Décision du 05 Avril 2024
9ème chambre - 3ème section
N° RG 22/13978 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYHO5
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
9ème chambre 3ème section
N° RG 22/13978 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYHO5
N° MINUTE : 2
Assignation du :
07 Novembre 2022
JUGEMENT
rendu le 05 Avril 2024
DEMANDEUR
Monsieur [K] [B]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159, et de Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DÉFENDERESSES
S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0077
S.A. BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA SPA prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 4] - ITALIE
Représentée par Maître Réjane GIRARDIN de l’AARPI APM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0044 et de Maître Olivier TAMAIN de la SCP MTBA AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant.
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente
Monsieur BERTAUX, Juge
Monsieur MALFRE, Vice-président
assistés de Claudia CHRISTOPHE, Greffière lors des débats et de la mise à disposition
DÉBATS
A l’audience du 19 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Hadrien BERTAUX, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
rendu publiquement par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] [B] a ouvert dans les livres de la Société Générale un compte sous le n°[XXXXXXXXXX02] par lequel ont transité des opérations contestées.
En effet, selon dépôt de plainte du 27 mai 2021, M. [B] expose avoir été victime d’une escroquerie par des personnes se faisant passer comme employés du service investissement de la banque Revolut et effectué des virements.
Par actes des 7 et 8 novembre 2022, M. [B] a fait assigner la Société Générale et la société Banca Monte Dei Pashi Di Siena S.P.A (ci-après BMDP) devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins notamment d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 02 octobre 2023, M. [B] demande au tribunal :
“Vu les Directives Européennes,
Vu le TUE et le TFUE,
Vu les articles L.561-4 et suivants du Code monétaire et financier,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,
Vu les articles 1112-1 et 1231-1 et du Code civil,
Vu les pièces de la cause,
Débouter les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIANE SP.A de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
A TITRE PRINCIPAL :
Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASHI DI SIENA S.P.A n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
Juger que les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASHI DI SIENA S.P.A sont responsables des préjudices subis par Monsieur [K] [B].
Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASHI DI SIENA S.P.A à rembourser à Monsieur [K] [B] la somme de 135 965 €, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASHI DI SIENA S.P.A à verser à Monsieur [K] [B] la somme de 72 000€, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société SOCIETE GENERALE à rembourser à Monsieur [K] [B] la somme de 226 649 €, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés SOCIETE GENERALE et BANCA MONTE DEI PASHI DI SIENA S.P.A Ià verser à Monsieur [B] la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE :
Juger que la société SOCIETE GENERALE a manqué à son devoir général de vigilance.
Juger que la société SOCIETE GENERALE est responsable des préjudices subis par Monsieur [K] [B].
Condamner la société SOCIETE GENERALE à rembourser à Monsieur [B] la somme de 362.614 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur [B] la somme de 72.000€, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur [K] [B] la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
Juger que la société SOCIETE GENERALE n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur [K] [B].
Juger que la société SOCIETE GENERALE est responsable des préjudices subis par Monsieur [K] [B].
Condamner la société SOCIETE GENERALE à rembourser à Monsieur [K] [B] la somme de 362.614€, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur [K] [B] la somme de 72.000€, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société SOCIETE GENERALE à verser à Monsieur [K] [B] la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens”.
Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 02 novembre 2023, la Société Générale demande au tribunal, à titre principal et au visa des articles 1240 du code civil et L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, de :
“JUGER que les questions préjudicielles dont Monsieur [B] sollicite la transmission à la CJUE sont dépourvues de toute pertinence et d’utilité pour la résolution du présent litige ;
JUGER que Monsieur [B] ne démontre pas le contexte frauduleux sur lequel il fonde ses prétentions
JUGER que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier sont inapplicables dans le cadre de l’action initiée par Monsieur [B] à l’encontre de SOCIETE GENERALE
JUGER que SOCIETE GENERALE a respecté son obligation d’exécuter les ordres de virement transmis par Monsieur [B]
JUGER que SOCIETE GENERALE n’a, en la circonstance, commis aucune faute susceptible d’avoir engagé sa responsabilité
JUGER que Monsieur [B] ne démontre aucun préjudice indemnisable et, qu’en toute hypothèse, les graves manquements qu’il a commis sont de nature à exonérer totalement SOCIETE GENERALE de toute responsabilité dans les pertes qu’il aurait à déplorer
En conséquence,
DEBOUTER purement et simplement Monsieur [B] de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions
CONDAMNER Monsieur [B] à verser à SOCIETE GENERALE une somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le CONDAMNER aux entiers dépens
En tout état de cause,
ECARTER l’exécution provisoire de droit, celle-ci n’étant pas compatible avec la nature de l’affaire”
Suivant dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 août 2023, la société BMDP demande au tribunal, à titre principal et au visa des articles 1240 et suivants du code civil, de :
“JUGER que les questions préjudicielles dont Monsieur [K] [B] sollicite la transmission à la CJUE sont dépourvues de toute pertinence et d’utilité pour la résolution du présent litige ;
JUGER que l’action introduite par Monsieur [K] [B] à l’encontre de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA doit être régie par la loi italienne et non par la loi française ;
DEBOUTER, en conséquence, Monsieur [K] [B] de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA pour défaut de base légale ;
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait par extraordinaire que la loi française est applicable au présent litige :
JUGER que les questions préjudicielles dont Monsieur [K] [B] sollicite la transmission à la CJUE sont dépourvues de toute pertinence et d’utilité pour la résolution du présent litige ;
JUGER que les dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prévues par les articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier sont inapplicables ;
JUGER que Monsieur [K] [B] ne rapporte aucunement la preuve du fait que la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA aurait engagé sa responsabilité à son encontre,
JUGER que la responsabilité civile de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA n’est pas engagée ;
En conséquence :
DEBOUTER Monsieur [K] [B] de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA ;
En tout état de cause :
CONDAMNER Monsieur [K] [B] au paiement de la somme de 3 000 euros au profit de la BANCA MONTE DEI PASCHI DI SIENA au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir”.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières écritures.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2024, l’affaire appelée à l’audience du 19 janvier et mise en délibéré au 05 avril.
MOTIFS DE LA DECISION
Il sera rappelé, à titre liminaire, qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de “juger” qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d’entraîner des conséquences juridiques au sens de l’article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions, et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
Il convient de souligner en outre qu’aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, “les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n'auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées”, de sorte que le tribunal n’est pas saisi d’une demande tendant à ce que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, le demandeur ne maintenant plus celle-ci dans ses dernières écritures.
Sur la demande principale
Pour des raisons de clareté du jugement, il convient de rappeler que M. [B] invoque notamment, au soutien de sa demande indemnitaire :
- l’existence d’un cadre factuel propice aux escroqueries devant fonder l’obligation de contrôle et de vigilance des banques, soit l’approvisionnement suffisant du compte et l’autorisation par cette dernière des opérations litigieuses, lesquels ne sont “pas des éléments à “décharge” pour une banque, mais uniquement et seulement des conditions préalables à l’appréciation des questions juridiques de responsabilité ayant trait à la vigilance et au contrôle”(sic),
- l’existence d’un cadre juridique fondant l’obligation de contrôle et d’exécution des opérations de paiement des établissements bancaires, soit la combinaison des articles 1231-1 et 1992 du code civil avec les règles spécifiques prévues par le code monétaire et financier aux articles L.561 et suivants (obligations de vigilance et de contrôle),
- les directives européennes applicables aux pays de l’Union, au rang desquels fait partie l’Italie, concernant les demandes formées contre la société BMDP de sorte que le moyen en défense tiré de l’inapplicabilité du droit français à une banque italienne est inopérant, et, au surplus, qu’en application de l’article 4.1 du Règlement européen du 11 juillet 2007, la loi applicable au cas présent dans un rapport extra-contractuel est celle du lieu où le dommage survient, soit le “lieu de désappropriation des fonds escroqués” (sic) et donc la France,
- l’existence d’une obligation d’information à la charge de la Société Générale en vertu des articles 1112-1 et 1231-1 du code civil.
