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23/04/2024 | FRANCE | N°20/09436

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 23 avril 2024, 20/09436


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 20/09436
N° Portalis 352J-W-B7E-CS377

N° MINUTE :




Assignation du :
30 Septembre 2020
1er Octobre 2020
29 Février 2021







JUGEMENT
rendu le 23 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [J] [V] épouse [L]
[Adresse 4]
[Localité 3] (ITALIE)
représentée par Me Michel NEVOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0042

Monsieur [E] [V]
[Ad

resse 10]
[Localité 9]
représenté par Me Michel NEVOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0042


DÉFENDEURS

Monsieur [R] [C]
[Adresse 6]
[Localité 11]
représenté par Me Francine TOUCHARD...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 20/09436
N° Portalis 352J-W-B7E-CS377

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Septembre 2020
1er Octobre 2020
29 Février 2021

JUGEMENT
rendu le 23 Avril 2024
DEMANDEURS

Madame [J] [V] épouse [L]
[Adresse 4]
[Localité 3] (ITALIE)
représentée par Me Michel NEVOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0042

Monsieur [E] [V]
[Adresse 10]
[Localité 9]
représenté par Me Michel NEVOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0042

DÉFENDEURS

Monsieur [R] [C]
[Adresse 6]
[Localité 11]
représenté par Me Francine TOUCHARD VONTRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0838

Madame [K] [C] épouse [D]
[Adresse 1]
[Localité 11]
représentée par Me Francine TOUCHARD VONTRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0838
Décision du 23 Avril 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/09436 - N° Portalis 352J-W-B7E-CS377

Monsieur [O] [C]
[Adresse 1]
[Localité 11]
représenté par Me Francine TOUCHARD VONTRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0838

S.A.S. UFIFRANCE PATRIMOINE
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Me Frédérique TRIBOUT MOLAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0742

S.A. ABEILLE VIE
[Adresse 7]
[Localité 12]
représentée par Me Jean-Pierre LAIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1101

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 06 Février 2024 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant police n° 12008705 à effet du 9 octobre 2009, [I] [V] a adhéré au contrat d’assurance-vie « UFF COMPTE AVENIR » souscrit par l’association pour le développement de l’épargne pour la retraite (ci-après l’ADER) auprès de la société Aviva Vie, devenue la SA Abeille Vie, et géré par la société Union Financière Patrimoine, devenue la SAS Ufifrance Patrimoine (ci-après la société Ufifrance).

Au sein du bulletin d’adhésion signé le 10 septembre 2009 par [I] [V], figurait une clause désignant, en qualité de bénéficiaires, son conjoint « [H] [C], à défaut ses enfants [R], [O], [K] [C], à défaut les héritiers de l’assurée selon dévolution successorale ».

[I] [V], décédée le [Date décès 2] 2019, a laissé pour seuls héritiers son frère, M. [E] [V] et sa sœur, Mme [J] [V] épouse [L] (ci-après ensemble les consorts [V]).

Le montant du capital de l’assurance-vie a été fixé, au jour de son décès, à la somme de 430.692 euros avant prélèvements fiscaux.

Les 26 août et 10 septembre 2020, la société Abeille Vie a réglé à Mme [K] [C] épouse [D] et à M. [R] [C], enfants de [H] [C], à chacun une somme nette de 68.151,02 euros, le virement au profit de M. [O] [C], troisième enfant de [H] [C], n’ayant pu être réalisé en raison d’un problème de communication de ses coordonnées bancaires.

En parallèle, différents échanges ont eu lieu entre les sociétés Abeille Vie et Ufifrance, d’une part, et les consorts [V], d’autre part, ces derniers entendant se prévaloir des termes du certificat d’adhésion édité le 16 octobre 2009 mentionnant en qualité de bénéficiaires en cas de décès « Monsieur [H] [C], à défaut [M], [O] et [K] [C], enfants de l’assuré ; à défaut les héritiers de l’assuré selon dévolution successorale » et soulignant alors l’absence d’enfants laissés par leur soeur ainsi que l’inexistence de toute personne dénommée [M] [C].

C’est dans ces circonstances que par actes d’huissier de justice des 30 septembre et 1er octobre 2020, les consorts [V] ont fait citer devant le tribunal judiciaire de Paris les sociétés Ufifrance et Abeille Vie.

Par actes d’huissier de justice du 29 février 2021, M. [O] [C] a fait assigner ces deux mêmes sociétés devant cette juridiction aux fins de paiement de sa part du capital de l’assurance-vie.

Par exploits d’huissier du 30 avril 2021, la société Abeille Vie a fait assigner en intervention forcée M. [R] [C] et Mme [K] [C].

La jonction des trois instances a été ordonnée le 6 juillet 2021.

