La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/04/2024 | FRANCE | N°23/04118

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Pcp jtj proxi fond, 10 avril 2024, 23/04118


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Me Julien KAHN

Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Adrien BROUSSE

Pôle civil de proximité


PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04118 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZ72V

N° MINUTE :







JUGEMENT
rendu le mercredi 10 avril 2024


DEMANDERESSE
La société ISO SET SA
dont le siège social est sis [Adresse 3] - Suisse et dont l’établissement principal est situé [Adresse 2]
représentée par Me Juli

en KAHN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #C0492


DÉFENDERESSE
Madame [J] [E]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Adrien BROUSSE, avocat au barreau de PARIS, vestiai...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Me Julien KAHN

Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Adrien BROUSSE

Pôle civil de proximité

PCP JTJ proxi fond

N° RG 23/04118 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZ72V

N° MINUTE :

JUGEMENT
rendu le mercredi 10 avril 2024

DEMANDERESSE
La société ISO SET SA
dont le siège social est sis [Adresse 3] - Suisse et dont l’établissement principal est situé [Adresse 2]
représentée par Me Julien KAHN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #C0492

DÉFENDERESSE
Madame [J] [E]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Adrien BROUSSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #G0748

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Anne ROSENZWEIG, Présidente,
assistée de Coraline LEMARQUIS, Greffière,

DATE DES DÉBATS
Audience publique du 27 février 2024

JUGEMENT
contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 10 avril 2024 par Anne ROSENZWEIG, Présidente, assistée de Coraline LEMARQUIS, Greffière

Décision du 10 avril 2024
PCP JTJ proxi fond - N° RG 23/04118 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZ72V

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 22 juin 2020, Mme [J] [E] a conclu avec la société anonyme ISO SET un contrat de formation professionnelle relative à la spécialité "informatique décisionnelle", pour une durée de 9 mois, à terme le 22 mars 2021, moyennant un coût de 17.680 €.
Mme [J] [E] a choisi de payer la formation sous forme de dispense exceptionnelle subordonnée à son recrutement par une entreprise partenaire de la société ISO SET, le maintien dans ladite entreprise partenaire pendant 36 mois permettant une exonération totale.

Mme [J] [E] a suivi la formation auprès de la société ISO SET et a été embauchée par la société DCARTE ENGINEERING en tant qu'analyste décisionnelle, le 28 janvier 2021.
Elle a démissionné par courrier en date du 27 novembre 2022.

Par courrier en date du 1er décembre 2022, la société ISO SET a mis en demeure Mme [J] [E] de lui régler le solde du prix de la formation, soit la somme de 6.384 euros.

Par acte de commissaire de justice en date du 3 mai 2023, la société ISO SET SA a fait assigner Mme [J] [E] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de la voir condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :
- 6.384 euros au titre du solde des frais de formation, après déduction du temps passé chez le partenaire de la société ISO SET SA, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2022,
- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

A l'audience du 27 février 2024, la société ISO SET SA a sollicité la condamnation de Mme [J] [E] à lui payer la somme de 6.384 euros au titre du solde des frais de formation, après déduction du temps passé chez le partenaire de la société ISO SET SA, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2022, ou subsidiairement, la restitution de la somme de 4.965 euros sur le fondement des articles 1178 et 1352 à 1352-9 du code civil, le rejet des demandes reconventionnelles de la défenderesse et a maintenu les demandes au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société ISO SET SA fait valoir que Mme [J] [E] n'a pas respecté ses obligations contractuelles alors qu'elle-même a respecté ses obligations de formation et d'aide à la "vente". Elle souligne que Mme [J] [E] n'établit pas les lacunes dans la formation qu'elle allègue. Elle souligne que les modalités de la formation étaient suffisamment précises pour ne pas encourir la nullité et indique démontrer la réalité de la formation dispensée au moyen d'attestations d'anciens élèves. La société ISO SET SA expose que Mme [J] [E] ne remplit aucune condition d'exonération du paiement de l'intégralité du prix de la formation, notamment aucun cas de force majeure, dans la mesure où elle n'a pas respecté son obligation de travailler pendant 36 mois pour l'entreprise partenaire DCARTE ENGINEERING.
La société ISO SET SA mentionne ne pas exercer d'activité de placement.
En réponse à la demande reconventionnelle de Mme [J] [E] de dommages intérêts, la SA ISO SET SA indique qu'aucun préjudice n'est établi.

