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05/04/2024 | FRANCE | N°19/07240

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 3ème section, 05 avril 2024, 19/07240


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:
à Me REVERT-CHERQUI et Me MOULIN
Copies certifiées
conformes délivrées le:
à Me ZIMMER




8ème chambre
3ème section

N° RG 19/07240
N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

N° MINUTE :

Assignation du :
04 juin 2019









JUGEMENT

rendu le 05 avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [F] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représenté par Maître Ludovic REVERT-CHERQUI, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire #D1515


DÉFENDEURS

Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic la S.A.R.L. MOUTARD-PICHOT
[Adresse 4]
[Localité 5]

représenté par Maître Fabrice MOULIN,...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:
à Me REVERT-CHERQUI et Me MOULIN
Copies certifiées
conformes délivrées le:
à Me ZIMMER

8ème chambre
3ème section

N° RG 19/07240
N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

N° MINUTE :

Assignation du :
04 juin 2019

JUGEMENT

rendu le 05 avril 2024
DEMANDEUR

Monsieur [F] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représenté par Maître Ludovic REVERT-CHERQUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1515

DÉFENDEURS

Syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], représenté par son syndic la S.A.R.L. MOUTARD-PICHOT
[Adresse 4]
[Localité 5]

représenté par Maître Fabrice MOULIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0837

Madame [U] [D]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Marc ZIMMER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E1623

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Frédérique MAREC, première vice-présidente adjointe
Madame Céline CHAMPAGNE, juge
Monsieur Cyril JEANNINGROS, juge

assistés de Léa GALLIEN, greffier,

DÉBATS

A l’audience du 09 février 2024 tenue en audience publique devant Madame Céline CHAMPAGNE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
Premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [F] [N] a acquis le 22 avril 2008, en état de futur achèvement, les lots 14 et 27, correspondant d'une part à un appartement en duplex aux 5ème et 6ème étages avec terrasse et d'autre part à une cave au sein de l'immeuble du [Adresse 2].

Mme [D] est pour sa part propriétaire du lot 13, également constitué d'un appartement en duplex situé aux mêmes étages.

L'immeuble a fait l'objet d'un règlement de copropriété établi le 12 mars 2008.

Lors de l'assemblée générale du 24 avril 2018, non contestée, les copropriétaires ont adopté la résolution n°9 aux termes de laquelle ils ont autorisé Mme [D] à disposer de « la jouissance exclusive pour la partie de toit au dessus du lot n°13 afin d'y créer une terrasse conformément aux plans et descriptifs établis par WY-TO architecte ».

Par la même résolution, l'assemblée a également donné son « accord de jouissance exclusive de la partie de toit occupée à ce jour par M. [N] ».

L'assemblée a, par ailleurs, fixé l'indemnité de jouissance exclusive à un montant de 8 000 euros au prorata des surfaces accordées.

Par acte en date du 28 octobre 2020, Maître [W] [J], notaire, a ainsi reçu le modificatif au règlement de copropriété et à l'état descriptif de division portant création d'une jouissance exclusive pour le lot n°13.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Par courrier en date du 10 mai 2018, M. [N] a avisé le syndic que l'autorisation accordée à Mme [D] ne portait que sur la jouissance exclusive de la terrasse et en aucun cas sur la réalisation de travaux.

Par courrier en date du 06 mars 2019, il l'a mis en demeure de prendre position dans les meilleurs délais s'agissant du projet de Mme [D] de faire réaliser des travaux sur cette terrasse, indiquant qu'aucune autorisation de la sorte ne lui avait été accordée par la copropriété et qu'ils étaient, de plus, susceptibles de porter atteinte à son bien en le privant de la vue dégagée dont il bénéficie et en provoquant des nuisances sonores et olfactives en raison du déplacement de la VMC de l'immeuble.

Le même jour, il a mis en demeure Mme [D] d'avoir à stopper immédiatement les travaux envisagés.

En l'absence de toute solution amiable au litige, M. [N] a, par actes délivrés les 04 et 06 juin 2019, fait assigner le syndicat des copropriétaires et Mme [D] devant le présent tribunal, afin d'obtenir la condamnation de cette dernière à « stopper tout processus de travaux, en éventuelle exécution de la résolution n°9 de l'assemblée générale du 24 avril 2018 et dans les conditions de l'autorisation d'urbanisme du 07 janvier 2019 et du panneau affiché dans les parties communes de l'immeuble situé [Adresse 2] ». La procédure a été enregistrée sous le numéro de RG 19/07240.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2020, le syndicat des copropriétaires a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir déclarer irrecevable l'action de M. [N] à son encontre.

Le 07 septembre 2020, M. [N] a fait établir un procès-verbal d'huissier aux termes duquel ce dernier a constaté la pose de pare-vues métalliques d'environ 1,90 mètres de hauteur et mentionné que la vue depuis la terrasse de M. [N] était de ce fait obstruée.

Dans le cadre de la procédure d'incident initiée par le syndicat des copropriétaires, M. [N] a, pour sa part, sollicité la désignation d'un expert afin qu'il donne son avis sur la réalité du trouble de voisinage subi en raison d'une part, de l'obstruction de la vue du fait de l'installation de ces pare-vues et, d'autre part, du bruit lié au fonctionnement de la VMC.

Par ordonnance rendue le 05 mars 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande d'annulation de l'assignation ainsi que la demande d'expertise.

Par acte en date du 18 janvier 2021, M. [N] a de nouveau fait assigner Mme [D] et le syndicat des copropriétaires afin de solliciter la jonction avec l'instance enregistrée sous le numéro RG 19/07240 ainsi que leur condamnation in solidum à déposer les installations provoquant un trouble anormal de voisinage. La procédure a été enregistrée sous le numéro de RG 21/00751.

