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28/03/2024 | FRANCE | N°22/14133

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 2ème section, 28 mars 2024, 22/14133


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




8ème chambre
2ème section


N° RG 22/14133
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNJK

N° MINUTE :



Assignation du :
28 Novembre 2022



JUGEMENT
rendu le 28 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [H] [C]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représenté par Maître David SAIDON de la SELEURL David Saidon Avocat, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C0630


DÉFENDEUR

Monsieur [N] [

I]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Maître Muriel POUILLET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A607


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Frédéric LEMER GRANADOS, Vice-...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

8ème chambre
2ème section

N° RG 22/14133
N° Portalis 352J-W-B7G-CYNJK

N° MINUTE :

Assignation du :
28 Novembre 2022

JUGEMENT
rendu le 28 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [H] [C]
[Adresse 1]
[Localité 2]

représenté par Maître David SAIDON de la SELEURL David Saidon Avocat, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C0630

DÉFENDEUR

Monsieur [N] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représenté par Maître Muriel POUILLET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A607

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Frédéric LEMER GRANADOS, Vice-Président
Anita ANTON, Vice-Présidente
Lucie AUVERGNON, Vice-Présidente

assistés de Delphine PROVOST-GABORIEAU, Greffière lors des débats et de Lucie RAGOT, Greffière lors du prononcé,
Décision du 28 Mars 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 22/14133 - N° Portalis 352J-W-B7G-CYNJK

DÉBATS

A l’audience du 25 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Anita ANTON, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [H] [C] est propriétaire d’une maison située [Adresse 1]. Monsieur [N] [I] est propriétaire de la maison jouxtant celle de Monsieur [C] située [Adresse 3].

Par un procès-verbal de constat d’huissier en date du 9 juin 2021, il était constaté ce qui suit :

Le mur « remonte sur toute sa hauteur de pilier en le collant […] avec à partir de la tête du pilier un empiétement de 10 cm sur le haut du mur (…)

J’ai également procédé à des mesures de pilier à pilier de la façade de la maison du requérant, où je mesure une distance de 3,92 m. L’empiètement commence donc à une distance de 3.82m. »

Par une lettre recommandée avec avis de réception du 21 septembre 2022, réceptionnée le 23 septembre 2022, Monsieur [C] a proposé à Monsieur [I] une délimitation et un bornage amiable.

Monsieur [I] n’ayant pas répondu à cette proposition, par exploit de commissaire de justice délivré le 28 novembre 2022, Monsieur [C] a assigné Monsieur [I], afin notamment d’obtenir un bornage entre son terrain et celui de Monsieur [I] et la désignation à cet effet d’un géomètre-expert avec mission de procéder à l'arpentage des terrains des parties, en définir les limites séparatives et dresser procès-verbal de ces opérations.

Par conclusions en bornage n°3 notifiées par voie électronique le 02 août 2022, Monsieur [H] [C] demande au tribunal de :

« Vu l’article 646 du code civil,

RECEVOIR Monsieur [H] [C] en ses demandes et les déclarer bien fondée,

DEBOUTER Monsieur [I] de sa demande d’irrecevabilité sur le fondement de l’article 750-1 du code de procédure civile annulé par le Conseil d’état à la date de l’assignation,

ORDONNER qu’un bornage soit établi entre le terrain de Monsieur [C] et celui de Monsieur [I] et ce dans les trois mois de la décision à venir.

DESIGNER à cet effet tel géomètre-expert qu'il lui plaira avec pour mission de :
- procéder à l'arpentage des terrains des parties ;
- en définir les limites séparatives ;
- autoriser le géomètre-expert à constater, ou à s’adjoindre un sapiteur afin de constater l’absence de contremur et la présence d’une simple cloison entre les deux fonds,
- dresser procès-verbal de ces opérations dont le dépôt en sera effectué au greffe.

DIRE qu'il lui en sera référé en cas de difficulté et, en toutes hypothèses, que l'affaire reviendra devant lui afin qu'il rende un second jugement homologuant le bornage.

En conséquence,

CONDAMNER Monsieur [I] au partage de moitié des frais d’expertise du géomètre expert conformément à l'article 700 du code de procédure civile ».

Par conclusions en réplique n°2 notifiées par voie électronique le 01 août 2022, Monsieur [N] [I] demande au tribunal de :

« Vu l’article 750-1 du code de procédure civile

DECLARER l’action aux fins de bornage irrecevable au motif qu’elle n’a été précédée d’aucune tentative d’accord amiable, conciliation, médiation ou procédure participative.

