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24/04/2024 | FRANCE | N°22/04472

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 24 avril 2024, 22/04472


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :





2ème chambre


N° RG 22/04472
N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

N° MINUTE :




Assignation du :
30 Mars 2022









JUGEMENT
rendu le 24 Avril 2024










DEMANDERESSE

La société ALFAN PARTICIPATIONS
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représentée par Maître Romain HAIRON, avocat au barreau de PARIS,

avocat plaidant, vestiaire #D567




DÉFENDERESSE

Madame [M] [G]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représentée par Maître Cécile BENOIT-RENAUDIN de la SELARL SELARL D’AVOCATS MARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, av...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre


N° RG 22/04472
N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Mars 2022

JUGEMENT
rendu le 24 Avril 2024

DEMANDERESSE

La société ALFAN PARTICIPATIONS
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représentée par Maître Romain HAIRON, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D567

DÉFENDERESSE

Madame [M] [G]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représentée par Maître Cécile BENOIT-RENAUDIN de la SELARL SELARL D’AVOCATS MARTIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0158

Décision du 24 Avril 2024
2ème chambre
N° RG 22/04472 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

* * *

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Monsieur Robin VIRGILE, Juge, statuant en juge unique.

assisté de Sylvie CAVALIE, Greffière lors de l’audience, et de Adélie LERESTIF, greffière lors de la mise à disposition.

DÉBATS

A l’audience du 26 Mars 2024, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 24 Avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition
Contradictoire et en premier ressort

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCEDURE
Le 7 janvier 2022, Mme [M] [G] a confié un mandat exclusif à la société RENEE COSTES pour la vente de la nue-propriété des lots n° 19 et 87 du bien placé sous le régime de la copropriété situé [Adresse 2], au prix de 287.976 euros.
Le 25 janvier 2022, la société ALFAN PARTICIPATIONS a émis une offre d’achat, ainsi formulée de façon manuscrite sur un formulaire type invitant à reproduire certaines mentions :
« Je soussigné, [E] [N], pour le compte de la société ALFAN PARTICIPATIONS, déclare suite à notre visite en date du 22/01/22, pour le bien en vente en viager occupé sous la référence 422175260 situé à [Adresse 2], faire une proposition d’achat au prix et conditions suivantes :
▪ Bouquet de 287.976 € FAI
▪ Sans rente
Pour faire valoir ce que de droit. »
Le 27 janvier 2022, Mme [M] [G] a indiqué, « suite à l’offre du 25 janvier 2022 faite par Madame [E] [N] pour le compte de la société ALFAN PARTICIPATIONS, [Adresse 1], accepter la proposition d’achat pour la vente de mon bien en nue-propriété avec réserve d’usufruit (…) au prix et conditions suivantes : - une somme au comptant de 248.216 euros net vendeur ».

