TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
C.C.C. + C.C.C.F.E.
délivrées le :
à
■
PEC sociétés civiles
N° RG 20/03847
N° Portalis 352J-W-B7E-CSAUF
N° MINUTE : 1
Assignation du :
15 mai 2020
JUGEMENT
rendu le 22 avril 2024
DEMANDERESSE
Société [R] [M] ET AUTRES (SCM)
47, avenue Hoche
75008 PARIS
représentée par Me Benjamin HONIG, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1032
DÉFENDERESSE
Madame [P] [G] épouse [L]
10, avenue Victor Hugo
75016 PARIS
représentée par Me Christophe GERBET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0775
Décision du 22 avril 2024
PEC sociétés civiles
N° RG 20/03847 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSAUF
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Pascale LADOIRE-SECK, vice-présidente, présidente de la formation ;
Samantha MILLAR, vice-présidente ;
Olivier LICHY, vice-président ;
Assistés de Bertille DESVAUX, Greffier, lors des débats, et de Robin LECORNU, Greffier, lors de la mise à disposition.
DÉBATS
A l’audience du 06 février 2023, tenue en audience publique devant Pascale LADOIRE-SECK et Samantha MILLAR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au Greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
La société civile de moyens [R] [M] ET AUTRES (ci-après dénommée la société [R] [M]) regroupe des professionnels de santé dont le siège social est établi au 47 avenue Hoche à Paris (75008). La répartition du capital social de la société était la suivante :
- Monsieur [S] [R] : 74 parts
- Monsieur [J] [T] : 76 parts
- Monsieur [A] [O] : 75 parts
- Monsieur [Z] [M] : 73 parts
- Monsieur [W] [X] : 75 parts
- Monsieur [E] [N] : 1 part
- Monsieur [U] [C] : 1 part
pour un total de 375 parts.
Chaque associé ou occupant exerce sa profession dans un local dédié en vertu d’une convention de sous-location.
Courant 2019, Monsieur [R] a souhaité prendre sa retraite et a proposé la candidature de Madame [P] [L], chirugien dentiste.
Lors de l’assemblée générale du 24 juin 2019, les associés ont accepté le principe de la cession de parts entre Monsieur [R] et Madame [L].
Par acte sous seing privé en date du 17 juillet 2019, Monsieur [R] et Madame [L] ont signé un contrat de cession de cabinet dentaire et de droit de présentation à la patientèle, notifiée à la SCM [R] [M] ET AUTRES le 4 février 2020.
Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 2 mars 2020, la majorité des associés ont voté contre l’agrément de Madame [L].
C’est dans ce contexte que, par acte extrajudiciaire du 15 mai 2020, la SCM [R] [M] ET AUTRES a assigné Madame [P] [L] aux fins notamment de voir constater qu’elle est occupante sans droit ni titre et prononcer son expulsion.
Par acte d’huissier en date du 16 juin 2020, les propriétaires indivis de l’immeuble ont donné congé à la société [R] [M] pour le 31 décembre 2020.
Parallèlement, par ordonnance du juge des référés en date du 30 novembre 2020, Madame [L] a été condamnée à régler la somme de 29.522,10 euros au titre de l’indemnité d’occupation due pour la période de septembre 2019 à novembre 2020 inclus.
