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02/04/2024 | FRANCE | N°18/02204

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 4ème chambre 1ère section, 02 avril 2024, 18/02204


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




4ème chambre 1ère section

N° RG 18/02204
N° Portalis 352J-W-B7C-CML54

N° MINUTE :



Assignation du :
15 Février 2018









JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDEUR

CONSEIL DEPARTEMENTAL DU RHÔNE DE L’ORDRE DES MEDECINS
[Adresse 8]
[Localité 5]
représenté par Me Jérôme CAYOL de la SELAS CAYOL CAHEN TREMBLAY & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0109<

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DÉFENDERESSE

S.A.S. OPTICAL CENTER
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée par Me Antoine AREBALO-CAMUS de la SELEURL SELARLU GRENO, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0490


COM...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

4ème chambre 1ère section

N° RG 18/02204
N° Portalis 352J-W-B7C-CML54

N° MINUTE :

Assignation du :
15 Février 2018

JUGEMENT
rendu le 02 Avril 2024
DEMANDEUR

CONSEIL DEPARTEMENTAL DU RHÔNE DE L’ORDRE DES MEDECINS
[Adresse 8]
[Localité 5]
représenté par Me Jérôme CAYOL de la SELAS CAYOL CAHEN TREMBLAY & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0109

DÉFENDERESSE

S.A.S. OPTICAL CENTER
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée par Me Antoine AREBALO-CAMUS de la SELEURL SELARLU GRENO, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0490

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
Pierre CHAFFENET, Juge

assistés de Nadia SHAKI, Greffier,

Décision du 02 Avril 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 18/02204 - N° Portalis 352J-W-B7C-CML54

DÉBATS

A l’audience du 12 Décembre 2023 tenue en audience publique devant Madame DETIENNE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe au 27 Février 2023, délibéré prorogé au 2 Avril 2024
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Au cours de l'année 2016, la société Optical Center (SAS), enseigne d’optique implantée sur le territoire national et à l’étranger, a créé à [Localité 10], [Adresse 3], un établissement dénommé « Clinique Optical Center » dans lequel sont pratiqués des actes de chirurgie réfractive par des médecins ophtalmologistes salariés de la société.

Après avoir déposé plainte pour exercice illégal de la médecine entre les mains du procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon et saisi les instances disciplinaires d'une plainte à l'encontre du docteur [F] [K], salariée au sein de la « clinique », le conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins (ci-après le CDOM) a, par acte d’huissier de justice délivré le 15 février 2018, fait assigner la société Optical Center devant le tribunal de grande instance de Paris en invoquant des actes de concurrence déloyale à l'égard de la profession médicale.

Par ordonnance en date du 29 janvier 2019, le juge de la mise en état a débouté la société Optical Center de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l’issue des procédures disciplinaire (décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, saisie en appel par le CDOM, des manquements commis par le docteur [K]), pénales (plainte déposée par le CDOM entre les mains du procureur de la République de Lyon et saisine de l'Autorité de la concurrence par la société Optical Center) et administrative (procédure initiée par la société Optical Center devant le tribunal administratif de Lyon aux fins d'être indemnisée du préjudice résultant des décisions du CDOM) en cours entre les parties. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 8 novembre 2019.

S'agissant de ces procédures, par arrêt du 1er juin 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la demande d'indemnisation formée par la société Optical Center en réparation du préjudice résultant des diverses décisions prises par le CDOM à son encontre considérant notamment que si la chirurgie réfractive peut être exercée au sein de structures autres qu’un établissement de santé, ce n'est qu’ « à la condition toutefois que cette activité ait été autorisée par l’agence régionale de santé et satisfasse aux conditions précisées notamment par les articles D.6124-30-1 et suivants du code de la santé publique ». Un pourvoi a été formé à l'encontre de cet arrêt.

Par décision du 8 mars 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a prononcé un avertissement à l'encontre du docteur [K]. Cet arrêt a lui aussi fait l'objet d'un pourvoi.

Par arrêt du 30 juin 2022, la cour d'appel de Paris a rejeté le recours formé par la société Optical Center à l'encontre de la décision de l'Autorité de la concurrence n°20-D-20 du 2 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie réfractive par le CDOM. La société Optical Center faisait valoir que, sous couvert d'incompatibilités déontologiques, le CDOM avait mis en œuvre une pratique de boycott se traduisant par une attitude générale de blocage de son activité de chirurgie réfractive, par la prise de décisions arbitraires, et par des pressions exercées sur les chirurgiens ophtalmologues, avec pour but d'interdire l'accès au marché à un nouvel acteur.

La plainte déposée par le CDOM entre les mains du procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon pour exercice illégal de la médecine a, quant à elle, été classée sans suite pour « absence d'infraction ».

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 12 septembre 2022, le CDOM demande au tribunal de :
« Vu les articles 31 et 122 du code de procédure civile,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l'article L. 4122-1 du code de la santé publique,
Vu l'article L. 4121-2 du code de la santé publique,
Vu l'article R. 4127-19 du code de la santé publique,
Vu l’article R. 4137-13 du code de la santé publique,
Vu l’article R. 4127-20 du code de la santé publique,
Vu l’article R. 4127-23 du code de la santé publique,
Vu l’article R. 4127-25 du code de la santé publique,
Vu l’article R. 4127-30 du code de la santé publique,
Vu la Directive Européenne 1984,
- DECLARER le Conseil Départemental du Rhône de l’Ordre des Médecins recevable et bien fondés en son action ;
- DIRE ET JUGER que la société OPTICAL CENTER a commis des actes de concurrence déloyale à l’égard de la profession médicale ;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER à payer dix mille euros à titre de dommages et intérêts au Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins du Rhône en réparation de son préjudice ;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER à cesser la diffusion de plaquette publicitaire portant sur des actes de chirurgie réfractive sous astreinte de mille euros par plaquette diffusée;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER à cesser de publier toute offre de prestation portant sur l’exécution d’actes de chirurgie réfractive sous astreinte de mille euros par jour et par infraction constatée ;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER à cesser toute communication sur son site internet concernant une activité de chirurgie réfractive sous astreinte de mille euros par jour et par infraction constatée ;
- REJETER l’intégralité des demandes présentées par la société OPTICAL CENTER ;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER à payer au Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins la somme de dix mille euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

- ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et toute voie de recours ;
- CONDAMNER la société OPTICAL CENTER en tous les dépens dont distraction au profit de la SELAS CAYOL CAHEN TREMBLAY et ASSOCIÉS. ».

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 4 juillet 2022, la société Optical Center demande au tribunal de :
« Vu l’article 31 du Code de procédure civile,
Vu l’article L. 4121-1, L.4121-2, L.4123-1, L.4112-1, L.4112-3, L.4113-9, L.4113-11, L.4123-2, L.4122-1 du Code de la Santé Publique,
Vu l’article 1240 du Code Civil,
Vu les articles R.4127-5, R. 4127-13, R.4127-19, R.4127-19-1, R. 4127-20, R.4127-23, R.4127-25, R.4127-30 du Code de la santé publique,
Vu les articles L 6122-1, L.6122-25, L.6124-4, D.6124-91, D. 6124-301-1, D.6124-302 du Code de la santé publique,
Vu l’instruction n°DGOS/R/2010/201 du 15 juin 2010 relative aux conditions de facturation d’un groupe homogène de séjour
Vu l’annexe 1 à l’instruction N°DGOS/R1/1A/2020/52 du 10 septembre 2020 relative à la gradation des prises en charge ambulatoires réalisées au sein des établissements de santé ayant des activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie ou ayant une activité d’hospitalisation à domicile,
Vu les articles 49 et 56 du TFUE,
Vu la décision de la Chambre disciplinaire de Première instance de l’Ordre des médecins de Rhône Alpes du 5 septembre 2018,
Vu la décision de classement sans suite par le Parquet de LYON de la plainte pour exercice illégal de la médecine déposée par le CDOM 69 à l’encontre de la société OPTICAL CENTER,
Vu le courrier du Ministère de la santé du 9 juillet 2015 adressé à la société OPTICAL CENTER, Vu le courrier de l’Agence Régionale de Santé du 29 décembre 2016 adressé à la société OPTICAL CENTER
Vu la décision de la Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre des Médecins du 8 mars 2022,
Vu le Mémoire du Ministre de la Santé déposé dans le cadre de l’instance d’appel sur la décision de rejet de la plainte de la société OPTICAL CENTER devant l’Autorité de la concurrence,
DIRE ET JUGER que le CDOM 69 ne justifie pas d’un intérêt légitime à invoquer d’éventuels manquements déontologiques résultant d’un contrat de travail qu’il a implicitement validé,
DIRE ET JUGER que le CDOM 69 ne justifie pas d’un intérêt légitime à se prévaloir de dispositions du Code de la santé publique abrogées en cour d’instance comme illégales depuis un arrêt de la CJUE antérieur à la délivrance de l’acte introductif,
DIRE ET JUGER que le CDOM 69 ne justifie pas d’un intérêt légitime à faire sanctionner des situations qu’il tolère depuis des années à l’initiative des centres de chirurgie réfractive concurrents de la société OPTICAL CENTER sauf caractériser une rupture d’égalité au détriment de cette dernière,
DIRE ET JUGER que le CDOM 69 ne justifie pas d’un intérêt légitime à se positionner en régulateur du marché de la chirurgie réfractive, sa mission de service public étant circonscrite au respect de la déontologie,