Mme [J] [E] sollicite de la juridiction qu'elle prononce la nullité du contrat de formation professionnelle conclu le 22 juin 2020 entre la société ISO SET SA et elle, ou subsidiairement, ordonne sa mise hors de cause, à titre infiniment subsidiaire, écarte l'exécution provisoire, en tout état de cause, déboute la société ISO SET SA de l'ensemble de ses demandes, et la condamne à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de l'action en justice engagée par la société ISO SET, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, Mme [J] [E] expose que le contrat de formation professionnelle conclu avec la société ISO SET SA encourt la nullité en ce qu'il contrevient aux dispositions de l'article L.5321-1 du code du travail. Mme [J] [E] fait valoir que l'activité de la société ISO SET et de son partenaire, la société DCARTE ENGINEERING, est une activité de placement en vue de la conclusion d'un contrat de travail, activité précisément réglementée et illicite en l'espèce, compte-tenu de la rétribution prévue. Elle souligne que la formation dispensée au sein du "Village de l'Emploi" était superficielle, qu'elle consistait en de l'autoformation et a été suivie d'une période dite "phase de vente", au cours de laquelle elle a pu postuler à des appels d'offres auxquels postulait la société partenaire de la société ISO SET SA .
Mme [J] [E] soulève la nullité du contrat de formation en raison de l'absence d'indication des modalités précises de la durée et du programme de formation, sur le fondement de l'article L6353-4 du code du travail.
A titre subsidiaire, Mme [J] [E] sollicite sa mise hors de cause en suite d'une requalification du contrat de formation professionnelle en contrat de travail compte-tenu du paiement de la formation par l'entreprise DCARTE ENGINEERING.
Enfin, la défenderesse estime que la présente procédure revêt un caractère abusif et sollicite la réparation du préjudice en résultant.

A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 10 avril 2024.
*
* *

SUR QUOI, LE TRIBUNAL,

Sur la demande principale en paiement

L'article 1103 du code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Aux termes de l'article L5321-1 du code du travail, l'activité de placement consiste à fournir, à titre habituel, des services visant à rapprocher les offres et les demandes d'emploi, sans que la personne assurant cette activité ne devienne partie aux relations de travail susceptibles d'en découler.

L'article L5321-3 du même code précise qu'aucune rétribution, directe ou indirecte, ne peut être exigée des personnes à la recherche d'un emploi en contrepartie de la fourniture de services de placement, sous réserve des dispositions:
1° de l'article L. 7121-9, relatives aux conditions de placement, à titre onéreux, des artistes du spectacle;
2° de l'article L. 222-6 du code du sport, relatives aux conditions d'exercice de l'activité d'agent sportif.

L'article 1162 du code civil prévoit que le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.

En vertu de l'article 1178 du même code, un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d'un commun accord.
Le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé.
Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
Indépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle.

L'article 6,3° du contrat de formation professionnelle à effet le 22 juin 2020 stipule :
"Le prix du "Parcours Village de l'Emploi" est fixé à 17.680 euros nets, (non assujetti à la TVA, article 261-4-5 du CGI).
Dispense exceptionnelle de paiement subordonnée au recrutement du contractant par l'une des entreprises partenaire participant au financement de nos programmes dans le cadre d'un contrat de travail dont les modalités sont fixées directement par la société partenaire concernée. Nous attirons votre attention sur le fait que dans le cadre de la mise en oeuvre de cette hypothèse, le coût du parcous fera l'objet d'une exonération totale ou partielle en fonction de la durée de la relation contractuelle avec l'entreprise partenaire, et ce quel que soit le motif de la rupture du contrat ou de la cessation de la relation contractuelle. Ainsi, nous attirons votre attention sur les modalités spécifiques liées à cette hypothèse, à savoir:
- si la relation contractuelle avec la société partenaire dure 36 mois, l'exonération sera totale,
- si la relation contractuelle avec la société partenaire a une durée inférieure à 36 mois, l'exonération sera proportionnelle à la durée de la relation contractuelle sur la base de 1/36ème par mois entier."

En l'espèce, il est constant que Mme [J] [E] a opté pour le paiement de sa formation selon ces modalités.

Mme [J] [E] a suivi la formation de la société ISO SET SA à partir du 22 juin 2020 et a été embauchée par la société DCARTE ENGINEERING à partir du 26 janvier 2021, point de départ du paiement des frais de formation professionnelle à la société ISO SET SA par la société DCARTE ENGINEERING.
En considération de la démission de Mme [J] [E] par courrier du 27 novembre 2022, il convient de considérer que la somme de 6.384 euros reste due à la société ISO SET SA au titre du solde des frais de formation après déduction du temps passé chez le partenaire de la société ISO SET SA , sous réserve de la validité du contrat et de la modalité spécifique de règlement des frais de scolarité.

