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17/04/2024 | FRANCE | N°23/04163

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Pcp jtj proxi fond, 17 avril 2024, 23/04163


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à :S.A. LA BANQUE POSTALE


Copie exécutoire délivrée
le :
à :Me Karène BIJAOUI-CATTAN

Pôle civil de proximité


PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04163 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2AUZ

N° MINUTE :
2 JTJ






JUGEMENT
rendu le mercredi 17 avril 2024


DEMANDEURS
Madame [I] [S] épouse [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Karène BIJAOUI-CATTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0613

Monsieur [R] [H], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Karène BIJAOUI-CATTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0613


DÉFENDERESSE
S.A. LA BANQUE POSTALE, dont le...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à :S.A. LA BANQUE POSTALE

Copie exécutoire délivrée
le :
à :Me Karène BIJAOUI-CATTAN

Pôle civil de proximité

PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04163 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2AUZ

N° MINUTE :
2 JTJ

JUGEMENT
rendu le mercredi 17 avril 2024

DEMANDEURS
Madame [I] [S] épouse [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Karène BIJAOUI-CATTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0613

Monsieur [R] [H], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Karène BIJAOUI-CATTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0613

DÉFENDERESSE
S.A. LA BANQUE POSTALE, dont le siège social est sis [Adresse 1]
non comparante, ni représentée

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Frédéric GICQUEL, Juge, statuant en juge unique
assisté de Aline CAZEAUX, Greffier,

DATE DES DÉBATS
Audience publique du 16 janvier 2024

JUGEMENT
réputé contradictoire, en dernier ressort, prononcé par mise à disposition le 17 avril 2024 par Frédéric GICQUEL, Juge assisté de Aline CAZEAUX, Greffier

Décision du 17 avril 2024
PCP JTJ proxi fond - N° RG 23/04163 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2AUZ

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H] sont titulaires d'un compte dans les livres de la BANQUE POSTALE auquel est rattachée une carte bancaire.

Madame [I] [S] épouse [H] a constaté qu'une somme de 1 279 euros avait été débitée de son compte le 14 février 2022 au profit de la société BOULANGER.

Elle a contesté cette opération par courrier du 16 février 2022 et a déposé plainte le même jour auprès de la brigade de gendarmerie de [Localité 3] indiquant avoir été trompée par une personne l'ayant contactée au téléphone et s'étant fait passer pour le service fraude de la banque.

Le 17 mars 2022 la BANQUE POSTALE a informé Madame [I] [S] épouse [H] qu'elle refusait de procéder au remboursement de cette somme au motif que la transaction avait fait l'objet d'une authentification par la saisie de son code personnel qu'elle avait utilisé ou divulgué à un tiers. Le 23 mai 2022 la BANQUE POSTALE a réitéré son refus.

Madame [I] [S] épouse [H] a saisi un conciliateur de justice mais en l'absence de réponse de la banque, la conciliation n'a pas pu aboutir.

Par acte de commissaire de justice du 15 mai 2023, Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H] ont assigné la BANQUE POSTALE devant le pôle civil de proximité du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 1 279 euros, outre 500 euros de dommages et intérêts, 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.

A l'audience du 16 janvier 2024 à laquelle l'affaire a été retenue, Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H], représentés par leur conseil, ont sollicité le bénéfice de leur acte introductif d'instance.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir en application des articles 1103 et 1217 du code civil que la BANQUE POSTALE a manqué à son obligation de vigilance en ne bloquant pas l'opération, effectuée en même temps que d'autres opérations n'ayant pas abouti, alors que ces débits importants réalisés dans un court laps de temps, à plus de 300 km de leur domicile, et ne correspondant pas à leurs habitudes d'achat, présentaient une anomalie apparente.

A titre subsidiaire ils soutiennent que la banque est responsable en application des articles L.133-18 à 133-20 et L.133-23 du code monétaire et financier, car ils ont été victimes d'une fraude sans commettre de négligence grave, la banque devant en ce cas rembourser sans délai le montant du paiement non autorisé sauf à prouver que l'opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre, ce que la banque ne fait pas.

La BANQUE POSTALE, assignée à personne morale (acte remis à Monsieur [B] [G], employé, qui a indiqué être habilité à le recevoir), n'a pas comparu ni personne pour elle.