La société [R] [M] a par la suite restitué les locaux.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 25 janvier 2022, la SCM [R] [M] ET AUTRES sollicite du tribunal de :
- “juger que le Dr [L] n’a pas respecté la procédure statutaire d’agrément prévue par les statuts de la SCM [R] [M] ET AUTRES
- juger que la décision de refus d’agrément prise à son encontre par l’assemblées du 2 mars 2020 est régulière, en la forme et légitime, au fond,
- donner acte de l’acquiescement partiel du Dr [L] au fait qu’elle ne bénéficie pas de la qualité d’associée de la SCM [R] [M] ET AUTRES
- juger que le Dr [L] est occupante sans droit ni titre des locaux qu’elle a occupé au sein de ceux de la SCM [R] [M] ET AUTRES
Sur l’indemnité d’occupation,
- fixer le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 4.200 € par mois à compter du 1er septembre 2019 jusqu’au 31 octobre 2019 puis à 4.300 € par mois à compter du 1er novembre 2019
- juger que la SCM [R] [M] ET AUTRES pourra conserver à titre d’indemnité d’occupation la somme de 25.200 € versée par le Docteur [L] entre le mois de septembre 2019 et février 2020
- condamner le Docteur [L] à payer la somme de 10.229,76 € à titre d’indemnité d’occupation due sur la période du 1er novembre 2019 au 31 décembre 2020,
Subsidiairement,
- fixer le montant de l’indemnité d’occupation à la somme minimale de 3.648,14 €
- juger que le montant de l’indemnité d’occupation totale dû sur la période de septembre 2019 au 31 décembre 2020 s’élève à la somme de 58.370,24 €
- juger qu’au regard des sommes payées par le Docteur [L], les parties sont quittes
En tout état de cause,
- débouter le Docteur [L] de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles
- condamner le Docteur [L] à la somme de 7.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
- rappeler que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit.”
A l’appui de ses prétentions, elle conteste la qualité d’associée de Madame [L], soutenant qu’aucun acte de cession de parts n’avait été signé avant le 10 juillet 2019 et que l’acceptation du principe de la cession de parts lors de l’assemblée générale du 24 juin 2019 ne constituait pas un agrément définitif. Elle expose qu’aucun projet ni promesse ni acte de cession n’a été communiqué aux associés avant ou au cours de l’assemblée générale du 24 juin 2019 de sorte que la candidature de Madame [L] n’a pu être agréée. Elle indique que Madame [L] s’est installée dans les locaux courant août 2019, faisant exécuter des travaux dans la pièce qu’elle occupait. Elle rapporte qu’à l’occasion de l’assemblée générale du 2 mars 2020 à laquelle Madame [L] ne s’est pas présentée bien qu’elle ait transmis le 4 février 2020 un acte de cession de parts signé le 10 juillet 2019 avec Monsieur [R], les associés de la société [R] [M] ont voté contre l’agrément de Madame [L] aux motifs que la procédure d’agrément d’un nouvel associé n’aurait pas été respectée par Madame [L] et Monsieur [R], le droit de priorité/préemption des associés n’ayant en outre pas été respecté. Elle estime que Madame [L] a ainsi occupé les locaux sans droit ni titre en y exerçant sa profession sans l’agrément des membres de la société. Elle rapporte que la défenderesse a refusé de payer la somme correspondante à son occupation et aux services dont elle a bénéficiés sans être ni associée ni locataire ou sous-locataire. Elle fait valoir qu’elle a en conséquence été dans l’incapacité de faire face au règlement du loyer, la contraignant à restituer les locaux.
Elle rappelle également que Madame [L] a été condamnée à payer une indemnité d’occupation pour la période de septembre 2019 à novembre 2020 inclus pour un montant de 3.648,14 euros par mois, considérant qu’il s’agissait d’une somme minimum calculée sur la part lui incombant au titre d’une répartition égalitaire du loyer et des charges. Elle soutient que la somme de 4.300 euros correspond à la valeur d’occupation et des services attachés, ne dépendant pas de la qualité d’associé, ce dont Madame [L] était informée lorsqu’elle a décidé de prendre la suite de Monsieur [R]. Elle indique que Madame [L] occupait le meilleur bureau sur le devant de l’appartement situé dans le 8ème arrondissement de Paris, contigu à la salle d’attente, d’une surface de 38 m². Elle précise que Madame [L] n’a pas réglé de loyer pendant plus de 8 mois tout en continuant de travailler et de bénéficier de l’accueil physique et téléphonique, du secrétariat, de la salle d’attente, de l’électricité, de l’assurance, des abonnements divers, du paiement des