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27/03/2024 | FRANCE | N°22/00547

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 3ème section, 27 mars 2024, 22/00547


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Me Havard Duclos, vestiaire J79
- Me Sidier, vestiaire R47
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me Boulon, vestiaire K92




3ème chambre
3ème section


N° RG 22/00547 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVZUM

N° MINUTE :


Assignation du :
29 décembre 2021










JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. [X] & VALENTIN [Adresse 14]
[Adresse 6]
[Localité 8]
<

br>représentée par Maître François-Xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0092



DÉFENDERESSES

S.A.S. DFS FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentée par Maître Sophie HAVARD DU...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Me Havard Duclos, vestiaire J79
- Me Sidier, vestiaire R47
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me Boulon, vestiaire K92

3ème chambre
3ème section


N° RG 22/00547 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CVZUM

N° MINUTE :

Assignation du :
29 décembre 2021

JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. [X] & VALENTIN [Adresse 14]
[Adresse 6]
[Localité 8]

représentée par Maître François-Xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0092

DÉFENDERESSES

S.A.S. DFS FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 7]

représentée par Maître Sophie HAVARD DUCLOS de la SELARL HAVARD DUCLOS & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J079

S.A.S. SELS
[Adresse 4]
[Localité 9]

représentée par Maître Nicolas SIDIER de la SCP PECHENARD & Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0047

Décision du 27 mars 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 22/00547 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVZUM

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Elodie GUENNEC, vice-présidente

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 20 décembre 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société par actions simplifiée (ci-après SAS) [X] & Valentin [Adresse 14] (ci-après [X] & Valentin), immatriculée en 2015, se présente comme une société spécialisée dans la boulangerie et la pâtisserie disposant de huit points de vente à [Localité 12] et en Ile-de-France.
À ce titre elle est titulaire du nom de domaine [011].com$gt; et des marques suivantes :- la marque française verbale “[X] & Valentin” n°4345867 déposée auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) le 14 mars 2017 pour désigner divers produits et services en classes 29, 30, 32, 35, 41 et 43
- la marque de l'Union européenne verbale “[X] & Valentin” n°016462921 déposée auprès de l'INPI le 14 mars 2017 pour désigner divers produits et services en classes 30, les préparations faites de céréales, pain, pâtisseries, confiserie, sandwiches, pizzas, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat, boissons à base de cacao, boissons à base de café, boissons à base de thé et, en classe 43, les services de restauration (alimentation), services de traiteurs.