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 22 février 2022, les consorts [V] demandent au tribunal :

« 1°) Vu l’article 1128 du Code civil et l’article L. 132-11 du Code des assurances :
• de prononcer la nullité de la clause bénéficiaire stipulée dans le certificat d’adhésion du contrat d’assurance vie n° 12008705 souscrit par Mme [I] [V];
2°) A défaut, Vu les articles L 132-8 et L 132-11 du Code des Assurances, l’article 1329 du Code Civil, l’article 1er de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 (amendement FOURGOUS), les moyens qui précèdent et les pièces versées aux débats,
• de prononcer la caducité de la clause bénéficiaire stipulée dans le certificat d’adhésion du d’assurance vie n° 12008705 souscrit par Mme [I] [V] :
3°) Vu l’article L. 132-25 du Code des assurances :
• de rejeter l’exception de paiement libératoire soulevée par la société « ABEILLE VIE »;

4°) Que ce soit en conséquence de la nullité de la clause ou de la caducité :
• de condamner la société « ABEILLE VIE » anciennement «AVIVA-VIE » à verser à M. [E] [V] et Mme [J] [V], héritiers de Mme [I] [V], le capital de l’assurance-vie au titre du contrat 12.008705 avec les intérêts dus depuis l’ouverture de la succession, soit la somme en principal de 430.000 euros, sauf à parfaire,
5°) Subsidiairement,
Vu les articles 1117, 1231 et suivants du Code Civil, les moyens qui précèdent et les pièces versées aux débats,
• de condamner la société « UFI FRANCE PATRIMOINE » à verser à Monsieur [E] [V] et à Madame [J] [V], héritiers de Madame [I] [V], à titre de dommages et intérêts, l’équivalent du capital de l’assurance-vie au titre du contrat n° 12-008705 soit la somme de 430.000 € en principal, sauf à parfaire, avec les intérêts dus depuis l’ouverture de la succession.
6°) Ne pas écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
7°) Condamner les sociétés « ABEILLE VIE » et « UFI FRANCE PATRIMOINE » aux dépens. 8°) Condamner les sociétés « ABEILLE VIE » et « UFI FRANCE PATRIMOINE » à verser à M. [E] [V] et Mme [J] [V] un montant de 15 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ».

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 17 janvier 2022, la société Abeille Vie demande au tribunal de :

« A titre principal :
Débouter Madame [J] [V] épouse [L] et Monsieur [E] [V] de toutes leurs fins, demandes et conclusions orientées à l’encontre de la société Aviva Vie.
Condamner in solidum Madame [J] [V] épouse [L] et Monsieur [E] [V] au paiement chacun à la société Aviva Vie d’une somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner in solidum Madame [J] [V] épouse [L] et Monsieur [E] [V] aux entiers dépens.
Statuer ce que de droit sur la demande de Monsieur [O] [C].

A titre subsidiaire :
Vu l’article L 132-25 du code des assurances,
Dire et juger que le paiement des capitaux décès effectués par la société Aviva Vie à Madame [K] [C], épouse [D], et de Monsieur [R] [C] est libératoire à l’égard de la société Aviva Vie,
Débouter en conséquence Madame [J] [V] épouse [L] et Monsieur [E] [V] de leur demande de voir verser les sommes réglées à Madame [K] [C], épouse [D], et de Monsieur [R] [C] à la succcession de [I] [V],

Plus subsidiairement
Vu l’article 1302-1 du code civil.
Condamner Madame [K] [C], épouse [D], et Monsieur [R] [C] à payer chacun à la société Aviva Vie la somme de 68 151,02 € correspondant à leur quotepart des capitaux décès qu’ils leur ont été réglés par la société Aviva Vie.
Débouter Monsieur [O] [C] de sa demande en condamnation de la société Aviva Vie au paiement de la somme de 68 151,02 €.

En tout état de cause,
- Débouter Monsieur [O] [C] de sa demande en condamnation de la société Aviva Vie au paiement de la somme de 3.000 €au titre de l’article 700 du code de procédure civile
- Débouter Madame [J] [V] épouse [L] et Monsieur [E] [V] de leur demande de condamnation de la société Aviva Vie au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Ecarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir ».

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 17 décembre 2021, les consorts [C] demandent au tribunal de :

« Vu les articles L132-8 et suivants du Code des assurances,
Vu les pièces,
(...)
Dire et juger les consorts [C] recevables et bien fondés en leur demande,
Débouter les consorts [V] de leurs demandes aux fins de nullité et/ou de caducité de la clause bénéficiaire
Acter que les consorts [C] ont la qualité de bénéficiaires du contrat d’assurance vie n°0012008705 souscrit par Madame [I] [V] pour un montant chacun de l43.563,75 €
Dire et Juger que la société AVIVA VIE a manqué à son obligation de paiement au profit de Monsieur [O] [C]

En conséquence,
Condamner la société AVIVA VIE à régler à Monsieur [C] la somme de 68.685,75 €, somme lui revenant en vertu du contrat d’assurance vie n°0012008705, déduction faite des droits de mutation réglés
Débouter la société AVIVA VIE de sa demande en remboursement à 1”encontre de Monsieur [R] [C] et Madame [K] [C] de leur quotepart des capitaux décès qui leur ont été réglés selon virement en date des 26 août et 10 septembre 2020.