taxes et du ménage. Elle expose en outre que les locaux étaient très agréables en dépit d’un dégâts des eaux survenu en mai 2020 dont l’origine se situait dans les parties communes et dont la réparation incombait au propriétaire de l’immeuble, qui n’a jamais réparé le sinistre. Elle précise que l’expert-comptable de la société a établi que les frais à partager hors loyers et charges locatives s’élevaient à la somme de 13.652 euros par mois tandis que le loyer et les charges étaient de 11.885 euros par mois. Elle explique par ailleurs que le montant de la redevance était différent pour chaque associé et qu’à titre d’exemple Monsieur [B], médecin non associé occupait un local de 30 m² et réglait la somme de 4.360 euros par mois pour les mêmes prestations. Elle estime qu’il est indifférent que Madame [L] ait négocié une indemnité à hauteur de 2.000 euros avec le propriétaire, cette indemnité ne comprenant pas les services dont elle bénéficiait lorsque la société était titulaire du bail. De même, elle considère que le fait que les secrétaires ne géraient plus ses rendez-vous à sa demande n’empêchait pas Madame [L] de continuer de bénéficier des autres services confiées aux secrétaires et notamment l’accueil téléphonique et physique de ses patients. Elle précise qu’en exécution de l’ordonnance de référé, Madame [L] a réglé la somme de 26.770,24 euros comprenant notamment les loyers et charges de septembre 2019 à décembre 2020 et reste redevable de la somme de 10.229,76 euros. Elle conteste que Madame [L] ait subi un quelconque préjudice et considère que les éventuelles réclamations au titre des sommes engagées auprès de Monsieur [R] ne peuvent lui être demandées. Elle ajoute que la défenderesse ne justifie pas ne pas pouvoir emporter les équipements en quittant les lieux, qu’elle a concouru à son prétendu préjudice tenant à l’absence de régularité de la procédure suivie pour la cession et qu’elle était informée qu’elle ne bénéficiait d’aucun droit au renouvellement du bail s’agissant d’un bail professionnel. Enfin, elle réfute tout préjudice au titre des travaux que Madame [L] a pour partie réalisé elle-même avec des proches, cette dernière ne justifiant par ailleurs pas d’un règlement et la réalité de certains des travaux étant contestable, tel que les branchements air et eau qui existaient déjà avec la reprise par Madame [L] du fauteuil de Monsieur [R] valorisé à 37.000 euros dans la cession, l’installation électrique qui n’a jamais été mise aux normes dans tout le cabinet ou encore le parquet préexistant sous la moquette.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 2 mai 2022, Madame [P] [L] sollicite du tribunal de :
-“recevoir Madame [P] [L] en ses demandes et l’y dire bien fondée.
- prendre acte que Madame [P] [L] renonce à se prévaloir de la qualité d’associé de la SCM [R] [M] ET AUTRES, rétroactivement à compter du 17 juillet 2019.
- prendre acte que Madame [P] [L] acquiesce en conséquence à la demande de la SCM qui lui conteste la qualité d’associé depuis le 17 juillet 2019, date de la cession des parts sociales du Docteur [R].
En conséquence,
- juger irrecevables les demandes de la SCM [R] [M] ET AUTRES visant à :
* juger que le Docteur [L] n’a pas respecté la procédure statutaire d’agrément,
* juger que la décision de refus d’agrément par l’assemblée du 2 mars 2020 est régulière,
en la forme et légitime au fond
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à restituer à Madame [P] [L] la somme de 8.400 euros au titre du dépôt de garantie, en denier ou quittances valable.
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à restituer à Madame [P] [L] la somme de 25.200 euros versées au titre des redevances d’associé versées entre septembre 2019 et février 2020 inclus, en denier ou quittances valable.
- fixer à la somme de 2.000 euros le montant de l’indemnité d’occupation mensuelle due par Madame [P] [L] depuis septembre 2019 et jusqu’au 31 décembre 2020, sous déduction de la somme de 25.200 euros déjà versée par Madame [L] au titre de la période septembre 2019 à février 2020.
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à régler à Madame [P] [L] la somme de 26.370,24 euros
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à verser à Madame [P] [L] la somme de 93.100 euros à titre de dommages et intérêts, destinés à indemniser ses préjudices financiers et matériels.
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à verser à Madame [P] [L] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, destinés à indemniser son préjudice moral.