Les procédures ont été jointes par mention au dossier le 05 mai 2021.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives n°4, notifiées par voie électronique le 14 février 2023, M. [N] demande au tribunal, au visa des articles 144 du code de procédure civile, 544, 1240, 1245, 2224 du code civil, 9, 14 et 25b) de la loi du 10 juillet 1965, 9, 11 et 13 du décret du 17 mars 1967 et de la théorie prétorienne des troubles anormaux du voisinage, de :
Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

« Ordonner la jonction de l'affaire enregistrée sous le numéro de RG 21/00751, avec l'affaire principale enregistrée sous le numéro de répertoire N° RG 19/07240- N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3, à laquelle elle se rattache.
Vu les pièces versées aux débats,
Vu le rapport d'expertise judiciaire déposé par Monsieur [Z], sur une procédure judiciaire de Monsieur [K] et Monsieur [R],
Débouter Madame [U] [D] et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2], de leurs argumentations respectives, et de l'intégralité de leurs prétentions, et demandes reconventionnelles.
À titre principal :
Désigner tel expert judiciaire avec pour mission de :
- Se rendre sur place [Adresse 2] ;
- Donner son avis sur la réalité du trouble anormal de voisinage subi par Monsieur [N] lié à la perte de vue, en conséquence des travaux réalisés par Madame [D] et l'installation de pare-vues métalliques qui ont provoqué une l'obstruction de la vue et de la perspective dégagée dont il jouissait depuis sa terrasse privative et son lot au sixième étage ;
- Donner son avis sur la régularité administrative, et la conformité des travaux réalisés par Madame [U] [D] sur la terrasse partie commune et qui ont fait l'objet d'un affichage dans les parties communes de l'immeuble du [Adresse 2].
- Donner son avis sur les mesures propres à remédier aux désordres et nuisances, et les chiffrer à l'aide de devis ;
- Donner son avis sur l'origine et la responsabilité des désordres et des nuisances ;
- Fournir tous renseignements techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues ;
- Évaluer les préjudices de toute nature ;
- Donner son avis sur les préjudices, et les chiffrer ;
- Faire toutes observations utiles au règlement du litige ;
- Réserver les dépens
A titre subsidiaire :
Dire et juger que les travaux réalisés par Madame [U] [D] sur la terrasse partie commune et qui ont fait l'objet d'un affichage dans les parties communes de l'immeuble du [Adresse 2], sont irréguliers.
Dire et juger que les travaux réalisés par Madame [U] [D] une privation de la vue dégagée sur [Localité 7] dont il bénéficiait auparavant à partir de sa terrasse privative, ce qui constitue un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage au préjudice de Monsieur [N].
Dire et juger que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2], a également engagé sa responsabilité dans ses rapports avec Monsieur [N],
En conséquence,
Condamner Madame [D], à déposer les pares-vue métalliques installés par Madame [D] sur la terrasse partie commune à jouissance privative de l'immeuble situé [Adresse 2], qui obstruent la vue dégagée dont Monsieur [N] bénéficiait auparavant ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, sous peine d'une astreinte de 300 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir.
Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Condamner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], en sa qualité de gardien des parties communes de l'immeuble, à prendre toutes dispositions y compris sur le terrain judiciaire à l'encontre de Madame [D], en vue de solliciter la dépose par cette dernière des pares-vue métalliques installés sur la terrasse partie commune à jouissance privative, qui obstruent la vue dégagée dont Monsieur [N] bénéficiait auparavant ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, sous peine d'une astreinte de 300 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir.
EN SUPPLEMENT,
Condamner in solidum Madame [U] [D] de même que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] à payer à Monsieur [F] [N], la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts, à raison de la perte d'agrément et de valeur de revente de son bien.
Condamner in solidum Madame [U] [D] de même que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] à payer à Monsieur [F] [N], la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner in solidum Madame [U] [D] de même que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] aux entiers dépens de la présente Instance.
Assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire, non seulement compatible mais également particulièrement nécessaire au vu des circonstances de l'affaire, qui d'ailleurs est devenue de droit. »

Dans ses conclusions récapitulatives n°3, notifiées par voie électronique le 15 novembre 2022, Mme [D] demande au tribunal au visa des articles 9, 31, 32-1 et 122 du code de procédure civile et 42 de la loi du 10 juillet 1965, de :
« REJETER toute argumentation relative à la remise en cause du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires du 24 avril 2018, ce dernier n'ayant pas été remis en cause dans les formes et délais requis par l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 ;
REJETER la demande d'expertise formulée par Monsieur [F] [N] ;
CONSTATER en particulier la régularité des pare-vues installés par Madame [U] [D] en ce que ces derniers ont été expressément autorisés (i) par la copropriété aux termes du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires en date du 24 avril 2018 ainsi que (ii) par la Mairie de Paris aux termes d'une déclaration préalable en date du 7 janvier 2019 régulièrement affichée par Madame [D] ;
CONSTATER l'absence d'un quelconque trouble anormal de voisinage ;
DEBOUTER en conséquence Monsieur [F] [N] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre reconventionnel :
DIRE que les travaux effectués par Monsieur [F] [N] sont irréguliers en ce qu'ils n'ont jamais été autorisés ;
ORDONNER la destruction sans délai des travaux effectués par Monsieur [F] [N] sans la moindre autorisation à compter de la signification de la décision à intervenir ;
PRONONCER une astreinte de 50,00 Euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
En tout état de cause :
CONSTATER la particulière mauvaise foi de Monsieur [N] qui a occupé irrégulièrement une partie du toit terrasse pendant plus de 10 années et qui a fait installer plusieurs aménagements (incluant l'installation de plusieurs pare-vues similaires à ceux de Madame [D]) au sein de sa terrasse sans jamais solliciter la moindre autorisation de la copropriété ou de la Mairie de Paris ;
Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

CONSTATER l'usage abusive de la procédure civile dans cette affaire ;
CONDAMNER Monsieur [F] [N] à payer à Madame [U] [D] la somme de 50.000,00 Euros au titre du préjudice subi par cette dernière ;
CONDAMNER Monsieur [F] [N] à payer à Madame [U] [D] la somme de 6.000,00 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur [F] [N] aux entiers dépens. »