La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 17 avril 2023.

MOTIFS

Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, l'absence de la BANQUE POSTALE régulièrement citée à l'instance, ne fait pas obstacle à ce qu'une décision soit rendue sur le fond du litige, le juge faisant droit à la demande après examen de sa régularité, de sa recevabilité et de son bienfondé.

Sur la demande en paiement

- Sur l'obligation de vigilance de la banque sur le fonctionnement du compte bancaire

L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

L'article L.561-6 du code monétaire et financier dispose que pendant toute la durée de la relation d'affaires et dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, ces personnes exercent, dans la limite de leurs droits et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'elles ont de leur relation d'affaires.

La jurisprudence a dégagé à la charge du banquier une obligation de vigilance et surveillance dans le fonctionnement des comptes de ses clients. Toutefois, cette responsabilité de droit commun est limitée en matière bancaire par le principe dit de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client. En effet, la multiplicité des opérations qu'un banquier effectue quotidiennement l'empêche de fait de se livrer à des investigations approfondies sur les tenants et les aboutissants de chacune des opérations effectuées sur le compte de son client. Le banquier est autorisé à s'en tenir à l'apparence formelle.

En revanche en cas d'anomalie apparente, il est susceptible d'engager sa responsabilité. Ainsi, le fait que le montant du virement soit exceptionnel au regard de la pratique habituelle du client, constitue une alerte qui doit conduire la banque à demander des instructions (par exemple Cass. com. 31 janv. 2017, n°15-17.498). Il a aussi été jugé que face à un virement d'un montant anormalement élevé au regard du fonctionnement habituel du compte personnel du donneur d'ordre, la banque aurait dû procéder à une vérification directe de l'ordre de virement auprès de son client (CA Paris, pôle 5, ch. 6, 19 févr. 2015).

Le principe de non-ingérence ou de non-immixtion du banquier dans les affaires de ses clients trouve ainsi comme limite l'obligation faite à la banque de mettre en œuvre le minimum de vigilance et de refuser des opérations présentant une anomalie manifeste, que celle-ci soit de nature matérielle (altération) ou intellectuelle (opération manifestement inhabituelle dans la pratique commerciale). L'attention des banques doit ainsi être attirée par des opérations telles que remises de chèques d'un montant anormal par rapport aux revenus du titulaire du compte ou aux montants des chèques habituellement encaissés ainsi que par la remise fréquente de chèques émis à un ordre différent du titulaire du compte et par l'existence de retraits importants et réguliers sans rapport avec les ressources déclarées du titulaire du compte.

En l'espèce, la demande en paiement au titre d'un manquement de la banque à une obligation de vigilance tirée de l'article L.561-6 du code monétaire et financier ne peut qu'être rejetée faute pour Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H] de justifier du caractère apparent de l'anomalie par rapport au fonctionnement habituel de leur compte, l'extrait de leur compte bancaire produit étant limité à la période du 23 février au 2 mars 2022, période insuffisante ne permettant pas d'apprécier leur habitudes bancaires.

- Sur l'obligation de remboursement d'une opération frauduleuse

Il résulte des articles L.133-16 et L.133-19 IV du code monétaire et financier que dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées et qu'il supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à cette obligation. L'article L.133-19 V précise que sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si l'opération de paiement non autorisée a été effectuée sans que le prestataire de services de paiement du payeur n'exige une authentification forte du payeur prévue à l'article L.133-44, lequel vise notamment les opérations de paiement électronique.

L'article L.133-4 du même code définit l'authentification forte du client comme une authentification reposant sur l'utilisation de deux éléments ou plus appartenant aux catégories "connaissance" (quelque chose que seul l'utilisateur connaît), "possession" (quelque chose que seul l'utilisateur possède) et "inhérence" (quelque chose que l'utilisateur est) et indépendants en ce sens que la compromission de l'un ne remet pas en question la fiabilité des autres, et qui est conçue de manière à protéger la confidentialité des données d'authentification.

Enfin, il résulte de l'article L.133-23 du même code que lorsqu'un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre. Le prestataire de services de paiement fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l'utilisateur de services de paiement.

