La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/04/2024 | FRANCE | N°21/00685

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 3ème section, 24 avril 2024, 21/00685


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Maître Herpe, vestiaire P98
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Maître Bajer Pellet, vestiaire C2140




3ème chambre
3ème section


N° RG 21/00685 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CTTFP

N° MINUTE :


Assignation du :
15 janvier 2021















JUGEMENT
rendu le 24 avril 2024




DEMANDERESSE

S.A.R.L. ECO COMPTEUR
[Adresse 4]
[Localité 2]>
représentée par Maître Héloïse BAJER PELLET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2140



DÉFENDERESSE

S.A.S. KIOMDA
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître François HERPE de la SELARL C.V.S., avocats au...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Maître Herpe, vestiaire P98
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Maître Bajer Pellet, vestiaire C2140

3ème chambre
3ème section


N° RG 21/00685 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CTTFP

N° MINUTE :

Assignation du :
15 janvier 2021

JUGEMENT
rendu le 24 avril 2024

DEMANDERESSE

S.A.R.L. ECO COMPTEUR
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Maître Héloïse BAJER PELLET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2140

DÉFENDERESSE

S.A.S. KIOMDA
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître François HERPE de la SELARL C.V.S., avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0098

Décision du 24 avril 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 21/00685 - N° Portalis 352J-W-B7F-CTTF

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Arthur COURILLON-HAVY, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 01 février 2024 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Anne BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Eco compteur SAS se présente comme le leader mondial des systèmes de comptage au service du développement des mobilités douces, commercialisant ses compteurs dans 54 pays. Elle a été créée conjointement par M. [N] [C] (via sa holding FAR OUEST) et M. [Z] [H].
La société Eco compteur a déposé le 27 mars 2006 un brevet français enregistré sous le n° 06 02665 (ci-après FR 665), publié le 28 septembre 2007 et délivré le 19 septembre 2008, désignant comme inventeurs Messieurs [H] et [C] et qui porte sur un “dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants”.
Cette invention trouve son application dans le domaine du comptage et de la détermination du sens de passage des personnes, dans les espaces urbains ou naturels et peut aussi s’appliquer au comptage et à la détermination du sens de passage d’animaux.
La société Eco compteur a également déposé le 22 mars 2007 un brevet européen EP 2 005 396 (ci-après EP 396) sous priorité du brevet français FR 665, délivré le 18 juillet 2018, ayant également pour inventeurs Messieurs [H] et [C].
Le 13 juillet 2017, M. [H] a cédé ses parts dans la société Eco compteur et proposé à la location, d’abord en son nom propre, puis via la société Kiomda, qu’il a créée et immatriculée le 22 juillet 2020, un boitier de comptage du passage des êtres vivants (ci-après le “boitier Kiomda”).
Le 18 décembre 2018, suspectant une contrefaçon de ses brevets FR 665 et EP 396, la société Eco compteur a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure M. [H] de cesser ses actes de détournement de technologie et de concurrence déloyale.
Plusieurs échanges ont alors eu lieu entre les parties et le 1er avril 2019, M.[H] a affirmé, par l’intermédiaire de son conseil utiliser une technique différente de celle du brevet et innovante.
Par ordonnance du 20 décembre 2019, la société Eco compteur a été déboutée de ses demandes aux fins d'être autorisée à faire procéder à des opérations de saisie contrefaçon au siège social de la société Avant-Premières, où exerçait M. [H], ainsi que dans son établissement secondaire de [Localité 2] et au domicile de M. [H].
Autorisée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 novembre 2020, la société Eco compteur a fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société Kiomda le 18 décembre 2020.
Par acte du 6 juillet 2021, la société Kiomda a assigné la société Eco compteur en rétractation de l’arrêt du 24 novembre 2020 devant la cour d’appel de Paris, ce dont elle a été déboutée par un arrêt du 6 avril 2022. La société Kiomda a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Par acte du 15 janvier 2021, la société Eco compteur a assigné la société Kiomda devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications n°1 à 5 du brevet FR 665 et de la revendication n°1 du brevet européen EP 396.
L’instruction a été close le 2 février 2023 et l’affaire fixée pour être plaidée au 1er février 2024.
Les parties n’ont pas répondu à l’invitation du juge de la mise en état du 3 février 2023 à se prononcer sur la possibilité d’une médiation.
Le 15 janvier 2024, la société Eco compteur a sollicité le rabat de la clôture pour pouvoir verser aux débats l’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2024 prononçant le rejet du pourvoi formé par la société Kiomda à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 avril 2022. Cette demande a été rejetée par le juge de la mise en état le 19 janvier 2024 pour absence de cause grave.
EXPOSE DES PRETENTIONS

Par conclusions notifiées le 31 janvier 2023, la société Eco compteur demande au tribunal de:
Dire et Juger la société ECO-COMPTEUR recevable et bien fondée en ses demandes

Pour le Brevet FR 06 02665 :
• Dire et Juger valides les revendications n°1 à 5 du Brevet Français FR 06 02665
• Dire et Juger que le boitier commercialisé par la société KIOMDA reproduit les revendications 1, 2, 3, 4 et 5 du Brevet Français FR 06 02665 dont est titulaire la société ECO-COMPTEUR ;
• Dire et Juger qu’en commercialisant ces dispositifs, la société KIOMDA a commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4 et 5 du Brevet Français FR 06 02665 dont est titulaire la société ECO-COMPTEUR ;