DIRE ET JUGER à ce titre que le CDOM 69 ne justifie d’aucun intérêt légitime et qu’il n’a pas non plus qualité à faire juger que la société OPTICAL CENTER ne bénéficierait pas d’une autorisation de l’Agence Régionale de Santé prétendument requise pour l’exercice de la chirurgie réfractive alors même que les Autorités de tutelle seules compétentes pour les délivrer et le cas échéant intervenir pour faire cesser les activités non autorisées ont confirmé à la défenderesse en amont du lancement de son activité qu’aucune autorisation n’était nécessaire et qu’elles n’ont pas à ce jour révisé leur position,
DIRE ET JUGER encore que le CDOM 69 ne rapporte pas la preuve ni même n’allègue d’un quelconque déplacement effectif de clientèle au bénéfice du médecin salarié de la société OPTICAL CENTER en lien avec les griefs déontologiques qu’il invoque,
DIRE ET JUGER par ailleurs que le CDOM 69 ne justifie d’aucun intérêt légitime à la cessation sous astreinte de situations telles qu’il les présente actuellement de manière générale, absolue, définitive et perpétuelle en particulier s’agissant des actions de communication quels qu’en soient les supports initiées par la société OPTICAL CENTER,
En conséquence,
DIRE ET JUGER que le CDOM 69 est irrecevable en ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
DIRE ET JUGER que les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins n’ont à ce stade caractérisé aucun manquement déontologique résultant des situations invoquées par le CDOM 69 dont la plainte à été rejetée par la Chambre disciplinaire de première instance de Rhône Alpes,
En conséquence,
DEBOUTER le CDOM 69 de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
A titre plus subsidiaire encore,
INTERROGER le cas échéant la CJUE à titre préjudiciel sur le point de savoir si les nouvelles dispositions de l’article R.4127-19-1 du Code de la santé publique telles qu’interprétées par le CDOM 69 en ce qu’elles permettraient le maintien de la jurisprudence antérieure n’autorisant la publicité relative à des actes médicaux que la seule diffusion d’informations strictement objectives et non promotionnelles est conforme au droit de l’Union européenne,
DIRE ET JUGER en tout état de cause que ni la plaquette informative de la société OPTICAL CENTER concernant son activité de chirurgie réfractive ni son tract informatif ni encore les mentions de son site internet dédiées à cette même activité ne contreviennent aux nouvelles dispositions applicables à la publicité des actes de soins,
DIRE ET JUGER encore que l’offre de chirurgie réfractive proposée par la société OPTICAL CENTER ne contrevient pas à l’interdiction déontologique d’exercer la médecine dans des locaux commerciaux,
DIRE ET JUGER encore que le recrutement par la société OPTICAL CENTER de médecins ophtalmologistes pour pratiquer en son sein des actes de chirurgie réfractive n’est pas contraire au principe d’indépendance
DIRE ET JUGER encore que cette même situation ne caractérise guère plus une situation de compérage prohibée par le Code de déontologie médicale,
CONSTATER par ailleurs que la plainte pénale du CDOM 69 pour exercice illégal de la médecine a été classée sans suite par le Parquet de LYON au motif d’absence d’infraction,

DIRE ET JUGER par ailleurs qu’en l’état du droit, l’exercice de la chirurgie réfractive n’est soumise à aucun régime d’autorisation préalable de l’Agence Régionale de Santé,
CONSTATER en tout état de cause que les Autorités de tutelles avaient confirmé à la société OPTICAL CENTER en amont du lancement de son activité de chirurgie réfractive que celle-ci n’était soumise à aucune autorisation préalable, cette opinion individuelle étant nécessairement créatrice de droits au bénéfice de la défenderesse,
DIRE ET JUGER par ailleurs que la soumission de la chirurgie réfractive au régime d’autorisation préalable telle qu’elle résulterait d’un revirement de jurisprudence résultant d’un arrêt du 1er juin 2021 de la Cour administrative d’appel de LYON frappé de pourvoi actuellement toujours pendant devant le Conseil d’État, est illégale en l’état du droit positif,
DIRE ET JUGER que cette soumission nouvelle serait au demeurant contraire au droit européen et plus particulièrement aux dispositions des articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE),
INTERROGER le cas échéant la Cour de Justice à titre préjudiciel sur la conformité d’un tel régime pour la chirurgie réfractive avec les dispositions des articles 49 et 56 susvisés,
En conséquence,
DIRE ET JUGER que l’offre de chirurgie réfractive proposée par la société OPTICAL CENTER ne contrevient pas aux dispositions de l’article R.4127-30 du Code de la Santé Publique interdisant aux médecins « toute facilité accordée à quiconque se livre à l’exercice illégal de la médecine »,
DEBOUTER le CDOM 69 de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, CONDAMNER le CDOM 69 à payer à la société OPTICAL CENTER la somme de 15.000 Euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile
DIRE que le Jugement à intervenir ne sera pas assorti de l’exécution provisoire,
CONDAMNER le CDOM 69 en tous les dépens dont distraction au profit de l’AARPI LERINS & BCW ».

La clôture de la procédure a été prononcée le 6 décembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir « dire et juger » et « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

Sur la recevabilité

La société Optical Center fait valoir, en premier lieu, que le CDOM ne justifie pas d'un intérêt légitime à agir aux motifs :
- qu'il ne s'est pas opposé à la demande d’inscription à titre principal du docteur [K] et n'a pas émis d'avis défavorable à réception de son contrat de travail rectifié selon ses observations, le silence gardé pendant plusieurs mois constituant, selon la société, une validation implicite du contrat au regard des dispositions du code de déontologie,
- qu'il n’a adressé au docteur [K] ni mise en garde, ni injonction de cesser son activité alors qu'il était pleinement informé du fonctionnement de la « clinique »,
- qu'il n'a formulé aucune critique à l'égard des centres de chirurgie réfractive et ne leur a pas reproché de ne pas disposer d'autorisation pour exercer cette activité, violant ainsi le principe d’égalité,
- qu'il ne tient pas compte de l’opinion exprimée par l’agence régionale de santé (ARS) et le ministère de la santé quant à la nécessité de cette autorisation,
- que l'assignation introductive d'instance a été délivrée au visa de dispositions du code de la santé publique qui étaient considérées comme illégales par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et ont été abrogées en cours d’instance de sorte que les griefs qui avaient motivé la saisine du tribunal de céans sont aujourd’hui dépourvus de tout fondement juridique pertinent.

La société Optical Center prétend, en second lieu, que les demandes du CDOM sont irrecevables en raison de leur caractère général et absolu ainsi que de leur ambiguïté et de l’absence de tout lien de causalité établi, et même invoqué, entre les manquements déontologiques allégués et un déplacement de clientèle effectivement constaté alors que la constatation d’un tel déplacement constitue, selon elle, la condition préalable à toute action en concurrence déloyale fondée sur la violation d’une règle déontologique.

Le CDOM objecte qu'en application des articles L.4121-2 et L.4123-1 du code de la santé publique, il a qualité et intérêt à agir devant la juridiction civile dès lors que son action vise à défendre l’intérêt collectif de la profession médicale et qu'en l'espèce, son action tend à obtenir réparation d'agissements commis par la société Optical Center dans le département du Rhône qui sont contraires à la déontologie médicale et, partant, constituent des actes de concurrence déloyale à l'égard de la profession de médecin et à l'égard de la communauté des médecins qui ont fait le choix de ne pas être salariés au sein de l'établissement exploité par la société. Il prétend également que la question de savoir si l'activité de chirurgie réfractive exige une autorisation de l'ARS relève de l'examen au fond de ses demandes et est sans incidence sur leur recevabilité.

Sur ce,

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».

En application de l'article 31 du même code, « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé. ».

Il est par ailleurs de principe que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action.

Aux termes de l'article L.4121-2 du code de la santé publique, « L'ordre des médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes veillent au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, de l'art dentaire, ou de la profession de sage-femme et à l'observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l'article L.4127-1.
Ils assurent la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale, de la profession de chirurgien-dentiste ou de celle de sage-femme.
Ils peuvent organiser toutes oeuvres d'entraide et de retraite au bénéfice de leurs membres et de leurs ayants droit.
Ils accomplissent leur mission par l'intermédiaire des conseils et des chambres disciplinaires de l'ordre. ».

Selon l'article L.4123-1 du même code, « Le conseil départemental de l'ordre exerce, dans le cadre départemental et sous le contrôle du conseil national, les attributions générales de l'ordre, énumérées à l'article L. 4121-2.
(...)
Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession médicale, y compris en cas de menaces ou de violences commises en raison de l'appartenance à l'une de ces professions. (...)».

En l'espèce, en premier lieu, aucun des éléments invoqués par la société Optical Center tenant au comportement adopté par le CDOM à l'égard du docteur [K] et des centres de chirurgie réfractive, à l'absence de prise en compte de l'avis de l'ARS et du ministère de la santé et aux textes du code de la santé publique dont les dispositions ont été pour partie abrogées n'est de nature faire perdre au CDOM son intérêt à agir aux fins de voir sanctionner des manquements aux intérêts collectifs de la profession qu'il défend.

En deuxième lieu, il appartiendra au tribunal, dans le cadre de leur examen au fond, d'apprécier la façon dont sont formulées les demandes du CDOM et cette formulation n'a pas d'incidence sur la recevabilité de ces demandes. Il sera relevé au surplus que les demandes d'injonction que la société Optical Center critique dans ses écritures ne sont pas celles qui figurent au dispositif des dernières conclusions du CDOM qui seul saisit le tribunal.

En troisième lieu, l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre les fautes invoquées et un déplacement de clientèle effectivement constaté, ainsi que l’absence de caractérisation d'un tel déplacement ne constituent pas une condition de recevabilité de l'action du CDOM.