La SAS DFS France, immatriculée en 2011, se présente comme une société appartenant au groupe DFS, spécialiste mondial de la vente de produits de luxe, lui-même détenu par le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH).
La SAS Sels, immatriculée en 2019, se présente comme issue du groupe Ludéric, une agence de communication historiquement chargée de concevoir, de créer et d'organiser des événements.
La SAS DFS France indique avoir conclu avec la société Grands Magasins de la Samaritaine Maison [X] [I] un contrat de bail commercial lui attribuant l'exploitation de divers espaces du magasin La Samaritaine puis avoir confié à la SAS Sels, par un contrat du 14 avril 2021, l'exploitation commerciale d'un point vente de boulangerie, restauration et bar dans ce magasin.
La société [X] & Valentin expose avoir constaté, au début de l'été 2021, l'existence de cet espace de boulangerie et de restauration dénommée “[X]”.
Estimant que cet usage portait atteinte à ses droits antérieurs, la SAS [X] & Valentin a, par l'intermédiaire de son conseil, le 12 juillet 2021, mis en demeure la SAS Sels de procéder au changement de l'enseigne “[X]”, de s'engager à cesser tout usage de cette dénomination sur tous supports ainsi que de lui formuler une proposition indemnitaire.
Par lettre officielle du 29 juillet 2021, la SAS DFS France, à laquelle la SAS Sels s'est par la suite associée, a répondu en indiquant que les demandes de la SAS [X] & Valentin lui paraissaient non fondées dès lors que le choix de dénomination “[X]” était un hommage à Monsieur [X] [I], fondateur de La Samaritaine et que son utilisation n'était pas de nature à générer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle avec les marques antérieures “[X] & Valentin”.
La SAS [X] & Valentin a répondu, à nouveau par l'intermédiaire de son conseil, le 9 septembre 2021, réitérant que l'usage de la dénomination “[X]” constituait un acte de contrefaçon de ses marques, outre une concurrence déloyale.
Par actes de commissaire de justice du 29 décembre 2021, la SAS [X] & Valentin a fait assigner les SAS DFS France et Sels en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire devant ce tribunal.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par une ordonnance du 23 mars 2023 et l'affaire plaidée à l'audience du 20 décembre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 31 janvier 2022, la SAS [X] & Valentin demande au tribunal de:- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes
- écarter des débats les pièces DFS n°3.1, 3.2, 3.3, 7.1 et 9 considérant leur carence probatoire
- à titre principal :
$gt; dire et juger que les SAS Sels et DFS France ont commis des actes de contrefaçon de sa marque française “[X] & Valentin” n°4345867 et de sa marque de l'Union européenne “[X] & Valentin” n°016462921, notamment en faisant usage du signe “[X]” à titre de nom commercial et d'enseigne pour commercialiser des produits de boulangerie et des services de restauration, ainsi qu'à titre de nom de domaine
$gt; dire et juger que les SAS Sels et DFS France ont commis des actes de concurrence déloyale distincts et retenir leur responsabilité délictuelle sur ce fondement
- en conséquence :
$gt; interdire aux sociétés Sels et DFS France de poursuivre, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, l'usage du signe “[X]”, seul ou associé à d'autres signes, ainsi que tout autre signe reproduisant ou imitant les marques “[X] & Valentin” n°4345867 et n°016462921, en France et dans l'Union européenne, sous astreinte de 3000 euros par infraction constatée passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir
$gt; interdire aux sociétés Sels et DFS France de poursuivre, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, l'usage du signe “[X]” et du code couleur bleu imitant ses signes distinctifs, sous astreinte de 3000 euros par infraction constatée passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir
$gt; condamner solidairement les SAS Sels et DFS France à lui verser :
* 45 000 euros en réparation de l'atteinte portée aux marques “[X] & Valentin” n°4345867 et n°016462921
* 100 000 euros en réparation du préjudice commercial subi, à parfaire
* 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale
$gt; condamner solidairement les SAS Sels et DFS France à publier à leurs frais le dispositif du jugement à intervenir ou un extrait de celui-ci, dans trois journaux ou sites internet à son choix, dans la limite de 15 000 euros HT par publication, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.[010].com pendant un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement, en caractères Times New Roman de taille 12, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard
- à titre subsidiaire, dire et juger que les SAS Sels et DFS France ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à son égard
- en conséquence :
$gt; interdire aux SAS Sels et DFS France de poursuivre, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, l'usage du signe “[X]”, seul ou associé à d'autres signes, ainsi que tout autre signe reproduisant ou imitant ses marques, dénomination commerciale et enseigne “[X] & Valentin”, en France et dans l'Union européenne, sous astreinte de 3000 euros par infraction constatée passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir
$gt; condamner solidairement les SAS Sels et DFS France à lui verser 150 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaires commis, le cas échéant à parfaire
$gt; condamner solidairement les SAS SELS et DFS France de publier le dispositif du jugement à intervenir ou un extrait de celui-ci, dans trois journaux à son choix, dans la limite de 15 000 euros HT par publication, ainsi que sur la page d'accueil du site internet www.[010].com, solidairement pendant un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement, en caractères Times New Roman en taille 12 aux frais avancés des SAS Sels et DFS France, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard
- en tout état de cause :
$gt; débouter les SAS DFS France et Sels de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, et en particulier débouter la société DFS France de sa demande pour procédure abusive
$gt; ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution
$gt; se réserver la liquidation des astreintes en application des dispositions de l'article L.131-3 du code des procédures civiles d'exécution
$gt; condamner les SAS Sels et DFS France à lui verser chacune 35 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
$gt; condamner solidairement les SAS Sels et DFS France aux entiers dépens de l'instance en application de l'article 699 du code de procédure civile, en ce compris les frais de constat exposés par elle.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2023, la société DFS France demande au tribunal de : - déclarer la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] irrecevable à agir sur le fondement de sa dénomination sociale, en l'absence de faits distincts
- débouter la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions pour n'être pas fondées
- condamner la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] à lui verser 1500 euros par application de l'article 1240 du code civil
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il lui serait ordonné de cesser l'usage du signe “[X]” et de la couleur bleue, lui accorder un délai qui ne saurait être inférieur à quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir
- écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir
- condamner la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] à lui verser 35 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Sophie Harvard Duclos, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 octobre 2022, la SAS Sels demande au tribunal de :- la juger bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- à titre principal, débouter la SAS [X] & Valentin [Adresse 14] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- à titre subsidiaire, condamner la société DFS France à la garantir et relever indemne de toutes condamnations prononcées à son encontre
- en tout état de cause, condamner la société [X] & Valentin [Adresse 14], et plus généralement tout succombant, à lui payer 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions des articles 695 à 699 du même code.