Vu l’article 31 du code de procédure civile

DIRE que Monsieur [C] ne justifie pas d’un intérêt à agir

Vu l’article 2241 du code civil
Vu les attestations versées aux débats
Vu le plan de géomètre de 1990
Vu les plans adverses produits sous la pièce N°9

DIRE que la preuve de l’hypothèse d’une situation d’empiètement n’est pas rapportée, et qu’au contraire, les plans de 1986 versés aux débats établissent que le poteau de droite est bien édifié dans l’alignement du mur jusqu’au fond de la maison dans toute son épaisseur.

DIRE que l’action aux fins de bornage ne constitue pas une action en justice interruptive de la prescription acquisitive.

DIRE ET JUGER que l’action de Monsieur [C] est irrecevable comme prescrite dans la mesure où la configuration structurelle des lieux est identique depuis plus de 30 ans, les droits de propriété des riverains nés de cette situation ancienne ne pouvant plus être remis en cause du fait de la prescription acquisitive trentenaire.

A titre subsidiaire

DIRE ET JUGER que l’action aux fins de bornage n’est pas fondée, puisque les limites sont matérialisées par des murs, que la mitoyenneté est présumée et que la ligne séparative procède de son axe médian.

A titre infiniment subsidiaire

CONDAMNER Monsieur [C] à supporter le coût de la mesure de bornage.

En tout état de cause

CONDAMNER Monsieur [C] au versement d’une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et destinée à compenser le préjudice subi par Monsieur [I] qui rencontre des difficultés pour la vente de sa maison et ne peut profiter de sa récente retraite.

CONDAMNER Monsieur [C] au versement d’une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance ».

Pour l’exposé exhaustif de leurs moyens en fait et en droit, il est renvoyé à leurs écritures, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 septembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries du 25 janvier 2024.

À l’issue des débats, les parties ont été informées de la mise en délibéré de la décision au 28 mars 2024, date à laquelle elle a été prononcée par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la demande d’irrecevabilité sur le fondement de l’article 750-1 du code de procédure civile

Monsieur [I] soutient que :

- l’action en bornage non précédée d'une tentative d'accord amiable est irrecevable en application de la loi du 23 mars 2019 et de son décret d’application du 11 décembre 2019, cette sanction pouvant être prononcée d’office par le juge en vertu de l’article 750-1 du code de procédure civile,

- bien qu’ayant été censurée par le Conseil d’Etat, cette disposition a fait l’objet d’un rétablissement par le décret n°2023-357 du 11 mai 2023 pour les procédures introduites à compter du 11 mai 2023,

- la recherche d’une solution amiable préalable à l’action judiciaire reste donc un dispositif devant être privilégié par les parties,

- il est vain de se prévaloir de la procédure distincte dont le Tribunal Judiciaire est saisi sur un autre fondement, lors de laquelle la question du bornage a été évoquée, pour considérer que la condition préalable de conciliation serait réputée constituée.

Monsieur [C] fait valoir en réponse que :

- par un arrêt du 22 septembre 2022, le Conseil d'état a annulé les dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile qui impose une conciliation préalable avant l'introduction d'une action en justice en raison d'une imprécision du texte (Conseil d’État, 6ème - 5ème chambres réunies, 22/09/2022, n°436939),

- l’annulation de l’article 750-1 du code de procédure civile en son entier avec effet a pour conséquence la suppression sine die de l’obligation de tentative amiable préalable pour les procédures nouvelles.

En droit, l’article 750-1 du code de procédure civile a été annulé par décision n° 436939, 437002 du 22 septembre 2022 du Conseil d'Etat.

L’article 750-1 a été rétabli par décret n°2023-357 du 11 mai 2023 en vigueur à partir du 13 mai 2023.