Par courrier du 1er mars 2022, Me [B], notaire de Mme [M] [G], a indiqué à la société ALFAN PARTICIPATIONS qu’elle ne souhaitait plus vendre.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 14 mars 2022, le conseil de la société ALFAN PARTICIPATIONS a mis en demeure Mme [M] [G] d’avoir à convenir sous huitaine d’un rendez-vous pour régulariser la vente.
Par courrier du 14 avril 2022, Mme [M] [G] a répondu par l’intermédiaire de son conseil que la vente n’était pas formée, faute de rencontre des volontés.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 24 mars 2022, Mme [M] [G] a résilié le mandat de vente conclu avec la société RENEE COSTES.
Par exploit d’huissier en date du 30 mars 2022, la société ALFAN PARTICIPATIONS a fait assigner Mme [M] [G] devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins principalement de la voir condamnée à réitérer la vente sous la forme authentique et à payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, ainsi qu’à titre subsidiaire, la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers.
Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 février 2023, la société ALFAN PARTICIPATIONS demande au tribunal de :
Vu les articles 1103, 1193, 1194, 1221, 1231-1, 1583 du Code civil,
Vu l’offre émise par le requérant acceptée par le vendeur,
DONNER ACTE à la société ALFAN PARTICIPATIONS que par la présente assignation valant sommation, cette dernière faisant injonction en tant que de besoin à la venderesse, Madame [M] [G], de comparaître dans un délai de quinze jours à compter de la délivrance de l’acte devant Maitre [P] [H] Notaire, aux fins de ratifier la vente ;DIRE ET JUGER que la vente de la nue-propriété des lots n°19 et 87 dans l’immeuble sis [Adresse 2] au prix de 287.976 € FAI est en tout état cause réalisée au profit du requérant, la société ALFAN PARTICIPATIONS est en droit d’exiger ladite réitération par acte authentique, à défaut la vente forcée de la nue-propriété des lots n° 19 et 87 dans l’immeuble sis [Adresse 2].En conséquence,
FAIRE INJONCTION à Madame [M] [G] de ratifier la vente par acte authentique devant Maitre [P] [H], Notaire à PARIS ou tout autre Notaire qu’il plaira au tribunal de désigner, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours à compter du prononcé du Jugement à intervenir et la notification par le requérant de l’obtention de son prêt bancaire.DIRE ET JUGER que passé ce délai de quinzaine, faute pour la défenderesse d’avoir déféré à cette injonction, le présent Jugement vaudra vente entre le requérant et Madame [M] [G], défendeur a la présente instance, nonobstant la faculté laissée au demandeur de faire liquider par le juge l’astreinte ainsi prononcée.DIRE ET JUGER que passé ce délai, le Jugement vaudra vente et sera publié à la diligence des requérants au fichier immobilier.CONDAMNER Madame [M] [G] à verser à la société ALFAN PARTICIPATIONS la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts causés par le refus fautif de la susnommée de ratifier la vente par acte authentique.DEBOUTER Madame [G] de l’ensemble de ses demandesA titre subsidiaire,
CONDAMNER Madame [M] [G] à verser à la société ALFAN PARTICIPATIONS la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts pour sa rupture abusive des pourparlers.En tout état de cause,
CONDAMNER Madame [M] [G] à payer à la société ALFAN PARTICIPATIONS la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 CPC.ORDONNER la publication du jugement à intervenir,CONDAMNER Madame [M] [G] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Romain HAIRON, avocat au Barreau de PARIS (D567), et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.
Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 21 mars 2023, Mme [M] [G] demande au tribunal de :
Vu les articles 578 et s. (notamment 595 et 634) et1136 du code civil,
Vu les articles 1583, 1112, 1114, 1118 et 1128 du code civil,
Vu l’article L. 111-1 du code de la consommation,
Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,
Vu l’article 1353 du code civil,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces visées,
JUGER que l’offre d’acquisition de la société ALFAN PARTICIPATIONS et l’acceptation de Madame [G] n’ont pas été formulées dans les mêmes termes concernant l’objet de la chose vendue ;JUGER qu’il n’y a pas eu de rencontre des volontés entre la société ALFAN PARTICIPATIONS et Madame [G] de sorte qu’aucun accord sur la chose et sur le prix n’a pu intervenir entre la société ALFAN PARTICIPATIONS et Madame [G] ;En conséquence :DEBOUTER la société ALFAN PARTICIPATIONS de ses demandes, fins et conclusions tendant à obtenir la condamnation de Madame [G] à :▪ Ratifier la vente par acte authentique devant Maître [P] [H], Notaire à PARIS ou tout autre Notaire qu’il plaira au Tribunal de désigner, et ce sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours à compter du prononcé du Jugement à intervenir et la notification par le requérant de l’obtention de son prêt bancaire et, à défaut, de faire inscrire dans le jugement de condamnation à intervenir, la mention selon laquelle il vaudra vente et pourra être publiée au fichier immobilier.
Décision du 24 Avril 2024
2ème chambre
N° RG 22/04472 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