Dans ses conclusions en réponse, notifiées par voie électronique le 19 mai 2023, le syndicat des copropriétaires demande au tribunal au visa de la loi 65-657 du 10 juillet 1965 de :
« A titre principal
DEBOUTER Monsieur [F] [N] de sa demande d'expertise judiciaire
DEBOUTER Monsieur [F] [N] de ses demandes de condamnation du syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2].
A titre subsidiaire
ACTER des protestations et réserves du syndicat des copropriétaires concernant la demande d'expertise judiciaire.
CONDAMNER Madame [U] [D] à garantir le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] de toutes condamnations qui seraient mises à la charge de ce dernier.
En toute hypothèse
CONDAMNER Monsieur [F] [N] à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. »

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits, de la cause et des prétentions des parties.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2023 et la date de plaidoirie a été fixée au 09 février 2024, date à laquelle la décision a été mise en délibéré au 05 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de « dire et juger », « rejeter », « constater » et « dire »

En application des dispositions de l'article 768 du code de procédure civile, « le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ».

En l'espèce, le dispositif des conclusions des parties comporte plusieurs demandes qui ne consistent en réalité qu'en une reprise de simples moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions qu'ils formulent et ne constituent donc pas une prétention au sens des articles 4, 5, 31 et 768 du code de procédure civile, en ce qu'elles ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert.

Par conséquent, le tribunal ne statuera pas sur les demandes ainsi formulées au dispositif :

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

-de M. [N] :

« Dire et juger que les travaux réalisés par Madame [U] [D] sur la terrasse partie commune et qui ont fait l'objet d'un affichage dans les parties communes de l'immeuble du [Adresse 2], sont irréguliers. »

« Dire et juger que les travaux réalisés par Madame [U] [D] une privation de la vue dégagée sur [Localité 7] dont il bénéficiait auparavant à partir de sa terrasse privative, ce qui constitue un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage au préjudice de Monsieur [N]. »

« Dire et juger que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2], a également engagé sa responsabilité dans ses rapports avec Monsieur [N], »

-Mme [D] :

« REJETER toute argumentation relative à la remise en cause du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires du 24 avril 2018, ce dernier n'ayant pas été remis en cause dans les formes et délais requis par l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 ; »
étant au surplus relevé que M. [N] ne formule dans son dispositif, dont seul le tribunal est saisi, aucune demande de nullité de ce procès-verbal ;

« CONSTATER en particulier la régularité des pare-vues installés par Madame [U] [D] en ce que ces derniers ont été expressément autorisés (i) par la copropriété aux termes du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires en date du 24 avril 2018 ainsi que (ii) par la Mairie de Paris aux termes d'une déclaration préalable en date du 7 janvier 2019 régulièrement affichée par Madame [D] »

« CONSTATER l'absence d'un quelconque trouble anormal de voisinage »

« DIRE que les travaux effectués par Monsieur [F] [N] sont irréguliers en ce qu'ils n'ont jamais été autorisés »

« CONSTATER la particulière mauvaise foi de Monsieur [N] qui a occupé irrégulièrement une partie du toit terrasse pendant plus de 10 années et qui a fait installer plusieurs aménagements (incluant l'installation de plusieurs pare-vues similaires à ceux de Madame [D]) au sein de sa terrasse sans jamais solliciter la moindre autorisation de la copropriété ou de la Mairie de Paris ; »

« CONSTATER l'usage abusive de la procédure civile dans cette affaire »

Sur la demande de jonction

M. [N] sollicite la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 21/00751 et 19/07240. Cette jonction ayant déjà été ordonnée par mention au dossier le 05 mai 2021, cette demande est par conséquent sans objet.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Sur la demande d'expertise

M. [N] demande, à titre principal, la réalisation d'une mesure d'expertise avec mission confiée à l'expert de donner son avis sur la réalité du trouble de voisinage subi en raison de l'installation de pare-vues métalliques, provoquant l'obstruction de la perspective dégagée dont il bénéficiait auparavant depuis sa terrasse.

Il explique en effet que les consorts [K] et [R], également voisins de Mme [D], subissent les mêmes troubles et qu'ils ont sollicité et obtenu la désignation d'un expert, dont le rapport a été déposé le 20 décembre 2021. Il précise qu'il se trouve dans une situation parfaitement similaire à la leur et que ce rapport vient donc contredire l'ordonnance du juge de la mise en état ayant rejeté sa précédente demande d'expertise.

Il précise en effet que ce rapport vient établir la perte de vue subie par MM. [K] et [R] et qu'il est donc amené, dans ces conditions, à solliciter la désignation d'un expert judiciaire devant la juridiction du fond.

Il relève en effet que l'ordonnance rejetant sa précédente demande indiquait que la nécessité d'une mesure d'expertise ne paraissait pas s'imposer et que le tribunal statuant au fond disposait, en tout état de cause, de la possibilité d'en prononcer une si elle lui paraissait nécessaire à la solution du litige.

Mme [D] s'oppose à cette demande en faisant valoir que le juge de la mise en état l'a rejetée en considérant qu'elle n'était pas nécessaire, que l'expertise ordonnée dans l'instance l'opposant à MM. [K] et [R] a été autorisée car elle ne s'y était pas opposée pour ne pas alourdir la procédure et qu'il était loisible à M. [N] de solliciter cette mesure avant même d'engager un procès, la présente juridiction n'ayant pas à suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.

Le syndicat des copropriétaires considère également qu'en sollicitant cette mesure, M. [N] cherche à pallier son échec à rapporter la preuve du trouble allégué et qu'il ne peut prétendre qu'une expertise serait aujourd'hui nécessaire alors qu'il considérait que tel n'était pas le cas auparavant, et ce d'autant que le juge de la mise en état a déjà rejeté cette demande dont il n'a pas été interjeté appel.