Il sera ainsi également rappelé que :
- l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dispose “pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis. Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens”, de sorte qu’il résulte de la nature même de la directive que son effet direct n’a qu’une fonction palliative ou supplétive en cas d’absence de mesure de transposition prise par l’Etat membre,
- la Cour de justice des Communautés européennes a énoncé, dans un arrêt du 26 février 1986, M. H. Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority (aff. 152/84), que “selon une jurisprudence constante de la cour (notamment l’arrêt du 19 janvier 1982 , Becker, 8/81, rec. P.53), dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l’encontre de l’Etat, soit lorsque celui-ci s’abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en fait une transposition incorrecte. Cette jurisprudence se fonde sur la considération qu’il serait incompatible avec le caractère contraignant que l’article 189 [devenu article 249 CE puis article 288 TFUE] reconnait à la directive d’exclure, en principe, que l’obligation qu’elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées. La cour en a tiré la conséquence que l’Etat membre qui n’a pas pris, dans les délais, les mesures d’exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu’elle comporte. Quant à l’argument selon lequel une directive ne peut pas être invoquée à l’encontre d’un particulier, il convient de souligner que, selon l’article 189 du traité, le caractère contraignant d’une directive sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci devant une juridiction nationale n’existe qu à l’égard de ' tout Etat membre destinataire '. Il s’ensuit qu’une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et qu’une disposition d’une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle a l’encontre d’une telle personne” et a en conséquence exclu tout effet direct horizontal aux directives, soit entre particuliers, la jurisprudence de la Cour étant constante sur ce point (CJCE, 5 oct. 2004, aff. jtes C-397/01 à C-403/01, Pfeiffer, CJUE 7 août 2018, David Smith contre Patrick Meade, Philip Meade, FBD Insurance plc, Ireland, Attorney General, aff. C-122/17),
- ce dernier arrêt (David Smith) a permis à la Cour de souligner qu’elle “a itérativement jugé que l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles (voir en ce sens, notamment, arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, EU:C:1984:153, point 26 ; du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07, EU:C:2010:21, point 47, ainsi que du 19 avril 2016, DI, C-441/14, EU:C:2016:278, point 30). Il s’ensuit que, en appliquant le droit national, les juridictions nationales appelées à l’interpréter sont tenues de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci afin de l’interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et de se conformer ainsi à l’article 288, troisième alinéa, TFUE (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, EU:C:2004:584, points 113 et 114 ; du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07, EU:C:2010:21, EU:C:2010:21, point 48, ainsi que du 19 avril 2016, DI, C-441/14, EU:C:2016:278, point 31). Toutefois, la Cour a jugé que le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (voir, en ce sens, arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU:C:2012:33, point 25 ; du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, C-176/12, EU:C:2014:2, point 39, et du 19 avril 2016, DI, C-441/14, EU:C:2016:278, point 32). À cet égard, certes, la question de savoir si une disposition nationale, dans la mesure où elle serait contraire au droit de l’Union, doit être laissée inappliquée ne se pose que si aucune interprétation conforme de cette disposition ne s’avère possible (arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU:C:2012:33, point 23, et du 10 octobre 2013, Spedition Welter, C-306/12, EU:C:2013:650, point 28). Il n’en demeure pas moins que la Cour a également jugé de manière constante qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations pour un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre lui (voir, notamment, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152/84, EU:C:1986:84, point 48 ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, EU:C:1994:292, point 20, ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, EU:C:2004:584, point 108). En effet, étendre l’invocabilité d’une disposition d’une directive non transposée, ou incorrectement transposée, au domaine des rapports entre les particuliers reviendrait à reconnaître à l’Union européenne le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers, alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, EU:C:1994:292, point 24). Ainsi, même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers (arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, EU:C:2004:584, point 109 ; du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU:C:2012:33, point 42, ainsi que du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, C-176/12, EU:C:2014:2, point 36). La Cour a jugé expressément qu’une directive ne peut pas être invoquée dans un litige entre particuliers afin d’écarter la réglementation d’un État membre contraire à cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, OSA, C-351/12, EU:C:2014:110, point 48)”,