En l’espèce, le tribunal relève que, préalablement à la délivrance de l’assignation, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 septembre 2022 reçue le 23 septembre 2022, Monsieur [I] a écrit à Monsieur [C] pour lui proposer un bornage amiable en ces termes : « Dans votre courrier du 13 juin 2022, en réponse à celui de mon avocat datant du 11 mai 2022, vous avez manifesté un désaccord avec les conclusions du procès-verbal de l’huissier de justice Me [U] que j’avais mandaté le 9 juin 2021, les qualifiant "d’allégations". En outre, vous avez mentionné l’existence de deux murs distincts et séparés, le mien et le vôtre, au niveau du bâtiment correspondant à l’extension de votre maison, fait que nous contestons comme vous le savez.
Afin d’éclaircir ces points ainsi que la question fondamentale de l’empiètement sur ma parcelle évoquée dans le courrier de mon avocat et le constat d’huissier, je vous propose un bornage amiable d’un géomètre-expert à frais partagés sachant que son coût d’évalue dans une fourchette comprise entre 3 000 et 5 000 euros ».

Il ne ressort pas des éléments versés aux débats que Monsieur [C] ait répondu à cette lettre.

L’assignation aux fins de bornage a été délivrée par exploit de commissaire de justice du 28 novembre 2022.

Les dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile résultant du décret n°2023-357 du 11 mai 2023 ne sont donc pas applicables à la présente procédure introduite antérieurement au 13 mai 2023.

En conséquence, la demande d’irrecevabilité sur le fondement de l’article 750-1 du code de procédure civile formulée par Monsieur [I] sera rejetée.

2. Sur l’intérêt à agir

Monsieur [I] demande au tribunal de dire que Monsieur [C] ne justifie pas d’un intérêt à agir sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile. Il fait valoir que :

- il est propriétaire de sa maison sise [Adresse 3] depuis le 31 janvier 1991, c’est-à-dire depuis 32 ans, sans avoir rencontré la moindre difficulté avec ses voisins,

- il est l’objet de plaintes incessantes de la part de son nouveau voisin, Monsieur [C], qui s’est installé dans la maison de gauche sise [Adresse 1] depuis deux ans, le 29 janvier 2021,

- Monsieur [C] ne cesse de le harceler depuis son emménagement, au prétexte qu’il subirait des nuisances sonores de jour comme de nuit,

- la configuration des lieux, du point de vue de la structure des deux bâtiments n’a pas été modifiée depuis plus de 30 ans ; il a été observé une modification d’aspect puisque les poteaux de façade ont été élargis lorsque les briques ont été recouvertes d’un enduit, la forme du chapeau intermédiaire et en tête ayant aussi été changée, ce qui a créé un débord du côté de la parcelle de Monsieur [I],

- ces changements ne résultent nullement d’actions de la part de Monsieur [I] qui a fait attester par son architecte de l’époque la consistance des travaux de rénovation réalisés en 1992, sous sa maitrise d’œuvre,

- il ressort du plan de géomètre daté de 1990, annexé à l’acte de vente du bien de Monsieur [I], qu’un trait épais sépare les deux fonds, continu sur l'ensemble de la maison, y compris la partie correspondant à la salle de bain située dans le prolongement du salon (P.9 – plan de géomètre de 1990), ce qui démontre qu’à l’époque, aucune construction n’était édifiée du côté de la parcelle de Monsieur [C] le long de la salle de bains de Monsieur [I], son voisin et que les poteaux ont sans aucun doute été modifiés à l’époque de ces aménagements par les propriétaires antérieurs,

- la modification de la construction au [Adresse 1] est plus récente, et en tout état de cause postérieure à l’acquisition par Monsieur [I] de son lot au numéro [Adresse 3],

- le mur litigieux est donc de toute évidence mitoyen ; en tout état de cause, il n’a jamais été modifié depuis au moins l’année 1991, date de l’acquisition par Monsieur [I] de sa maison au [Adresse 3],

- Monsieur [C] a saisi le conciliateur du tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de troubles de voisinage, le 4 novembre 2022 et deux semaines plus tard, Monsieur [I] recevait signification d’un acte d’huissier, selon exploit du 28 novembre 2022, aux fins de mise en place d’une mesure de bornage, objet de la présente instance,

- il s’agit de deux procédures distinctes, mais ayant une finalité commune : nuire à Madame et Monsieur [I], qui ont mis leur maison en vente, vivent désormais à la campagne, et ne font donc de fait subir aucun trouble à leur voisin,

- Monsieur [I] s’oppose donc à l’action aux fins de bornage dont la finalité n’est autre que de rechercher une preuve totalement défaillante sur le volet acoustique de son action en imaginant une situation d’empiètement qui pourrait lui permettre d’agir sur un autre fondement que celui du trouble anormal de voisinage, savoir celui de la revendication d’un droit de propriété de 10 ml du mur mitoyen,

- l’intérêt légitime à agir de Monsieur [C] est de doute évidence inexistant.