Dans ces conditions et dès lors que la société Optical Center n'oppose aucune autre fin de non-recevoir à l'action du CDOM, celle-ci sera déclarée recevable.

Sur le fond

Le CDOM fait valoir que la violation des règles déontologiques de la profession médicale constitue une faute civile de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale, quand bien même son auteur n’est pas médecin et n’est donc pas soumis à ces règles ; que la circonstance qu’une société permette à des médecins de s’affranchir de ces normes entraîne une situation de concurrence déloyale au détriment tant de la profession de médecin, que de la communauté des médecins qui ont fait le choix de ne pas travailler avec elle, et qu'en l'espèce, le mode de fonctionnement de l'établissement de la société Optical Center crée une rupture d’égalité au profit de ses médecins salariés qui bénéficient de facto de moyens et de services dont ils ne pourraient pas autrement se doter sans violer des règles déontologiques.

Il prétend également que le seul fait qu’une société viole une règle déontologique constitue un acte de concurrence déloyale, peu important que le médecin qu'elle emploie ou qui est son partenaire se mette directement en situation d'infraction ou ait été sanctionné disciplinairement ; que si la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a écarté une partie des manquements qu'il invoquait à l'encontre du docteur [K] pour ne retenir que celui relatif à la violation du principe d’indépendance professionnelle, elle a en revanche caractérisé la responsabilité de la société Optical Center dans la commission de ces infractions. Il relève au surplus que la décision de la chambre disciplinaire n'est pas définitive.

Il soutient encore que, contrairement à ce que prétend la société Optical Center, il n'a pas à justifier, par des données chiffrées, que la situation de concurrence déloyale est à l'origine d'un déplacement de clientèle, de telles données étant en pratique impossibles à obtenir, que le préjudice moral causé à la communauté des médecins qui ont fait le choix de ne pas être partenaires de la société Optical Center constitue, en soi, un impact négatif et qu'il y a nécessairement un déplacement de patientèle dès lors que le patient qui se rend au sein de l'établissement de la société pour une intervention de chirurgie réfractive n'est pas de fait pris en charge par un autre praticien.

Il reproche alors à la société Optical Center d'avoir violé plusieurs règles déontologiques.

La société Optical Center oppose que l’objectif poursuivi par la présente procédure n’est pas tant de faire sanctionner un ou plusieurs actes déloyaux que de remettre en cause en tant que telle l'offre de chirurgie réfractive qu'elle propose.

Elle fait valoir que l'attitude adoptée par le CDOM à l'égard du docteur [K] préalablement à la saisine des instances ordinales démontre que son contrat a été reconnu conforme à la déontologie médicale ; que les fautes invoquées dans le cadre de la présente procédure sont les mêmes que celles visées dans la plainte disciplinaire déposée à l'encontre de ce praticien ; que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, le 8 mars 2022, écarté la plupart des manquements reprochés et que si le docteur [K] a été sanctionnée pour avoir aliéné son indépendance professionnelle c'est en raison de la façon dont elle a répondu aux observations du CDOM et non en raison de son contrat de travail. Elle en conclut qu'à ce stade, les instances disciplinaires n’ont caractérisé aucun manquement à la déontologie médicale et prétend que leur appréciation s'impose au tribunal.

La société Optical Center affirme encore que l’action en concurrence déloyale pour rupture d’égalité fondée sur la violation d’une règle déontologique obéit à un régime spécifique et que la violation d'une telle règle ne présente un caractère fautif que si elle s’accompagne d’un effet négatif qui doit consister en un déplacement de clientèle au profit du professionnel indélicat et au détriment du professionnel victime ; qu'en l'espèce, le CDOM ne justifie pas d'un lien de causalité entre chacun des manquements déontologiques invoqués et un déplacement de clientèle effectivement déploré au préjudice des professionnels qu'il représente ; qu'il n'explique pas plus en quoi le docteur [K] aurait personnellement tiré avantage de ces manquements et d'un éventuel déplacement de clientèle.

Elle conteste également chacune des fautes invoquées par le CDOM.

Sur ce,

Il est de principe que si les sociétés commerciales ne sont pas soumises aux dispositions du code de déontologie médicale, elles peuvent engager leur responsabilité civile, au titre d’actes de concurrence déloyale, sur le fondement de l’article 1382, devenu l’article 1240 du code civil, en violant les dispositions de ce code.

Sur l'incidence de la procédure initiée à l'encontre du docteur [K]

Le CDOM critique le fonctionnement de l'établissement créé par la société Optical Center qui viole, selon lui, plusieurs règles déontologiques de la profession médicale et, partant, impute à la société Optical Center différents manquements en se référant aux conditions d'exercice de son activité et à celle des médecins qu'elle emploie. Il est constant qu'il fait état, à plusieurs reprises, de la situation du docteur [K] et que les règles déontologiques dont la violation est alléguée dans le cadre de la présente instance sont les mêmes que celles invoquées dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de ce praticien.

Cependant, en premier lieu, la société Optical Center ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que l'attitude adoptée par le CDOM avant la saisine des instances ordinales doit conduire à considérer que le contrat du docteur [K] a été reconnu conforme à la déontologie médicale. En effet, le CDOM a formulé des observations sur le projet de contrat transmis par le docteur [K] et son absence de réaction à la suite de la réception du contrat signé et du rendez-vous organisé avec le praticien et son conseil ne peuvent suffire pour caractériser une approbation implicite alors qu'il a, dans le même temps, initié une procédure disciplinaire.

En second lieu, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins ne s'est prononcée que sur la situation du docteur [K] et les manquements déontologiques qui lui étaient reprochés à titre personnel au regard de l'argumentation soutenue par le CDOM et le praticien et non sur les actes de concurrence déloyale imputés à la société Optical Center et l'argumentation spécifiquement développée par chacune des parties dans le cadre de la présente procédure.

C'est par conséquent à tort que la société Optical Center soutient que le tribunal est lié par l'appréciation des instances disciplinaires.

Sur la nécessité de caractériser un déplacement effectif de clientèle

C'est également à tort que la société Optical Center soutient que faute pour le CDOM de justifier d'un déplacement effectif de clientèle au préjudice des médecins qu'il représente, ses demandes ne peuvent pas prospérer. En effet, il convient de rappeler qu'un préjudice, fusse-t-il au moins moral, s'infère nécessairement d'une faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale ; que, dans le cas présent, le CDOM se prévaut de manquements déontologiques accomplis afin de promouvoir et développer l'activité de chirurgie réfractive de l'établissement de la société Optical Center et conduisant à présenter cette activité comme une activité commerciale ; que ces manquements sont de nature à attirer des patients intéressés par la chirurgie réfractive et partant à développer l'activité des médecins employés par la société ; qu'ils sont ainsi susceptibles d'avoir engendré une rupture d'égalité dans les conditions d'exercice de la profession au détriment de ceux de ses membres qui respectent les règles déontologiques en cause et d'avoir occasionné un préjudice moral à l'ensemble de la profession en portant atteinte à son image par l'assimilation de l’activité médicale à une activité commerciale.

Sur l'interdiction d'exercer la médecine comme un commerce et ses déclinaisons

Le principe selon lequel la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce constitue un principe essentiel de son exercice. Il est à l'origine de plusieurs règles édictées sous forme d'interdiction ou de prescription qui viennent en préciser la portée et s'imposent aux médecins dans leur exercice et l'organisation de leur activité. Ainsi en est-il des conditions dans lesquelles ceux-ci peuvent communiquer sur leur activité, de l'interdiction d'exercer dans des locaux commerciaux et de l'interdiction du compérage, manquements invoqués par le CDOM qu'il convient d'examiner successivement.

Sur la violation des règles applicables en matière de publicité

Le CDOM fait valoir que, même si les dispositions du code de la santé publique ont été modifiées depuis l'introduction de la présente procédure, il demeure interdit, par les articles R.4127-13, R.4127-19 et R.4127-20 du code de la santé publique, de pratiquer la médecine comme un commerce et pour un médecin de procéder à une publicité commerciale de son activité. Il considère qu'il n'y a pas lieu de poser de question préjudicielle sur l'article R.4127-19-1 du code de la santé publique dès lors que cet article, en tant qu’il ne constitue pas une interdiction générale de la publicité mais une interdiction de la seule publicité commerciale, est conforme au droit de l’Union européenne. Il soutient qu'en l'espèce, les communications effectuées par la société Optical Center par voie de presse, par voie électronique, par l'intermédiaire d'un livret publicitaire et de prospectus distribués au public ou envoyés par voie postale au mois de mars 2016 pour le lancement de son activité de chirurgie réfractive constituaient une publicité commerciale ; que la société Optical Center a également utilisé son fichier de clients pour démarcher de potentiels patients par « sms » et par téléphone et qu'elle a ainsi mis en œuvre des pratiques commerciales afin de faire connaître au public son activité. Il prétend que ces actions de communication ont bénéficié directement à la société Optical Center et indirectement aux médecins salariés qu'elle emploie en ce qu'elles ont permis de capter des patients au détriment des autres médecins auxquels sont interdites de telles pratiques commerciales non autorisées par la déontologie médicale.