▪ Lui verser la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts causés par son refus fautif de ratifier la vente par acte authentique.
▪ Lui verser la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts pour sa rupture abusive des pourparlers.
En tout état de cause :
JUGER que la société ALFAN PARTICIPATIONS a commis une faute délictuelle à l’égard de Madame [G] en raison de l’acharnement dont elle a fait preuve pour conduire Madame [G] à signer une promesse en l’assignant sans attendre que Madame [G] retire son recommandé et en sachant que la notification de son assignation allait bloquer toute tentative de vente ultérieure ;JUGER que la société ALFAN PARTICIPATIONS commet une faute délictuelle à l’égard de Madame [G] en l’empêchant de pouvoir exercer son droit de vendre son appartement en qualité de propriétaire dudit bien du fait de la présente procédure abusive ;CONDAMNER, à titre reconventionnel, la société ALFAN PARTICIPATIONS à payer à Madame [G] la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en raison de ses fautes délictuelles ;DEBOUTER la société ALFAN PARTICIPATIONS de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.CONDAMNER la société ALFAN PARTICIPATIONS à payer à Madame [G] la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 26 mars 2024.

A l'audience du 26 mars 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 24 avril 2024.

MOTIFS

Il sera rappelé que les demandes des parties de « juger que » tendant à constater tel ou tel fait ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.

Sur la réitération forcée de la vente

La société ALFAN PARTICIPATIONS fait valoir, sur le fondement des articles 1113 alinéa 1er et 1583 du code civil, que la vente était parfaite par suite de la rencontre des consentements, l’offre d’achat émise par celle-ci ayant été acceptée sans réserve par Mme [M] [G]. Elle sollicite, sur le fondement des articles 1103 et 1194 du code civil, que Mme [M] [G] soit condamnée, sous astreinte, à régulariser la vente en la forme authentique. A défaut, elle demande au tribunal de dire et juger que le jugement vaudra vente.
En réponse aux moyens de la défenderesse, elle soutient qu’il résulte du courriel de son notaire que la volte-face de sa cliente résulte essentiellement du fait qu’elle n’était plus vendeuse au prix de 248.216 euros net vendeur, parce qu’elle n’aurait pas pleinement pris conscience des implications fiscales d’une vente en nue-propriété. Elle observe qu’une erreur sur le prix ne constitue pas un vice de consentement, sauf cas de lésion de 7/12ème. Elle fait valoir que la mention sur la vente en viager figurant à l’acte de vente ne résulte que de l’obligation faite à la venderesse de recopier le texte pré-écrit par la société COSTE VIAGER.
Selon elle, il n’existe aucun doute sur la commune intention des parties, dès lors qu’il est écrit « vente en nue-propriété » dans la case « type de viager » de l’offre d’achat fournie par la société RENEE COSTES IMMOBILIER. Elle expose que la défenderesse ne peut faire valoir avoir été mal conseillée, ni que le contrat avec la société RENEE COSTES IMMOBILIER serait nul alors qu’elle s’abstient de mettre cette dernière dans la cause. Elle expose enfin que l’offre contresignée ne mentionne aucunement que la signature d’une promesse était un élément constitutif de leur engagement.