Il indique par ailleurs que M. [N] n'a de cesse de faire état d'une expertise judiciaire diligentée dans un autre dossier, concernant les mêmes faits mais opposant d'autres parties, dans laquelle l'expert procède uniquement à des constatations sur la perte de vue, laquelle - à la supposer établie - peut être réalisée par huissier, plusieurs constats ayant ainsi déjà été établis par le demandeur.

En l'espèce, M. [N] sollicite une expertise judiciaire afin d'établir la réalité de l'obstruction de la vue dont il bénéficiait depuis sa terrasse avant l'installation de pare-vues métalliques par Mme [D].

Une mesure d'expertise se justifie toutefois dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments pour statuer.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
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Or, comme relevé à juste titre par le syndicat des copropriétaires, les opérations d'expertise dont se prévaut M. [N] ont consisté pour l'expert à décrire la configuration des lieux, à réaliser des prises de photographies et à citer les documents administratifs obtenus par Mme [D], soit autant d'éléments dont dispose déjà la présente juridiction puisque M. [N] verse aux débats plusieurs clichés photographiques des lieux et constats d'huissier et que Mme [D] produit pour sa part l'autorisation administrative du 07 janvier 2019.

La mesure d'expertise sollicitée n'apparaît donc pas nécessaire, la juridiction du fond disposant d'éléments suffisants pour trancher le litige qui lui est soumis.

M. [N] est par conséquent débouté de sa demande.

Sur les régimes de responsabilités

M. [N] recherche la responsabilité de Mme [D] sur le fondement des articles 544, 1240, 1245 du code civil, de la théorie prétorienne des troubles anormaux du voisinage ainsi que sur le fondement de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965.

Il recherche également la responsabilité du syndicat des copropriétaires non seulement sur le fondement des articles 1240 et 1245 du code civil et de la théorie prétorienne des troubles anormaux du voisinage, mais également sur celui des articles 14 à 25 b de la loi du 10 juillet 1965, en expliquant que s'agissant de travaux réalisés sur une partie commune à jouissance privative, il est, en sa qualité de gardien des parties communes, nécessairement concerné par le litige.

Il convient tout d'abord de relever que M. [N] se contente de citer les articles 1240 et 1245 du code civil, sans expliquer en quoi les conditions de mise en jeu de ces régimes de responsabilité sont en l'espèce réunies, étant au surplus relevé que l'article 1245 du code civil qui dispose que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime » apparaît sans lien avec le présent litige.

Il s'ensuit que la responsabilité de Mme [D] ne peut être recherchée que sur le fondement du trouble anormal de voisinage et de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui prévoit que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble. »

S'agissant de la mise en jeu de la responsabilité du syndicat des copropriétaires sur le fondement de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, ce dernier fait valoir que si la rédaction de l'article, issue de la réforme du 30 octobre 2019, indique qu'il est désormais responsable des dommages causés aux copropriétaires trouvant leur origine dans les parties communes, cela ne signifie pas pour autant qu'il est responsable dès lors que le lieu dont provient le dommage est une partie commune mais uniquement, s'agissant d'une responsabilité objective, que si ces parties communes sont la cause du dommage.

Or, il indique qu'en l'espèce, à le supposer établi, le dommage est exclusivement causé par les aménagements privatifs de Mme [D] sur les parties communes, de telle sorte que sa responsabilité sur ce fondement ne peut être retenue.

Cependant, l'assignation ayant été délivrée en 2019, c'est donc l'article 14 dans sa rédaction antérieure à la réforme précitée qui s'applique, lequel prévoyait que le syndicat des copropriétaires « est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ».

Dans la mesure où le litige porte sur une perte de vue qui ne trouve nullement son origine dans un vice de construction ou un défaut d'entretien des parties communes, les conditions d'application de ce régime de responsabilité ne sont pas réunies.

Aux termes de l'article 25 b de la loi du 10 juillet 1965, « ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant :
(...)
b) L'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci. »

L'assemblée générale du 24 avril 2018 étant définitive, les critiques et les développements de M. [N] portant sur la régularité de la résolution n°9 adoptée lors de cette assemblée générale sont donc inopérantes et cette disposition ne peut fonder son action en responsabilité à l'encontre du syndicat des copropriétaires.

Enfin, M. [N], qui mentionne les « articles 14 à 25 b de la loi du 10 juillet 1965 », fonde donc son action non seulement sur l'article 14 et l'article 25b mais également sur tous ceux compris entre ces deux articles.

Or, il n'appartient pas au tribunal de choisir parmi tous ces articles le fondement sur lequel M. [N] souhaite diriger son action à l'encontre du syndicat des copropriétaires, étant au surplus relevé que la plupart apparaissent sans lien avec le présent litige et ne sont pas susceptibles de constituer le fondement de la mise en jeu de la responsabilité du syndicat des copropriétaires.

La responsabilité du syndicat des copropriétaires ne peut donc être recherchée que sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage.

Sur le trouble anormal de voisinage

Aux termes de l'article 544 du code civil, « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Il s'en déduit ainsi que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage et il appartient à celui qui l'invoque d'établir le caractère excessif du trouble allégué par rapport aux inconvénients normaux du voisinage.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Pour ce faire, aucune preuve de la faute du voisin n'est à rapporter, s'agissant d'un mécanisme de responsabilité objective, tout voisin « occasionnel » occupant matériellement ou pas le fonds étant présumé responsable.

Cette action suppose ainsi la réunion de deux conditions : une relation de voisinage et un trouble anormal en lien direct avec le fait du voisin, ce dernier pouvant s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de l'absence de lien direct entre le trouble et son fait.