La société Optical Center rappelle l'évolution des dispositions du code de la santé publique applicables en la matière et soutient que c'est dès 2017, à la suite de l'arrêt rendu par la CJUE le 4 mai 2017, que le droit français est devenu illégal de sorte que l'action du CDOM a été introduite sur le fondement de dispositions illégales ; que, désormais, il existe une liberté de principe des procédés de communication, simplement assortie de restrictions destinées à protéger les patients, et que, si le tribunal devait considérer, comme le CDOM, que le nouvel article R.4127-19-1 ne permet, s’agissant de la publicité relative à des actes médicaux, que la seule diffusion d’informations strictement objectives et non promotionnelles, il y aurait lieu de poser une question préjudicielle à la CJUE pour savoir si cet article est conforme au droit de l'Union.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, aucune des actions de communication dénoncées par le CDOM ne contrevient aux dispositions du code de la santé publique ; qu'elles ont été mises en œuvre pour informer la patientèle de son offre de chirurgie réfractive et qu'elles n’excèdent pas ce que font tous ses concurrents dans le respect de la réglementation applicable.

Sur ce,

Ainsi que le rappelle chacune des parties, par un arrêt du 4 mai 2017 (aff. C-339/15, tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, section correctionnelle, contre Luc Vanderborght), rendu à propos des poursuites engagées contre un dentiste auquel il était reproché d’avoir installé un panneau comportant trois faces imprimées, indiquant son nom, sa qualité de dentiste, l’adresse de son site internet ainsi que le numéro d’appel de son cabinet, d’avoir créé un site internet, destiné à informer les patients des différents types de traitement qu’il réalise au sein de son cabinet, et d’avoir inséré des annonces publicitaires dans des journaux locaux, la CJUE a dit pour droit que :
« 1) La directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales »), doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui protège la santé publique et la dignité de la profession de dentiste, d’une part, en interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires et, d’autre part, en fixant certaines exigences de discrétion en ce qui concerne les enseignes de cabinets dentaires.

Décision du 02 Avril 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 18/02204 - N° Portalis 352J-W-B7C-CML54

2) La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste.
3) L’article 56 TFUE [Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ] doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires. ».

Par un autre arrêt du 23 octobre 2018 (aff. C-296/18, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne contre RG et SELARL cabinet dentaire du docteur RG), la Cour de Luxembourg a de la même manière dit pour droit que : « L’article 8 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique"), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet. ».

Dans l'arrêt précité du 4 mai 2017, la CJUE a également dit pour droit que la protection de la santé est l’un des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services, de même que la protection de la dignité de la profession de dentiste est également de nature à constituer une telle raison impérieuse d’intérêt général, et que l’usage intensif de publicités ou le choix de messages promotionnels agressifs, voire de nature à induire les patients en erreur sur les soins proposés, est susceptible, en détériorant l’image de la profession de dentiste, en altérant la relation entre les dentistes et leurs patients, ainsi qu’en favorisant la réalisation de soins non appropriés ou non nécessaires, de nuire à la protection de la santé et de porter atteinte à la dignité de la profession de dentiste. La Cour en déduit qu’il doit être laissé aux États membres le soin de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint (CJUE, 4 mai 2017, aff. C-339/15, tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, section correctionnelle, contre Luc Vanderborght).

Dans une décision du 23 décembre 2020, le Conseil d’Etat a jugé que les stipulations de l'article 56 du TFUE « ne (faisaient) pas obstacle à ce que soit sanctionné, sur le fondement des règles et principes déontologiques applicables à sa profession, le fait, pour un professionnel de santé, de porter atteinte, par des procédés de publicité, aux exigences de la protection de la santé publique, de la dignité de sa profession, de la confraternité entre praticiens ou de la confiance des malades envers eux ».
L'article R.4271-19 du code de la santé publique dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 25 décembre 2020 prévoyait : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale. ».

Il résulte toutefois des développements qui précèdent et de l'obligation faite au juge national, chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire et d'en assurer le plein effet, que la première phrase du deuxième alinéa de l'article précité ne pouvait être utilement invoquée au soutien d'une action en concurrence déloyale comme étant contraire au droit de l'Union européenne.

Cet alinéa a d'ailleurs été abrogé dans son intégralité par le décret n°2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle.

Le décret précité a également créé l'article R.4271-19-1 du code de la santé publique, entré en vigueur le 25 décembre 2020, aux termes duquel :
« I. - Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice.
Cette communication respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques définies par la présente section. Elle est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose pas sur des comparaisons avec d'autres médecins ou établissements et n'incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte pas atteinte à la dignité de la profession et n'induit pas le public en erreur.
II. - Le médecin peut également, par tout moyen, y compris sur un site internet, communiquer au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique. Il formule ces informations avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et se garde de présenter comme des données acquises des hypothèses non encore confirmées.
III. - Les communications mentionnées au présent article tiennent compte des recommandations émises par le conseil national de l'ordre. ».

Les articles R.4127-13 alinéa 2 et R.4127-20 du même code dont la rédaction n'a pas été modifiée prévoient quant à eux que le médecin :
- « ne vise pas à tirer profit de son intervention dans le cadre de son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier des organismes au sein desquels il exerce ou auxquels il prête son concours ni à promouvoir une cause qui ne soit pas d’intérêt général » ;
- « ne doit pas tolérer que les organismes, publics ou privés, où il exerce ou auxquels il prête son concours utilisent à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle ».

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les conditions dans lesquelles un médecin communique des informations sur ses compétences et pratiques professionnelles, sur son parcours professionnel et sur ses modalités d’exercice ne doivent pas conduire à ce que l’exercice de la médecine puisse être perçu comme une activité commerciale.

Sur la transmission d’une question préjudicielle

Selon l'article 267 du TFUE « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. ».

Par un arrêt du 6 octobre 1982 (Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA contre Ministère de la santé, Aff. 283/81), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que :
« 13 Il y a lieu de rappeler a ce sujet que la cour a déclaré dans son arrêt du 27 mars 1963 (28 à 30/62, [I], recueil p . 75 ) que si l'article 177, dernier alinéa, oblige sans aucune restriction les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne à soumettre à la cour toute question d'interprétation soulevée devant elles, l'autorité de l'interprétation donnée par celle-ci en vertu de l'article 177 peut cependant priver cette obligation de sa cause et la vider ainsi de son contenu ; qu'il en est notamment ainsi quand la question soulevée est matériellement identique a une question ayant déjà fait l'objet d'une décision a titre préjudiciel dans une espèce analogue.
14 Le même effet , en ce qui concerne les limites de l'obligation formulée par l'article 177, alinéa 3, peut résulter d ' une jurisprudence établie de la cour résolvant le point de droit en cause , quelle que soit la nature des procédures qui ont donne lieu à cette jurisprudence,
même à défaut d ' une stricte identité des questions en litige.
15 Il reste cependant entendu que, dans toutes ces hypothèses, les juridictions nationales, y compris celles visées a l'article 3, de l'article 177, conservent l'entière liberté de saisir la cour si elles l'estiment opportun.
16 Enfin , l'application correcte du droit communautaire peut s'imposer avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée. Avant de conclure à l'existence d'une telle situation, la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s'imposerait également aux juridictions des autres Etats membres et à la Cour de justice. Ce n'est que si ces conditions sont remplies que la juridiction nationale pourra s'abstenir de soumettre cette question à la cour et la résoudre sous sa propre responsabilité. ».

Il résulte en outre de l'article 1er, paragraphe 5, des Recommandations de la Cour à l'attention des juridictions nationales, relatives à l'introduction de procédures préjudicielles (2018/C 257/01) que :
« 5. Les juridictions des États membres peuvent saisir la Cour d'une question portant sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union lorsqu'elles estiment qu'une décision de la Cour sur ce point est nécessaire pour rendre leur jugement (voir l'article 267, deuxième alinéa, TFUE).
Un renvoi préjudiciel peut notamment s'avérer particulièrement utile lorsqu'est soulevée, devant la juridiction nationale, une question d'interprétation nouvelle présentant un intérêt général pour l'application uniforme du droit de l'Union ou lorsque la jurisprudence existante ne paraît pas fournir l'éclairage nécessaire dans un cadre juridique ou factuel inédit. ».

Dès lors que l'article R.4271-19-1 du code de la santé publique n'interdit pas de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins et qu'il n'est fait état d'aucune décision d'une juridiction interne s'écartant significativement des principes précédemment rappelés, il n'y a pas lieu de transmettre de question préjudicielle.

Sur les éléments soumis à l'examen du tribunal

Le tribunal n'étant, en application de l'article 768 du code de procédure civile, tenu d'examiner que les moyens invoqués dans la partie « discussion » des conclusions et n'ayant pas à suppléer la carence d'une partie dans l’allégation des moyens propres à établir le bien-fondé de ses prétentions, il ne sera statué que sur les seuls extraits des pièces spécialement invoqués par le CDOM et qui ont ainsi pu faire l'objet d'échanges contradictoires entre les parties. Il convient d'examiner successivement ces extraits.

L'article publié sur le site Aculte.fr (pièce CDOM n°3)

S'agissant de l'article publié sur le site Aculte.fr faisant état de propos tenus par M. [J] [G], fondateur de la société Optical Center, le CDOM se borne à en critiquer le titre - « Première en France, Optical Center ouvre une clinique de chirurgie réfractive laser à [Localité 9] » - dont la société Optical Center ne saurait être tenue pour responsable en l'absence d'élément permettant de démontrer qu'elle en est l'auteur.

Le livret « publicitaire » (pièce CDOM n°5)

Le CDOM affirme que ce livret a été distribué en magasin et était publié sur le site internet de la société Optical Center. Il fait valoir que le logo « Optical Center » figure sur chacune de ses pages et que ce document est « à l’évidence » une publicité commerciale en ce qu'il utilise les termes « relaxant », « ultra-moderne » et « bien-être » qui n’ont pas leur place dans le cadre d’une activité médicale.