Mme [M] [G] fait valoir qu’aucune rencontre des consentements n’a eu lieu dès lors que l’offre et l’acceptation ne portaient ni sur la même chose, ni sur le même prix. Elle soutient qu’en l’espèce, la société ALFAN PARTICIPATIONS a fait une offre d’achat pour une vente en viager occupé, avec versement d’un bouquet de 287.976 euros FAI, sans préciser le montant net vendeur, tandis que Mme [M] [G] a fait une acceptation d’offre d’achat pour une vente en nue-propriété avec réserve d’usufruit, en contrepartie d’un prix comptant de 248.216 euros net vendeur. Il n’y a donc selon elle aucune corrélation entre les termes de l’offre de la société ALFAN PARTICIPATIONS et ceux de l’acceptation de Mme [M] [G]. Elle souligne qu’il existe une différence de nature entre une vente en viager, qui suppose une transmission de la pleine propriété du bien, et une vente de la nue-propriété d’un bien qui porte sur une propriété démembrée, et que le régime juridique qui en découle n’étant en outre pas le même, l’usufruit étant un droit réel sur le bien là où le droit d’usage est seulement un droit personnel sur le bien. Elle précise qu’en l’espèce, Mme [M] [G] a été très claire sur sa volonté de céder la nue-propriété de l’appartement pour en garder l’usufruit, là où la société ALFAN PARTICIPATIONS a au contraire fait une offre d’achat sur une vente du bien dans son intégralité, donc sans démembrement de propriété, avec simplement un droit d’usage conservé par Mme [M] [G]. Dès lors, selon elle, aucune rencontre des volontés n’a été possible, puisque les parties n’entendaient pas acheter et vendre dans les mêmes termes, la nature du droit cédé en cause n’étant pas la même. Elle fait valoir que Mme [M] [G] a toujours souhaité vendre la nue-propriété de son appartement, ce qui résulte tant du mandat conclu avec la société RENEE COSTES que des termes de son acceptation, tandis qu’il résulte des termes de son offre que la société ALFAN PARTICIPATIONS n’a jamais proposé d’acquérir la nue-propriété de l’appartement de celle-ci, ce dont il résulte qu’il n’y a pas eu d’accord sur la chose vendue.
Décision du 24 Avril 2024
2ème chambre
N° RG 22/04472 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

Elle souligne qu’il est en outre manifeste que Mme [M] [G] n’a pas bénéficié d’une information pré-contractuelle suffisante de la société RENNE COSTES lui permettant de donner un consentement éclairé tant au moment de la signature du mandat que de la prétendue acceptation de l’offre. Elle soutient qu’en tout état de cause, la société ALFAN PARTICIPATIONS n’a apporté aucune réponse aux arguments de Mme [M] [G], ni sur la différence de nature entre les deux ventes, ni sur la distorsion des termes entre les deux documents censés être rédigés dans les mêmes termes pour valoir contrat, et qu’elle n’apporte pas la preuve que la société RENNE COSTES aurait donné à Mme [M] [G] toutes les informations dont elle disposait, en tant que professionnelle de l’immobilier, sur la vente envisagée. Dans cette mesure, la société ALFAN PARTICIPATIONS ne saurait, selon elle, profiter de l’absence de consentement éclairé de Mme [M] [G], faute d’information suffisante lorsqu’elle a formulé sa prétendue acceptation, pour invoquer une rencontre des volontés. Mme [M] [G] fait en outre valoir qu’il n’y a jamais eu de « revirement » de sa part, dès lors qu’aucune rencontre des volontés n’est intervenue, celle-ci ayant simplement pris conscience du fait que :
Elle n’a pas bénéficié d’une information suffisante sur les aspects tant juridiques que financiers de l’opération projetée ;Elle entendait vendre la nue-propriété de son appartement, et non pas un bien occupé en viager ;La société RENEE COSTES a sciemment tu les informations contenues dans l’offre transmise par la société ALFAN PARTICIPATIONS pour l’inciter à contracter et l’a véritablement pressée ensuite pour signer l’acceptation de l’offre transmise.En réponse aux conclusions de la société ALFAN PARTICIPATIONS concernant une prétendue erreur sur le prix de vente, elle soutient que :
Il ne s’agit pas d’un problème d’erreur commise par Mme [M] [G], fût-elle sur le prix de vente, mais d’une absence totale de rencontre des volontés ;C’est en réalité cette société ALFAN PARTICIPATIONS qui a commis une erreur, en formalisant une offre de vente d’appartement en viager, donc portant sur une propriété non démembrée, alors que la portait sur la nue-propriété de l’appartement, donc une propriété démembrée ;L’erreur est commune : la société ALFAN PARTICIPATIONS a cru acheter un appartement en viager là où Mme [M] [G] vendait la nue-propriété du bien ;Aucune vente n’a été formée et n’est susceptible d'être régularisée ;La différence de vocabulaire montrant que l’offre et l’acceptation n’ont pas été formalisés dans les mêmes termes n’a jamais été contestée par la société ALFAN PARTICIPATIONS.Mme [M] [G] fait valoir qu’il n’y a pas eu de consentement libre et éclairé lorsqu’elle a signé la prétendue acceptation de l’offre, dès lors que la société RENEE COSTES ne lui a donné aucune information sur la différence de régime entre la vente en nue-propriété et la vente en viager, et encore moins sur leurs avantages et inconvénients et qu’en outre,
Décision du 24 Avril 2024
2ème chambre
N° RG 22/04472 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWPR4