Monsieur [C] fait valoir en réponse que :

- « l’argumentaire » développé par Monsieur [I] concernant le litige en cours sur les nuisances sonores subies est parfaitement hors sujet et n’a pour seul objet que de créer une diversion sur la légitimité de l’action en bornage,

- Monsieur [C] ne sollicite qu’une mesure d’expertise avant dire droit ayant pour objet de délimiter les propriétés des parties,

- à partir du moment où l’huissier constate formellement l’empiétement dans son constat en date du 9 juin 2021, et que Monsieur [I] qualifie ce fait « d’allégation », l’intervention d’un expert géomètre indépendant des parties pour trancher cette question de manière contradictoire est indispensable.

A titre liminaire, il est rappelé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de « dire / juger /constater » qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d’entraîner des conséquences juridiques au sens de l’article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.

Il sera uniquement rappelé que selon l’article 31 du code de procédure civile, « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » et que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action (2e Civ., 6 mai 2004 n°02-13.314 ; 3e Civ., 23 juin 2016 n°15-12.158).

L’existence du droit de bornage n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de dire que Monsieur [H] [C] ne justifie pas d’un intérêt à agir sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile.

3. Sur la prescription

Monsieur [I] demande au tribunal de déclarer l’action de Monsieur [C] irrecevable comme prescrite dans la mesure où la configuration structurelle des lieux est identique depuis plus de 30 ans, les droits de propriété des riverains nés de cette situation ancienne ne pouvant plus être remis en cause du fait de la prescription acquisitive trentenaire.

Monsieur [C] fait valoir en réponse que :

- la prescription acquisitive est une question juridique de fond que le tribunal saisi d’une action en bornage n’est pas amené à trancher,

- revendiquer la prescription trentenaire sur l’empiètement revient à reconnaitre l’existence de l’empiètement avant que le géomètre n’ait pu se prononcer sur la question,

- préjuger du résultat des opérations de bornage viderait cette procédure de sa substance.

En droit, l’action en bornage est imprescriptible. En outre, une assignation en bornage, qui tend exclusivement à la fixation de la ligne divisoire entre les fonds et ne contient pas même implicitement de demande qui, si elle avait été admise, aurait rendu le demandeur titulaire du droit dont il entendait empêcher la prescription, ne constitue pas un acte interruptif de la prescription acquisitive trentenaire (3e Civ., 21 novembre 1984, pourvoi n 83-14.649, Bull. 1984, III, n 197).

En l’espèce, l’action de Monsieur [C] tend uniquement à ce qu’un bornage soit établi entre son terrain et celui de Monsieur [I] et ne contient, pas même implicitement, de demande portant sur un droit.
Compte tenu de ce qui précède, la demande de Monsieur [N] [I] de voir déclarer l’action en bornage prescrite sera rejetée.

4. Sur la demande de bornage

Au soutien de sa demande en bornage, Monsieur [C] fait valoir que :

- le plan cadastral n’indique l’existence d’aucun mur mitoyen entre les fonds, il permet seulement d’obtenir la mesure indicative de la largeur du terrain de Monsieur [C], concordante avec les 4 mètres apparaissant dans les plans du permis de construire d’agrandissement de la maison,

- le constat d’huissier en date du 9 juin 2021 relève :
- les mesures et constate une largeur du terrain inférieure à ces 4 mètres, confirmant ainsi l’empiètement du fond de Monsieur [I] (cette nouvelle largeur de terrain contredisant le permis de construire et la mesure indicative du cadastre),
- l’empiètement de la charpente et de la toiture à l’intérieur des 4 mètres (ce qui signifie que l’empiètement s’étale sur une bande de quelques mètres en profondeur),
- la présence d’une cour (et non d’un bâtiment ou « d’un milieu bâti ») derrière la partie du mur litigieux,
- le fait que l’épaisseur intégrale du mur est positionnée à l’intérieur des 4 mètres de largeur du terrain appartenant à Monsieur [C],

- le mur est donc intégralement positionné sur le fond de Monsieur [C] et est privatif,