La société Optical Center objecte que cette plaquette d'information était distribuée sur place aux patients ; qu'elle est identique à celles diffusées par toutes les cliniques ; qu'elle se borne à dresser une liste d’informations relatives aux « troubles de la vue », aux « techniques existantes », à l’éligibilité à la chirurgie réfractive, à ce à quoi le patient doit s’attendre « avant/après l’opération » et enfin à la description de la clinique. Elle prétend alors qu'il ne s’agit pas d’une publicité mais d’une information du patient qui se voit expliquer en toute objectivité le processus en cause.

Sur ce,

A titre liminaire, il sera relevé que le CDOM ne produit aucune pièce susceptible de démontrer que le document en cause a été mis à disposition du public dans le magasin de produits d'optique.

Si le logo « Optical Center » figure en bas de toutes les pages du document, cela ne saurait être suffisant pour caractériser l'existence d'une publicité ne respectant pas les règles de la déontologie médicale.

Ainsi que le relève par ailleurs à juste titre la société Optical Center, le livret comporte un certain nombre d'informations objectives sur l'opération de chirurgie réfractive. Cependant, ce ne sont pas ces éléments qui sont critiqués par le CDOM.

Le passage incriminé, sur lequel la société Optical Center ne développe aucune argumentation, est libellé de la façon suivante :
« Un intérieur relaxant, des équipements ultra-modernes et un personnel expert et accueillant à votre disposition, il fallait au moins cela pour le bien-être de vos yeux ».

Ce passage vient indirectement faire la publicité des soins prodigués par le médecin salarié de la « clinique » lorsqu'en des termes particulièrement laudatifs, il annonce la présence d'un « intérieur relaxant » ou met en avant la qualité et l'accueil du personnel. Même s'ils visent à décrire les conditions d'exercice de l'activité du médecin, ces termes tendent à assimiler l'acte de soins à une prestation de services ou de bien-être quelconque telle celle d'un institut de beauté et partant conduisent à assimiler la médecine à un commerce constituant ainsi une publicité interdite par le code de la santé publique.

Le prospectus distribué au public et envoyé par la poste (pièces CDOM n°6 et 7)

Le CDOM prétend que ce prospectus a une nature commerciale ; qu'il constitue un mélange des genres dès lors qu’il présente à la fois des offres pour l'achat de lunettes et des offres relatives à la chirurgie réfractive ; qu'il est ainsi proposé, avant l’opération, un « EXAMEN APPROFONDI-DIAGNOSTIC (gratuit et sans engagement) » et que l’emploi du terme « gratuit » fait revêtir un caractère promotionnel, et donc commercial, à la prestation médicale qu’est le diagnostic.

La société Optical Center objecte que ce prospectus se contente de décrire « l’opération en trois étapes » de manière purement objective et que l'encart qui le suit contient des informations sur les tarifs pratiqués sans aucun commentaire.

Sur ce,

Il est établi que le prospectus en cause a été diffusé par voie postale, procédé habituellement utilisé pour la diffusion de publicités destinées à promouvoir les activités commerciales. Il comporte, certes, une description de l'opération dont l'« examen-approfondi diagnostic » constitue la première étape. Cependant, ainsi que le relève justement le CDOM, l'association des termes « gratuit et sans engagement », formule à l'évidence communément utilisée dans le cadre d'activités commerciales, tend à assimiler la prestation médicale en cause à une banale activité marchande où le prix jouerait un rôle prépondérant et qui aurait pour seul objectif la recherche du profit. Cette formule est en outre susceptible d'inciter le patient à recourir à l'acte en cause sans considération du besoin qu'il peut en avoir. Elle constitue donc une publicité interdite par le code de la santé publique.

C'est également à juste titre que le CDOM soutient que la présentation au sein d'un même document d'informations relatives à la chirurgie réfractive et d'offres purement commerciales relatives aux produits d'optique sans aucune distinction particulière si ce n'est des pages différentes pour l'une et l'autre tend à opérer une confusion entre les produits d'optique et la chirurgie réfractive et partant à assimiler l'acte médical à un produit commercial.

Le site internet (pièce CDOM n°9)

Le CDOM met en avant l'offre promotionnelle figurant en première page du site pour l'achat d'une paire de lunettes (« REDUCTION IMMEDIATE de 5€ pour tout achat d’une paire de lunettes de vue ») et l'existence d'une présentation commerciale avec l’utilisation d’un slogan : « Optical Center vous accompagne toujours plus loin dans votre vue ».

La société Optical Center oppose que l'offre promotionnelle critiquée se rapporte à la seule activité de vente de lunettes pour laquelle elle a le droit de faire de la publicité et que ce site, auquel au demeurant le public n’accède que par une démarche volontaire, ne diffuse aucune publicité. Elle prétend qu'il s'agit d'un site informationnel, délivrant aux internautes des renseignements objectifs sur les troubles de la vue opérables et les techniques d’opérations qui leur sont associées, sur les contre-indications ainsi que sur les préconisations à respecter avant et après l’intervention. Elle souligne que l’ensemble de ces informations, strictement objectives et vérifiables, est accessible à tout un chacun via les moteurs de recherche et ne saurait de quelque manière que ce soit être assimilé à de la publicité. Elle ajoute que le message diffusé est en tout point similaire à ceux de la quasi-totalité des cliniques privées ou centres de chirurgie réfractive ; que si une présentation avantageuse y est parfois effectuée, celle-ci se rapporte exclusivement à l’existence même du centre de chirurgie réfractive, à la qualité de ses équipements et à la présentation objective (sans identification possible des médecins qui y exercent) des techniques médicales susceptibles d’être mises en œuvre, de leurs avantages et risques et des conditions de prise en charge.

Sur ce,

Les termes « Optical Center vous accompagne toujours plus loin dans votre vue » critiqués par le CDOM figurent sur plusieurs pages du site internet et sont placés immédiatement en-dessous de « LA CLINIQUE OPTICAL CENTER ».

Certes, l'offre de réduction de 5 euros concerne l'achat d'une paire de lunettes et partant la vente de produits d'optique pour laquelle il n'est pas contesté que la société Optical Center a le droit de faire ce type de publicité promotionnelle. Elle figure toutefois sur une page consacrée à la présentation de la Clinique Optical Center et son emplacement et ses caractéristiques (dimensions, insertion au sein d'un pavé blanc encadré de deux pavés noirs, association à une photographie) la rendent particulièrement visible et conduisent nécessairement l'internaute à faire un lien entre le produit d'optique et la « clinique ». Cette présentation vient ainsi illustrer l'idée véhiculée par la formule précitée d'un développement de l'activité de la société Optical Center, présentée comme un tout, dans le but d'un accompagnement toujours plus performant du client. Elle conduit à assimiler activité médicale à activité commerciale et constitue une publicité interdite par le code de la santé publique.

Les « sms » et appel téléphonique (pièces CDOM n°12 et 28)

Le CDOM prétend que la société Optical Center utilise, « de toute évidence », son fichier commercial de clients pour démarcher de potentiels patients par « sms » et par téléphone afin de leur proposer des opérations de chirurgie réfractive ; qu'il s’agit de procédés de publicité qui sont interdits aux médecins et violent en outre manifestement les règles relatives à l’hébergement des données de santé.

La société Optical Center oppose que le CDOM ne rapporte pas la preuve de l’utilisation du fichier commercial de l’activité de vente de lunettes pour l'envoi du « sms » litigieux et qu'il ne produit qu'un seul témoignage pour démontrer le démarchage en cause, témoignage qui peut en outre être sujet à caution.

Sur ce,

Le 15 juin 2018, l'huissier de justice mandaté par le CDOM a constaté sur le téléphone portable de Mme [L] [W] la présence d'un « sms », reçu le 29 mai 2018, adressé par le numéro « 36161 » et libellé dans les termes suivants :
« Imaginez voir sans lunettes ni lentilles. Contactez la Clinique Optical Center pour un RDV pré-opératoire gratuit et sans engagement. [XXXXXXXX02]. Stop rep Stop ».

Aucun élément ne permet de démontrer que ce « sms » a été envoyé à partir du fichier clients de la société Optical Center. Il est toutefois incontestable que ce message, tant par son contenu, notamment par l'emploi des termes « gratuit et sans engagement », que par le procédé utilisé, tend à assimiler la médecine à une activité commerciale et ne respecte par conséquent pas les règles du code de la santé publique.

Le CDOM produit également une correspondance de Mme [H] [Y] qui rappelle avoir pris contact avec lui pour lui signaler un fait qu'elle estime « inapproprié » et qui indique :
« Préalable
J’ai un dossier client chez Optical Center, [Adresse 4], à [Localité 11] pour la fourniture de mes lentilles et il y a trois ans le renouvellement d’une paire de lunettes.
Pour cela, mes données de correction optique pour lentilles, et lunettes (ordonnances de mon médecin ophtalmologiste) ont été partagées avec le magasin Optical Center.
Fait qui m’interroge aujourd’hui vivement sur sa légalité et que je soumets à votre évaluation:
Je suis contactée par Optical Center, avec mes nom et prénom, sur la base de ma correction optique qui est rappelée pendant l’échange au téléphone, pour m’indiquer que je serais éligible à une chirurgie optique dans la clinique Optical Center de [Localité 9].
www.optical-center.fr/clinique/chirurgie-des-yeux$gt;

Voici donc une société privée qui utilise mes données médicales pour me proposer un geste médical (de chirurgie). J’ai fait l’objet de deux appels téléphonique (le 07.03.2022 et précédemment le 16.02.2022) par le numéro de tél : [XXXXXXXX01] (…) ».