MOTIVATION

I - Sur la demande d’écarter les pièces des débats

Moyens des parties

La société [X] & Valentin soutient que les pièces n°3.1, 3.2, 3.3, 7.1 et 9 produites par la société DFS France doivent être écartées des débats dans la mesure où elles sont constituées de photographies ou d’impressions d’écran dont l’origine et la date ne sont pas établies et sont insuffisantes à établir la réalité des faits soutenus en défense, seul un procès-verbal de constat établi par un commissaire de justice ou toute autre personne habilitée à dresser des procès-verbaux ayant une force probante.
La société DFS France répond qu’elle a produit un constat établi par un commissaire de justice reprenant les constatations tirées des pièces contestées.
La société Sels n’a pas conclu à ce titre.
Réponse du tribunal

En application de l’article L.716-4-7 du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon de marque peut être prouvée par tous moyens.
Il en résulte que la contrefaçon de marque peut notamment l'être par des captures d'écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues par nature de force probante (voir en ce sens, pour une contrefaçon de logiciel, Cour de cassation, chambre commerciale, 7 juillet 2021, n°20-22.048).
Au cas présent, la société [X] & Valentin se contente d’invoquer de manière générale que les pièces n°3.1, 3.2, 3.3, 7.1 et 9 produites par la société DFS France ne sont pas datées et ne détaillent pas leur origine. Ce faisant, elle n’articule aucun moyen permettant de considérer que ces pièces sont par nature dépourvues de force probante, l’argument ne portant que sur leur contenu.
Dès lors, dans la mesure où il appartient au tribunal d’apprécier la valeur probante des pièces qui lui sont soumises, cela ne rend pas pour autant ces pièces irrecevables de sorte que la demande de la société [X] & Valentin visant à ce qu’elles soient écartées des débats doit être rejetée.
II - Sur la demande en contrefaçon de marques

Moyens des parties

La société [X] & Valentin fait valoir que le signe “[X]” exploité par les défenderesses à titre de nom commercial, d’enseigne et de nom de domaine présente un risque de confusion indéniable avec ses marques antérieures “[X] & Valentin” compte tenu, d’une part, de la similarité existante entre les signes entre eux et, d’autre part, de l’identité des produits et services pour lesquels ils sont exploités, générant, selon elle, un risque de confusion pour le public concerné. Elle précise que le signe litigieux doit être comparé à ses marques dans sa forme verbale, les défenderesses n’en faisant pas seulement usage sous sa forme stylisée en bleu.
La société DFS France conclut à l’absence de contrefaçon en raison de l’absence d’imitation des marques opposées par le signe critiqué, lequel doit être comparé dans sa forme stylisée, son usage sous une forme purement verbale n’étant effectué que sur les tickets de caisse, lesquels ne sont pas visibles par le consommateur au moment de son acte d’achat, mais ne sont susceptibles d’être perçues que postérieurement à la vente.
La société Sels s’associe aux moyens développés par la société DFS France au titre de l’absence de contrefaçon de marque.
Réponse du tribunal

Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire a été codifié à droit constant par le règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire, puis par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne qui, aux termes de l'article 9 paragraphe 2, dispose que sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée ;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque (...).