En l'espèce, M. [N] explique que lors de l'assemblée du 24 avril 2018, les copropriétaires ont adopté la résolution n°9 relative à la fois au droit de jouissance exclusif accordé à Mme [D], portant sur la partie de toit située au-dessus de son lot, et à l'autorisation de réaliser divers aménagements sur cette partie commune, Mme [D] ayant ainsi installé des pare-vues métalliques, ce qui a eu pour effet d'obstruer la vue dégagée dont il bénéficiait auparavant depuis sa propre terrasse et qui constitue un des agréments importants de cette dernière.

Il indique en effet que son lot dispose d'un accès à une terrasse, qualifiée de privative dans son titre de propriété, située au dernier étage de l'immeuble dénommé [Adresse 1] et que cet intitulé, qui induit une vue s'étendant au loin, reflète ainsi l'identité visuelle et les caractéristiques de l'immeuble, la possibilité de bénéficier de ce fait d'une vue dégagée au loin ayant motivé son acquisition.

Il précise que la partie du toit dont il ne dispose pas est occupée par les systèmes techniques de l'immeuble de telle sorte qu'il ne pouvait s'attendre lors de son acquisition, comme le soutient Mme [D], que cette partie de la terrasse subisse un jour un aménagement ayant pour effet de modifier la vue dont il jouissait jusqu'alors.

Il justifie ainsi le trouble subi au moyen de constats d'huissier, réalisés avant et après travaux, et des conclusions du rapport d'expertise réalisé dans l'instance opposant Mme [D] à d'autres voisins, MM. [K] et [R], dont il indique qu'ils subissent également une perte de vue en raison de ses installations.

Il précise à cet égard qu'à la suite de l'assignation qu'ils lui ont fait délivrer, Mme [D] a modifié l'implantation des pare-vues en les positionnant désormais dans le sens de la longueur, et non plus de la hauteur, soit à une position très inférieure permettant ainsi de restituer mais pour partie seulement la vue dont MM. [K] et [R] bénéficiaient auparavant.

Il considère que ce faisant, Mme [D] a donc reconnu la réalité de la perte de vue dénoncée par MM. [K] et [R] mais qu'elle n'a en revanche rien fait le concernant, alors qu'il se trouve dans une situation parfaitement similaire.

Il relève de plus que Mme [D], qui se prévaut d'une autorisation administrative pour ses travaux, fait ainsi état de la deuxième version du projet, qui a donné lieu à une décision des services administratifs postérieurement à la tenue de l'assemblée générale lui ayant accordé l'autorisation de travaux.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

En tout état de cause, il fait valoir que même si ces travaux ont été autorisés, il n'en demeure pas moins que l'autorisation administrative ne vaut que sous réserve du respect des droits des tiers et qu'en l'espèce, la perte de vue dénoncée, qui entraîne une nette perte d'agrément de sa terrasse et déprécie la valeur de son appartement, constitue, contrairement à ce que soutient Mme [D], un trouble anormal du voisinage.

Il considère en effet que les jurisprudences dont elle se prévaut sont inapplicables puisque le présent litige ne concerne pas l'édification d'une construction, la densité urbaine invoquée étant ainsi hors de propos, mais l'installation de pare-vues, structures démontables, sur une terrasse, pour laquelle la vue offerte constitue un argument majeur et recherché comme tel.

Il sollicite par conséquent la condamnation de Mme [D], sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du présent jugement, à déposer ces pare-vues.

M. [N] recherche également la responsabilité du syndicat des copropriétaires en considérant que même s'il n'est pas à l'origine de cette installation, cela ne saurait pour autant l'exonérer de sa responsabilité dans la mesure où elle a été réalisée sur les parties communes dont il est le gardien.

Il rappelle ainsi que la jurisprudence a eu l'occasion de préciser qu'en cas de désordres en provenance d'un défaut d'entretien d'une partie commune à jouissance privative, la responsabilité délictuelle du syndicat des copropriétaires pouvait être engagée aux côtés de celle du copropriétaire titulaire de la jouissance.

Le syndicat des copropriétaires soutient tout d'abord que M. [N] ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice subi.

Il explique en effet que la photo figurant dans le constat d'huissier démontre que la vue sur [Localité 7] reste limitée, la prise ayant nécessité un zoom, qu'il n'existe pas de trouble anormal de vue, plus particulièrement en cette zone urbaine, et que M. [N] n'a acquis la jouissance privative de la terrasse qu'il occupait illégalement que postérieurement aux travaux réalisés par Mme [D].

Il soutient ensuite qu'il ne peut être tenu de mettre fin à un trouble dont il n'est pas l'auteur alors que M. [N] ne conteste pas que le trouble n'est causé que par les pare-vues installés par Mme [D], le fait qu'il soit gardien des parties communes étant inopérant. Il explique en effet que le trouble invoqué ne tient pas à une nuisance provoquée par une partie commune mais à l'usage fait par Mme [D] du droit de jouissance exclusif dont elle dispose.

S'agissant de la demande de condamnation à prendre toute mesures en vue de solliciter cette dépose, il considère cette demande sans objet car, à supposer que le trouble de voisinage soit établi, son action serait inutile puisque M. [N] a déjà introduit une action afin que Mme [D] soit condamnée à démonter ses pare-vues.

Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

En tout état de cause, il indique d'une part, qu'il peine à comprendre quelles seraient les mesures qu'il pourrait prendre, y compris sur le terrain judiciaire, qui ne seraient pas déjà « pendantes » devant la juridiction de céans et, d'autre part, qu'il ne saurait être condamné, sous astreinte, à une obligation de faire indéterminée, M. [N] sollicitant sa condamnation à « prendre toutes dispositions y compris sur le terrain judiciaire », sans plus de précision.

Mme [D] explique pour sa part qu'elle a été autorisée par l'assemblée générale à effectuer des aménagements sur le toit-terrasse de l'immeuble et que, par décision du 07 janvier 2019, elle a obtenu de la direction de l'urbanisme de la mairie de Paris une déclaration préalable de travaux qui prévoit bien l'installation d'un garde-corps et d'un pare-vue, de telle sorte que cette installation est parfaitement régulière.