- les deux jurisprudences invoquées par le défendeur concernant un « milieu bâti » ou « des bâtiments qui se touchent » sont inopérantes (Cass. 3e civ., 25 juin 1970 et n° 68-13.674 : Bull. civ. III, n° 443 et CA Paris, 2e ch., sect. B, 4 déc. 2008, n° 04/13261), la troisième jurisprudence invoquée par le défendeur concernant une ligne séparative située sur l’axe médian du mur, qui ne coïncide pas avec le cas d’espèce (3e Civ., 30 oct. 2012, n°11-24.141),

- les plans annexés au permis de construire d’agrandissement de la maison de 1986 laissent apparaitre :
- la cour derrière le mur,
- les 4 mètres de façade sur les 6 plans distincts,
- l’épaisseur d’un mur de 25 cm se trouvant intégralement dans les 4 mètres,
- ne mentionnent aucune mitoyenneté voisine.

Monsieur [I] s’y oppose en soutenant que :

- si l'action en bornage s'applique aux terrains et peut théoriquement concerner l'ensemble d'entre eux, qu'ils soient bâtis ou non, en revanche, en milieu bâti, les bornes ne sont pas d'usage chaque fois que les limites sont matérialisées par des murs (CA Paris, 2e ch., sect. B, 4 déc. 2008, n° 04/13261),

- l'action en bornage ne peut ainsi pas être exercée pour des bâtiments qui se touchent (Cass. 3e Civ., 25 juin 1970, n° 68-13.674 : Bull. civ. III, n° 443),

- de même, la demande en bornage est sans objet dès lors que les terrains sont séparés par un mur mitoyen, la ligne séparative étant alors nécessairement située sur l'axe médian de ce dernier (Cass. 3e Civ., 30 oct. 2012, n°11-24.141),

- or en l'espèce, la partie du mur côté rue correspond à la salle de bains de Monsieur [I] ; du coté intérieur de cette pièce, la cloison en carreaux de plâtre n'est pas appliquée directement sur ce mur, nonobstant le mur qui sépare ce bâtiment de la maison de Monsieur [C] demeure mitoyen.

- cette mitoyenneté se trouve corroborée par le plan du géomètre de 1990.

En droit, le bornage consiste à déterminer la ligne séparative de deux fonds contigus à l’aide de signes matériels appelés “bornes”.
Aux termes de l’article 646 du code civil : « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »

L’action en bornage est soumise aux conditions suivantes :
- les fonds doivent être contigus et appartenir à des propriétaires différents,
- les propriétés doivent être soumises au droit privé (pas de bornage possible entre un particulier et une propriété publique),
- aucun bornage ne doit avoir été réalisé antérieurement,
- la ligne de séparation ne doit pas être totalement bâtie.

En effet, l’action en bornage cesse de pouvoir s’exercer en présence de bâtiments qui se touchent (Civ. 3ème 25 juin 1970 Bull 443 pourvoi 68-13.674 ; Civ. 1ère 28 décembre 1957, Bull 512).

Cette jurisprudence trouve à s’appliquer si le caractère mitoyen du mur est retenu. En effet, la ligne divisoire passant sous l’axe médian de ce mur, rend le bornage inutile.

Selon l’article 653 du code civil : « Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen ».

L’article 654 donne une liste de diverses marques de non-mitoyenneté qui peuvent être retenues par le juge : « Il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d'un côté, et présente de l'autre un plan incliné. Lors encore qu'il n'y a que d'un côté ou un chaperon ou des filets et corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur. Dans ces cas, le mur est censé appartenir exclusivement au propriétaire du côté duquel sont l'égout ou les corbeaux et filets de pierre » ;

La présomption de mitoyenneté édictée par l'article 653 du code civil ne s'applique pas à un mur qui ne suit pas la ligne divisoire mais est implanté d'une manière très irrégulière sur l'un et l'autre des deux fonds contigus.

En l’espèce, il est établi par l’attestation de propriété et la matrice cadastrale versées aux débats que Monsieur [H] [C] est propriétaire d’une maison située [Adresse 1] et que Monsieur [N] [I] est propriétaire de la maison jouxtant celle de Monsieur [C] située [Adresse 3] (Pièces n°1 et 2 de M. [C]).

Il résulte des plans annexés au permis de construire de 1986 que le mur séparatif se prolonge sur toute la surface de l’épaisseur de de la maison de Monsieur [I] et que le poteau droit est représenté dans l’alignement du mur séparatif (pièce n°9 de Monsieur [C]).

