 Octobre 2022











JUGEMENT
rendu le 24 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [F] [N]
[Adresse 1]
[Localité 5]

représenté par Maître Roger BARBERA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0133


DÉFENDERESSES

S.A. MMA IARD
[Adresse 2]
[LocalitÃ

© 4]

Mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0042


PARTIE INTERVENANTE

Maît...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

â– 

1/1/2 resp profess du drt


N° RG 22/12901 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CYB27

N° MINUTE :

Assignation du :
25 Octobre 2022

JUGEMENT
rendu le 24 Avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [F] [N]
[Adresse 1]
[Localité 5]

représenté par Maître Roger BARBERA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0133

DÉFENDERESSES

S.A. MMA IARD
[Adresse 2]
[Localité 4]

Mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0042

PARTIE INTERVENANTE

Maître [P] [O]
[Adresse 3]
[Localité 5]

représenté par Maître Jérôme DEPONDT de la SCP IFL Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0042

Décision du 24 Avril 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/12901 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYB27

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Gilles ARCAS, Greffier lors des débats, et de Samir NESRI, Greffier lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 06 Mars 2024 tenue en audience publique devant Madame Lucie LETOMBE, et Monsieur Eric MADRE magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

En 2012, Monsieur [F] [N] a déposé une demande d’inscription à l’ordre des avocats du barreau de Paris, lequel ordre a émis un avis défavorable le 22 octobre 2012, au motif que sa pratique professionnelle de juriste salarié d’avocat s’était effectuée en Centrafrique.

Par arrêté du 28 mai 2013, le conseil de l’ordre du barreau de Paris a rejeté la demande d’inscription, considérant notamment que Monsieur [N] ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 98 3° et 6° du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, faute de justifier d’un exercice sur le territoire français d’une activité de juriste salarié.

Monsieur [N] a interjeté appel de cette décision, et par arrêt du 23 janvier 2014, la cour d’appel de Paris a confirmé la décision du conseil de l’ordre des avocats.

Monsieur [N] s’est pourvu en cassation, puis suivant arrêt du 17 juin 2015, la Cour de cassation, cassant l’arrêt du 23 janvier 2014 en toutes ses dispositions, a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles.

Par arrêt du 23 mai 2016, la cour d’appel de Versailles, déboutant Monsieur [N] de toutes ses demandes, a confirmé en toutes ses dispositions la décision du conseil de l’ordre des avocats de Paris du 28 mai 2013, considérant que celui-ci ne justifiait pas de huit années d’exercice en France de la profession de juriste salarié.

Monsieur [N] s’est de nouveau pourvu en cassation, et par ordonnance du 3 mai 2018, la Cour de cassation a constaté la déchéance du second pourvoi, faute de production dans le délai légal d’un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

Monsieur [N] a alors confié la défense de ses intérêts à Maître Samuel Aitkaki, avocat au barreau de Paris, afin qu’il saisisse la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH »). Le 13 janvier 2020, Maître [O] lui a adressé une consultation juridique, attirant son attention sur le caractère manifestement irrecevable d’un recours devant cette juridiction, tout en indiquant introduire un tel recours à sa demande.

Le 15 janvier 2020, Maître [O] a adressé à la CEDH un formulaire de requête accompagné de pièces justificatives.

Le 13 avril 2021, le greffe de la CEDH a adressé à Maître [O] copie d’une lettre datée du 3 février 2020 aux termes de laquelle il était indiqué que la requête était incomplète à défaut d’exposer la violation alléguée de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

C’est dans ce contexte que, par actes d’huissier de justice du 25 octobre 2022, Monsieur [F] [N] a fait assigner la société anonyme MMA IARD et la société d’assurances mutuelles MMA IARD Assurances Mutuelles, en leur qualité d’assureur de Maître [O], devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager la responsabilité civile professionnelle de ce dernier.

Maître [O] est intervenu volontairement à l’instance par conclusions du 17 avril 2023.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 25 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Monsieur [F] [N] demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
- Condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à lui verser 495 000,00€ au titre de son préjudice financier, ainsi que 10 000,00€ au titre de son préjudice moral ;
- assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation, et de la capitalisation des intérêts ;
- condamner in solidum les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser 3 000,00€ à Maître Roger Barbera en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle ;
- condamner in solidum les mêmes aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Barbera.