Elle soutient que M. [N] ne dispose pas d'un droit acquis à la vue, sauf à ce que les règles d'urbanisme prévoient l'interdiction de dépasser une certaine hauteur afin de la préserver, la privation de vue ne constituant cependant pas un motif suffisant pour refuser une autorisation d'urbanisme.

Elle considère donc que M. [N], dont le titre de propriété ne lui confère aucun droit à la vue attachée à son lot de copropriété, ne peut donc prétendre à l'immutabilité de ses avantages individuels, notamment dans une zone urbaine constituée de nombreux immeubles.

Au moyen de plusieurs jurisprudences ayant considéré que la perte de vue et d'ensoleillement résultant de l'implantation d'un bâtiment ne constitue pas un trouble anormal du voisinage, dès lors que le trouble n'est que la conséquence inévitable de l'urbanisation, elle soutient donc que la seule perte de vue, même importante, n'est pas suffisante pour constituer un trouble anormal de voisinage.
En effet, elle indique que l'immeuble est situé en zone urbaine, dans le [Localité 3], que l'expert a constaté que les dimensions des pare-vues, d'une hauteur de 1,80 mètres, sont régulières et habituelles, qu'ils n'entraînent aucune perte d'ensoleillement ou de luminosité et qu'il n'existe aucune infraction à une quelconque règle d'urbanisme.

Elle fait également valoir que M. [N], qui ne disposait pas de la jouissance privative de l'ensemble du toit-terrasse, aurait légitimement pu s'attendre, lors de son acquisition, à ce que la partie restante du toit soit un jour ou l'autre aménagée, entraînant par conséquent une modification de la vue offerte.
Elle considère ainsi qu'il ne peut lui reprocher la configuration des lieux et qu'il est parfaitement normal qu'ayant obtenu la jouissance exclusive d'une partie du toit-terrasse, elle ait souhaité installer des pare-vues pour séparer son espace de celui de son voisin et ainsi préserver un minimum d'intimité.

Il ressort des pièces produites que le lot de M. [N] et celui de Mme [D], situés tous deux aux cinquième et sixième étages, donnent chacun accès à une partie du toit de l'immeuble située juste au-dessus de leurs lots respectifs, pour laquelle Mme [D] bénéficie d'une jouissance exclusive, M. [N] disposant pour sa part d'une portion de terrasse qualifiée de partie privative dans son acte de propriété, et d'un droit de jouissance exclusif sur l'autre partie non comprise dans son lot.

Dans le constat effectué le 20 février 2019, l'huissier décrit ainsi la terrasse de M. [N] :
Décision du 05 avril 2024
8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

« je constate que l'appartement est situé sous toiture terrasse.
Puis je constate un escalier permettant l'accès en terrasse.
(…)
entre les deux lots, je constate un acrotère d'environ un mètre de hauteur laissant une vue dégagée sur [Localité 7], j'aperçois l'église [8] et la Tour Montparnasse.
Puis, sur le lot voisin, je constate une installation de VMC un moteur et des gaines et que le moteur est éloigné d'environ un mètre de son lot.
Puis depuis la voie publique je constate sur la façade de l'immeuble un panneau de déclaration préalable ».

Les photographies annexées au constat attestent de cette configuration des lieux avant les travaux contestés, à savoir que dans le prolongement de la terrasse de M. [N], soit dans la même perspective, séparée de son lot par un muret en briquettes surmonté d'un couronnement en bois largement ajouré, figure une autre partie de toit sur laquelle est disposée une VMC ainsi que plusieurs gaines positionnées à faible distance du sol, de telle sorte que ces équipements n'altèrent pas la vue offerte depuis la terrasse, la configuration des lieux permettant ainsi à toute personne se trouvant sur cette terrasse, située au dernier étage de l'immeuble, de disposer d'une vue dégagée, sans obstacle aucun, sur l'horizon et les monuments de [Localité 7].

Après réalisation des travaux litigieux, la configuration des lieux, telle que constatée par l'huissier requis le 07 septembre 2020, est désormais la suivante :
« depuis la terrasse de l'appartement du requérant, je constate que le lot est délimité par un muret en briques d'environ 1 m de hauteur avec couronnement en bois flanqué de deux tablettes carrelées type comptoir de bar.
Juste après ledit muret, je constate une succession de pare-vues métalliques de teinte rouille d'une hauteur d'environ 1,90 m.
Je constate que lesdits pare-vues sont installés sur une structure en teck, laquelle se prolonge jusqu'au niveau du rebord de façade.
Je relève que ladite structure en teck sur laquelle sont fixés les pare-vues est à fleur du rebord de façade.
Depuis la surface de la terrasse, je constate que la vue est obstruée par les pare-vues préalablement constatés. »

Mme [D], qui a en effet obtenu de l'assemblée générale un droit de jouissance exclusif de la partie du toit où se situe la VMC ainsi que l'autorisation de procéder à des aménagements, a ainsi ceint cette partie du toit, dont le côté jouxtant la terrasse de M. [N], de hautes plaques métalliques.

Il ne peut ainsi qu'être constaté, au vu des photographies jointes au constat, que le muret en briquettes séparant le bout de la terrasse de M. [N] de la partie dont Mme [D] a désormais la jouissance exclusive, et correspondant à l'emplacement où est installée la VMC, est désormais rehaussé de hautes plaques métalliques de couleur rouille, rivées entre elles, auquel se heurte le regard.

En effet, bien que ces pare-vues soient perforés en de nombreux endroits, laissant ainsi passer la lumière, il n'en demeure pas moins qu'ils empêchent toutefois le regard de se porter, comme auparavant, à l'horizon et forment ainsi une barrière visuelle infranchissable.