- débouter la SCM [R] [M] ET AUTRES de l’intégralité de ses demandes, toutes fins qu’elles comportent.
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES à verser à Madame [P] [L] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
- condamner la SCM [R] [M] ET AUTRES aux entiers dépens de l’instance.”
A l’appui de ses prétentions, tout en rappelant qu’aucune obligation n’était à sa charge dans le cadre de la procédure d’obtention d’agrément d’un nouvel associé de la société [R] [M], elle estime n’avoir jamais été en mesure d’exercer ses droits d’associée depuis son entrée dans les lieux de sorte qu’elle renonce à revendiquer la qualité d’associée rétroactivement depuis le 17 juillet 2019. Elle reconnaît être redevable d’une indemnité d’occupation mais soutient que son montant ne peut pas être équivalent à la contribution réglée par un associé et propose de la voir fixer à la somme de 2.000 euros par mois. Elle précise avoir réglé spontanément l’indemnité d’occupation mise à sa charge à compter de septembre 2019 par le juge des référés, indiquant par ailleurs que la société [R] [M] a été expulsée des locaux le 31 décembre 2020. Elle soutient à cet égard que cette dernière a laissé lesdits locaux dans un très mauvais état ce qui l’a contrainte à renoncer au remboursement de son dépôt de garantie.
Elle considère que le refus d’agrément dont elle a fait l’objet n’était pas justifié, la procédure définie par les statuts ayant été respectée et une promesse de vente du cabinet dentaire de Monsieur [R] ayant été signée dès le 7 mars 2019. Elle estime qu’il ne lui appartenait pas de solliciter son agrément, cette obligation revenant à l’associé cédant. Elle explique toutefois que la société n’a pas hésité à la considérer comme associée s’agissant des charges et du dépôt de garantie qu’elle lui a réclamés. Elle précise que le montant de la redevance mensuelle est identique pour tous les associés indépendamment de la surface occupée au sein des locaux. Elle demande ainsi le remboursement des sommes appelées et réglées en considération de sa qualité d’associée, soit un total de 33.600 euros au titre des mois de septembre 2019 à février 2020, en ce compris le dépôt de garantie. Si elle reconnaît être redevable d’une indemnité d’occupation, n’étant ni associée, ni sous-locataire, elle fait valoir que son montant ne peut être fixé à celui de la redevance mensuelle appelée auprès des associés, expliquant ne pas avoir bénéficié des diligences de la secrétaire de la société et que ce montant n’est pas justifié par le standing des locaux dont l’état désastreux ne permettait pas d’accueillir les patients en toute sécurité en raison d’une installation électrique non conforme. Elle rappelle que le bailleur lui a concédé un loyer de 2.000 euros par mois charges comprises au titre d’une convention d’occupation pour tenir compte de la précarité du titre d’occupation et de l’état des lieux.
Elle sollicite en conséquence le remboursement par la société [R] [M] de la somme de 26.370,24 euros une fois déduite l’indemnité d’occupation d’un montant de 2.000 euros par mois sur une durée de 16 mois des sommes qu’elle a versées au titre de la redevance de septembre 2019 à février 2020, de l’exécution de l’ordonnance de référés et du dépôt de garantie.
Reconventionnellement, elle sollicite la condamnation de la société [R] [M] à lui verser des dommages et intérêts en raison des manquements de cette dernière qui l’ont conduite à s’acquitter du prix des parts, des équipements et du droit de présentation à la patientèle mais également à financer des travaux dans son cabinet lors de son entrée dans les lieux. Elle considère que c’est le défaut d’entretien des lieux par la société [R] [M] qui a mis en péril la pérennité de l’occupation des locaux, la contraignant en septembre 2021 à quitter les lieux à son tour, le bailleur souhaitant réaliser d’importants travaux avant de reproposer le bien à la location. Elle évalue son préjudice matériel et financier à la somme de 93.100 euros, outre la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral. Enfin, elle ajoute à ce titre avoir dû maintenir son activité professionnelle dans un environnement conflictuel, deux décisions rendues par la chambre disciplinaire de l’Ordre des chirurgiens-dentistes ayant sanctionné les manquements de deux des associés de la société en raison d’un détournement de patientèle.