Monsieur [N] soutient que Maître [O] a commis deux fautes. Il lui reproche tout d’abord le fait de ne pas avoir correctement rempli le formulaire de requête adressé à la CEDH, en omettant d’exposer la violation alléguée de la Convention, conformément à l’article 47 du règlement de la CEDH, notamment au sein du paragraphe f) dudit formulaire.

Le demandeur explique d’autre part que son avocat a commis une seconde faute en n’adressant pas un nouveau formulaire de requête complet et conforme, dès que le greffe de la CEDH l’a informé le 3 février 2020 du vice de forme affectant son premier formulaire de requête. Il estime également que, s’étant abstenu de se renseigner sur l’instruction de sa demande dans un délai lui permettant de régulariser une requête rectificative, Maître [O] engage sa responsabilité.

Il fixe son préjudice à 550 000,00€, correspondant à 10 000€/mois x 11 mois x 5 ans. Il affirme enfin que des fautes précédemment exposées résulte une perte de chance d’obtenir gain de cause devant la CEDH, laquelle était très forte, de sorte que cette perte de chance doit être évaluée à 90%.

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées le 17 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, la société anonyme MMA IARD, la société d’assurances mutuelles MMA IARD Assurances Mutuelles, et Maître [P] [O], intervenant volontaire, demandent au tribunal de :
- débouter Monsieur [F] [N] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner le demandeur à verser aux sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 6 000,00€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [F] [N] aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de SCP IFL Avocats conformément à l’article 699 du code de procédure civile, pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Sur l’absence de faute imputable à Maître [O], ils soutiennent d’une part que ce dernier avait clairement expliqué dans la requête que le recours de Monsieur [N] était fondé sur l’existence d’une discrimination qui avait conduit au rejet de la demande d’inscription de ce dernier au tableau de l’ordre des avocats de Paris. Ils affirment qu’ainsi la requête apparaissait recevable en la forme, et que c’est à tort que le greffe de la Cour européenne des droits de l’homme a demandé à ce qu’elle soit complétée.

Ils exposent d’autre part et sur le second grief, que Maître [O] n’a jamais reçu le courrier du greffe de la CEDH en date du 3 février 2020, l’informant du prétendu caractère incomplet de la requête de sorte que, dans ces conditions, il ne peut lui être reproché de n’avoir pas complété celle-ci, ou déposé une nouvelle requête. Ils soutiennent qu’en tout état de cause, il résulte du courrier de la CEDH en date du 13 avril 2021, qu’une copie de la lettre du 3 février 2020 a été adressée à Monsieur [N], et qu’il appartenait donc à ce dernier de compléter la requête ou d’en déposer une nouvelle pour qu’il soit statué sur son recours.

Sur l’absence de préjudice et de lien de causalité, ils soutiennent que Monsieur [N] ne peut alléguer l’existence d’une perte de chance qu’il ait été fait droit à son recours devant la CEDH, dès lors que son recours était manifestement irrecevable, conformément aux dispositions de l’article 35 de la convention européenne des droits de l’homme, car :
- d’une part, celui-ci n’avait pas épuisé les voies de recours internes, puisqu’ayant exercé un pourvoi en cassation qui avait donné lieu à une ordonnance de déchéance à défaut de mémoire déposé dans les délais ;
- d’autre part, son recours n’avait pas été exercé dans le délai de 6 mois courant à compter de la décision interne définitive, mais bien 18 mois suivant l’ordonnance de la Cour de cassation prononçant la déchéance du pourvoi, intervenue le 3 mai 2018.

Les défendeurs font en outre grief à Monsieur [N] de ne pas démontrer l’existence d’une chance réelle d’obtenir gain de cause devant la CEDH, en expliquant en quoi le refus de l’ordre des avocats de Paris et des juridictions françaises d’admettre son inscription au barreau de Paris était constitutif d’une discrimination.

Sur l’absence de préjudice, ils soutiennent enfin que Monsieur [N] ne peut sérieusement affirmer qu’il aurait - si son recours devant la CEDH avait abouti - perçu une rémunération importante en qualité d’avocat dès lors que, celui-ci ayant fait l’objet de plusieurs condamnations pénales pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs, son inscription à l’ordre des avocats aurait en tout état de cause était refusée pour ce motif.

L’ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 11 mai 2023.

L’affaire a été retenue à l’audience du 6 mars 2024 à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré au 24 avril 2024, date de ce jugement.