Pour le Brevet EP 2 005 396 :
• Dire et Juger valide la revendication n°1 du Brevet EP 2 005 396
• Dire et Juger que le boitier commercialisé par la société KIOMDA reproduit la revendication 1 du Brevet EP 2 005 396 dont est titulaire la société ECO-COMPTEUR ;
• Dire et Juger que qu’en commercialisant ces dispositifs, la société KIOMDA a commis des actes de contrefaçon de la revendication 1 du Brevet EP 2 005 396 dont est titulaire la société ECO-COMPTEUR ;

En conséquence :
• Débouter la société KIOMDA de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
• Interdire à la société KIOMDA d’importer, de détenir, d’exposer, de commercialiser en France les boitiers KIOMDA contrefaisants dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte provisoire de 3.000 € par jour de retard ;
• Condamner la société KIOMDA à payer à la société ECO-COMPTEUR la somme de 400.000€, somme à parfaire, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ;
• Condamner la société KIOMDA à payer à la société ECO-COMPTEUR la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
• Condamner la société KIOMDA aux entiers dépens qui comprendront les frais des constats d’huissier et de saisie-contrefaçon ;
• Ordonner la publication du jugement à intervenir :
- Dans 5 journaux et périodiques au choix de ECO-COMPTEUR et au frais de la société KIOMDA sans que le coût global des insertions ne puisse excéder la somme de 30.000 € HT ;
- Sur la page d’accueil des sites internet www.kiomda.fr et de tout autre site exploité par la société KIOMDA, pendant une durée d’un mois, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte provisoire de 3.000 € par jour de retard, le Tribunal se réservant le droit de liquider l’astreinte directement à titre provisoire.
Cette publication devra avoir lieu en partie supérieure de la page d'accueil, sous la bannière contenant le menu de navigation, de façon visible, et en caractère "times new roman", de taille 12, sans italique, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être immédiatement précédé du titre COMMUNIQUE JUDICIAIRE en lettres capitales, de taille 18, sans italique, de couleur noire sur fond blanc.
• Se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte.

Par conclusions notifiées le 15 décembre 2022, la société Kiomda demande au tribunal de :
A titre principal :
- DIRE ET JUGER que les revendications 1 à 5 du brevet français d’invention 06 02665 sont nulles ;
- DIRE ET JUGER que le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître [U] [B], huissier de Justice Associés au sein de la SELARL BRETAGNE HUISSIERS, le 18 décembre 2020 dans les locaux de la société KIOMDA est nul ;

En conséquence :
- DECLARER nulles les revendications 1 à 5 du brevet français d’invention 06 02665 et PRONONCER la nullité du brevet français d’invention 06 02665 ;
- ORDONNER la transmission du jugement à intervenir à l'INPI aux fins d'inscription au Registre National des Brevets ;
- RETIRER des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par Maître [U] [B], huissier de Justice Associés au sein de la SELARL BRETAGNE HUISSIERS, le 18 décembre 2020 dans les locaux de la société KIOMDA, et l’ensemble des pièces objet de la saisie-contrefaçon ;
- DECLARER l’intégralité des demandes, fins et conclusions de la société ECO COMPTEUR au titre de la contrefaçon mal fondées ;
- DIRE ET JUGER que la société KIOMDA n’a commis aucun acte de contrefaçon du brevet français d’invention 06 02665 ou de la revendication 1 du brevet européen EP 2 005 396 ;

En tout état de cause :
- DEBOUTER la société ECO COMPTEUR de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de la société KIOMDA ;
- CONDAMNER la société ECO COMPTEUR à payer à la société KIOMDA la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- CONDAMNER la société ECO COMPTEUR à payer à la société KIOMDA la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société ECO COMPTEUR aux entiers dépens de la présente instance, que la SELARL CVS, prise en la personne de Me François HERPE, pourra recouvrer, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Présentation du brevet FR 665

Le brevet porte sur un “dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants”.
L’art antérieur proposait des dispositifs de détermination du sens de passage d’un être vivant comprenant une seule cellule pyroélectrique composée de deux fenêtres de détection (page 1, lignes 9 et 10 de la description). Ce type de dispositif à cellule unique ne permet pas une détermination exacte du sens de passage des êtres vivants, ni un comptage des êtres vivants (lignes 12 à 30 de la page 2 de la description), en particulier car cette détermination n’est exacte, dès lors qu’il n’y a qu’un seul signal électrique, que si la température de l’être vivant est supérieure à celle du dispositif de détermination du sens de passage. Naît alors une incertitude quant au sens de passage de l’être vivant lorsque la température entre l’être vivant et le dispositif s’inverse.
L’objet de l’invention protégée par le brevet FR 665 est de proposer un dispositif qui ne présente pas les inconvénients décrits dans l’art antérieur, en permettant un comptage exact des êtres vivants ainsi qu’une détermination précise du sens de passage des êtres vivants. Ce dispositif comprend deux cellules pyroélectriques distinctes, placées l’une au-dessus de l’autre, délivrant chacune un signal électrique différent :- La première cellule pyroélectrique joue un rôle de cellule de comptage (lignes 6 à 20 et 23 à 26 de la page 6 de la description) qui émet un signal de premier type représentatif du passage d’un être vivant devant ladite cellule (figures 5a et 5b) ;
- La deuxième cellule pyroélectrique est adaptée à délivrer un signal électrique de deuxième type représentatif du sens de passage de l’être vivant (lignes 27-30, page 6 de la description ; figures 4a, 4b, 4c et 4d).