En tout état de cause,
Condamner in solidum les sociétés UFIFRANCE et AVIVA PARIS ainsi que les consorts [V] à payer aux consorts [C] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens ».

Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 22 novembre 2021, la société Ufifrance demande au tribunal de :

« Débouter M. [E] [V] et Mme [J] [V] de leurs demandes formées à l’encontre de la société UFIFRANCE PATRIMOINE.
Les condamner à payer à la société UFIFRANCE PATRIMOINE la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du CPC.
Subsidiairement en cas de condamnation dire n’y avoir lieu à exécution provisoire ».

La clôture, initialement ordonnée le 5 juillet 2022, a été révoquée le 5 février 2024 pour acceptation de la constitution du nouveau conseil représentant les intérêts de la société Ufifrance, et de nouveau prononcée à cette date.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande en nullité de la clause bénéficiaire

Les consorts [V] soutiennent en substance que la clause telle que figurant au certificat d’adhésion ne peut pas avoir de sens en ce qu’elle désigne les consorts [C] comme enfants de [I] [V] et mentionne une personne n’ayant jamais existé ; que cette clause doit alors être déclarée nulle car ne remplissant pas les critères de l’article L. 132-8 du code des assurances.

Ils considèrent que la clause du bulletin d’adhésion ne peut pas non plus traduire la volonté de l’assurée dès lors que rien n’établit sa connaissance de la liste des bénéficiaires y figurant, celle-ci n’ayant pas été rédigée de sa main mais ayant manifestement été inscrite par [F] [C] ou par son conseiller patrimonial ; qu’en outre, la page du bulletin de l’adhésion contenant cette clause n’est revêtue ni du paraphe, ni de la signature de l’adhérente de sorte que rien ne confirme cette connaissance ; qu’enfin, [I] [V] n’a jamais manifesté de son vivant le désir de gratifier les enfants de son compagnon, issus d’une précédente union de ce dernier. Ils estiment dans ces circonstances que le consentement de l’assurée a été vicié et partant, que la clause doit être invalidée au visa de l’article 1131 du code civil.

En réponse, la société Abeille Vie, se prévalant des mentions portées sur le bulletin d’adhésion dont la signature par [I] [V] n’est pas contestée, objecte que la liste de bénéficiaires figurant sur le certificat d’adhésion découle d’une erreur de retranscription et souligne qu’il ne doit être tenu compte que de celle figurant sur le bulletin, seul document reflétant la volonté de la défunte. Elle oppose alors la parfaite cohérence de cette clause telle que libellée au sein du bulletin. Elle relève que le reste des moyens développés par les consorts [V] portent sur des événements postérieurs à la conclusion du contrat d’assurance-vie et sont dès lors inopérants à remettre en cause la validité de la clause, laquelle n’a jamais été modifiée par [I] [V].

En réponse également, les consorts [C], insistant sur les versements effectués par leur père au profit de sa compagne sur les différents contrats d’assurance-vie souscrits par celle-ci, rejoignent les moyens développés par la société Abeille Vie pour conclure que seule doit être prise en compte la clause de bénéficiaires telle que rédigée au sein du bulletin d’adhésion et que cette clause, les désignant nommément, est alors parfaitement valide.

Sur ce,

Aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 132-8 du code des assurances, dans leur version en vigueur au jour de l’adhésion à l’assurance-vie, « Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l'assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.

Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l'exigibilité du capital ou de la rente garantis ».

Conformément à l’article 901 du code civil, « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ».

Il se déduit de ces dispositions que la désignation du bénéficiaire, acte unilatéral n’exigeant ni le consentement de la personne désignée, ni celui de l’assureur, peut être faite par l’assuré seul et est valable dès lors que sa volonté libre y est exprimée d'une manière certaine et sans équivoque.

En l’espèce, il ressort du certificat d’adhésion au contrat n° 0012008705 de [I] [V] une clause bénéficiaire mentionnant « Monsieur [H] [C], à défaut [M], [O] et [K] [C], enfants de l’assuré ; à défaut, les héritiers de l’assuré selon dévolution successorale ».

Néanmoins, ce document, qui émane uniquement du gestionnaire de l’assureur la société Ufifrance après enregistrement du contrat par ses services, ne manifeste pas la volonté de l’assurée, laquelle doit être recherchée dans le bulletin d’adhésion signé par ses soins.

Or, la clause de ce bulletin a été rédigée d’une main suffisamment appliquée pour qu’aucune incertitude ne puisse naître à sa lecture. La désignation des bénéficiaires est alors la suivante : « [C] [H] à défaut, ses enfants [R], [O], [G] [C] ».

