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23/04/2024 | FRANCE | N°22/05264

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 23 avril 2024, 22/05264


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :





2ème chambre



N° RG 22/05264
N° Portalis 352J-W-B7G-CW3OK

N° MINUTE :




Assignation du :
17 Février 2022






JUGEMENT
rendu le 23 Avril 2024

DEMANDEUR

Monsieur [E] [L]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par Maître Denis LATREMOUILLE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0178


DÉFENDEUR

S

Monsieur [J] [I]
[Adresse 4]
[Localité 5]

Monsieur [W] [R]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Représentés par Maître Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1953

...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre


N° RG 22/05264
N° Portalis 352J-W-B7G-CW3OK

N° MINUTE :

Assignation du :
17 Février 2022

JUGEMENT
rendu le 23 Avril 2024

DEMANDEUR

Monsieur [E] [L]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par Maître Denis LATREMOUILLE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0178

DÉFENDEURS

Monsieur [J] [I]
[Adresse 4]
[Localité 5]

Monsieur [W] [R]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Représentés par Maître Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1953

Décision du 23 Avril 2024
2ème chambre
N° RG 22/05264 - N° Portalis 352J-W-B7G-CW3OK

* * *

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Monsieur Robin VIRGILE, Juge, statuant en juge unique.

assisté de Sylvie CAVALIE, Greffière lors de l’audience et de Adélie LERESTIF, Greffière lors de la mise à disposition.

DÉBATS

A l’audience du 12 Mars 2024, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 23 Avril 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort

* * *

EXPOSE DES FAITS

[Y] [O] est décédé le [Date décès 3] 2017.

Par testament olographe du 11 janvier 2007, [Y] [O] a institué [W] [R] et [J] [I] en qualité de légataires universels à parts égales, et a consenti un legs particulier à [E] [L] d'un montant de 55.000 euros.

Par courrier en date du 11 septembre 2019 [W] [R] et [J] [I], légataires universel de [Y] [O], ont indiqué à [E] [L] ne pas avoir donné suite à ce legs particulier, au motif qu'il était le médecin traitant du défunt.

Se prévalant d'un préjudice résultant de la non délivrance de son legs particulier et par exploits d'huissier des 3 août et 5 octobre 2020, [E] [L] a fait assigner [J] [I] et [W] [R] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de les voir condamner à lui payer des dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, [E] [L] demande au tribunal de :

« Vu les articles 909 et 1240 du code civil,
Vu l’article R.4127-52 du code de la santé publique,

CONDAMNER solidairement Messieurs [W] [R] et [J] [I] à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 55.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNER solidairement Messieurs [W] [R] et [J] [I] à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

DÉBOUTER Messieurs [W] [R] et [J] [I] de toutes prétentions contraires ;

CONDAMNER solidairement Messieurs [W] [R] et [J] [I] à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER solidairement Messieurs [W] [R] et [J] [I] aux dépens de la présente procédure. » 

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 février 2023, [W] [R] et [J] [I] demandent au tribunal de :

« A TITRE PRINCIPAL

Déclarer la nullité des dispositions testamentaires de Monsieur [O] au profit de Monsieur [L].

En conséquence,

Débouter Monsieur [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

A TITRE SUBSIDIAIRE

Débouter Monsieur [L] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

Débouter Monsieur [L] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 55.000 euros

Subsidiairement, minorer le montant sollicité à hauteur de 11.478 euros

Infiniment subsidiairement, minorer le montant sollicité à hauteur de 21.362,40 euros »

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 juillet 2023.

A l'audience de plaidoirie du 12 mars 2023, l'affaire a été mise en délibéré au 23 avril 2023.

MOTIFS

Sur la demande de [W] [R] et [J] [I] de déclarer nulles les dispositions testamentaires de [Y] [O] en faveur de [E] [L]

Au soutien de voir déclarer nulles les dispositions testamentaires de [Y] [O] en faveur de [E] [L], [W] [R] et [J] [I] font valoir que :
- [E] [L] était le médecin traitant de [Y] [O] mais aussi de son épouse,
- [E] [L] reconnaît lui-même que ce legs a été consenti peu de temps après le décès de l'épouse de [Y] [O] qu'il avait traité durant la maladie dont elle est décédée,
- il s'agissait du patrimoine commun du couple, et c'est par le biais de [Y] [O] qu'un legs interdit a été consenti,
- le code de déontologie médicale impose au médecin une attitude générale de prudence,
- l'ordre des médecins n'a émis aucun avis,
- le montant global du legs était disproportionné.

[E] [L] s'oppose à la demande de [W] [R] et [J] [I] de nullité des dispositions testamentaires [Y] [O] en sa faveur, et fait valoir que :
- un legs fait à un médecin par un patient qui n’était, à ce moment-là, pas atteint de la maladie dont il est finalement décédé est parfaitement valable,
- au 26 avril 2007, [Y] [O] ne souffrait d'aucun trouble cognitif,
- il a consulté [Y] [O] le 13 mai 2011, c'est à dire quatre ans après la rédaction du testament, et il est décédé dix ans après sa rédaction,
- il n'a pas participé à la prise en charge de la pathologie dont [Y] [O] est décédé,
- les défendeurs ne peuvent inverser la charge de la preuve qui leur incombe de prouver que le legs litigieux entre dans le champ d'application de l'article 909 du code civil,
- il n'a exercé aucune influence dans la décision de [Y] [O], qui a établi son legs postérieurement au décès de son épouse.