La première cellule pyroélectrique se distingue de la deuxième cellule pyroélectrique, en ce qu’elle comprend deux fenêtres de détection dont l’une est occultée, alors que la deuxième comprend deux fenêtres de détection dont aucune n’est occultée (lignes 1 et 2 et 9 à 11 de la page 3 de la description).

Les revendications du brevet sont les suivantes:1) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants comprenant :

- une première cellule pyroélectrique adaptée à délivrer un signal électrique d’un premier type représentatif du rayonnement infrarouge émis par un être vivant passant devant ladite première cellule ;
- une deuxième cellule pyroélectrique du type comprenant une première fenêtre de détection et une deuxième fenêtre de détection, et adaptée à délivrer un signal électrique d’un deuxième type représentatif du sens de passage de l’être vivant devant ladite deuxième cellule pyroélectrique, la première cellule et la deuxième cellule étant l’une au-dessus de l’autre ; et
- une unité de traitement adaptée à déterminer, d’une part, le nombre d’être vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et, d’autre part, le sens de passage des êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et du signal électrique du deuxième type.

2) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage selon la revendication 1, caractérisé en ce que la première cellule est un capteur pyroélectrique du type comprenant une première fenêtre de détection et une deuxième fenêtre de détection occultée.

3) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage selon la revendication 2, caractérisé en ce que la détermination du sens de passage des êtres vivants passant devant ledit dispositif, consiste à analyser le niveau du signal électrique du deuxième type au moment où l'être vivant sort du cône d'influence de la première fenêtre de détection de la première cellule.

4) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage selon une des revendications précédentes, caractérisé en ce qu’il comprend une lentille de Fresnel cylindrique disposée devant chaque cellule.

5) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage selon la revendication 4, caractérisé en ce que, pour chaque cellule, la position du foyer de la lentille de Fresnel est telle que les rayonnements infrarouges émis par chaque être vivant se focalisent sensiblement entre les deux fenêtres de détection de la cellule considérée.

Présentation du brevet EP 396

Le brevet EP 396 protège un « dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’être vivants », qui comprend, comme dans le brevet FR 665, deux cellules pyroélectriques distinctes, étant l’une au-dessus de l’autre, délivrant chacune un signal électrique différent.
La revendication 1 du brevet EP 396 a été limitée suite à une objection de clarté faite par l’Office européen des brevets (OEB) sur le fondement de l’article 84 de la Convention sur le brevet européen, estimant que l’invention ne permettait pas de savoir « comment on obtient le sens de passage par analyse des deux signaux car la corrélation entre les signaux électriques n’est pas présente et considérée essentielle pour clarifier la revendication », comme suit (ajouts en gras):
1) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d'êtres vivants, comprenant :
- une première cellule pyroélectrique adaptée à délivrer un signal électrique d'un premier type présentant un front et représentatif du rayonnement infrarouge émis par un être vivant passant devant ladite première cellule ;
- une deuxième cellule pyroélectrique du type comprenant une première fenêtre de détection et une deuxième fenêtre de détection, et adaptée à délivrer un signal électrique d'un deuxième type présentant un maximum et un minimum et représentatif du sens de passage de l'être vivant devant ladite deuxième cellule pyroélectrique, la première cellule et la deuxième cellule pyroélectrique étant l'une au-dessus de l'autre ; et
- une unité de traitement adaptée à déterminer, d'une part, le nombre d'êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et, d'autre part, le sens de passage des êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse de la position temporelle du front du signal électrique du premier type par rapport au minimum et au maximum du signal électrique du deuxième type”.

II - Sur la demande reconventionnelle en nullité des revendications 1 à 5 du brevet FR 665

a) Sur la nullité de la revendication 1 et des revendications dépendantes 2 à 5 pour insuffisance de description

Moyens des parties

La société Kiomda expose que la revendication 1 du brevet EP 396 était à l’origine identique à celle du brevet FR 665 et que la limitation de la revendication 1 du brevet EP 396 suite au grief de manque de clarté l’OEB par l’ajout des caractéristiques “front”, “maximum” et minimum”, n’a pas été reprise dans la revendication n°1 du brevet FR 665 qui présente en conséquence une insuffisance de description.
La société Eco compteur oppose que l’OEB a considéré que le brevet EP 396 souffrait d’une insuffisance de clarté et non de description, ce qui n’entraîne pas de nullité et l’INPI n’a pas considéré, lors de son examen, que les revendications du brevet FR 665 n’étaient pas claires et concises ou présentaient une insuffisance de description. Elle ajoute que le brevet FR 665 décrit suffisamment l’invention dans l’exposé du brevet en page 11, lignes 1 à 11, relative à une « variante ».
Réponse du tribunal