En conséquence, les incohérences relevées par les consorts [V] résultent de simples erreurs au moment de retranscrire informatiquement le dossier de l’assurée.

La désignation voulue par l’assurée identifiant sans doute possible les consorts [C], aucune cause de nullité fondée sur les dispositions de l’article L. 132-8 susvisé du code des assurances n’est établie.

Les consorts [V] concluent ensuite à l’absence de consentement de [I] [V] pour cette clause, celle-ci n’étant pas de sa main et la page du bulletin la comportant n’ayant été ni signée, ni paraphée par ses soins.

Toutefois, le paraphe ainsi que la signature de toutes les pages d’un contrat, formalités purement facultatives, ne sont pas prévus par le bulletin d’adhésion produit. Aucune déduction ne peut donc être tirée de leur absence quant à la portée ou la validité du consentement de l’assurée. En revanche, les consorts [V] ne contestent pas que [I] [V] a bien signé le bulletin dans la case prévue en fin de document, après inscription de la mention « lu et approuvé ». Le tribunal observe en outre que la page du bulletin signée rappelle à l’assurée qu’elle « déclare exacts les renseignements mentionnés dans cette demande d’adhésion ».

S’agissant du contexte de conclusion de l’assurance-vie, rien ne confirme la déclaration faite par les demandeurs que [H] [C] aurait mené seul cette conclusion sans l’accord de sa compagne. A supposer cette circonstance établie, il ne peut pas non plus s’en déduire que [I] [V], pleinement en mesure de comprendre la teneur de la clause bénéficiaire figurant au bulletin soumis à sa signature, n’y aurait alors pas librement consenti.

Enfin, l’éventuel conflit entre [I] [V] et les enfants de son compagnon depuis la mort de ce dernier en 2010, soit postérieurement à l’adhésion au contrat le 10 septembre 2009, n’est pas de nature à éclairer le tribunal sur un éventuel consentement absent ou trompé de l’intéressée à cette même date.

Du tout, il sera retenu que, peu important qu’elle en soit ou non la rédactrice, [I] [V] a donné son plein accord pour la clause bénéficiaire insérée au bulletin, laquelle exprime alors d'une manière certaine et non équivoque sa volonté de désigner « [R], [O], [G] [C] » comme bénéficiaires du contrat.

En conséquence, la demande en nullité de cette clause sera rejetée.

Sur la demande en caducité de la clause

Les consorts [V] se prévalent en substance de la caducité de la clause bénéficiaire, faisant valoir une évolution des conditions de l’assurance-vie, notamment ses articles 10 (valeurs liquidatives et dates retenues pour valoriser les opérations), 11 (constitution de l’épargne), 12 (disponibilité de l’épargne : rachat) et 15 (garantie de l’épargne en cas de décès de la personne assurée). Ils considèrent que ces évolutions en 2010 et 2013 ont abouti à une novation du contrat au sens du code civil et des dispositions de l’article 1er de la loi n°2005-842 du 26 juillet 2005 (dit amendement Fourgous), celui-ci évoluant d’une assurance-vie sur un fonds en euros à rendement garanti en assurance-vie en unités de compte. Ils soulignent alors que si [I] [V] a nécessairement consenti à cette novation en poursuivant le contrat, elle n’a pour autant jamais confirmé sa volonté de reprendre la clause bénéficiaire, laquelle doit en conséquence être déclarée caduque.

En réponse, la société Abeille Vie objecte que l’évolution relevée en demande constitue un simple changement du support et que les autres aménagements textuels invoqués n’atteignent pas les obligations substantielles du contrat, de sorte qu’aucune novation du contrat n’est caractérisée. Elle souligne à cet égard que le contrat prévoyait dès son origine une distinction entre un placement à rentabilité fixe sur un an, puis des placements sans garantie à compter de cette date, et que les modifications ensuite intervenues relèvent du pouvoir laissé aux assureurs de groupe conformément à l’article L. 141-4 du code des assurances.

En réponse également, les consorts [C] soulignent que les moyens sont dirigés à la seule encontre de la société Abeille Vie, de sorte qu’il incombe à celle-ci d’y répondre.

Décision du 23 Avril 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/09436 - N° Portalis 352J-W-B7E-CS377

Sur ce,

A titre liminaire, si les consorts [V] ne datent pas précisément la novation dont ils font état, il ressort de leurs explications que celle-ci serait intervenue au plus tard le 1er mars 2013, date de prise d’effet de la modification du support en euros du contrat litigieux.

Conformément à l’article 1271 du code civil en vigueur à cette date, « La novation s'opère de trois manières :
1° Lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte ;
2° Lorsqu'un nouveau débiteur est substitué à l'ancien qui est déchargé par le créancier ;
3° Lorsque, par l'effet d'un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l'ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé ».