Ces dispositions sont équivalentes à celles de l'article 5 paragraphe 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, qui a codifié la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et dont le titre Ier du livre VII du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne.
Selon l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.

Selon l'article L.716-4 du même code, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L.713-2 à L.713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L.713-4.
Aux termes de l'article L.717-1 du code de la propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 13 et 15 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne.

Il en résulte que le titulaire d'une marque enregistrée ne peut interdire l'usage par un tiers d'un signe identique à sa marque, (...), que si les quatre conditions suivantes sont réunies :- cet usage doit avoir lieu dans la vie des affaires ;
- il doit être fait sans le consentement du titulaire de la marque ;
- il doit être fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, et
- il doit porter atteinte ou être susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services (CJCE, 11 septembre 2007, Céline SARL c. Céline SA, C-17/06, point 16).

Interprétant les dispositions similaires du précédent règlement, la CJCE a dit pour droit que l'existence d'un risque de confusion, lequel comprend un risque d'association dans l'esprit du public concerné, s'apprécie de manière globale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au regard de l'impression d'ensemble produite par les signes en cause, mais également de l'identité et de la similarité des produits et services couverts, un faible degré de similitude entre les marques opposées pouvant être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services couverts et inversement (CJCE, Sabel BV c. Puma, 11 novembre 1997, C-251/95).
L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants (CJCE, Bimbo c. OHMI, 8 mai 2014, C-591/12, points 21-23, 33 et 34).
En l'absence de reproduction à l'identique de la marque opposée, l'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (CJUE, 12 juin 2007, OHMI c. Shaker, C-334/05).
En l’occurrence, les marques verbales française“[X] & Valentin” n°4345867 et européenne “[X] & Valentin” n°016462921 sont composées des deux même mots issus des prénoms français éponymes séparés par une esperluette.
Le signe critiqué “[X]”, qu’il soit pris dans son acception seulement verbale ou dans sa forme stylisée, reproduit le premier mot des marques invoquées, lequel a un aspect dominant compte tenu de son positionnement en attaque de ces marques.
Néanmoins, la présence des mots “& Valentin” dans les marques opposées est tout aussi distinctif, au regard des produits et services de boulangerie visés à leur enregistrement, et également perceptible que le premier mot de ces marques, mêmes placés en position seconde, tandis que le signe critiqué n’est constitué que d’un seul mot, en sorte que la similitude visuelle et auditive est faible.
Conceptuellement, le signe critiqué renvoie au même premier prénom que les marques invoquées. Toutefois, les marques opposées incluant les mots “& Valentin” évoquent l’association de deux personnes. La similitude conceptuelle est, de ce fait, faible.
La marque verbale française “[X] & Valentin” n°4345867 vise à son enregistrement les produits et services suivants : en classe 29 fruits conservés, fruits congelés, fruits secs, fruits cuisinés, gelées, confitures, compotes, boissons lactées où le lait prédomine, en classe 30, tapioca, farine, prépa, il faudrait rations faites de céréales, pain, pâtisseries, confiserie, glaces alimentaires, miel, levure, poudre à lever, sandwiches, pizzas, crêpes (alimentation), biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat, boissons à base de cacao, boissons à base de café, boissons à base de thé, en classe 32, boissons à base de fruits, jus de fruits, sirops pour boissons, préparations pour faire des boissons, limonades, nectars de fruits, sodas, apéritifs sans alcool, en classe 35, gestion des affaires commerciales, administration commerciale, présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail, conseils en organisation et direction des affaires, portage salarial, relations publiques, audits d'entreprises (analyses commerciales), en classe 41, formation, recyclage professionnel, organisation et conduite de colloques, organisation et conduite de conférences, organisation et conduite de congrès, organisation d'expositions à buts culturels ou éducatifs, en classe 43, services de restauration (alimentation), services de traiteurs (pièce [X] & Valentin n°4).
La marque de l'Union européenne verbale “[X] & Valentin” n°016462921 vise à son enregistrement les produits et services suivants : en classe 30, tapioca, farine, préparations faites de céréales, pain, pâtisseries, confiserie, glaces alimentaires, miel, levure, poudre à lever, sandwiches, pizzas, crêpes alimentation, biscuits, gâteaux, biscottes, sucreries, chocolat, boissons à base de cacao, boissons à base de café, boissons à base de thé et en classe 43, services de restauration (alimentation), services de traiteurs (pièce [X] & Valentin n°5).
Le signe contesté est utilisé par la société Sels pour des services de boulangerie, pâtisserie, bar et restauration (pièces [X] & Valentin n°9 et 12, pièces Sels n°3 et 4).
Il s’ensuit que le signe critiqué est utilisé pour des produits et services identiques sinon fortement similaires à ceux visés à l’enregistrement des marques invoquées.
Par ailleurs, la société DFS France produit aux débats des extraits du registre national des marques montrant qu’il existe plusieurs marques intitulées “[X]” visant les produits et services associés à la boulangerie à leur enregistrement, de même qu’au moins neuf boulangeries exercent sous une dénomination comportant l’association de deux prénoms reliés par une esperluette, l’ensemble tendant à relativiser le caractère distinctif des marques “[X] & Valentin” pour les produits et services visés à leur enregistrement (pièce DFS France n°6-14 et 7-1).
Il résulte de l’ensemble une absence de risque de confusion pour le public pertinent, consommateur raisonnablement informé et moyennement attentif et avisé de produits de boulangerie, entre le signe “[X]” critiqué et les marques verbales française “[X] & Valentin” n°4345867 et européenne verbale “[X] & Valentin” n°016462921.