Si la société Optical Center relève que le CDOM ne verse pas aux débats les courriels évoqués en exergue de cette correspondance ce qui, selon elle, « la rendrait quelque peu sujette à caution », elle ne conteste ni avoir procédé aux appels téléphoniques qui y sont évoqués, ni le contenu de ces appels. Or, ceux-ci constituent, comme le message envoyé par « sms », des faits de démarchage actif d'une patientèle non acquise à la « clinique » au profit du médecin exerçant pour son compte. Il s'agit de procédés prohibés par le code de la santé publique en ce qu'ils tendent à assimiler la médecine à un commerce.

Sur l'interdiction d'exercer la médecine dans des locaux commerciaux

Le CDOM fait grief à la société Optical Center de ne pas respecter les dispositions de l'article R.4127-25 du code de la santé publique qui interdisent à un médecin d'exercer sa profession dans des locaux commerciaux. Il prétend que les locaux du rez-de-chaussée où est exploité le magasin de produits d'optique et ceux du 1er étage où sont pratiqués les actes de chirurgie réfractive sont l'objet du même bail commercial ; que le local de chirurgie est accessible depuis le rez-de-chaussée par un escalier intérieur et deux ascenseurs, dont un en verre le reliant directement au magasin, et que les locaux ont été pris à bail pour y exploiter un fonds de commerce, c'est-à-dire une activité commerciale de sorte que le local est un local commercial. Il souligne également que le contrat de travail du docteur [K] ne lui interdisait pas de procéder à des prescriptions de lunettes ou de lentilles et que si un patient n'était pas éligible à la chirurgie réfractive, elle pouvait l'orienter vers ces produits qu'il irait alors acheter dans le magasin situé dans les mêmes locaux.

La société Optical Center oppose que les articles R.4127-19 et R.4127-25 du code de la santé publique ne comportent aucune interdiction pour un médecin d’exercer dans des locaux exploités par une société commerciale et qu'un tel mode d'exercice est donc possible à condition que l'activité mise en œuvre demeure civile. Il ajoute qu'à ce jour, l’exploitation d’un centre de chirurgie réfractive n’est soumise ni au statut des établissements de santé, ni à celui des installations autonomes de chirurgie esthétique et ne nécessite pas d'autorisation de l'ARS ; que le fait que le plateau technique de la « clinique » sur lequel un médecin exerce soit exploité par une société commerciale ne suffit pas à conférer aux locaux une nature commerciale ; que, dans le cas présent, les locaux sont exclusivement réservés à l'exercice de la chirurgie réfractive qui est une activité civile ; qu'ils sont parfaitement distincts et matériellement indépendants de ceux du rez-de-chaussée et que l'ascenseur qui les relie répond aux exigences en matière de réception du public et d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite.

Sur ce,

Aux termes de l'article R.4127-25 du code de la santé publique, « Il est interdit aux médecins de dispenser des consultations, prescriptions ou avis médicaux dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent. ».

L'objectif de cet article est de prévenir tout risque de compérage lequel peut être défini comme l'intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d'avantages obtenus au détriment du patient ou de tiers.

En l'espèce, les locaux dans lesquels est exploité l'établissement litigieux sont situés au 1er étage d'un immeuble en copropriété sis à [Localité 10], [Adresse 3], immédiatement au-dessus d'un magasin de produits d'optique qui dispose de trois vitrines sur la rue à l'enseigne « OPTICAL CENTER – OPTIQUE & AUDITION ». Au 1er étage, les sept fenêtres de l'établissement sont équipées de stores dont plusieurs affichent une mention qui permet de former deux fois l'enseigne « CLINIQUE OPTICAL CENTER ». L'ensemble des locaux fait l'objet d'un bail commercial unique, les locaux du premier étage constituant le lot n°216 de l'immeuble en copropriété et ceux du rez-de-chaussé, les lots n°213 et 214.

L'article 2 dudit bail prévoit que :
« Les lieux sont loués à usage de :
=$gt; centre de consultations, de soins et de chirurgie ophtalmologique,
=$gt; magasin d'optique (…)
=$gt; Location, vente des matériels ophtalmologiques, de lasers,
=$gt; Organisation de séminaires et formations liées directement ou indirectement à l'objet social du PRENEUR, dispense de cours et formations spécifiques par tout moyen et/ou toute méthode appropriés
=$gt; Tout autre établissement de même nature
à l'exclusion de toute autre destination.
L’ensemble forme matériellement et dans la commune intention des parties une location indivisible à titre commercial pour le tout, à l’exclusion de toute autre activité que celles visées à l’alinéa précédent ».

L'huissier mandaté par le CDOM a par ailleurs constaté la présence :
- au niveau de la façade de l'immeuble, entre la vitrine de gauche du magasin et la porte d'entrée, une affiche signalétique indiquant : « CLINIQUE OPTICAL CENTER Entrée par l'immeuble 1er étage – CHIRURGIE REFRACTIVE PRESBYTIE – ASTIMATISME – HYPERMETROPIE – MYOPIE OPTICAL CENTER »,
- sur la colonne de droite de l'accès à l'immeuble, un panneau en plexiglas avec les mentions suivantes : « CLINIQUE CHIRURGIE REFRACTIVE OPTICAL CENTER Accueil au 1er étage » suivies d'un numéro de téléphone.

S'il est constant que les locaux du rez-de-chaussée et du 1er étage sont reliés par un escalier intérieur, aucune des parties ne précise son emplacement et l'huissier mandaté par la société Optical Center a, lors de sa visite de la « clinique », constaté qu'il n'existait « aucun escalier de communication intérieur entre les locaux du rez-de-chaussée et du 1° étage ».

Les locaux sont également reliés par un ascenseur en verre. S'agissant de cet ascenseur, le procès-verbal de constat produit par la société Optical Center indique : « Entre le magasin du rez-de-chaussée et la clinique du 1° étage existe un ascenseur intérieur. La cage de cet appareil est en verre avec un châssis métallique peint en blanc.
Au rez-de-chaussée, la cage est implantée dans le large passage de communication entre le magasin principal et l'atelier. (…)

Son fonctionnement se commande depuis le rez-de-chaussée, non par la pression sur un simple bouton d'appel, mais par une clé permettant de déverrouiller le système d'ouverture de la porte. Cette clé est détenue par le responsable du magasin d'optique. Au premier niveau, il n‘existe aucun bouton d'appel de cet appareil. ».

L'huissier mandaté par la société défenderesse a également relevé que l'accès à l'ascenseur situé à l'intérieur de l'immeuble nécessitait d'emprunter un ensemble de six marches sans aménagement pour personne à mobilité réduite.

Il résulte de ces constatations que l'ascenseur en verre est, comme le soutient la société Optical Center, destiné à respecter les exigences en matière de réception du public et d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite et donc que l'accès à l'établissement du premier étage ne se fait pas de façon habituelle par le magasin d'optique. Il n'en demeure pas moins que les deux activités sont exercées au sein de locaux qui font l'objet d'un bail commercial unique et d'une  « location indivisible à titre commercial » et qui sont, non seulement reliés entre eux mais également situés l'un au-dessus de l'autre avec des ouvertures sur la façade sur rue à l'aplomb les unes des autres. A cette situation juridique et matérielle s'ajoutent les mentions apposées sur les stores de la « clinique » qui viennent rappeler celles figurant sur les vitrines du magasin et les mentions de l'affiche signalétique située entre le magasin et l'entrée de l'immeuble. Par leur emplacement et par l'utilisation d'une dénomination sociale identique, ces mentions créent incontestablement un lien entre les locaux et partant entre les deux activités médicale et commerciale de nature non seulement à les assimiler mais aussi à créer une confusion dans l'esprit du public et à favoriser une situation de compérage prohibée. C'est par conséquent à juste titre que le CDOM soutient que l'activité de chirurgie réfractive est exercée dans des locaux commerciaux et partant dans des conditions qui contreviennent aux dispositions de l'article R.4127-25 du code de la santé publique.

Sur la violation de l'interdiction du compérage

Le CDOM reproche à la société Optical Center une violation de l’interdiction du compérage prévue à l'article R.4127-23 du code de la santé publique dans le but de garantir l'indépendance professionnelle du médecin et le libre choix de son médecin par le patient.

Il prétend que l’existence d’une situation de nature à favoriser le compérage, voire l’apparence de compérage, suffit à matérialiser l’infraction sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’un compérage effectif et qu'en tout état de cause, si la situation de compérage exige, pour les « compères », d’en retirer un profit, celui-ci ne se matérialise pas nécessairement, par un versement d’argent et peut résulter d'une coalition d’intérêts. Il soutient alors qu'en l'espèce, il ressort du contrat de travail du médecin salarié et des statuts de la société Optical Center que l'activité de ce médecin n'est pas limitée à la chirurgie réfractive ; que la nature des consultations et la configuration des lieux rendent le compérage possible ; que les opticiens peuvent adresser des clients au médecin et inversement ; que le fait que la rémunération du médecin ne prenne pas en compte le nombre de patients qu'il adresse au magasin d'optique est indifférent dès lors qu'il est salarié du magasin ; que l'exercice par le médecin de son activité dans les mêmes locaux que le magasin d'optique est de nature à semer la confusion dans l'esprit du client/patient et que cette confusion des genres qui constitue en elle-même le compérage est entretenue par l'unité de la publicité commerciale de la société Optical Center.

Il fait encore valoir que le démarchage par « sms » et téléphone des clients de la société pour leur proposer des actes de chirurgie réfractive constitue un compérage et que les patients du médecin règlent, de fait, leurs prestations à la société Optical Center et deviennent ainsi ses clients sans le savoir.

Il prétend enfin que faute pour la société Optical Center de rapporter la preuve que les données de santé des patients sont hébergées par un hébergeur agréé, elle méconnaît les dispositions relatives à l’hébergement de ce type de données.