Par ordonnance du 26 septembre 2022, le juge de la mise en état a clôturé l'instruction et renvoyé l'affaire devant le tribunal de céans à l’audience collégiale du 6 février 2023 qui a été mise en délibéré et prorogée à la date de ce jour.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé qu’en application de l’article 4 du code de procédure civile, les demandes tendant à voir prendre acte, dire, juger et constater ne constituent pas des prétentions en ce qu'elles ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi, ces demandes n'étant en réalité que le rappel des moyens invoqués.
Par ailleurs, il sera relevé que les parties s’accordent in fine pour considérer que Madame [L] n’était pas associée de la société [R] [M], la défenderesse renonçant à se prévaloir de cette qualité qui lui était contestée par la demanderesse. Madame [L] reconnaît en outre avoir occupé les locaux litigieux sans être associée de la société [R] [M], locataire ou sous-locataire, et être à ce titre redevable d’une indemnité d’occupation en qualité d’occupante sans droit ni titre.
Sur l’indemnité d’occupation
Celui qui se maintient sans droit dans des lieux après l'expiration de son titre d'occupation commet une faute quasi-délictuelle qui ouvre droit pour le propriétaire au paiement d'une indemnité d'occupation à caractère compensatoire et indemnitaire réparant le préjudice subi par le bailleur d'une occupation sans titre.
Il résulte de l’article 1.1.1 du titre premier des statuts de la SCM mis à jour le 30 juin 2012, que “la société a pour but exclusif de faciliter l’exercice de la profession de ses membres par la mise en commun de tous moyens matériels et utiles à l’exercice de leur profession”.
Aux termes de l’article 6.2.1 des statuts de la société, “les associés sont tenus de verser à la société en échange des services qu’elle leur procure, les redevances destinées à lui permettre de couvrir ses charges”. Le règlement intérieur en date du 2 janvier 2015 précise dans son article 7 que “la participation de Monsieur [J] [T]-[I] au loyer des locaux loués par la SCM est fixé forfaitairement à 838 euros par mois [...] charges comprises [...]. La participation de Monsieur [E] [N] aux charges de la SCM, est égale à 15 % du montant du loyer des locaux (hors charges locatives et prestations supplémentaires) [...]. La participation de Monsieur [U] [C] aux charges de la SCM, est égale à 12 % du montant du loyer des locaux (hors charges locatives et prestations supplémentaires [...]. Après déduction des trois quote-parts telles que définies ci-avant et des sommes que pourrait percevoir la société au titre des sous-locations, le solde des loyers, charges locatives et prestations dus au propriétaire de l’immeuble sera réparti entre les quatre autres associés (Messieurs [X], [R], [O] et [M]) par parts égales.”
L’article 8 du même règlement prévoit que “les dépenses détaillées ci-après, seront réparties entre tous les associés occupant les locaux, à l’exclusion de Messieurs [E] [N] et [U] [C], de la façon suivant :
- 1/6 de ces dépenses sera supporté par Monsieur [J] [T]-[I] ;
- 5/6 de ces dépenses seront réparties entre les quatre autres associés (Messieurs [X], [R], [O] et [M]).
Les dépenses concernées par ces modalités de répartition sont les suivantes :
- les charges et les dépenses de toute nature afférentes au mobilier, matériel et installations diverses relatifs à toutes les choses à usage commun, y compris les primes d’assurance des objets visés à l’article 5, alinéa 2, tant qu’ils resteront affectés à cet usage ;
- les frais de réparation et d’entretien à faire aux canalisations d’eau, de gaz, d’électricité, concernant les locaux communs, ainsi que les frais d’entretien et de peinture, les réparations grosses ou menues s’appliquant aux choses communes et aux locaux communs ;
- les impôts, les contributions et taxes aux quelles les locaux dont la société a la jouissance sont ou seront assujettis, les primes d’assurance diverses afférentes aux dits locaux ;
- les salaires et charges sociales du personnel commun s’il existe ;
- les frais d’abonnement et de location de compteurs et de branchements, ainsi que les consommation d’eau, de gaz, d’électricité ;
- les frais de nettoyage et d’entretien de l’ensemble des locaux professionnels ;
- les frais et s’il y a lieu les honoraires de tenue de la comptabilité de la société et d’établissement des déclarations fiscales ou sociales qui lui incombent ou lui incomberont ;
- les frais de location de l’installation de téléphone privée équipant les locaux ainsi que les dépenses relatives aux lignes téléphoniques communes [...]. Il est en outre précisé que la Société Civiles de Moyens met à la disposition de chaque associé une ligne téléphonique distincte, dont le coût est supporté par chaque intéressé.”