L’architecte ayant assisté Monsieur [I] dans le cadre de travaux de rénovation de sa maison atteste que « lesdits travaux ont consisté à améliorer l’isolation thermique, intervertir la cuisine et la salle de bains, refaire l’aménagement intérieur et la décoration et effectuer le ravalement des façades. En outre j’atteste qu’il n’a été fait aucuns travaux de structure sur les murs situés en mitoyenneté qui étaient existants et inchangés » (pièce n°3 de M. [I]).

Le procès-verbal de constat d’huissier du 9 juin 2021 fait état des constatations suivantes :
« Je constate que le mur parallèle à la rue de la maison voisine (crépi blanc sur photo) au [Adresse 3] est adossé sur le pilier de la maison du requérant, sans aucune séparation, joint ou distanciation.
Ce mur remonte sur toute sa hauteur de pilier en le collant, y compris sur la partie au-dessus du pilier, en tête de pilier, avec à partie de la tête du pilier un empiètement de 10 cm sur le haut du mur.
Il n’y a donc pas de contremur mais un adossement direct de ce mur entre les [Adresse 3] et [Adresse 1].
J’ai également procédé à des mesures de pilier à pilier de la façade de la maison du requérant, où je mesure une distance de 3,92 m.

Remontant sur la terrasse du requérant, j’ai constaté qu’était visible la toiture de la propriété voisine avec l’adossement direct de mur que je retrouve, ainsi que l’empiètement sur la tête de pilier.
J’ai également constaté que la façade du mur de la maison du voisin présente une ouverture permettant l’accès au bâtiment adossé. A partir de cet endroit, situé côté jardin au fond, le bâtiment principal du voisin n’empiète plus. Ainsi, de là, deux murs distincts, celui du voisin et du requérant se touchent ». (pièce n°3 de M. [C])

Ces constatations, qui ne contredisent pas l’existence d’un mur séparatif et évoquent sans aucun fondement un empiètement de 10 cm sur le haut du mur, ne sont pas de nature à écarter la présomption de mitoyenneté de ce mur séparatif.

Il sera également observé qu’en page 6 de ses conclusions, Monsieur [C] indique « Monsieur [C] n’a jamais contesté le fait que son poteau droit se situe dans l’alignement du mur séparatif ».

En conséquence, il y a lieu de considérer que le mur séparatif des deux propriétés est bien mitoyen, de sorte que l’action en bornage ne peut pas être exercée et que Monsieur [H] [C] en sera débouté.

5. Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Monsieur [I] sollicite la condamnation de Monsieur [C] au versement d’une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et destinée à compenser le préjudice subi par Monsieur [I] qui rencontre des difficultés pour la vente de sa maison et ne peut profiter de sa récente retraite.

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose : « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, Monsieur [N] [I] ne caractérise aucune faute de la part de Monsieur [H] [C] dans l'exercice de son droit d’ester en justice.

Monsieur [I] ne caractérisant pas de faute ni de préjudice particulier lié à l'exercice de ses droits par Monsieur [C], il ne saurait être fait droit à sa demande de dommages et intérêts.

Il en sera donc débouté.

6. Sur les demandes accessoires

- Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Succombant à l’instance, Monsieur [H] [C] sera condamné au paiement des dépens.

- Sur les frais non compris dans les dépens

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Monsieur [H] [C] sera condamné à verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à Monsieur [N] [I] et sera débouté de sa demande formulée à ce titre.

- Sur l’exécution provisoire

Aux termes des articles 514 et suivants du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.

En l'espèce, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

Les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes formées au titre des dépens, de leur distraction et des frais irrépétibles ainsi que de leurs autres demandes.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par un jugement contradictoire, en premier ressort, après débats en audience publique et par mise à disposition au greffe,

REJETTE la demande de Monsieur [N] [I] de voir déclarer l’action en bornage prescrite ;

DEBOUTE Monsieur [H] [C] de son action en bornage ;

DEBOUTE Monsieur [N] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE Monsieur [H] [C] aux dépens de l’instance;

CONDAMNE Monsieur [H] [C] à verser à Monsieur [N] [I] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Monsieur [H] [C] de sa demande formulée par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes formées au titre des dépens, de leur distraction et des frais irrépétibles ainsi que de leurs autres demandes.

Fait et jugé à Paris le 28 Mars 2024

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 22/14133
Date de la décision : 28/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-28;22.14133 ?
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