L’article 1273 du même code dispose que : « La novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte ».

Par ailleurs, il ressort des pièces aux débats que le contrat en cause constituait un contrat d’assurance sur la vie de groupe, conclu entre la société Abeille Vie et l’ADER, avec simple faculté pour les membres de cette association d’y adhérer.

Ainsi, il y a lieu d’appliquer dans le cadre de la présente instance le régime propre à ce type d’assurances, prévu aux articles L. 141-1 et suivants du code des assurances.

Il est alors constant que si l’adhésion au contrat d'assurance de groupe crée un lien obligationnel entre l’assureur et l’adhérent, de nature synallagmatique, ce lien reste la conséquence de la possibilité octroyée au souscripteur de stipuler pour autrui, de sorte que l’évolution des termes du contrat d’assurance ne requiert, pour sa validité, que la rencontre des volontés de l’assureur et du souscripteur.

Ainsi, aux termes de l’article L. 141-4 du code des assurances, le souscripteur est tenu d’informer l’adhérent des modifications apportées à ses droits et obligations sous un délai minimum de trois mois avant leur entrée en vigueur, l’adhérent ayant ensuite le choix, sous certaines réserves, de dénoncer son adhésion s’il n’entend pas y consentir.

En l’espèce, les consorts [V] invoquent tout d’abord le transfert, à l’issue de la première année du contrat, d’une partie des sommes investies sur un fonds en euros à rendement garanti (UFF Euro Septembre 2010) vers un support en unités de compte (UFF Garantie Annuelle), soumis dès lors aux fluctuations boursières.

Néanmoins, la lecture de la notice du contrat collectif « UFF COMPTE AVENIR », dont il n’est pas contesté la remise à [I] [V] au moment de son adhésion, établit que celle-ci était avertie qu’il s’agissait d’un « contrat collectif d’assurance-vie multisupports », et non d’un contrat uniquement adossé à un fonds en euros, ainsi que prétendu en demande. L’article 8 indique ainsi : « vos versements peuvent être investis selon votre choix :
- sur le fonds en euros
- et/ou sur les unités de compte correspondant à des parts d’OPCVM ».

Décision du 23 Avril 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/09436 - N° Portalis 352J-W-B7E-CS377

Il en résulte une liberté initiale pour l’adhérent d’affecter les primes versées aux différents supports proposés par l’assureur, conformément à la clause d’arbitrage figurant à la notice. A cet égard, le bulletin d’adhésion ainsi que son annexe intitulée « DEMANDE DE VERSEMENT ULTERIEUR » mentionnent clairement que si [I] [V] avait choisi d’abonder deux supports dont celui « UFF Euro Septembre 2010 », il était convenu que la part investie sur ce dernier « fera l’objet, au terme de ce support le 3 septembre 2010, d’un unique arbitrage automatique vers le support en euros UFF Garantie Annuelle. Cet arbitrage sera gratuit ».

Dès lors, l’information donnée en septembre 2010 par l’assureur de l’arbitrage ainsi annoncé dès l’origine du contrat ne peut en aucun cas caractériser une novation, ne constituant que l’exécution des stipulations convenues dès l’adhésion.

Les consort [V] se prévalent ensuite du courrier de l’ADER du 14 novembre 2012, ayant selon eux emporté suppression des obligations antérieures du contrat et leur remplacement par de nouvelles conditions générales, comprenant notamment le transfert des primes vers un nouveau fonds soumis aux fluctuations financières et non plus à rendement garanti.

Toutefois et en premier lieu, le contrat souscrit était dès son origine un contrat multisupport, avec possibilité d’affectation des primes versées sur des supports exprimés en unités de compte, et non monosupport. Les demandeurs ne peuvent dès lors pas être suivis dans leurs explications fondées sur une évolution du contrat assimilable à la transformation permise par l’amendement Fourgous cité dans leurs écritures, dont la portée est circonscrite au passage d’un contrat monosupport, aux termes duquel les droits des adhérents ne sont pas exprimés en unités de compte, à un contrat monosupport ou multisupport, aux termes duquel les droits des adhérents sont exprimés en tout ou partie en unités de compte.

En second lieu, les primes versées par [I] [V] ont été, dès la fin de l’année 2010, entièrement affectées au support « UFF Garantie Annuelle », fonds exprimés en unités de compte sans rendement précis garanti dès l’origine. Les consorts [V] ne proposent aucune explication démontrant en quoi l’affectation des primes sur un fonds différent, présentant des caractéristiques proches selon le tableau comparatif figurant en annexe du courrier de l’ADER et permettant donc un niveau de rentabilité similaire en contrepartie du risque pris, justifierait un changement substantiel du contrat emportant sa novation.

En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le courrier de l’ADER du 14 novembre 2012 ne fait nullement état d’une suppression des obligations antérieurement souscrites par l’adhérent, mais d’une « modernisation » du contrat en raison de ce changement de fonds, dont il lui incombait d’informer ses adhérents en vertu de l’article L. 141-4 suvisé.

