La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2024 | FRANCE | N°22/04505

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 3ème section, 27 mars 2024, 22/04505


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Me Le Roy, vestiaire C230
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me Benizri, vestiaire D1543




3ème chambre
3ème section


N° RG 22/04505 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CWANH

N° MINUTE :


Assignation du :
15 mars 2022















JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [D] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Jason BEN

IZRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1543



DÉFENDERESSE

Madame [O] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Virginie LE ROY de la SELARL RESONANCES, avocats au barreau d...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Me Le Roy, vestiaire C230
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me Benizri, vestiaire D1543

3ème chambre
3ème section


N° RG 22/04505 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CWANH

N° MINUTE :

Assignation du :
15 mars 2022

JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [D] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Jason BENIZRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1543

DÉFENDERESSE

Madame [O] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Virginie LE ROY de la SELARL RESONANCES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0230

Décision du 27 mars 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 22/04505 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWANH

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Elodie GUENNEC, Vice-présidente

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 18 janvier 2024 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Anne BOUTRON, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE ET DES PRÉTENTIONS

Madame [D] [W] a été directrice de l’artothèque du département de la Réunion de 2000 à 2008, 2012 à 2015, 2016 à 2019 et à nouveau depuis l’année 2021.
Madame [O] [U] se présente comme une artiste plasticienne, docteur en arts plastiques et sciences de l’art, travaillant également en qualité de conseillère technique auprès de la rectrice déléguée académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle.
L’artothèque du département de la Réunion est un établissement créé par le département de [Localité 5] en 1991 et dont l’objet est la diffusion et la production de l’art contemporain, par le biais de sa bibliothèque et de son centre documentaire, de l’organisation d’expositions, de visites guidées, d’animations et la mise à disposition de salles de conférence.
Mme [W] revendique avoir écrit dans la biographie du dossier de presse de l’exposition dédiée au photographe [Z] [Y] à l’arthotèque du 26 novembre 2005 au 12 mars 2006 et repris dans la préface du livre de l’artiste “Chaque homme est une île », publié en 2007, le texte suivant:
« Les interrogations identitaires et existentialistes de l’artiste trouvent une réponse formelle à travers le cri, le cri montré, affiché, étouffé, ou hurlé”.

Exposant avoir découvert que Mme [U] avait rédigé un article destiné à être publié en 2021 sur le site internet de l’artothèque dans lequel était cité ledit texte crédité non pas de son nom, mais de celui de Mme [M] [S], commissaire de l’exposition, Mme [W] l’a mise en demeure courant janvier 2022, dans un courrier non daté, de corriger ladite citation.
Par courrier de son conseil du 2 février 2022, Mme [U] a fait valoir en réponse que la citation litigieuse avait été retirée de la dernière version du projet d’article en septembre 2021, conformément aux observations de l’artothèque, et qu’aucune publication n’avait été effectuée que ce soit pour la première version litigieuse ou la version définitive.
C’est dans ces conditions que Mme [W] a fait assigner Mme [U] en contrefaçon de droits d’auteur par acte du 15 mars 2022 devant le tribunal judiciaire de Paris.
Mme [U] a soulevé par conclusions du 11 janvier 2023 devant le juge de la mise en état une fin de non recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir de Mme [W] qui a été renvoyée au fond.
L’instruction a été close le 25 mai 2023.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2023, Mme [W] au tribunal de :
CONDAMNER Mme [U] à lui verser 5.000 euros au titre de dommages et intérêts

CONDAMNER Mme [U] à lui verser 5.000 Euros au titre de l’atteinte à son droit moral ;

DEBOUTER Mme [U] de l’intégralité de ses demandes ;

CONDAMNER Mme [U] à lui verser 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 mai 2023, Mme [U] demande au tribunal de:
In limine litis :
DECLARER Mme [W] irrecevable en ses demandes faute de qualité et d’intérêt à agir,
DEBOUTER Mme [W] de l’ensemble de ses demandes,

A DEFAUT DE FAIRE DROIT AUX MOYEN IN LIMINE LITIS, A TITRE PRINCIPAL :
DEBOUTER Mme [W] de l’ensemble de ses demandes,

A TITRE RECONVENTIONNEL,
JUGER abusive la procédure engagée par Mme [W]
CONDAMNER Mme [W] à lui verser la somme de 10.000 euros de dommages et interêts

A TITRE SUBSIDIAIRE,
LIMITER a l euro symbolique toute condamnation susceptible d’être mise à sa charge,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,
DEBOUTER Mme [W] de toutes demandes plus amples et/ou contraires,

CONDAMNER Mme [W] à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procedure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir

Moyens des parties

Mme [U] conclut à la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de Mme [W] au motif qu'elle ne démontre pas être l'auteur de la citation dont elle revendique la paternité.
En réponse,Mme [W] souligne qu’il s’agit d’une question de fond et ajoute avoir rédigé la phrase litigieuse dans le cadre de l'élaboration d'un dossier de presse relatif au photographe [Z] [Y], publié en 2005 et avoir repris cette même phrase dans la préface de l'ouvrage " Chaque homme est une île " publié en 2007.
Réponse du tribunal

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 du même code poursuit en indiquant qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Aux termes de l'article 122 dudit code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La qualité d'auteur d'une œuvre de l'esprit est une condition du bien-fondé de l'action en contrefaçon de droits d'auteur et non la condition de sa recevabilité. En effet, la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l'esprit est appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Cette appréciation dépend de la question préalable de l'originalité de l'œuvre en litige, laquelle est une condition dont dépend le bien-fondé de l'action en contrefaçon, et non sa recevabilité (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.351).
La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de Mme [W] motif tiré du défaut de sa qualité d’auteur sera en conséquence écartée.