L'article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « L'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter » et l'article L. 612-6 du même code que les « revendications définissent l'objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description ». Selon l'article L. 613-2 alinéa 1 de ce code, « l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications ».
L'article L. 613-25 du même code dispose que « le brevet est déclaré nul par décision de justice b) S'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ».
Une invention est suffisamment décrite lorsque la personne du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d'exécuter l'invention (Com., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-14.673, 16-28.322).
Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu’une personne du métier puisse l'exécuter dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Cass. com., 23 janvier 2019, n°17-14.673 et n°16-28.322).
La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. com., 20 novembre 2012, n°11-18.440).
En l’occurrence, au regard du problème technique que propose de résoudre l'invention, la personne du métier est un ingénieur spécialiste de la conception et de la fabrication de dispositifs de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants ayant des connaissances dans les domaines des capteurs et des signaux.
Le dispositif de l’espèce, composé de deux cellules pyroélectriques, a pour objet de permettre, d’une part, le décompte d’êtres vivants par l’analyse d’un signal émis par la première cellule, désigné dans la revendication n°1 du brevet FR 665 comme le “signal électrique du premier type” et d’autre part le sens de passage de l’être vivant par l’analyse dudit signal avec celui émis par la deuxième cellule pyroélectrique, désigné par le revendication n° 1 comme “le signal électrique du deuxième type”.
Il est constant qu’à la suite du commentaire de l’examinateur de l’OEB reprochant un défaut de clarté à la revendication n°1 du brevet EP 396, rédigée dans des termes identiques à la revendication n°1 du brevet FR 665, au motif que “il n’est pas clair comment on obtient le sens de passage par analyse des deux signaux car la corrélation entre les signaux électriques n’est pas présente et considérée comme essentielle pour clarifier la revendication”, la société Eco compteur a limité la revendication n°1 du brevet EP 396 par les ajouts en gras ci-dessous (pièce Kiomda n°10):
1) Dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d'êtres vivants, comprenant :
- une première cellule pyroélectrique adaptée à délivrer un signal électrique d'un premier type présentant un front et représentatif du rayonnement infrarouge émis par un être vivant passant devant ladite première cellule ;
- une deuxième cellule pyroélectrique du type comprenant une première fenêtre de détection et une deuxième fenêtre de détection, et adaptée à délivrer un signal électrique d'un deuxième type présentant un maximum et un minimum et représentatif du sens de passage de l'être vivant devant ladite deuxième cellule pyroélectrique, la première cellule et la deuxième cellule pyroélectrique étant l'une au-dessus de l'autre ; et
- une unité de traitement adaptée à déterminer, d'une part, le nombre d'êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et, d'autre part, le sens de passage des êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse de la position temporelle du front du signal électrique du premier type par rapport au minimum et au maximum du signal électrique du deuxième type”

La discussion des parties sur la question de savoir si les observations de l’OEB peuvent être retenues comme prouvant une insuffisance de description est indifférente à la solution du litige, le tribunal n’étant pas tenu par les appréciations de l’OEB.
Le tribunal relève que les signaux émis par chaque cellule sont représentés sous forme de courbes sur les figures 4 (a) à 6 (d) du brevet FR 665, les enseignements de ces courbes étant exposés dans la description en pages 6 à 11. Ainsi: - les figures 5 (a) et 5 (b) présentent des courbes représentatives du signal de premier type, la courbe variant selon que la température de l’être vivant est supérieure ou inférieure à la température du dispositif;
- les figures 4 (a) à 4 (d) présentent des courbes représentatives du signal de deuxième type, variant selon que la température de l’être vivant est supérieure ou inférieure à la température du dispositif;
- les figures 6 (a) à 6 (d) représentent la combinaison des courbes représentatives du signal de premier type et du signal de deuxième type.

Ces courbes présentent un maximum et un minimum dont la signification est explicitée notamment dans la description à partir de la page 7, ligne 18. Il est ainsi, par exemple, expliqué que "la courbe 310a présente un maximum 302 qui correspond au passage de l'être vivant devant la première fenêtre de détection, puis une chute brutale et un minimum 304 qui correspond au passage de l'être vivant devant la deuxième fenêtre de détection, puis une montée brutale qui correspond au fait que l’être vivant sort du cône d'influence, puis un retour au niveau initial" (description, page 7, lignes 18 à 22).

La corrélation entre le signal de premier type et le signal de deuxième type, qui permet,selon la description du brevet FR 665 (page 7, lignes 15 à 17), de déterminer le sens de passage de l’être vivant est explicitée à compter de la page 8 de la description puis plus particulièrement en pages 9 et suivantes à compter de la ligne 25 qui commentent les figures 6 (a) à 6 (d).
Ainsi peut-on lire dans la description (10, lignes 24 et suivantes et page 11, lignes 1 à 11):
“Les figs. 6b, 6c et 6d sont équivalentes à la Fig. 6a, et chacune montre les variations du signal électrique du deuxième type qui sont coordonnées avec celles du signal électrique du premier type. En particulier, lorsque l’être vivant quitte le cône d’influence de la première fenêtre de détection, celà génère une variation rapide (une chute ou une montée) du signal délivré par la première cellule et à la fin de cette variation rapide, la courbe représentative du signal électrique du deuxième type 310b, 310c et 310d est au niveau du minimum 402 ou du maximum 302, 404 c’est-à-dire que l’être vivant se situe devant la deuxième fenêtre de détection de la deuxième cellule ou devant la première fenêtre de la deuxième cellule.
Ainsi, d’une manière générale, la détermination du sens de passage de l’être vivant passant devant le dispositif consiste à analyser le niveau du signal électrique du deuxième type au moment où l’être vivant sort du cône d’influence de la première fenêtre de détection de la première cellule. En d’autres termes, lorsque la masse thermique représentée par l’être vivant quitte le cône d’influence de la première fenêtre de détection de la première cellule, le signal de premier type et, également sa courbe représentative 602 ou 604, 502, présentent un front montant ou descendant qui est net et très court temporellement. Cet instant représente alors un évènement remarquable. L’analyse du signal du deuxième type à cet instant permet de déterminer le sens de passage de l’être vivant.”