La société Optical Center objecte qu'il n’existe entre ses deux activités, organisées et gérées distinctement, aucune confusion d’intérêts, notamment au plan financier, et que les opticiens n’ont aucun intérêt à adresser leurs clients au médecin de la « clinique », lequel n’a pas plus d’intérêt à orienter ses patients vers le magasin d’optique, chacune des deux activités en cause étant nécessairement et par nature exclusive l’une de l’autre. Elle rappelle que le contrat de travail du docteur [K] prévoyait une rémunération fixe sans intéressement ce qui démontre que le supplément d’activité induit par un éventuel adressage de patients au profit de la « clinique » ne présenterait aucun bénéfice personnel pour le médecin qui y travaille, un tel adressage ne préjugeant pas, en tout état de cause, de l’éligibilité à la chirurgie réfractive, de telle sorte que son indépendance professionnelle comme l’intérêt des patients demeuraient préservés. Elle prétend également que le CDOM ne se prévaut d'aucun comportement particulier et constaté mais critique le « concept » qu'elle a imaginé et exploite. Elle affirme enfin que l'existence de la campagne de démarche à partir d'un fichier clients n'est pas établie.

Sur ce,

Aux termes de l’article R.4127-23 du code de la santé publique, « Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes physiques ou morales est interdit ».

L’alinéa premier de l’article L.4113-6 du même code interdit également « le fait, pour les membres des professions médicales mentionnées au présent livre, de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Est également interdit le fait, pour ces entreprises, de proposer ou de procurer ces avantages ».

L'article R.4113-13 de ce code tend lui aussi à prévenir tout risque de compérage en imposant une stricte séparation des professions de santé. Il est ainsi libellé :
« Dans une société d'exercice libéral de médecins, la détention directe ou indirecte de parts ou d'actions représentant tout ou partie du capital social non détenu par des personnes mentionnées au premier alinéa ou aux 1° à 4° du deuxième alinéa de l'article 5 de la loi du 31 décembre 1990 est interdite à toute personne physique ou morale exerçant sous quelque forme que ce soit:
a) Soit une autre profession médicale ou une profession paramédicale;

b) Soit la profession de pharmacien d'officine ou de vétérinaire, soit la fonction de directeur ou de directeur adjoint de laboratoire d'analyses de biologie médicale;
c) Soit l'activité de fournisseur, distributeur ou fabricant de matériel ayant un lien avec la profession médicale et de produits pharmaceutiques, ou celles de prestataire de services dans le secteur de la médecine.
Sont également exclus les entreprises et organismes d'assurance et de capitalisation et tous les organismes de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoires ou facultatifs. ».

En l'espèce, l’article 4 des statuts de la société Optical Center prévoit qu'elle a pour objet :
« Toutes opérations relatives à l'optique, la lunetterie, la photographie et l'appareillage de surdité et activités annexes et notamment leur vente, achat, fabrication et adaptation et plus généralement toutes activités commerciales s'y rattachant
- Création, détention en propriété, exploitation d'un centre de consultations, de soins et de chirurgie réfractive (…). ».

La société Optical Center ne peut pas être suivie lorsqu'elle affirme qu'il n’existe aucune confusion d'intérêts possible entre ses deux activités qui ne sont pas, comme elle le soutient nécessairement et par nature, exclusives l'une de l'autre dès lors qu'un client est susceptible d'être intéressé par l'opération de chirurgie réfractive mais aussi par des produits d'optique lesquels ne se limitent pas aux seules lunettes de vue et lentilles.

Au vu des développements qui précèdent, il ne peut pas plus être considéré que ces deux activités sont organisées et gérées distinctement dans la mesure où elles sont exercées au sein des mêmes locaux, que leur signalétique est destinée à créer un lien entre elles, que les informations et publicités les concernant sont diffusées au sein de supports communs (site internet, prospectus et dépliant) et que l'un des clients de la société a été directement contacté aux fins de se voir présenter l'offre de chirurgie réfractive. La société Optical Center ne met d'ailleurs en débat aucun autre élément précis susceptible d'établir la distinction qu'elle invoque et de venir contredire les affirmations du CDOM selon lesquelles le patient de l'établissement de chirurgie réfractive devient de fait l'un de ses clients au même titre que ceux du magasin d'optique.

Les conditions dans lesquelles ces deux activités sont exercées sont alors de nature à faciliter l'orientation des éventuels patients/clients de l'une vers l'autre, peu important à cet égard que les salariés de la société n'y aient pas un intérêt financier direct et immédiat et étant relevé avec le CDOM que le contrat de travail du docteur [K] ne lui interdisait pas de prescrire des produits d'optique.

Partant, c'est à juste titre que le CDOM reproche à la société Optical Center d'avoir violé l’interdiction du compérage prévue par le code de la santé publique.

Il ne démontre en revanche pas en quoi la méconnaissance, à la supposer avérée, des dispositions relatives à l'hébergement des données de santé des patients, question distincte de celle de leur utilisation et partage, constitue une violation de l'interdiction du compérage de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale.

* * *

Il ressort de l'ensemble de ces considérations que la société Optical Center a violé plusieurs règles déontologiques de la profession médicale constituant une déclinaison du principe essentiel selon lequel la médecine ne doit pas être exercée comme un commerce ; que les divers procédés de communication utilisés et les conditions d'exercice de l'activité précédemment examinés visaient à attirer le client et à l'inciter à avoir recours à une opération de chirurgie réfractive dans son établissement ; qu'ils ont ainsi profité directement aux médecins employés par la société Optical Center au détriment des autres médecins qui ont été privés de potentiels patients ; qu'ils ont donc créé une rupture d'égalité entre les professionnels du secteur et constituent des actes de concurrence déloyale.

Sur la violation du principe d'indépendance professionnelle

Le CDOM reproche à la société Optical Center d'avoir méconnu le principe d'indépendance professionnelle résultant notamment de l'article R.4127-5 du code de la santé publique en ce qu'elle place le médecin qu'elle emploie dans une situation où il est porté atteinte à cette indépendance.

Il fait valoir que, si un médecin peut avoir un exercice salarié, c'est à la condition que son contrat de travail garantisse effectivement son indépendance professionnelle et que, quel que soit son mode d’exercice, le médecin ne doit agir que dans l’intérêt premier du patient et non dans l’intérêt de celui qui l’emploie et le rémunère. Il prétend que les modes d’exercice de la profession de médecin sont limitativement énumérés par le code de la sécurité sociale pour l’activité libérale et par le code de la santé publique pour l’activité salariée ; que la pratique de la médecine est réservée à des sociétés de médecins au sens de l’article L.162-1 du code de la sécurité sociale ou, par exception, à des établissements de santé ou des centres de santé au sens des articles L.6111-1 et suivants et L.6323-1 du code de la santé publique et qu'il est par conséquent interdit à une société commerciale - et donc à une société d’opticiens - d’exercer la médecine. Il affirme encore que seul un établissement de santé est en droit d’employer un médecin pour effectuer des actes médicaux et que la chirurgie réfractive est un acte médical qui ne peut pas être effectué par une société commerciale. Il ajoute qu'en application de l'article R.4113-13 du code de la santé publique, il est interdit à des professionnels de santé de détenir des participations au sein d’une société d’exercice libérale d’une autre profession de santé ; qu'en proposant des consultations d’ophtalmologie et des opérations de chirurgie réfractive, la société Optical Center pratique la médecine et viole cette interdiction et que l’indépendance professionnelle du médecin qu'elle emploie en est, par conséquent, gravement compromise.

Il soutient encore que la meilleure santé du patient que doit poursuivre le médecin entre en contradiction avec la recherche de la rentabilité financière d’une société commerciale de sorte que le médecin salarié d’un magasin d’optique méconnaît, par la seule conclusion d’un contrat de travail, les obligations déontologiques de sa profession, notamment l’indépendance professionnelle, et que la seule contradiction d’intérêts que permet le contrat de travail ainsi conclu constitue une infraction déontologique, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’un comportement fautif du médecin. Il affirme que les dispositions du contrat de travail du docteur [K] l'ont placée dans une situation de nature à méconnaître son indépendance professionnelle ; qu'en sa qualité de salariée de la société Optical Center, elle était dans un rapport de subordination hiérarchique vis-à-vis de la société ; que la pérennité de son emploi dépendait nécessairement de la situation financière de la société ; que, même si elle n'était pas intéressée au chiffre d'affaires, elle avait intérêt à ce que les recettes de la société Optical Center augmentent que ce soit au titre de l'activité de la clinique ou de celle du magasin d'optique, lesquelles sont in fine confondues ; que si elle rendait un avis négatif à l'issue d'une consultation de chirurgie réfractive, elle pouvait orienter le patient vers des produits de confort et lui délivrer des ordonnances de lentilles et/ou de lunettes et qu'elle se trouvait en situation de faire primer l'intérêt de la société sur celui du patient.

La société Optical Center objecte que le médecin qu'elle emploie exerce son art en toute indépendance ; que le contrat de travail signé par le docteur [K] tenait compte de l’avis du CDOM ; qu'il prévoyait une rémunération mensuelle forfaitaire fixe, sans lien avec le volume de ses actes médicaux, sans prime de rentabilité ou de productivité ; qu'il n'existe, en l'état du droit, aucune interdiction pour un médecin d’exercer dans des locaux exploités par une société commerciale ou d'être salarié d’une telle société ; que si une structure commerciale ne peut pas salarier un médecin, c'est uniquement dans l'hypothèse où les honoraires sont remboursés par l'assurance maladie et qu'en l'espèce, la chirurgie réfractive n'est pas prise en charge par l'assurance maladie. Elle ajoute que ce sont les médecins qu'elle emploie qui exercent la chirurgie réfractive et que les structures d’exercice ou les établissements de santé ne pratiquent pas la médecine mais mettent à disposition des praticiens des moyens techniques pour le faire. Elle soutient encore que l'article R.4113-13 du code de la santé publique applicable aux sociétés d'exercice libéral de médecins est étranger au litige.