La perte de vue alléguée est ainsi caractérisée, ce que Mme [D] ne conteste pas au demeurant.
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8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Elle fait en effet valoir que « depuis la décision des coproprie?taires du 24 avril 2018, chacun dispose de la jouissance privative d'une partie du toit terrasse qu'il a pu aménager. Ces deux espaces sont séparés par notamment des pare-vues d'une hauteur de 1,80 mètres. Ladite séparation des espaces a eu pour effet de réduire la vue dont bénéficiait auparavant M. [F] [N]. », expliquant que « M. [N] bénéficiait d'une vue dégagée, depuis plus de 10 ans, pour la seule et unique raison que la partie du toit terrasse dont il n'a pas la jouissance n'était pas encore aménagée » et qu' « il est donc parfaitement normal que l'aménagement de la partie du toit terrasse de Madame [D] et sa séparation de la terrasse de Monsieur [N] ont eu pour effet de modifier la vue dont bénéficiait auparavant Monsieur [N] ».

Elle considère toutefois que cette perte de vue ne peut en aucun cas caractériser un trouble anormal de voisinage puisque cette situation prévisible ne pouvait être raisonnablement ignorée de M. [N] lors de son acquisition dans la mesure où, ne bénéficiant pas de la jouissance exclusive de la totalité du toit-terrasse, il devait donc s'attendre, à un moment ou à un autre, à la réalisation d'aménagements conduisant à une modification de la vue offerte, et ce d'autant qu'elle soutient qu'il n'existe aucun droit acquis à la vue, et encore moins en zone urbanisée, M. [N] ne pouvant donc lui reprocher la configuration naturelle des lieux ni prétendre à l'immutabilité de ses droits individuels.

Le syndicat des copropriétaires considère pour sa part « qu'il est indispensable de déterminer à partir de quel point de sa terrasse, Monsieur [N] aurait perdu une partie de sa vue car il n'a acquis la jouissance privative de la terrasse, qu'il occupait illégalement, que postérieurement aux travaux de Madame [D] », ajoutant en effet que M. [N] précise dans ses écritures « que ce n'est que depuis peu qu'il a entrepris diverses démarches en vue de régulariser l'acquisition de la jouissance exclusive ».

Toutefois, aux termes de la résolution n°9 adoptée lors de l'assemblée générale du 24 avril 2018, « l'assemblée donne son accord de jouissance exclusive de la partie de toit occupée à ce jour par M. [N] », sans qu'il ne soit prévu que l'exercice de cette jouissance exclusive soit conditionné au paiement du prix, la résolution indiquant simplement le montant de l'indemnité et que les frais de modificatif du règlement de copropriété seront à la charge exclusive des lots concernés, au prorata de la surface créée, l'assemblée donnant de plus mandat au syndic pour effectuer toutes les démarches administratives et notariales.

M. [N] bénéficiait donc, dès cette date, d'un droit de jouissance exclusif et donc avant la réalisation des travaux en 2019, peu important qu'il n'ait régularisé l'acquisition de ce droit que postérieurement, et ce d'autant que la résolution n°9 avait donné mandat au syndic, et non au copropriétaire concerné, « d'effectuer toutes les démarches administratives et notariales ».

Comme rappelé précédemment, la responsabilité de Mme [D] ne pourra être engagée que si est établi le caractère excessif du trouble allégué par rapport aux inconvénients normaux du voisinage, c'est-à-dire qu'il n'est qualifié d'anormal et n'ouvre droit à réparation que pour autant qu'il dépasse ce que M. [N] est tenu de supporter en termes d'inconvénients inhérents à toute vie en collectivité.

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8ème chambre 3ème section
N° RG 19/07240 - N° Portalis 352J-W-B7D-CQDM3

Ainsi, il est exact que la vue dont bénéficie un bien constitue un avantage nécessairement précaire et que nul ne dispose d'un droit acquis sur l'environnement, chacun pouvant s'attendre à être privé d'un avantage en fonction de l'évolution du contexte, notamment dans un milieu urbain, dense et constructible, le contraire aboutissant à rendre impossible toute évolution du tissu construit.

Tel est, au surplus, le sens des jurisprudences citées par Mme [D] aux termes desquelles la perte de vue résultant de l'édification de constructions en zone urbaine ne caractérise pas un trouble anormal de voisinage dans la mesure où il ne s'agit là que des conséquences inévitables de l'urbanisation progressive des grandes villes et de la concentration de constructions sur des terrains de modeste superficie.

Toutefois, comme relevé à juste titre par M. [N], ces jurisprudences concernent une perte de vue ou d'ensoleillement subie à l'intérieur d'une habitation et consécutive à l'édification d'une construction.

Or, l'appréciation du trouble subi se fait nécessairement in concreto et, en l'espèce, la perte de la vue subie par M. [N] ne peut être assimilée à la perte de la vue offerte depuis l'intérieur d'un logement.

En effet, bien que l'appartement de M. [N] se situe effectivement dans une zone fortement urbanisée et en constante mutation, le trouble qu'il subit n'est cependant pas dû à la perte de la vue auparavant offerte depuis l'intérieur de son logement en raison de l'édification d'un nouvel immeuble.

Elle ne résulte en effet que de l'installation par Mme [D], pour son confort personnel, de pare-vues opaques et démontables sur une terrasse dont le propre, au vu de sa configuration et de son emplacement sur le toit de l'immeuble haut de six étages, est d'offrir une vue dégagée, portant sur l'horizon et donnant de ce fait un sentiment d'espace, caractéristique d'autant plus appréciable et recherchée que le bien est justement situé en plein cœur de [Localité 7], soit dans un tissu urbain très dense.

Les aménagements réalisés par Mme [D], excèdent ainsi, du fait de l'atteinte portée aux caractéristiques de la terrasse de M. [N], ce que tout voisin est tenu de supporter en termes d'inconvénients de voisinage et apparaissent de ce fait générateurs de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, l'usage ainsi fait des parties communes ayant porté atteinte aux droits de M. [N].