Il résulte de ce qui précède que la personne du métier trouvera dans la description du brevet FR 665 et les figures qui l’illustrent les caractéristiques de “front/ maximum/minimum” des signaux et la référence à “l’analyse de la position temporelle du front du signal électrique du premier type par rapport au minimum et au maximum du signal électrique du deuxième type”, ajoutées dans la revendication 1 du brevet EP 396 et ainsi les moyens de reproduire l’invention, de sorte que la société Kiomda conclut à tort à l’insuffisance de description.
La demande de nullité de la revendication principale 1 et des revendications dépendantes 2 à 5 fondée sur une insuffisance de description sera en conséquence rejetée.
b) Sur la nullité de la revendication principale 1 et des revendications dépendantes 2 à 5 du brevet FR 665 pour défaut d’activité inventive

Moyens des parties

La société Kiomda fait valoir que:- le défaut d’activité inventive soulevé par l’OEB lors de la procédure de délivrance du brevet EP 396 s’applique à la revendication 1 du brevet FR 665, les revendications 1 des deux brevets étant identiques avant la limitation du brevet EP 396 qui a permis à la société Eco compteur de surmonter l’objection de défaut d’activité inventive par la justification d’un effet technique particulier tenant à discriminer les êtres vivants des objets inertes et qui résout le problème technique qui est de fournir une solution de comptage spécifique aux êtres vivants;
- le document de l’art antérieur US 4 278 878 (D1), présenté par l’OEB dans le cadre de l’examen du brevet EP 396, divulgue le même dispositif que le brevet FR 665, la seule différence entre les deux inventions tenant à l’utilisation dans le brevet FR 665 de cellules de type pyroélectrique représentatif du rayonnement infrarouge émis par un être vivant, ce type de cellules étant déjà connu dans les dispositifs de comptage des personnes par la personne du métier, divulgué par le brevet US 4 799 243 (D6), de sorte qu’il était évident pour celle-ci de penser à incorporer ce type de cellules dans le dispositif de D1;
- aucune des revendications 2 à 5 ne permet de résoudre le problème technique, étant donné que ces revendications ne comprennent pas l’analyse spécifique des caractéristiques de signal (front, maximum, minimum) revendiqué dans le brevet EP 396, de sorte qu’elles présentent également un défaut d’activité inventive.

La société Eco compteur oppose que:- l’utilisation de cellules pyroélectriques permet de s’affranchir de la mise en place de récepteurs;
- l’usage de cellules pyroélectriques dans D1 entraînerait son dysfonctionnement et obligerait la personne du métier à résoudre des problèmes (changement de type de signaux, changement de sens selon la température, nouvelle interprétation des combinaisons de signaux pour déterminer le sens) dont les solutions ne sont pas évidentes à la lecture de D1;
- D1 ne divulgue pas toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet FR 665, en particulier D1 présente un groupe de trois cellules et donc trois fenêtres de détection et les cellules ne sont pas l’une au-dessus de l’autre;
- les revendications 2 à 5 sont valides en l’absence de démonstration par la société Kiomda de l’absence d’activité inventive pour chacune d’elles.

Réponse du tribunal

Selon l'article L. 611-10 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle
Selon l’article L.611-14 du code de la propriété intellectuelle, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. Si l'état de la technique comprend des documents mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 611-11, ils ne sont pas pris en considération pour l'appréciation de l'activité inventive
Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention, la même solution que celle-ci.
La nullité d’une revendication principale pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive n’entraine pas automatiquement celle des revendications placées dans sa dépendance (Cass.com., 27 janvier 2021, n°18-17.063).
L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l’espèce, le problème technique à résoudre est celui de la détermination exacte du sens de passage d’êtres vivants, que la température de l’être vivant soit supérieure ou inférieure au dispositif, et du comptage de l’être vivant.
La société Kiomda invoque les brevets US 4 278 878 (D1) et US 4 799 243 (D6) présentés par l’OEB dans le cadre de l’examen du brevet EP 396 (pièces Kiomda n°8 et 16), comme étant l’état de la technique antérieur le plus proche du brevet FR 665.
Le brevet US 4 278 878 (D1), enregistré le 21 mai 1979, divulgue un “dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants », qui comprend :- une première cellule photo-électrique composée de deux fenêtres de détection et positionnée au niveau des jambes (figures1 et 17, 1C, 2Ca, 2Cb et colonne 2, lignes 40-51 de la description) adaptée à délivrer un signal électrique d’un premier type représentatif d’un être vivant devant ladite première cellule (pièce Kiomda n°10);
- une deuxième cellule du même type composée de quatre fenêtres de détection (figures 1 et 17, 1A, 2Aa, 2Ab, 1B, 2Ba, 2Bb / colonne 2, lignes 30-51 de la description) positionnée au niveau du torse, et adaptée à délivrer un signal électrique d’un deuxième type représentatif du sens de passage de l’être vivant (pièce Kiomda n°10);
- les capteurs sont installés face à une source lumineuse (fig.1 et 17 et colonne 3, lignes 5 de la description) et actionnés par tout rayon visible, infrarouge ou ultraviolet (colonne 2 ligne 43 de la description);
- une unité de traitement (fig.2) adaptée à déterminer, d’une part, le nombre d’êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et, d’autre part, le sens de passage des êtres vivants passant devant ledit dispositif, par analyse du signal électrique du premier type et du signal électrique du deuxième type (colonne 3, ligne 49 – col.4, ligne 41).