Sur la qualité d'auteur et la titularité du droit moral revendiqués par Mme [W]

Moyens des parties

Mme [W] affirme être l'auteur de la phrase litigieuse pour l'avoir rédigé en 2005, dans le cadre de l'élaboration d'un dossier de presse dédié au photographe [Z] [Y]. Soutenant être proche de l'artiste, elle indique que ce dernier lui aurait demandé de préfacer son ouvrage " Chaque home est une île ", paru en 2007.
Mme [U] fait valoir que Mme [W] ne démontre pas sa qualité d'auteur dès lors qu’elle a signé le dossier de presse ès qualités de directrice de l’artothèque et que le document qu’elle présente comme étant la préface de l’ouvrage paru en 2007 " Chaque home est une île " ne permet pas de s’assurer qu’elle l’a rédigé. Elle ajoute qu’en tout état de cause l'artothèque est seule titulaire des droits d’auteur par application de l’avis Ofrateme du Conseil d’Etat du 21 novembre 1972.
Réponse du tribunal

L'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.
Selon l'avis du Conseil d'Etat applicable aux œuvres créées par des fonctionnaires ou agents publics avant le 1er août 2006, date d'entrée en vigueur de la loi n°2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, l'administration est investie des droits d'auteur sur les œuvres créées par des fonctionnaires dans le cadre de leur fonction :
" Considérant que les droits que les fonctionnaires publics tirent de leur statut sont toujours limités par les nécessités du service et qu'il en va de même du fait de leur contrat pour les agents contractuels, permanents ou occasionnels qui, étant directement associés au service public, lui sont liés par un contrat de droit public ; que les nécessités du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur sur les œuvres de l'esprit telles qu'elles sont définies aux articles 1 et 3 de la loi du 11 mars 1957 pour celles de ces œuvres dont la création fait l'objet même du service ; qu'il en est ainsi même au cas où certains collaborateurs du service peuvent prétendre à une part distincte dans la création de certaines œuvres dès lors que cette création a été effectuée par eux dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'aucune disposition de la loi du 11 mars 1957 ni aucune autre disposition législative n'autorise de dérogations aux principes généraux ci-dessus rappelés en accordant un droit de propriété aux fonctionnaires et agents publics sur les créations du service public auxquels ces fonctionnaires et ces agents appartiennent " (Avis du Conseil d'Etat du 21 novembre 1972, n° 309.721, Ofrateme).

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la phrase sur laquelle Mme [W] revendique un droit moral a été divulguée dans un dossier de presse édité par l'artothèque pour une exposition d'œuvres de [Z] [Y] du 26 novembre 2005 au 12 mars 2006 dans un texte signé par Mme [W] en sa qualité de directrice de l'artothèque (pièce demandeur n°10). Mme [W] bénéficie en conséquence de la présomption de la qualité d'auteur qu'elle revendique sur cette phrase en raison de sa divulgation sous son nom. Le fait qu'elle ait signé ce texte en sa qualité de directrice de l'artothèque ne saurait lui retirer cette qualité, mais pose la question de sa titularité sur les droits attachés à l'œuvre.
A cet égard, la signature de l’oeuvre par Mme [W] en sa qualité de directrice de l'artothèque, établissement se présentant à la fois comme un musée d'art contemporain et une bibliothèque et exerçant une mission de service public de diffusion de l'art contemporain, établit qu’elle a été réalisé par Mme [W] dans l’exercice de ses fonctions antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2006-961 du 1er août 2006 précitée et qu’il s’agit par conséquent d’une création du service public auquel elle appartient, ne lui permettant pas d’en revendiquer les droits d’auteur.
Il en résulte que Mme [B] est mal fondée en ses demandes de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon alléguée de ses droits d'auteurs et en sera déboutée.
Sur la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée et le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Au cas présent, la demande de dommages et intérêts de 5 000 euros présentée par Mme [W] aux côté de sa demande de réparation de l’atteinte à son droit moral n’est supporté par aucun moyen dans la partie discussion de ses écritures.
Mme [W] sera en conséquence déboutée de cette demande.
Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive

Moyens des parties

Mme [U] soutient que Mme [W] aurait mis en œuvre une procédure judiciaire pour nuire à sa réputation et en instrumentalisant la procédure dans le cadre d'un contentieux qui l'opposerait à l'artothèque.
Mme [W] ne formule pas d'observation sur ce point.
Réponse du tribunal

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Aux termes de l'article 1241 du même code, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.
En l'espèce, la seule circonstance que Mme [W] soit déboutée de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur n'est pas de nature à faire dégénérer son action en abus. Mme [U] ne justifie d'aucun préjudice distinct des frais exposés pour se défendre en justice, lesquels sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande reconventionnelle de Mme [U] fondée pour procédure abusive sera en conséquence rejetée.
Sur les dispositions finales

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation
Mme [W], partie perdante, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer 5 000 euros à Mme [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est rappelé que l'exécution provisoire est de droit en application de l'article 514 du code de procedure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Ecarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Madame [D] [W] ;

Déboute Madame [D] [W] de sa demande de condamnation de Madame [O] [U] en paiement de 5000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute Madame [D] [W] de sa demande de condamnation de Madame [O] [U] au paiement de 5 000 euros au titre de l’atteinte à son droit moral ;

Déboute Madame [O] [U] de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive ;

Condamne Madame [D] [W] aux dépens ;

Condamne Madame [D] [W] à payer 5 000 euros à Madame [O] [U] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 27 mars 2024

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 22/04505
Date de la décision : 27/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-27;22.04505 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award