L’article 8 bis précise que les dispositions précitées deviendront caduques de plein droit en cas notamment de retrait d’un des six associés ou si le docteur [B] bénéficiaire d’une sous-location à la suite de son retrait de la société quittait les locaux, l’ensemble des droits et obligations des associés de la SCM nécessitant alors d’être “réexaminé afin de mettre au point une nouvelle répartition pour préserver les activités de la SCM”.
En l’absence de tout autre élément produit aux débats démontrant que les dépenses précitées sont réglées indépendamment de la qualité d’associé ou de la nature de l’occupation des locaux, il y a lieu de retenir que la répartition des redevances est déterminée par ce règlement intérieur et liée à la qualité d’associé contrairement à ce qu’indique la demanderesse, aucune redevance n’étant mise à la charge du docteur [B] bénéficiaire d’une sous-location.
La qualité d’associée de Madame [L] ayant été déniée à cette dernière ce qui n’est plus contestée par elle, le paiement d’une redevance couvrant les services précités ne pourra être mis à sa charge en l’absence de toute modalité de répartition autre que dépendant de celle de la qualité d’associé. Cette dernière étant occupante sans droit ni titre depuis le 1er septembre 2019 ce qui n’est pas contesté par les parties, elle est néanmoins redevable d’une indemnité d’occupation correspondant à sa part du loyer et des charges du local qu’elle a occupé.
Il ressort d’attestations établies en 2020 par le cabinet comptable de la société [R] [M] que l’ensemble des charges imputées à Monsieur [R] au titre de l’année 2018 s’élève à la somme de 3.870 euros par mois pour un montant appelé de 4.200 euros par mois, de même qu’en 2019. Le montant des loyers et charges locatives s’élève à la somme de 164.731 euros au 30 septembre 2020, sur lequel un montant de 57.768 euros est supporté par les docteurs [B] et [V], soit un reliquat de 106.963 euros à partager entre les sept associés au 30 septembre 2020, soit 11.885 euros par mois. Il est précisé que le montant des frais à partager tous les mois hors loyers et charges locatives s’élève à la somme de 13.652 euros par mois.
Madame [L] justifie avoir négocié une indemnité d’occupation à hauteur de 2.000 euros par mois charges comprises, dont la consommation électrique, après le départ de la société [R] [M] dans le cadre d’une convention d’occupation précaire en date du 31 décembre 2020 commençant à courir du 1er janvier 2021 au 30 juin 2021 pour l’occupation de son local. Il sera relevé que les docteurs [C] et [B] ont également bénéficié de cette même convention et se sont engagés respectivement à régler la somme respective de 800 euros par mois et 1.150 euros par mois.
Il en résulte que la valeur locative des locaux occupés par Madame [L] peut être fixée à la somme de 2.000 euros par mois, ce montant étant par ailleurs supérieur à la quote-part égalitaire du montant du loyer TTC payé par la société [R] [M] qui aurait été dévolue à Madame [L] tel qu'il a été en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020.
Or, l'indemnité d'occupation, en raison de sa nature mixte, indemnitaire et compensatoire, constitue une dette de jouissance qui doit correspondre à la valeur équitable des lieux, et assure la réparation du préjudice résultant d'une occupation sans titre. Dès lors, il y a lieu de fixer le montant de l’indemnité d’occupation incombant à Madame [L] à la somme de 2.000 euros par mois à compter du 1er septembre 2019 jusqu’au 31 décembre 2020.