les termes de l’offre émise par la société ALFAN PARTICIPATIONS sur un formulaire type de la société RENEE COSTES n’ont pas permis à celle-ci de donner un consentement libre et éclairé. Elle soutient qu’il existe des contradictions dans le « formulaire d’investissement confidentiel » préparé par la société RENEE COSTES, créant une confusion sur la nature même de la vente envisagée et rendant par là-même impossible toute rencontre des volontés, et qu’au non-respect des devoirs de vérification, d’information et de conseil auxquels la société RENEE COSTES était tenue s’ajoutent de nombreux manquements dans la rédaction des actes, de sorte que la responsabilité de cette dernière est manifestement engagée et que la demande dirigée contre Mme [M] [G] est mal fondée. Elle souligne que la société ALFAN PARTICIPATIONS reconnaît que le formulaire de la société RENEES COSTES n’était pas précis, de sorte qu’il est manifeste que ce formulaire préétabli ne permettait pas de déterminer l’objet de la vente envisagée, rendant impossible un accord sur la chose et sur le prix au sens de l’article 1583 du code civil. Elle souligne enfin qu’aucun avant contrat n’a été régularisé, contrairement à ce que les parties avaient toutes deux expressément accepté en signant le formulaire.

Sur ce,

Aux termes de l’article 1114 du code civil, l’offre faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.

L’article 1583 du code civil dispose que la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’ils sont convenus de la chose et du prix.

En l'espèce, l’offre d’achat de la société ALFAN PARTICIPATIONS est ainsi formulée :
« Je soussigné, [E] [N], pour le compte de la société ALFAN PARTICIPATIONS, déclare suite à notre visite en date du 22/01/22, pour le bien en vente en viager occupé sous la référence 422175260 situé à [Adresse 2], faire une proposition d’achat au prix et conditions suivantes :
▪ Bouquet de 287.976 € FAI
▪ Sans rente
Pour faire valoir ce que de droit. »

Figure également sur le formulaire d’offre la mention « type de viager  Vente en nue propriété »

En réponse à cette offre, Mme [M] [G] a écrit, « suite à l’offre du 25 janvier 2022 faite par Madame [E] [N] pour le compte de la société ALFAN PARTICIPATIONS, [Adresse 1], accepter la proposition d’achat pour la vente de mon bien en nue-propriété avec réserve d’usufruit (…) au prix et conditions suivantes :
- une somme au comptant de 248.216 euros net vendeur ».
Il s’ensuit que l’offre de la société ALFAN PARTICIPATIONS porte sans équivoque sur « le bien en vente en viager », et que l’acceptation prêtée à Mme [M] [G] porte quant à elle sans équivoque sur « la vente de mon bien en nue-propriété avec réserve d’usufruit ».
Il en résulte que de façon manifeste, aucun accord n’est intervenu sur la chose conformément à l’article 1583 du code civil, une vente en viager ne réservant au vendeur qu’un droit d’usage et d’habitation, droit personnel qui n’est pas équivalent au droit réel que constitue l’usufruit.