Sur ce,

Aux termes de l'article 909 du code civil,

« Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.
Sont exceptées :
1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus ;
2° Les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe ; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.
Les mêmes règles seront observées à l'égard du ministre du culte. »

L'article 4127-52 du code de la santé publique énonce que :
« Le médecin qui aura traité une personne pendant la maladie dont elle est décédée ne pourra profiter des dispositions entre vifs et testamentaires faites par celle-ci en sa faveur pendant le cours de cette maladie que dans les cas et conditions prévus par la loi.
Il ne doit pas davantage abuser de son influence pour obtenir un mandat ou contracter à titre onéreux dans des conditions qui lui seraient anormalement favorables. »

L'article 1353 du code civil dispose :

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

En l'espèce, [Y] [O] a consenti par testament olographe du 11 janvier 2007 un legs particulier à [E] [L].

Conformément à l'article 1353 du code civil, il appartient donc à [W] [R] et [J] [I], lesquels contestent la validité de ce legs au regard des dispositions de l'article 909 du code civil, de rapporter la preuve que [E] [L] a traité [Y] [O] durant la maladie dont il est décédé.

Or, il n'est pas démontré ni même soutenu que [E] [L] a été le médecin de [Y] [O] durant la maladie dont il est décédé, puisqu'il n'est pas contesté que celui-ci est décédé près de six ans après la dernière consultation avec [E] [L], et environ dix ans après les dispositions testamentaires litigieuses.

Le fait, non contesté, que [E] [L] a traité l'épouse de [Y] [O] durant la maladie dont elle est décédée est indifférent au regard des dispositions de l'article 909 du code civil précité, peu important que [Y] [O] ait pu recueillir une partie du patrimoine de celle-ci en qualité de conjoint survivant.

Par conséquent, la demande de [W] [R] et [J] [I] de nullité des dispositions testamentaires de [Y] [O] en faveur de [E] [L] sera rejetée.

Sur la demande de [E] [L] en paiement de dommages et intérêts
[E] [L] sollicite au visa de l'article 1240 du code civil de condamner solidairement [W] [R] et [J] [I] à lui payer la somme de 55.000 euros correspondant à la somme prévue par les dispositions testamentaires l'instituant légataire particulier, outre la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts à titre de réparation de son préjudice moral.
Il expose qu'il été légitime à recevoir sa part d'héritage dans la succession de [Y] [O], et que [W] [R] et [J] [I] se se sont largement écartés de leur mission d’honorer les dernières volontés du défunt en l’évinçant de la succession et ont commis à son égard une faute civile au sens de l’article 1240 du code civil qu’il convient de réparer.
Sur le préjudice moral, il souligne les conditions particulièrement vexatoires dans lesquelles il a été spolié, et qu'il est choquant de laissant entendre qu'il aurait abusé de sa position de médecin pour tirer un avantage financier de ses patients alors même qu’il a fait preuve d’un total dévouement à l’égard de ces derniers.

[W] [R] et [J] [I] s'opposent à cette demande en paiement de dommages et intérêts, et indiquent qu'elle démontre la mauvaise foi du demandeur lequel aurait dû s'acquitter de droits de succession à hauteur de 60%, et qu'ainsi la somme réclamée ne correspond pas à son préjudice. A titre subsidiaire, ils proposent de minorer la demande à hauteur de leur proposition de 11.478 euros, qu'ils avaient formulé pour mettre fin au litige. A titre infiniment subsidiaire, compte tenu du fait que [E] [L] n'aurait pas perçu la somme de 55.000 euros après acquittement des droits de succession, le montant des dommages et intérêts doit être diminué à la somme de 21.362,40 euros.
Quant à la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, [W] [R] et [J] [I] soutiennent qu'ils étaient légitime à considérer que le legs était litigieux, et ont proposé de payer la moitié de la somme consentie au demandeur. Ils indiquent qu'ils pensaient, en l'absence de nouvelles, que [E] [L] avait renoncé au bénéfice du legs. Enfin, ils indiquent que [E] [L] ne verse aucun élément de nature à éclairer le tribunal sur l'existence d'un quelconque préjudice.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article 1240 du code civil, pour que la responsabilité délictuelle d’une personne soit établie, doivent être caractérisés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Aux termes de l’article 1014 du code civil, « Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.
Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
Selon l'article 1011 du code civil, « Les légataires à titre universel seront tenus de demander la délivrance aux héritiers auxquels une quotité des biens est réservée par la loi ; à leur défaut, aux légataires universels et, à défaut de ceux-ci, aux héritiers appelés dans l'ordre établi au titre " Des successions ».

En l'espèce, [E] [L] ne peut se prévaloir d'aucun préjudice équivalent au montant du legs non délivré, dès lors que celui-ci dispose d'une action judiciaire en délivrance de legs. Par conséquent, sa demande de condamner solidairement [W] [R] et [J] [I] à lui payer la somme de 55.000 euros sera rejetée.

S'agissant de la demande en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral, il ne résulte d'aucun élément que [W] [R] et [J] [I], qui ont pu se méprendre sur la validité du testament compte tenu des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, aient commis une faute. Par conséquent, la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral sera donc rejetée.

Sur les demandes accessoires

Toutes les demandes des parties ayant été rejetées, il est justifié de décider que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Le fait qu'aucune partie n'est condamnée aux dépens justifie de rejeter la demande de [E] [L] formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il y a lieu de rappeler que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire. Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort

REJETTE la demande de [W] [R] et [J] [I] de déclarer nulles les dispositions testamentaires de [Y] [O] en faveur de [E] [L] ;

REJETTE les demandes de [E] [L] en paiement de dommages et intérêts dirigées contre [W] [R] et [J] [I] ;

DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

REJETTE la demande formées par [E] [L] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

Fait et jugé à Paris le 23 Avril 2024

La GreffièreLe Président
Adélie LERESTIFRobin VIRGILE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/05264
Date de la décision : 23/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-23;22.05264 ?
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