Il incombe donc au prestataire de services de paiement de rapporter la preuve que l'utilisateur qui nie avoir autorisé une opération de paiement a agi frauduleusement ou n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations, cette preuve ne pouvant se déduire du seul fait que l'instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisés (Com. 29 mai 2019 n°18-10.147).

En outre, s'il entend faire supporter à l'utilisateur d'un instrument de paiement doté d'un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L.133-16 et L.133-17 de ce code, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre (Com 12 novembre 2020 n°19-12.112).

En l'espèce, dans son courrier du 17 mars 2022 la BANQUE POSTALE soutient que l'opération a été validée selon le protocole de sécurité 3DS CERTICODE PLUS et que pour être débitée du compte la transaction a fait l'objet d'une authentification par la saisie par Madame [I] [S] épouse [H] de son code personnel à cinq chiffres ou de sa divulgation à un tiers.

Cependant, la BANQUE POSTALE régulièrement assignée ne comparaît pas et ne produit donc pas les éléments attestant de l'authentification du paiement, pas plus qu'elle ne justifie que Madame [I] [S] épouse [H] a utilisé ou donné son code personnel à cinq chiffres à un tiers, ce qu'elle a toujours contesté.

Au surplus, même dans l'hypothèse non démontrée où Madame [I] [S] épouse [H] aurait bien communiqué au fraudeur les éléments permettant de valider le prélèvement notamment en divulguant son code secret, le partage de ces éléments d'identification ne saurait être qualifié de négligence grave au sens de l'article L.133-23 du code monétaire et financier.

En effet, Madame [I] [S] épouse [H] a été appelée du 09. 69.39.36.39 c'est-à-dire du numéro de téléphone officiel du centre financier de la BANQUE POSTALE par une personne qui connaissait son nom, son prénom, son numéro de téléphone, sa banque ainsi que les trois derniers numéros de sa carte bancaire et a usé d'une fausse qualité.

Ainsi, la demanderesse soudainement alertée d'une tentative de la fraude bancaire a pu être rassurée par le fraudeur qui a réussi à tromper sa vigilance en employant des manœuvres frauduleuses et a pu ainsi légitimement croire à la véracité de ses déclarations.

Dès lors, elle n'a pas eu conscience qu'elle communiquait les codes au fraudeur et non un préposé de sa banque comme cela le lui avait été indiqué, étant rappelé que les faits se sont déroulés dans un court laps de temps, ce qui est propice à la manipulation en raison de l'état de panique de la victime, sur lequel compte le fraudeur pour parvenir à ses fins.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de Monsieur [R] [H] et de Madame [I] [S] épouse [H] et de condamner la BANQUE POSTALE à leur payer la somme de 1 279 euros correspondant à la somme prélevée.
Sur la demande de dommages et intérêts

L'article 1231-6 du code civil dispose que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts, distincts des intérêts moratoires de la créance.

Il est constant que la résistance abusive du défendeur se définit par la contrainte pour le demandeur d'intenter une action en justice pour parvenir à ses fins, et ne se traduit pas par une simple résistance.

En l'espèce, le caractère abusif de la résistance au paiement, qui ne peut résulter du seul défaut de paiement, n'est pas démontré. De plus, Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H] n'établissent pas avoir subi un préjudice distinct du retard apporté au paiement.

Il convient en conséquence de rejeter leur demande de dommages et intérêts.

Sur les mesures accessoires

La BANQUE POSTALE, partie perdante, sera condamnée aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [R] [H] et de Madame [I] [S] épouse [H] les frais exposés par eux et non compris dans les dépens. La BANQUE POSTALE sera en conséquence condamnée à leur verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal judiciaire statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement mis à disposition au greffe réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONDAMNE la BANQUE POSTALE à payer à Monsieur [R] [H] et à Madame [I] [S] épouse [H] la somme de 1 279 euros,

DÉBOUTE Monsieur [R] [H] et Madame [I] [S] épouse [H] de leur demande de dommages et intérêts,

CONDAMNE la BANQUE POSTALE à payer à Monsieur [R] [H] et à Madame [I] [S] épouse [H] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la BANQUE POSTALE aux dépens,

RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition les jour, mois et an susdits par le Président et la Greffière susnommés.

La GreffièreLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Pcp jtj proxi fond
Numéro d'arrêt : 23/04163
Date de la décision : 17/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-17;23.04163 ?
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