En effet, le fait que la société ALFAN PARTICIPATIONS ne soit pas l’auteur du formulaire, et ait recopié des mentions tel quel le prescrivait ledit formulaire est indifférent s’agissant de la rencontre des volontés, qui n’est pas intervenue en l’espèce. De la même façon, le fait que sur la première page du formulaire la case « nue-propriété » soit cochée ou que soit écrit « type de viager vente en nue-propriété » ne permet davantage de considérer qu'une offre de vente en nue-propriété avec réserve d'usufruit a été formée. En effet, la mention manuscrite d'une offre en viager est a minima source d'un équivoque excluant toute rencontre des volontés, d'autant que la mention « type de viager vente en nue-propriété » est elle aussi équivoque, s'agissant de deux notions distinctes, et que le fait que la case « sans emprunt » soit cochée devant la mention « Financement du bouquet » est lui aussi équivoque, la notion de « bouquet » étant spécifique au viager.

Sans qu’il n’y ait lieu à examen des autres moyens des parties, la demande de la société ALFAN PARTICIPATIONS en réitération de la vente sera de ce fait rejetée.

Sur les demandes indemnitaires respectives

La société ALFAN PARTICIPATIONS demande la condamnation de Mme [M] [G] au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral pour résistance abusive, faisant valoir que l’absence de réitération de la vente en la forme authentique a pour cause le refus injustifié de celle-ci.
A titre subsidiaire, elle demande la condamnation de Mme [M] [G] au paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice pour rupture abusive des pourparlers pré-contractuels, et fait valoir que Mme [M] [G] a accepté sans réserve son offre, de sorte que la demanderesse a eu évidemment certitude d’acquérir ledit bien.
En réponse à la demande de dommages et intérêts formée par Mme [M] [G], elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute, et que le préjudice de la défenderesse n’est pas justifié.

Mme [M] [G] fait valoir qu’en l’absence de rencontre des consentements, aucun contrat n’a été formé et qu’elle était parfaitement en son droit en refusant de céder aux demandes de la société ALFAN PARTICIPATIONS de réitérer la vente, aucune faute ne pouvant lui être imputée. Elle fait valoir qu’en tout état de cause, la somme exorbitante de 20.000 euros a été fixée de manière arbitraire par la société ALFAN PARTICIPATIONS et sans justification, sa demande au titre d’une prétendue résistance abusive de Mme [M] [G] devant être rejetée.
Sur la demande subsidiaire de la société ALFAN PARTICIPATIONS au titre de la rupture abusive des pourparlers précontractuels, elle fait valoir que faute d’accord sur les éléments essentiels du contrat, il n’y avait que des négociations en cours et qu’aucun compromis de vente n’avait été encore rédigé. Elle souligne qu’en refusant d’aller plus loin dans les négociations, Mme [M] [G] a retrouvé son entière liberté et que sa bonne foi est caractérisée par les diligences accomplies par cette dernière pour informer la société ALFAN PARTICIPATIONS dans des délais très courts de l’absence d’accord sur les éléments essentiels du contrat, cette dernière n’ayant ainsi pas été laissée dans l’illusion qu’une promesse de vente dans les conditions de son offre allait intervenir. C’est en réalité, selon elle, cette dernière qui a fait ainsi preuve d’un acharnement non justifié à l’égard de Mme [M] [G], celle-ci n’ayant fait qu’exercer sa liberté contractuelle, et n’est pas fondée à solliciter une somme aussi exorbitante et dont le montant a été fixé arbitrairement et sans justification.
A titre reconventionnel, Mme [M] [G] sollicite la somme de 30.000 euros de dommages-intérêts en raison de l’acharnement fautif dont elle a fait l’objet et du maintien abusif de la présente procédure par la société ALFAN PARTICIPATIONS, qu’elle savait préjudiciable à Mme [M] [G] et vouée à l’échec, alors même que cette dernière n’était en aucun cas contractuellement tenue à l’égard de la société ALFAN PARTICIPATIONS.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article 1240 du code civil, pour que la responsabilité délictuelle d’une personne soit établie, doivent être caractérisés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Selon les termes de l’article 1112 du code civil, l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations pré-contractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.