Le brevet US 4 799 243 (D6), enregistré le 1er septembre 1987 (pièces Kiomda n°8 et 17), divulgue un dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants composé d’au moins une cellule pyroélectrique dotée de deux fenêtres de détection des radiations thermiques qui sont converties en signaux électriques et d’un système de traitement des signaux (“divulgation de l’invention”, page 5).
La seule différence significative entre D1 et le brevet FR 665 tient au type de capteurs utilisés, photosensibles dans D1 et thermosensibles dans le brevet FR 665. Or l’usage de capteurs pyroélectriques pour déterminer le sens de passage d’êtres vivants prenant en compte la variation de températures entre l’être vivant et le dispositif découle de manière évidente de l’état de la technique antérieure pour la personne du métier dès lors que l’utilisation d’une pluralité de capteurs thermosensibles ne pose aucune difficulté technique supplémentaire à celle de l’utilisation d’un seul capteur. Ainsi la solution du brevet FR 665 découlait de manière évidente pour la personne du métier de la combinaison des enseignements des brevets US 4 278 878 (D1) et US 4 799 243 (D6).
Les objections opposées par la société Eco compteur sont à cet égard inopérantes. D’une part, le fait que le brevet FR 665 présente une installation simplifiée par rapport à D1 n’implique pas une activité inventive dès lors que la différence d’installation résulte du seul fonctionnement technique de chaque type de capteur, les capteurs photosensibles nécessitant l’installation d’une source lumineuse, circonstance connue de la personne du métier. D’autre part, dans D1, les cellules étant positionnées au niveau du torse et des jambes sont bien l’une au dessus de l’autre, contrairement à ce qu’affirme la société Eco compteur. Il est tout aussi inopérant pour la société Eco compteur de souligner que dans D1, le nombre de passage est obtenu à partir des signaux de tous les capteurs dans la mesure où une telle possibilité n’est pas exclue dans le brevet FR 665. Enfin, la personne du métier qui sait analyser les signaux émis par les cellules pyroélectriques tel qu’il découle de D6 pouvait de manière évidente résoudre à partir de D1 et D6 l’interprétation des combinaisons de signaux pour déterminer le sens de passage des êtres vivants.
Il résulte de ce qui précède que la revendication 1 du dispositif du brevet FR 665 est dépourvue d’activité inventive.
La demande de nullité des revendications 2 à 5 du brevet FR 665 sera en revanche rejetée, la société Kiomda, à qui incombe la charge de la preuve, ne justifiant pas qu’elles ne contribueraient pas à la résolution du problème technique, le seul constat que ces revendications ne traitent pas de l’analyse des caractéristiques des signaux étant insuffisant à cet égard.

III - Sur la contrefaçon des brevets FR 665 et EP 396

a) Sur la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 décembre 2020

Moyens des parties

La société Kiomda soutient que le procès verbal de saisie contrefaçon du 18 décembre 2020 est nul au motif qu’aucune copie des conclusions transmises par la société Eco compteur à la cour d’appel de Paris ne lui a été remise lors de la saisie-contrefaçon, en violation des dispositions de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.
La société Eco compteur soutient que cette demande est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure pour vice de forme, et devrait donc être invoquée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Elle ajoute que la demande de nullité est mal fondée car les premières requêtes ont été signifiées et que la société Kiomda ne démontre pas l’existence d’un grief dans la mesure où, contrairement à l’ordonnance sur requête, l’arrêt d’appel est motivé et expose les arguments de la société Eco compteur.
Réponse du tribunal