MOTIFS DE LA DECISION

1.Sur la faute

Engage sa responsabilité civile à l'égard de son client sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, l'avocat qui commet une faute dans l'exécution du mandat de représentation en justice qui lui est confié en application des articles 411 et suivants du code de procédure civile, tant à raison de l'accomplissement des actes de la procédure, qu'au titre de l'obligation d'assistance - incluse sauf disposition ou convention contraire dans le mandat de représentation - qui emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense.

Lorsqu’il est chargé d’une mission de représentation en justice, l’avocat est tenu d’accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de la procédure. Il doit plus généralement prendre toutes les initiatives utiles pour assurer avec diligence la défense des intérêts de son client.

Il appartient à l'avocat de justifier l'accomplissement de ses diligences.

En l’espèce, il ressort du formulaire de requête devant la CEDH que Maître [O] n’a pas renseigné la partie « F » de ce formulaire, consacrée à un exposé des violations alléguées de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette carence est à l’origine directe de l’absence d’examen de la requête par la CEDH, comme l’indique explicitement le greffe de cette juridiction dans un courrier adressé le 3 février 2020 à Monsieur [N].

Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, l’absence d’examen ne résulte pas d’une erreur du greffe. Si la requête dénonce la « discrimination » dont aurait fait l’objet le demandeur et renvoie implicitement à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, il convient de rappeler que cette stipulation ne peut être invoquée que combinée à un autre article de la Convention ou de ses protocoles additionnels, à défaut de ratification par la France du protocole additionnel n°12. Il appartenait donc à Monsieur [N] d’être plus explicite sur le fondement légal de sa requête.

L’absence de mention de ce fondement, à l’origine directe de l’absence d’examen de la requête par la CEDH, constitue un manquement de Maître [O] à son obligation de diligence. Ce dernier a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Les autres fautes alléguées, qui contribuent au même préjudice allégué, ne seront pas examinées.

2. Sur le préjudice

Le préjudice consistant en la perte d'une voie d'accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, celle d'obtenir gain de cause. Il convient d'évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n’a pas eu lieu, ce à l'aune des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l'aléa jaugé et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

L’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme subordonne la recevabilité d’une requête à l’épuisement des voies de recours internes. La jurisprudence de la CEDH estime que les voies de recours n’ont pas été épuisées lorsqu’un recours n’a pas été admis en raison d’une erreur procédurale du requérant (CEDH, GC, Gäfgen c.Allemagne, 2010).

En l’espèce, la Cour de cassation a constaté la déchéance du second pourvoi déposé par Monsieur [N], en l’absence de dépôt d’un mémoire dans le délai imparti. En raison de ce manquement procédural, la CEDH aurait nécessairement considéré que les voies de recours internes n’étaient pas épuisées.

Par ailleurs, l’article 35 de la Convention, dans sa version applicable au litige, imposait d’introduire une requête dans un délai de 6 mois à compter de la dernière décision interne. Ce délai a couru au plus tard le 3 mai 2018, date à laquelle la Cour de cassation a constaté la déchéance du second pourvoi. Or la requête incomplète a été déposée le 15 janvier 2020, postérieurement à l’expiration du délai imparti. La CEDH aurait donc nécessairement constaté qu’elle avait été saisie hors délai.

En raison de ces deux causes majeures d’irrecevabilité, la CEDH aurait nécessairement déclaré irrecevable la requête déposée par Maître [O]. Monsieur [N] ne justifie donc pas de l’existence d’une perte de chance d’obtenir gain de cause devant cette juridiction, en l’absence de la faute retenue contre Maître [O].

Il sera débouté de sa demande principale.

3. Sur les autres demandes

Monsieur [N], partie perdante, sera condamné aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP IFL Avocats.

L’équité commande en l’espèce de ne pas faire droit aux demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de rappeler que l’exécution provisoire de ce jugement est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et par jugement susceptible d’appel,

Déboute Monsieur [F] [N] de ses demandes,

Condamne Monsieur [F] [N] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP IFL Avocats,

Déboute la société MMA IARD, la société MMA IARD Assurances Mutuelles et Maître [P] [O] de leurs demandes,

Rappelle que l’exécution provisoire de ce jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 24 Avril 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/1/2 resp profess du drt
Numéro d'arrêt : 22/12901
Date de la décision : 24/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-24;22.12901 ?
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