Il conviendra de déduire de cette somme, celles déjà versées par Madame [L] au titre des redevances d’associé versées entre septembre 2019 et février 2020 inclus, non contestées par la demanderesse soit la somme de 25.200 euros mais également la somme de 24.770,24 euros réglée en exécution de l’ordonnance de référés du 30 novembre 2020. En outre, il n’est pas non plus contesté que Madame [L] a versé la somme de 8.400 euros au titre de dépôt de garantie alors même que cette dernière est reconnue occupante sans droit ni titre depuis le début de son occupation des locaux en septembre 2019.
Il résulte de ce qui précède que Madame [L] est redevable de la somme de 32.000 euros au titre de son indemnité d’occupation du 1er septembre 2019 au 31 décembre 2020 et a versé la somme totale de 58.370,24 euros à la société [R] [M]. En conséquence, en application de l’article 1347 du code civil, la société [R] [M] sera condamnée à payer à Madame [L] la somme de 26.370,24 euros.
Sur les demandes de dommages et intérêts
En application de l’article 1240 du code civil, “tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice financier
Il ressort des débats que la qualité d’associée a été déniée à Madame [L] ce qu’elle a acquiescé, sans que la question de la nullité de l’acte de cession des parts n’ait été soulevée par les parties, Monsieur [R], cédant, n’étant pas dans la cause. Or, aucune faute n’est établie à l’encontre de la société [R] [M] en l’espèce, à l’encontre de laquelle il ne peut être sollicité le remboursement des sommes versées à Monsieur [R] en exécution du contrat de cession. Dès lors, Madame [L] sera déboutée de sa demande en remboursement des sommes de 1.100 euros au titre des parts achetées à Monsieur [R], 37.000 euros au titre du prix des équipements ainsi que 5.000 euros au titre du droit de présentation de la patientèle.
S’agissant de la demande de remboursement des travaux d’aménagement du local que Madame [L], il n’est produit aucun justificatif que cette dernière ait été entravée dans l’exercice de sa profession en n’ayant pas accès au local qu’elle occupait depuis août 2019 du fait de la société [R] [M]. Elle a en outre pu se maintenir dans les lieux après le départ de la société [R] [M] en vertu d’une convention d’occupation conclue avec les propriétaires, et continuer à utiliser les locaux qu’elle avait rénovés pour son activité jusqu’en septembre 2021, date à laquelle les propriétaires ont repris possession des lieux. En conséquence, Madame [L] sera déboutée de sa demande de remboursement du montant des travaux réalisés dans le local.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
S’il n’est pas contesté qu’il régnait un climat délétère entre Madame [L] et certains associés principalement avec le gérant de la société, Monsieur [X], et Monsieur [M] qui a été condamné disciplinairement par l’ordre des chirurgiens-dentistes en raison d’un détournement de patientèle, les seules attestations produites de part et d’autre pour faire état du comportement désagréable de chacune des parties ne suffisent pas à caractériser une faute de la société [R] [M] et un préjudice justifiant l’attribution de dommages et intérêts à Madame [L].
En conséquence, Madame [L] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
Sur les autres demandes
La société [R] [M] succombant en sa demande principale, sera condamnée à payer les dépens de l'instance.
En revanche, l’équité commande de laisser à chacune des parties ses frais irrépétibles et de rejeter leur demande respective fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire en vertu de l’article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 sans qu’il soit nécessaire pour le tribunal de l’ordonner ou le rappeler.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant après débats en audience publique, par mise à disposition au Greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Condamne la société civile de moyens [R] [M] ET AUTRES à payer à Madame [P] [L] la somme de 26.370,24 euros ;
Déboute Madame [P] [L] de ses demandes de dommages et intérêts ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société civile de moyens [R] [M] ET AUTRES à payer les dépens de l'instance ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Fait et jugé à PARIS, le 22 avril 2024
Le Greffier La Présidente
Robin LECORNU Pascale LADOIRE-SECK