Selon l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
L’article 495, alinéa 3, du code de procédure civile dispose que « Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ». Ces dispositions ont pour finalité de rétablir le principe de la contradiction, au moment de l’exécution de l’ordonnance.
Le moyen de nullité d'une saisie contrefaçon, laquelle est un acte probatoire antérieur à la procédure de contrefaçon qui n'est introduite que par la demande en contrefaçon, ne constitue pas une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile (Com., 19 janvier 2010, pourvoi n° 08-18.732).
Viole les articles 16 et 495, alinéa 3, du code de procédure civile la cour d'appel qui, pour rejeter une demande de nullité d'un constat d'huissier de justice effectué en exécution d'une ordonnance rendue sur requête, se détermine au regard de l'absence de grief alors que les exigences de l'article 495 du code de procédure civile, destinées à faire respecter de principe de la contradiction, n'avaient pas été satisfaites (Cass. civ 2., 1er septembre 2016, pourvoi n° 15-23.326). Lorsqu'une cour d'appel infirme une ordonnance ayant rejeté la requête, seule la copie de cette requête et celle de l'arrêt tenant lieu d'ordonnance sur requête, à l'exclusion de la copie de l'ordonnance ayant rejeté la requête, sont laissées à la personne à laquelle cette décision est opposée (Cass. civ 2., 12 janvier 2023, pourvoi n° 21-10.469).
En l’espèce, la société Kiomda, qui n’avait pas à soulever la nullité avant toute défense au fond, est recevable en sa demande.
Par ailleurs, la demande d’annulation du procès-verbal est fondée sur le non respect de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile, de sorte que ne s’applique pas les dispositions relatives à la nullité des actes de procédure exigeant la justification d’un grief par le demandeur à la nullité.
Il ressort des pièces versées aux débats (pièce Eco compteur n°30 et pièce Kiomda n°19) qu’ont été signifiés au président de la société Kiomda, M. [Z] [H], l’arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 novembre 2020 autorisant les mesures de saisies contrefaçon, accompagné de trois requêtes du 20 décembre 2019 ayant fait l’objet d’ordonnances de rejet du même jour dont la société Eco compteur n’a pas relevé appel. Les deux requêtes du 16 juillet 2020 ayant fait l’objet de rejet total ou partiel par ordonnances du 17 juillet 2020 dont la société Eco compteur a relevé appel et qui a abouti à l’arrêt du 24 novembre 2020 n’ont pas été signifiées, ni les conclusions d’appel de la société Eco compteur.
Il en résulte que les exigences de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile destinées à assurer le principe de la contradiction n’ont pas été respectées, de sorte que le procès verbal de saisie contrefaçon du 18 décembre 2020 doit être déclaré nul.
b) Sur la contrefaçon des revendications 1 à 5 du brevet français FR 665

Moyens des parties

La société Eco compteur soutient que le boitier Kiomda contrefait les revendications 1 à 5 du brevet FR 665 aux motifs que:- le procès verbal de saisie contrefaçon et la documentation technique et commerciale de des sociétés Kiomda et Excelitas démontrent que le boitier Kiomda est un dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants, équipé d’un capteur numérique thermique PYRO PYQ5848 qui comprend deux cellules pyroélectriques composées chacune de deux fenêtres de détection et placées l’une au-dessus de l’autre;
- le brevet ne fait pas référence à un mode d’analyse synchrone ou asynchrone des signaux, de sorte que cette caractéristique n’a pas à être prise en compte dans l’analyse de la contrefaçon;
- la société Kiomda tente de créer une confusion entre les termes « capteur », « cellules » et « fenêtres de détection ».

La société Kiomda oppose:- la nullité des revendications 1 à 5 du brevet FR 665;
- l’absence de preuve de la contrefaçon en raison de la nullité du procès verbal de saisie contrefaçon du 18 décembre 2020;
- l’absence de contrefaçon, compte tenu de l’absence de reproduction par le boitier Kiomda des caractéristiques essentielles des revendications du brevet, à savoir la présence dans le dispositif de comptage de deux cellules pyroélectriques distinctes, placées l’une au-dessus de l’autre, délivrant chacune un signal électrique de type différent de l’autre, qui sont analysés au même moment afin de déterminer le sens de passage d’un être vivant devant ledit dispositif (fonctionnement synchrone). Elle fait valoir que le boitier Kiomda ne comprend qu’une seule cellule pyroélectrique qui génère deux signaux identiques analysés à un moment différent afin de déterminer le sens de passage d’un être vivant devant le boitier (fonctionnement asynchrone).

Réponse du tribunal

Aux termes de l'article L. 613-3, a) du code de la propriété intellectuelle, sont interdites, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la fabrication, l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet.
Selon l'article L. 615-1 de ce code, toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet, tels qu'ils sont définis aux articles L. 613-3 à L. 613-6, constitue une contrefaçon, laquelle engage la responsabilité civile de son auteur.
En l’occurrence, la demande fondée sur la contrefaçon de la revendication 1 du brevet FR 665 ne saurait prospérer compte tenu de la nullité de cette revendication, telle que jugée ci-dessus.
Par ailleurs, la société Eco compteur est mal fondée à invoquer le procès verbal de saisie contrefaçon du 18 décembre 2020 pour rapporter la preuve de la contrefaçon alléguée compte tenu de sa nullité, tel que jugé plus haut.
Sur la contrefaçon des revendications dépendantes 2 à 5 du brevet FR 665

Les revendications 2 à 5 du brevet FR 665 sont toutes dans la dépendance de la revendication 1, de sorte qu’il incombe à la société Eco compteur de rapporter la preuve de la reproduction des caractéristiques de la revendication 1.
Il n’est pas contesté que le boitier Kiomda est un dispositif de comptage et de détermination du sens de passage d’êtres vivants.
Il ressort de l’expertise effectuée à la demande de la société Kiomda (pièce Kiomda n°20) que le boîtier litigieux comprend un capteur infrarouge de type « PYQ 5848 » commercialisé par la société Excelitas, ce qui n’est pas contesté par la société Eco compteur.
Toutefois, contrairement à ce que soutient la société Eco compteur, il ne s’agit pas d’un capteur composé de deux cellules pyroélectriques mais d’une seule cellule pyroélectrique composée de quatre fenêtres de détection, dont deux sont occultées dans le boitier Kiomda (pièce Kiomda n°30). Les documents commerciaux et techniques de la société Excelitas (pièce Eco compteur n°31 et 31 ter) montrent que les quatre capteurs sont regroupés deux par deux selon leur polarité, positive pour les capteurs A et A’ et négative pouer les capteurs B et B’.
D’ailleurs, l’expert consulté par la société Kiomda estime que le procédé utilisé dans le boîtier Kiomda est assez proche dans son principe de la figure 1 du brevet représentant l’état de la technique au moment du dépôt du brevet, l’invention étant représentée par la figure 3.