De nouveau, si les consorts [V] invoquent dans leurs écritures les différences en découlant entre certaines clauses de la police, ils n’expliquent néanmoins pas en quoi ces différences auraient modifié de manière substantielle les droits et obligations des parties, ce que conteste fermement la société Abeille Vie qui considère que seules des modalités d’exécution du contrat ont été affectées, et non le contenu des garanties souscrites.

Dans ces circonstances, les consorts [V], échouant à établir la novation qu’ils invoquent, seront déboutés de leur demande en caducité de la clause bénéficiaire.

Sur la demande des consorts [V] en paiement du capital

Les demandes en nullité et en caducité de la clause bénéficiaire formées par les consorts [V] ayant été rejetées, ces derniers se trouvent nécessairement mal fondés à solliciter le paiement par la société Abeille Vie, à leur profit, du capital de l’assurance-vie souscrite par [I] [V].

Leur prétention en ce sens sera donc rejetée.

Sur la demande de M. [O] [C] en paiement de sa quote-part du capital

Au visa de l’article L. 132-8 du code des assurances, M. [O] [C], exposant avoir adressé l’ensemble des informations nécessaires tant à l’assureur qu’à l’administration fiscale, sollicite le paiement de la quote-part lui revenant du capital de l’assurance-vie.

En réponse, la société Abeille Vie souligne ne pas contester la qualité de bénéficiaire de M. [O] [C] et uniquement s’opposer à sa demande en cas de nullité ou de caducité retenue de la cause le désignant comme tel.

Sur ce,

Selon l’article L. 132-8 alinéa 1er du code des assurances, « Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l'assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés ».

Compte tenu du rejet des demandes des consorts [V] en nullité et en déchéance de la clause bénéficiaire insérée au contrat d’assurance-vie n° 12008705, il y a lieu de donner plein effet à cette clause et d’octroyer à M. [O] [C], désigné par celle-ci, la quote-part lui revenant.

En revanche, M. [C] ne justifie pas de la différence du montant qu’il sollicite, à savoir 68.685,57 euros, par rapport à la part, nette d’imposition et de droits, perçue par son frère et sa soeur, à savoir 68.151,02 euros, somme qu’offre de lui régler la société Abeille Vie.

En l’absence de plus ample explication de M. [C], la société Abeille Vie sera donc condamnée à lui payer la somme de 68.151,02 euros.

Sur la demande indemnitaire formée contre la société Ufifrance

A titre subsidiaire, les consorts [V], se prévalant des relations conflictuelles entre [I] [V] et les enfants de son compagnon, reprochent à la société Ufifrance d’avoir manqué à son obligation de conseil, en n’alertant pas [I] [V] des conséquences induites par la clause bénéficiaire figurant au contrat, alors pourtant que son conseiller, fréquemment en contact avec l’assurée puis, durant la fin de sa vie, avec son frère, ne pouvait pas ignorer la volonté de la première de n’octroyer aucune libéralité aux consorts [C]. Ils sollicitent réparation du dommage causé selon eux par cette faute et constitué de la perte du capital du contrat, lequel aurait dû leur revenir.

En réponse, la société Ufifrance fait valoir que [I] [V] avait conservé l’ensemble des documents contractuels au titre de l’assurance-vie en cause et était ainsi pleinement consciente de la portée de la clause des bénéficiaires formulée. Elle oppose alors l’absence de toute volonté manifestée de faire évoluer cette clause ou de toute explication de celle-ci sur ses choix successoraux, en dépit notamment d’un recueil de ses informations patrimoniales réalisées le 25 mars 2019. Elle relève encore que rien n’établit, d’une part, que [I] [V] aurait précisément interrogé son conseiller sur ce point, lequel n’avait pas à s’immiscer dans sa vie privée, ou d’autre part, que celle-ci aurait manifesté une éventuelle intention de gratifier ses héritiers en lieu et place des enfants de son compagnon défunt.

Elle objecte enfin que tout manquement éventuel à son obligation de conseil ne peut être indemnisé que sous l’angle de la perte d’une chance et qu’il n’est pas établi avec certitude que [I] [V], autrement conseillée, aurait modifié la clause bénéficiaire du contrat.

Sur ce,

Conformément à l’article 1134 du code civil, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Aux termes de l’article 1147 de ce code, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

L’article 1382 du code civil dispose que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Il est constant qu’un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En outre, il y a lieu de rappeler que le courtier est tenu, en qualité de distributeur d’assurances au sens de l’article L. 511-1 du code des assurances, à un devoir d'information et de conseil envers l’assuré qu’il assiste. Il revient au courtier, en exécution de cette obligation qui ne peut qu’être de moyen, d'examiner l'ensemble des données de fait et de droit particulières à la situation de l'assuré. En matière d’assurance-vie, il est ainsi notamment tenu de conseiller l’assuré sur la formulation de la clause de bénéficiaire au regard de sa situation familiale.