- les dernières directives (UE) 2015/849 et 2018/843 du dispositif dit “LCB-FT” (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) s’inscrivent dans une suite comprenant la directive 91/308/CEE du Conseil définissant le blanchiment de capitaux en termes d'infraction liées au trafic de stupéfiants et n'imposant d'obligations qu'au secteur financier, la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil étendant le champ d'application de la précédente, à la fois pour ce qui est des délits et de l'éventail des professions et des activités couvertes, puis les directives 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et 2006/70/CE de la Commission prenant en compte les recommandations du Groupe d'action financière internationale (GAFI) pour y intégrer le financement du terrorisme et fixer des exigences plus détaillées concernant l'identification des clients et la vérification de leur identité, les situations dans lesquelles un risque plus élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme peuvent justifier l'application de mesures renforcées, mais aussi les situations dans lesquelles un risque réduit peut justifier la mise en œuvre de contrôles moins rigoureux, le considérant n°1 de la directive 2018/843 rappelant de manière particulièrement claire que “la directive (UE) 2015/849 [...] constitue le principal instrument juridique en matière de prévention de l’utilisation du système financier de l’Union aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Cette directive [...] définit un cadre juridique global et efficace de lutte contre la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes, en imposant aux États membres d’identifier, de comprendre et d’atténuer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme”,
- de sorte que, selon une jurisprudence constante (Com., 28 avril 2004, pourvoi n° 02-15.054, Bull., 2004, IV, n° 72, Com., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-12.335) dont le demandeur poursuit la remise en cause, les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers découlant de ces directives et prévues au code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la victime d'agissements frauduleux ne pouvant se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.
Il s’évince de ces motifs de droit, d’une part, que les directives n’ont qu’un effet direct vertical vis-à-vis des Etats membres en cas d’absence ou de mauvaise transposition, de sorte que celles formant le dispositif “LCB-FT” ne sauraient être doublement invoquées par le demandeur à l’encontre des établissements bancaires dès lors qu’elles ont fait l’objet d’une transposition dans le droit national et ne peuvent davantage créer d’obligations à l’égard des défendeurs, toute question préjudicielle sur ce point étant au surplus inopérante, et, d’autre part, qu’ainsi que le précisent les considérants des directives susvisées et que le rappelle une jurisprudence constante sur ce point, ces normes ont une visée spécifique tendant à prévenir les infractions de blanchiment et de financement du terrorisme ainsi qu’à protéger le marché intérieur européen, de sorte que le demandeur ne saurait se fonder sur ces dispositions au soutien de son action indemnitaire, l’ensemble de ces moyens devant être écartés.
Par ailleurs, en application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En outre, le code monétaire et financier prévoit :
- en son article L.133-8 alinéa 1 I, que “l'utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu'il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article”,
- en son article L. 133-10 I, que “lorsque le prestataire de services de paiement refuse d'exécuter un ordre de paiement ou d'initier une opération de paiement, il le notifie à l'utilisateur de services de paiement, ou met la notification à sa disposition selon les modalités convenues, dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai ne pouvant excéder celui prévu à l'article L. 133-13, et lui en donne, si possible et à moins d'une interdiction en vertu d'une autre disposition du droit de l'Union ou de droit national pertinente, les motifs. Lorsque le refus est justifié par une erreur matérielle, il indique, si possible, à l'utilisateur de services de paiement la procédure à suivre pour corriger cette erreur”, étant relevé que cette disposition légale se limite d'enjoindre au prestataire de services de paiement de notifier à l'utilisateur les motifs du refus, tel n’étant toutefois pas le cas, si ce refus procède d'une interdiction d'exécuter relevant d'une autre disposition du droit de l'Union ou de droit national pertinente comme les règles de la lutte contre le blanchiment d'argent,
- en son article L.133-21, qu’ “un ordre de paiement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique. Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire
de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l'opération de paiement”.