Les attestations produites aux débats par les parties à l'instance sont certes nombreuses mais ont été établies soit par des personnes ayant un lien de subordination ou contractuelle avec la société ISO SET SA , soit par des personnes étant ou ayant été en conflit avec la société ISO SET SA , de sorte que leur force probante est relative.
En l'espèce, le contrat de formation professionnelle produit aux débats par la société ISO SET SA contient une plaquette pédagogique avec la dénomination des cours, et le volume horaire par cours, mais ne mentionne pas le nom des enseignants intervenants. Le calendrier précis des jours de cours de Mme [J] [E] ne contient pas non plus d'information sur les enseignants intervenants dans cette formation.
La société ISO SET SA produit aux débats 14 feuilles de présence de Mme [J] [E] en cours, ainsi que des compte-rendus et réponses à des questionnaires établis par la défenderesse, mais n'indique pas précisément le contenu de la formation suivie.

Parallèlement, Mme [J] [E] produit aux débats 15 réponses à des appels à candidatures entre le 14 décembre 2020 et le 26 janvier 2021, date de conclusion du contrat de travail à durée indéterminée de chantier avec la société DCARTE ENGINEERING. D'une part, il s'agissait pour la défenderesse de soumettre sa candidature aux offres de mission ou "de chantier", transmises par le "Village de l'emploi". D'autre part, l'une de ces transmissions, celle du 12 janvier 2021, vient de "[V]", se qualifiant elle-même expressément d' "agent de placement".

Il résulte tant de l'impossibilité de déterminer précisément le contenu de la formation professionnelle dispensée à Mme [J] [E], que de la mise en oeuvre concrète de la conctractualisation de sa relation avec la société DCARTE ENGINEERING que l'ensemble contractuel examiné est une opération de placement de travailleur, au sens de l'article L5321-1 et suivants du code du travail.

Or, selon l'article L5321-3 du code du travail, la rétribution, directe ou indirecte, ne peut être exigée des personnes à la recherche d'un emploi en contrepartie de la fourniture de services de placement.
En l'espèce, le prix de 17.680 euros, correspondant au moins pour partie au placement auprès de la société partenaire, pour une durée maximale de 36 mois, s'analyse en une rétribution par la personne à la recherche d'un emploi.
En ce sens, le contrat conclu entre la société ISO SET SA et Mme [J] [E] est nul, pour ne pas avoir respecté l'interdiction de rétribution du placement par la personne en recherche d'emploi.

En conséquence, la société ISO SET SA sera déboutée de sa demande tendant à voir Mme [J] [E] condamner au paiement de la somme de 6.384 euros au titre du solde des frais de formation, après déduction du temps passé chez le partenaire de la société ISO SET SA, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2022.
Elle succombe également dans sa demande subsidiaire de condamnation au paiement de la somme de 4.965 euros sur le fondement des articles 1178, et 1352 et suivants du code civil, en l'absence de démonstration du contenu effectif de la formation litigieuse.

Sur la demande reconventionnelle de dommages intérêts pour procédure abusive

En application de l'article 1240 du code civil, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'une erreur équipollente au dol.

Le seul exercice d'une voie de droit par la société ISO SET SA pour recouvrer une créance qu'elle pensait fondée, n'est pas de nature à caractériser un abus de droit, constitutif d'une faute délictuelle.

Mme [J] [E] sera donc déboutée de sa demande de dommages intérêts.

Sur les demandes accessoires

La société ISO SET SA, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Il y a lieu de condamner la société ISO SET SA à payer à Mme [J] [E] une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande sur ce fondement.

L'exécution provisoire , de droit en la matière, ne sera pas écartée. et sera ordonnée.

*
* *

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par mise à disposition, par jugement contradictoire et en premier ressort,

ANNULE le contrat de formation professionnelle conclu le 22 juin 2020 entre la société ISO SET SA et Mme [J] [E] ;

DEBOUTE la société ISO SET SA de ses demandes formées contre Mme [J] [E] ;

DEBOUTE Mme [J] [E] du surplus de ses demandes;

CONDAMNE la société ISO SET SA aux entiers dépens ;

CONDAMNE la société ISO SET SA à payer à Mme [J] [E] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

DEBOUTE la société ISO SET SA de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition les jour, mois et an susdits par le Président et le Greffier susnommés

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Pcp jtj proxi fond
Numéro d'arrêt : 23/04118
Date de la décision : 10/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-10;23.04118 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award