La mise en jeu de la responsabilité sur ce fondement supposant que le trouble anormal soit en lien direct avec le fait du voisin, seule celle de Mme [D] peut par conséquent être retenue dans la mesure le trouble est causé par l'installation de pare-vues dont le syndicat des copropriétaires n'est pas à l'origine.

M. [N] est par conséquent débouté de l'ensemble des demandes qu'il formule à son encontre.

Dans la mesure où la dépose des pare-vues apparaît comme le seul moyen d'obtenir la cessation des troubles subis, il convient ainsi de faire droit à la demande de M. [N] et de condamner Mme [D] à procéder à leur enlèvement dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 50 euros par jour de retard durant une période de deux mois, passé lequel délai l'astreinte pourra courir de nouveau.
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Sur la demande de dommages et intérêts

M. [N], qui estime avoir subi un préjudice de perte de vue, sollicite le paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte d'agrément et de valeur de revente de son bien.

Mme [D] ne dit mot sur cette demande.

Comme relevé à juste titre par le syndicat des copropriétaires, M. [N] ne produit aucune pièce permettant de justifier du quantum du préjudice subi, étant au surplus relevé que la perte de valeur de revente de son bien n'est qu'hypothétique, aucune pièce n'attestant d'une mise en vente du bien ni même d'une simple volonté d'y procéder.

Il convient par conséquent de débouter M. [N] de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes reconventionnelles de Mme [D]

- sur la demande de remise en état

Mme [D] fait valoir que M. [N] « occupe non seulement depuis des années (avant juin 2022), sans droit ni titre, une partie de la terre d'une surface d'environ 15 m² mais y a même effectué des travaux d'aménagement sans jamais solliciter la moindre autorisation de l'assemblée des copropriétaires. »

Or, elle rappelle qu'un copropriétaire réalisant des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur sans avoir sollicité l'autorisation de l'assemblée générale s'expose au risque de démolition ou de remise des lieux en leur état antérieur et que l'action est ouverte tant au syndicat des copropriétaires qu'aux copropriétaires à titre individuel, lesquels ont en effet le droit d'exiger la cessation d'une atteinte aux parties communes sans avoir à prouver subir un quelconque préjudice personnel distinct de celui dont souffre la collectivité.

Elle sollicite par conséquent la condamnation de M. [N] à remettre sa terrasse dans la situation qui était la sienne avant la réalisation de ses travaux, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir.

M. [N] ne dit mot sur cette demande.

Aucun fondement n'est expressément indiqué et en l'absence de faute, de trouble anormal du voisinage ou de non respect de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 entraînant une atteinte aux droits des copropriétaires, Mme [D], ne peut qu'être déboutée de sa demande.

- sur la demande indemnitaire

Mme [D] évoque son état de santé induisant de lourds traitements médicaux et l'affectant énormément, et explique que c'est dans ce cadre qu'elle a entrepris d'aménager une partie du toit-terrasse pour « notamment y créer une terrasse végétalisée, fleurie et potagère et s'adonner à son entretien ».

Or, elle indique que le comportement de M. [N], parfaitement informé de sa situation personnelle, lui a causé un lourd préjudice moral puisque, sans avoir introduit aucun recours dans les délais requis, il semble néanmoins vouloir remettre en cause les décisions de l'assemblée générale de 2018 et a tenté, à plusieurs reprises, de faire pression sur elle pour qu'elle abandonne son projet, l'assignation délivrée avant même tout début des travaux comportant ainsi une dimension abusive incontestable.

Elle considère en effet que rien ne justifie l'introduction d'une procédure avant les travaux si ce n'est une utilisation abusive du « droit judiciaire » à des fins d'intimidation et de pression psychologique.

Elle en veut pour preuve que M. [N] l'a fait assigner une seconde fois en décembre 2020, soit environ un an et demi après, puis a demandé la jonction des deux procédures, alors que son action est manifestement dénuée de tout fondement, la simple perte de vue ne constituant pas un trouble anormal de voisinage.

Elle soutient enfin qu'il ferait preuve d'une mauvaise foi manifeste puisqu'il conteste les travaux que l'assemblée a toutefois autorisés alors que lui-même a réalisé divers aménagements sans avoir sollicité d'autorisation et a occupé, sans droit ni titre, une partie de la terrasse pendant plusieurs années.

Au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, qui prévoit que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés », elle demande donc sa condamnation à lui régler la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Cependant, dans la mesure où il a été fait droit à la demande de M. [N], son action n'apparaît nullement abusive et Mme [D] ne peut qu'être déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes

Partie perdante, Mme [D] est condamnée aux dépens de la présente instance.

Tenue aux dépens, elle est également condamnée à régler à M. [N] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles. Le sens de la décision conduit à débouter Mme [D] de sa demande formulée à ce titre.

Le syndicat des copropriétaires qui formule uniquement une demande à l'encontre de M. [N] est, de ce fait, également débouté de sa demande.

Au vu de l'ancienneté du litige, il convient d'ordonner l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE M. [F] [N] de sa demande d'expertise judiciaire ;

DÉBOUTE M. [F] [N] de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre du syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] ;

CONDAMNE Mme [U] [D] à déposer les pare-vues métalliques installés sur la portion de toit pour laquelle elle bénéficie d'un droit de jouissance exclusif, dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement puis sous astreinte de 50 euros par jour de retard, durant une période de deux mois, passé lequel délai l'astreinte pourra courir de nouveau ;

DÉBOUTE M. [F] [N] de sa demande indemnitaire ;

DÉBOUTE Mme [U] [D] de sa demande de remise en état et de sa demande indemnitaire ;

CONDAMNE Mme [U] [D] aux dépens de la présente instance ;

CONDAMNE Mme [U] [D] à régler à M. [F] [N] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

DÉBOUTE Mme [U] [D] et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles ;

ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 05 avril 2024

Le greffierLa présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 19/07240
Date de la décision : 05/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-05;19.07240 ?
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