Il appartient alors au courtier, débiteur d’une obligation de conseil tant au moment de la conclusion du contrat que lors de son exécution, de rapporter la preuve de son respect.

Au moment de la conclusion du contrat

En l’espèce, ainsi que précédemment retenu, la clause bénéficiaire insérée au bulletin d’adhésion de [I] [V] est dénuée de toute ambiguïté et l’assurée, en signant ce bulletin, a reconnu en avoir pris connaissance, peu important de nouveau qu’elle en fût ou non la rédactrice.

En outre, ainsi que le souligne la société Ufifrance, il n’est rapporté l’existence d’aucun conflit familial entre les parties au moment de l’adhésion au contrat d’assurance, date à laquelle [H] [C], compagnon de [I] [V] et père des consorts [C], était encore en vie. Il est également acquis que [H] [C] s’était acquitté de la première prime versée, de sorte qu’il n’apparaissait pas dénué de sens que lui-même et ses enfants soient désignés comme premiers bénéficiaires.

Dans ces circonstances, la clause telle que rédigée apparaissait adaptée à la situation familiale de [I] [V]. Aucun manquement de la société Ufifrance, gestionnaire du contrat, à ses obligations n’est donc caractérisé à l’occasion de la conclusion de l’assurance-vie en cause.

En cours d’exécution du contrat

La société Ufifrance se prévaut, en cours d’exécution du contrat, du relevé annuel pour l’année 2019 mis aux débats, lequel contient un encart « Clause bénéficiaire », lui-même compris au sein d’une rubrique « Assurez vous que votre adhésion est toujours adaptée à vos objectifs » dont le texte est : « Nous vous invitons à vous assurer régulièrement que la clause bénéficiaire de votre adhésion est toujours adaptée à votre situation personnelle et familiale. Votre conseiller se tient à votre disposition pour vous aider dans cette démarche qui vise à assurer la bonne exécution de votre adhésion conformément à vos souhaits et objectifs ».

Cependant, ce seul document ne peut tout au plus justifier que du respect par la défenderesse de son obligation d’information, mais non de son obligation de conseil. En effet et en exécution de cette seconde obligation, il revient au courtier, dès lors que son client lui transmet des informations relatives à l’évolution de sa situation professionnelle, personnelle ou familiale, de s’assurer de la cohérence du contrat souscrit avec les nouvelles informations recueillies et, le cas échéant, de lui délivrer des conseils adaptés ou à tout le moins personnalisés.

A cet égard, le même conseiller au sein de la société Ufifrance a guidé [I] [V] et [H] [C] dans leurs adhésions à différents produits d’assurance-vie, puis a continué d’assister la première jusqu’à son décès. Il n’est pas contesté que l’assurée n’était pas une souscriptrice avertie disposant de compétences particulières en matière de contrat d'assurance vie, ce qui ressort d’ailleurs des fiches de renseignement la concernant.

Selon les pièces communiquées, [I] [V] a réalisé avec son conseiller une étude avancée de sa situation personnelle et patrimoniale le 25 mars 2019. Certes, il n’en ressort pas qu’à cette occasion, [I] [V] aurait manifesté auprès de son conseiller une volonté de ne plus gratifier les consorts [C].

Néanmoins, il s’en évince clairement qu’elle a déclaré ne pas avoir d’enfant. Compte tenu de l’erreur de retranscription figurant à la clause bénéficiaire, qui désignait les consorts [C] comme les enfants de [I] [V], ces circonstances ne pouvaient que mener le conseiller, par une déduction simple, à relever cette erreur et à attirer l’attention de [I] [V] sur le libellé de la clause.

Par ailleurs, le « rapport écrit de conseil » également établi le 25 mars 2019 mentionne qu’elle est célibataire, ce dont son conseiller pouvait facilement déduire, assistant le couple depuis de nombreuses années, la séparation du couple ou la disparition de [H] [C]. De nouveau, ayant connaissance de la formulation de la clause bénéficiaire désignant en premier lieu [H] [C] comme bénéficiaire, le conseiller de la société Ufifrance aurait dû souligner à [I] [V] la possibilité d’opérer une re-formulation de la clause insérée au contrat.

En outre, [I] [V], au cours de l’exécution du contrat, a constamment manifesté sa volonté d’user de ce produit financier pour « préparer la transmission de son patrimoine », selon sa réponse au questionnaire ayant donné lieu au rapport de 2019. Il est alors établi par un courriel en date du 27 mars 2019 adressé par son conseiller, concomitant à l’étude globale réalisée sur la situation de l’adhérente, que celui-ci était informé de l’existence des consorts [V] comme frère et soeur de sa cliente, et de la volonté manifeste de [I] [V] de les gratifier avant son décès en leur transmettant une partie sensible de son patrimoine.