L’existence d’une seule cellule pyroélectrique dans le boîtier Kiomda est confortée par la comparaison des photographies de chacun des dispositifs (pièce Kiomda n°9 et pièce Eco compteur n°26-1).

Même à considérer qu’il s’agirait de deux cellules pyroélectriques comme l’affirme la société Eco compteur, il n’est pas établi que les cellules seraient disposées l’une au dessus de l’autre. La société Eco compteur croit à tort pouvoir déduire du schéma extrait de la documentation commerciale de la société Excelitas l’existence de deux cellules pyroélectriques composées, pour l’une, des fenêtres de détection A et A’ et pour l’autre, des fenêtres de détection B et B’:

Cette présentation apparaît toutefois erronée, ledit schéma montrant le circuit électrique des fenêtres de détection. Les schémas du capteur montrent quant à eux que les fenêtres de détection A et A’ d’une part et B et B’ d’autre part sont montées en diagonale, ce que confirme la description du produit selon laquelle “the PYQ 5868 with “Quad” configuration provides two independant Dual-Element signals in a diagonal geometrci arrangement” (soit en français: le PYQ 5868 avec configuration « Quad » fournit deux signaux indépendants à double élément dans une disposition géométrique diagonale).

Enfin, il apparaît que les deux fenêtres de détection du haut sont occultées dans le boitier Kiomda (A et B’ - pièce Kiomda n°30), les fenêtres actives étant alignées, ce qui exclut toute reproduction de la revendication 1, l’invention disposant d’au moins trois fenêtres de détection actives.
Il résulte de ce qui précède que toutes les caractéristiques de la revendication 1 ne sont pas reproduites par le boîtier Kiomda, de sorte que la société Eco compteur est mal fondée à conclure à la contrefaçon des revendications dépendantes 2 à 5 du brevet FR 665.
b) Sur la contrefaçon de la revendication 1 du brevet EP 396

Les éléments relevés précédemment relatifs à l’absence de contrefaçon de la revendication 1 du brevet FR 665 s’appliquent de la même manière à la revendication 1 du brevet EP 396, de sorte que la société Eco compteur est également mal fondée à conclure à la contrefaçon de cette revendication.
IV- Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive

Moyen des parties

La société Kiomda soutient que la société Eco compteur n’a pas donné suite à ses propositions de rapprochement, que la procédure aux fins de saisie contrefaçon a été entachée de graves irrégularités, que les opérations de saisies ont été traumatisantes pour M. [H] et sa femme et que cette procédure ne vise qu’à la déstabiliser financièrement.
La société Eco compteur fait valoir que la société Kiomda ne justifie pas d’un préjudice qui lui est propre et ne démontre pas d’abus de sa part.
Réponse du tribunal

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L’article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Ester en justice est un droit et ne dégénère en abus pouvant justifier l'allocation de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Une telle condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive implique donc que soit rapportée la preuve d'une intention malicieuse du demandeur ou de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec.
En l'espèce, si la société Kiomda estime que l’action de la société Eco compteur s'est révélée téméraire, elle fait part de préjudices propres à son dirigeant et n'invoque la concernant d'autre préjudice que celui résultant de l'obligation de se défendre, qui fait l'objet d'une demande au titre des frais irrépétibles.
Par conséquent, il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Kiomda.V - Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
Selon l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.

La société Eco compteur, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de l’avocat de la société Kiomda.
Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
La société Eco compteur, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer à la société Kiomda 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
L’exécution provisoire de droit n’a pas à être écartée en l’espèce, à l’exception de l’inscription du jugement au registre national des brevets.
PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déclare nulle la revendication 1 du brevet FR 665 pour défaut d’activité inventive ;

Rejette la demande de la société Kiomda de voir déclarer nulles les revendications 2 à 5 du brevet français FR 06 02665 ;

Dit que le présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, sera transmis à l’Institut national de la propriété industrielle aux fins d’inscription au registre national des brevets à l’initiative de la partie la plus diligente ;

Déclare nul le procès verbal de saisie contrefaçon dressé le 18 décembre 2020 dans les locaux de la société Kiomda par Maître [U] [B], huissier de justice associé au sein de la SELARL Bretagne Huissiers ;

Rejette les demandes de la société Eco compteur fondées sur la contrefaçon des revendications 1 à 5 du brevet français FR 06 02665 et la revendication 1 du européen EP 2 005 396 ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société Kiomda ;

Condamne la société Eco compteur aux dépens, dont distraction au profit de Me François HERPE ;

Condamne la société Eco compteur à payer à la société Kiomda 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Écarte l’exécution provisoire de droit de l’inscription de l’annulation de la revendication 1 du brevet FR 665 au registre national des brevets.

Fait et jugé à Paris le 24 avril 2024

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 21/00685
Date de la décision : 24/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-24;21.00685 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award