Il s’en infère que :
- le banquier teneur de compte a l'obligation d'exécuter un virement que son client lui ordonne, pourvu que l'ordre soit régulier et que le compte contienne une somme disponible suffisante, celui-ci n’étant pas tenu de s'immiscer dans les affaires de son client et n’ayant ainsi pas, en principe, à effectuer de recherches ou à réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers, considérant que la banque n’est investie d'aucune mission générale de police de la relation bancaire, que ce soit dans l'intérêt public ou des tiers, ni même de sa clientèle,
- le devoir de non-immixtion du banquier trouve toutefois une limite dans le devoir de surveillance, lequel est limité à la détection des seules anomalies apparentes, qu'elles soient matérielles lorsqu'elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu'elles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.
Au cas présent, il n’est pas discuté que les sommes virées depuis le compte de M. [B] l’ont été sur le compte indiqué à l’ordre de virement et que ce dernier en était le donneur d’ordre, si bien que ces ordres étaient authentiques et n’ont pas été dévoyés, le demandeur n’en querellant que l’objet.
Il ne saurait en outre dériver de la connaissance de l’établissement teneur de compte d’investissements, à la supposer établie, un devoir de conseil ou de mise en garde, le banquier n’y étant, sauf convention dont l’existence n’est ici pas établie, pas tenu sur des produits auxquels il demeure étranger, de sorte que la Société Générale n’était tenue à aucune obligation d’information sur les risques que présentaient les investissements effectués, pas plus qu’elle n’était tenue d’en vérifier la légalité.
Enfin, M. [B] ne caractérise nullement l’anomalie intellectuelle qu’il évoque, le compte étant suffisamment provisionné pour permettre l’exécution des virements et la circonstance que ceux-ci soient à destination de banques étrangères situés au sein de l’Union européenne n’est pas davantage de nature à caractériser une telle anormalité.
Au surplus, le nombre, certes important, de virements ne saurait constituer, à lui seul, une anomalie intellectuelle eu égard aux circonstances qui précèdent dans lesquelles ces opérations se sont inscrites et que leur particulière régularité, pour des montants divers, ne permettaient ni de confirmer ni d’infirmer, à ce stade, l’existence de manoeuvres frauduleuses et ce, étant observé que le demandeur explique lui-même, dans sa plainte, avoir souhaité initialement investir ces montants, de manière progressive afin de tester la fiabilité de l’investissement, le critère d’apparence n’étant ainsi, et de ce fait, pas satisfait, étant enfin observé que le mécanisme d’escroquerie décrit par
le demandeur, relevant de la matière pénale, ne constitue un fondement pertinent que pour engager la responsabilité des auteurs de l’infraction relevée.
En conséquence, les demandes seront rejetées, étant enfin observé qu’il n’y a pas lieu de rechercher d’office la loi applicable à l’égard de la société BMDP dès lors que le demandeur se fonde uniquement à son encontre sur le dispositif LCB-FT sans développer dans le corps de ses écritures de moyen tiré de la responsabilité délictuelle et n’établit aucunement l’intervention de celle-ci dans le processus frauduleux qu’il décrit, les différents IBAN versés au dossier ne faisant pas apparaître cette banque, seuls certains virements faisant apparaître la mention “IT” comme identifiant international du compte bénéficiaire sans établir clairement le lien avec la banque défendresse.
Sur les autres demandes
M. [B], partie succombant à la présente instance, sera condamné aux dépens.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des sociétés défendresses les frais irrépétibles non compris dans les dépens de sorte que M. [B] sera condamné à leur payer, chacune, une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, et en premier ressort,
DEBOUTE M. [K] [B] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ;
CONDAMNE M. [K] [B] à payer à la Société Générale et à la société Banca Monte Dei Pashi Di Siena S.P.A, chacune, une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE M. [K] [B] aux dépens ;
Fait et jugé à Paris le 05 Avril 2024
Le GreffierLe Président