Sur ce,

Aux termes de l'article R.4127-5 du code de la santé publique, « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. ».

Selon l'article R.4127-95 du même code, « Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions.
En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. ».

En application de l'article R.4127-97 de ce code, « Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins. ».

Il en résulte que chacun des actes du médecin doit être exclusivement déterminé par le jugement de sa conscience et les références à ses connaissances scientifiques avec, comme seul objectif, l’intérêt du patient. Il ne doit donc pas accepter une position subordonnée qui serait susceptible d'amputer ou d'orienter sa liberté de jugement et d'action.

En l'espèce, le contrat de travail du docteur [K] prévoyait :

« 2. Titre - Fonctions 
(...)
Dans le cadre de ses fonctions, le Docteur [F] [K] sera principalement en charge de la réalisation d’actes de chirurgie réfractive sur les clients de la Société. (...)
Le Docteur [F] [K] exercera ses attributions sous l’autorité et dans le cadre des instructions données par le Directeur de la clinique, auquel le Docteur [F] [K] devra rendre compte régulièrement de l’évolution de son activité. (…)
(…)
5. Obligations du salarié
Le Docteur [F] [K] s’engage à respecter les décisions de la direction de la Société en ce qui concerne la définition de la stratégie et de la gestion de l’établissement ».

Il convient tout d'abord de relever avec la société Optical Center qu'elle n'exerce pas la médecine et ne pratique pas les actes de chirurgie réfractive critiqués. A l'instar d'un centre de santé ou d'un établissement de santé, elle a recruté un médecin pour ce faire et mis à sa disposition des moyens techniques pour pratiquer son art.

Il doit également être observé que le CDOM n’allègue d'aucune disposition légale ou réglementaire interdisant d'une façon générale à un médecin d’être salarié d'une société commerciale qui met à sa disposition des moyens techniques ou réservant à un établissement de santé la possibilité d'employer un médecin.

C'est en outre à tort que le CDOM affirme qu'en proposant des consultations d’ophtalmologie et des opérations de chirurgie réfractive, la société Optical Center viole l'interdiction prévue à l'article R.4113-3 du code de la santé publique, cet article concernant la répartition du capital social au sein des sociétés d'exercice libéral de médecins. Il est toutefois constant, ainsi qu'il l'a été précédemment démontré, que les conditions d'exercice de l'activité de chirurgie réfractive par la société Optical Center contreviennent à l'esprit de cet article qui est de prévenir tout risque de compérage.

Le CDOM ne peut par ailleurs pas être suivi lorsqu'il prétend que la poursuite de la meilleure santé financière de la société Optical Center est nécessairement en contradiction avec l'intérêt du patient et que le médecin qu'elle emploie fera primer l'intérêt de la société sur celui du patient alors que le médecin est un professionnel tenu par le serment qu'il a prêté et que rien ne permet d'affirmer que la seule volonté, au demeurant légitime, d'assurer la pérennité de son emploi le conduira à violer ce serment.

Le CDOM soutient en revanche à juste titre que les dispositions du contrat de travail du docteur [K] qui prévoyaient que « celle-ci exercera ses attributions sous l’autorité et dans le cadre des instructions données par le Directeur de la clinique », qu'elle devra lui « rendre compte régulièrement de l'évolution de son activité » et qu'elle « s’engage à respecter les décisions de la direction de la Société en ce qui concerne la définition de la stratégie et de la gestion de l’établissement » portent atteinte au principe de l'indépendance professionnelle du médecin en ce qu'elles impliquent un lien de subordination qui va au-delà de l'organisation des conditions matérielles et administratives de son activité et inclut la pratique même de son art. Cependant, le CDOM n'explique pas en quoi l'atteinte à l'indépendance professionnelle ainsi caractérisée est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale au détriment des autres praticiens du secteur. Ce moyen ne peut donc pas prospérer.

Sur la complicité d'exercice illégal de la médecine

Le CDOM prétend que l'exercice de l'activité de chirurgie réfractive doit être autorisée par l’ARS et satisfaire aux conditions précisées notamment aux articles D.6124-30-1 et suivants du code de la santé publique ; que, faute pour la société Optical Center de disposer de cette autorisation, elle ne peut pas proposer cette activité dans ses locaux et que le médecin qu'elle emploie lui facilite nécessairement cet exercice non autorisé et, partant, se rend coupable de l'infraction visée à l'article R.4127-30 du code de la santé publique selon lequel « est interdite toute facilité accordée à quiconque se livre à l’exercice illégal de la médecin ».

La société Optical Center oppose que le CDOM ne démontre pas en quoi la situation en cause est constitutive d'une rupture d'égalité entre les professionnels du secteur. Elle prétend également que la décision de la cour administrative d'appel de Lyon ayant considéré que l'exercice de l'activité de chirurgie réfractive devait être exercée au sein de structures bénéficiant d'une autorisation de l'ARS et satisfaisant aux conditions précisées notamment aux articles D.6124-30-1 et suivants du code de la santé publique repose sur une analyse erronée des paramètres factuels et de droit en débat. Elle considère alors que l’exigence nouvelle d’une autorisation pour exercer cette activité serait contraire à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du TFUE et qu'il y aurait lieu de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

Sur ce,

Aux termes de l'article R.4127-30 du code de la santé publique, « Est interdite toute facilité accordée à quiconque se livre à l’exercice illégal de la médecin ».

Il en résulte que le médecin qui facilite à un tiers l’exercice illégal de la profession se rend coupable d’une infraction déontologique.

En l'espèce, la société Optical Center n’a été ni poursuivie, ni condamnée pour exercice illégal de la médecine. La plainte déposée par le CDOM entre les mains du procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon a en effet été classée sans suite et le CDOM n'a pas alors jugé utile de déposer une plainte avec constitution de partie civile.

La société Optical Center produit par ailleurs une lettre du 9 juillet 2015 du sous-directeur de la régulation de l'offre de soins du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et un courrier de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes du 29 décembre 2016 lui indiquant tous les deux que le traitement de la vision par laser est exclu du champ d'application de l'article L.6122-1 du code de la santé publique et partant, ne nécessite pas d'autorisation de l'ARS. C'est également la position qui a été soutenue par le ministre des solidarités et de la santé devant le Conseil d'Etat. Dans ces conditions, il ne peut pas être considéré que le médecin employé par la société Optical Center viole l'article R.4127-30 du code de la santé publique précité et que la société commet un acte de concurrence déloyale de ce chef.

Au vu des motifs retenus, la demande tendant à voir poser une question préjudicielle à la CJUE est sans objet et il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.

Sur le préjudice et les autres mesures de réparation

Compte tenu de la nature des actes de concurrence déloyale, de leur durée, de leur nombre et de leur incidence sur le libre jeu de la concurrence dans le département du Rhône et sur l'image de la profession, le préjudice moral du CDOM qui a en charge la défense des intérêts des professionnels de ce secteur sera justement indemnisé par l'allocation de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Les demandes tendant à voir condamner la société Optical Center à cesser la diffusion de plaquette publicitaire portant sur des actes de chirurgie réfractive, la publication de toute offre de prestation portant sur l'exécution de tels actes ainsi que toute communication sur son site internet concernant l'activité en litige seront rejetées. Celles-ci sont en effet formulées dans des termes trop généraux pour être susceptibles d'exécution forcée et sont également contraires au droit applicable qui interdit la prohibition générale et absolue de toute publicité relative à une prestation médicale.

Sur les demandes accessoires

Succombant à l'instance, la société Optical Center sera condamnée aux dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par le CDOM à l’occasion de la présente instance. Elle sera condamnée à lui payer la somme de 10.000 euros à ce titre.

L’exécution provisoire étant compatible avec la nature de l’affaire et justifiée par l’ancienneté du litige et la société Optical Center ne démontrant pas en quoi son prononcé est susceptible d'avoir des conséquences manifestement excessives pour elle, celle-ci sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,

Déclare le conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins recevable en ses demandes ;

Dit que la société Optical Center (SAS) a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la profession médicale ;

Condamne la société Optical Center (SAS) à payer au conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de ces actes de concurrence déloyale ;

Déboute le conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins de sa demande tendant à voir condamner la société Optical Center (SAS) à cesser la diffusion de plaquette publicitaire portant sur des actes de chirurgie réfractive sous astreinte de 1.000 euros par plaquette diffusée ;

Déboute le conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins de sa demande tendant à voir condamner la société Optical Center (SAS) à cesser de publier toute offre de prestation portant sur l’exécution d’actes de chirurgie réfractive sous astreinte de 1.000 euros par jour et par infraction constatée ;

Déboute le conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins de sa demande tendant à voir condamner la société Optical Center (SAS) à cesser toute communication sur son site internet concernant une activité de chirurgie réfractive sous astreinte de 1.000 euros par jour et par infraction constatée ;

Condamne la société Optical Center (SAS) à payer au conseil départemental du Rhône de l’ordre des médecins la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Optical Center (SAS) aux dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile par la SELAS Cayol Cahen Tremblay et Associés ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige ;

Fait et jugé à Paris le 02 Avril 2024.

Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 4ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 18/02204
Date de la décision : 02/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-02;18.02204 ?
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