En l’espèce, compte tenu de la solution donnée au litige, Mme [M] [G] n’a commis aucune faute en refusant de ratifier la vente, de sorte que la demande de dommages et intérêts formée par la société ALFAN PARTICIPATIONS pour résistance abusive sera rejetée.
S’agissant de sa demande subsidiaire au titre de la rupture abusive des pourparlers pré-contractuels, la société ALFAN PARTICIPATIONS ne se prévaut en réalité pas d’une faute différente puisqu’elle considère que Mme [M] [G] a accepté sans réserve son offre, ce qui n’est en réalité pas le cas. De manière surabondante, il apparaît que dès le 1er mars 2022, Mme [M] [G] a informé via son notaire la société ALFAN PARTICIPATIONS de son souhait de ne plus vendre, de sorte que la rupture des pourparlers ne peut être considérée comme fautive. Par conséquent, il y a aussi lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts de la société ALFAN PARTICIPATIONS au titre de la rupture abusive des pourparlers pré-contractuels.
S’agissant de la demande de Mme [M] [G] en paiement de dommages et intérêts, il ne résulte d'aucun élément que la société ALFAN PARTICIPATIONS, qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, ait agi à l'encontre de Mme [M] [G] avec un « véritable acharnement », et ce faisant de façon abusive. S’agissant du préjudice financier invoqué par Mme [M] [G], celle-ci se limite à indiquer qu’elle comptait sur la vente de son appartement pour rembourser certaines pièces, mais ne produit pas autre chose qu’une attestation d’un notaire indiquant en substance que la vente est plus difficile, sans autres éléments concrets pour établir la réalité de son préjudice financier consistant en une perte de chance de vendre le bien. En effet, si l'attestation du notaire indique « Ainsi, par précaution et dans l'attente de la position du Tribunal saisi, il n'est pas envisageable de procéder à la régularisation d'un avant-contrat ou d'une vente dudit bien du fait de la procédure en cours », aucune offre d'achat ou démarche aux fins de vendre le bien ne sont par exemple justifiées. Par conséquent, la demande de Mme [M] [G] dirigée contre la société ALFAN PARTICIPATIONS en paiement de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

La société ALFAN PARTICIPATIONS demande la condamnation de Mme [M] [G] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [M] [G] demande la condamnation de la société ALFAN PARTICIPATIONS au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société ALFAN PARTICIPATIONS, partie succombante, sera condamnée aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée à payer à Mme [M] [G] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il y a lieu de rappeler que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire. Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort

REJETTE la demande la société ALFAN PARTICIPATIONS en vente parfaite du bien de Mme [M] [G] situé [Adresse 2]) et rejette par conséquent toutes les demandes suivantes  de la société ALFAN PARTICIPATIONS :
« FAIRE INJONCTION à Madame [M] [G] de ratifier la vente par acte authentique devant Maitre [P] [H], Notaire à PARIS ou tout autre Notaire qu’il plaira au tribunal de désigner, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours à compter du prononcé du Jugement à intervenir et la notification par le requérant de l’obtention de son prêt bancaire.

DIRE ET JUGER que passé ce délai de quinzaine, faute pour la défenderesse d’avoir déféré à cette injonction, le présent Jugement vaudra vente entre le requérant et Madame [M] [G], défendeur a la présente instance, nonobstant la faculté laissée au demandeur de faire liquider par le juge l’astreinte ainsi prononcée.

DIRE ET JUGER que passé ce délai, le Jugement vaudra vente et sera publié à la diligence des requérants au fichier immobilier.

REJETTE les demandes de la société ALFAN PARTICIPATIONS en paiement de dommages et intérêts dirigée contre Mme [M] [G] ;

REJETTE la demande de Mme [M] [G] en paiement de dommages et intérêts dirigée contre la société ALFAN PARTICIPATIONS ;

CONDAMNE la société ALFAN PARTICIPATIONS aux dépens ;

DIT que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la société ALFAN PARTICIPATIONS formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société ALFAN PARTICIPATIONS à payer à Mme [M] [G] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.
Fait et jugé à Paris le 24 Avril 2024

La GreffièreLe Président
Adélie LERESTIFRobin VIRGILE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/04472
Date de la décision : 24/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-24;22.04472 ?
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