Il incombait alors au conseiller, ainsi informé sans avoir eu à s’ingérer de manière disproportionnée dans la vie personnelle de sa cliente, de personnaliser les préconisations données à celle-ci lors de l’étude globale de sa situation.

Dans ces conditions et en l’absence de plus amples preuves mises aux débats par la société Ufifrance, celle-ci ne démontre pas avoir satisfait, au cours de l’exécution du contrat, à l’obligation de conseil dont elle était redevable envers l’adhérente.

Cette faute de nature contractuelle à l'égard de [I] [V] est constitutive d’une faute délictuelle à l’égard de ses héritiers, les consorts [V].

L’ensemble des attestations produites par ces derniers concordent alors pour décrire une fin définitive des relations entre [I] [V] et les enfants de son compagnon en raison d’un litige né après le décès de ce dernier. Les consorts [C] ne contestent d’ailleurs pas cette situation dans leurs écritures. Enfin, [I] [V] n’a manifesté aucune intention de gratifier les consorts [C] par testament ou au cours des dernières années de sa vie.

Au vu de ces circonstances, il est quasi certain que [I] [V] aurait modifié la clause bénéficiaire de son contrat si elle avait compris que son libellé avait pour effet de gratifier uniquement les enfants de son compagnon prédécédé.

Toutefois, il y a également lieu de tenir compte au titre de l’appréciation de la perte de chance de la nature du conseil que le courtier aurait dû prodiguer.

Or, ce manquement tient au cas présent à un défaut d’avertissement donné quant à la cohérence de la clause bénéficiaire avec les informations données par [I] [V], et non pas à un défaut d’assistance dans une nouvelle rédaction de la clause après volonté clairement manifestée par l’assurée d’en modifier les bénéficiaires désignés.

Du tout, il résulte que le tribunal dispose des éléments permettant d'évaluer cette perte de chance à 60 %.

En définitive, au vu du capital alloué par la société Abeille aux trois consorts [C] après imputation des prélèvements sociaux et taxes applicables, soit la somme de 204.453,06 euros (68.151,02 x 3), la société Ufifrance sera condamnée à payer aux consorts [V] une indemnité de 122.671,83 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement qui l’alloue.

Sur les autres demandes

Compte tenu du sens de la présente décision, la demande de la société Abeille Vie en restitution par M. [R] [C] et Mme [K] [C] des sommes versées en exécution de la clause bénéficiaire se trouve sans objet.

La société Ufifrance, succombant à la prétention des consorts [V], demandeurs à l’instance, sera condamnée aux entiers dépens.

Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par les consorts [V] à l’occasion de la présente instance. Elle sera ainsi condamnée à leur payer la somme de 5.000 euros à ce titre.

L’équité commande en revanche de rejeter l’ensemble des autres demandes formées par les parties au titre de leurs frais irrépétibles.

L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020.

La société Ufifrance sollicite, en cas de condamnation, que l’exécution provisoire soit écartée en raison de la nature de l’affaire et en l’absence de garantie de représentation des fonds en cas d’infirmation en appel. Néanmoins, l’exécution provisoire apparaît compatible avec la nature de l’affaire et la seule hypothèse d’un appel dirigé contre la présente décision ne constitue nullement un motif pouvant justifier que soit exclue son exécution provisoire, étant rappelé que celle-ci, de droit, s’opère aux risques et périls des parties.

L’exécution provisoire ne sera donc pas écartée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Rejette la demande de Mme [J] [V] épouse [L] et M. [E] [V] en nullité de la clause bénéficiaire insérée au contrat d’assurance-vie « UFF COMPTE AVENIR » n° 12008705,

Rejette la demande de Mme [J] [V] épouse [L] et M. [E] [V] en caducité de la clause bénéficiaire insérée au contrat d’assurance-vie « UFF COMPTE AVENIR » n° 12008705,

Déboute Mme [J] [V] épouse [L] et M. [E] [V] de leur demande en paiement du capital du contrat d’assurance-vie « UFF COMPTE AVENIR » n° 12008705,

Condamne la SA Abeille Vie à payer à M. [O] [C] la somme de 68.151,02 euros au titre de sa quote-part dans le capital du contrat d’assurance-vie « UFF COMPTE AVENIR » n° 12008705,

Condamne la SAS Ufifrance Patrimoine à payer à Mme [J] [V] épouse [L] et à M. [E] [V] la somme de 122.671,83 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Condamne la SAS Ufifrance Patrimoine à payer à Mme [J] [V] épouse [L] et à M. [E] [V] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute l’ensemble des autres parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

Condamne la SAS Ufifrance Patrimoine aux entiers dépens,

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

Dit n’y a avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit du jugement.

Fait et jugé à Paris le 23 Avril 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 20/09436
Date de la décision : 23/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-23;20.09436 ?
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