Les demandes de la société [X] & Valentin fondées sur la contrefaçon de ces marques seront, en conséquence, rejetées.
III - Sur la demande en concurrence déloyale

Moyens des parties

La société [X] & Valentin reproche aux défenderesses, tant à titre principal qu’à titre subsidiaire, l’utilisation du même code couleur bleu que le sien, associé au signe “[X]” pour exploiter leurs produits, y compris sur internet, et pour décorer leur boutique, laquelle, en outre, est située à proximité de la sienne. Elle estime que la nuance de bleu utilisée par les défenderesses est quasiment identique à la sienne, créant pour le public une association avec sa charte visuelle, l’ensemble constituant un détournement de sa clientèle et venant parasiter ses efforts et investissements consacrés à assurer sa reconnaissance sur un marché particulièrement concurrentiel.
La société DFS France oppose que les demandes en concurrence déloyale fondées sur l’usage du signe “[X]” ne visent pas de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et sont, selon elle, irrecevables. Elle considère, au fond, que la différence des signes en présence et l’identité graphique qu’elle a adoptée excluent tout risque de confusion, que la proximité géographique alléguée est inopérante compte tenu de l’éloignement des deux boutiques, que la demanderesse ne fait pas usage du code couleur qu’elle revendique, ses huit boutiques présentant une identité visuelle différente, celle de la [Adresse 14] faisant un usage banal d’un bleu dans une teinte violine, tandis que la boutique exploitée par la société Sels mêle plusieurs couleurs.
La société Sels s’associe aux moyens développés par la société DFS France au titre de l’absence de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Réponse du tribunal

Aux termes des articles 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23.694).
L'action en concurrence déloyale n'est pas un succédané de l'action en contrefaçon et exige la preuve d'une faute relevant de faits distincts de ceux allégués au titre de la contrefaçon (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 16 décembre 2008, n°07-17.092).
Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, n°16-23.694).
En l’espèce, la société [X] & Valentin fonde ses demandes à ce titre sur d’autres faits que l’usage du signe “[X]”, en particulier l’adoption du code couleur bleu qu’elle affirme lui être propre.
Néanmoins, à cet égard, en premier lieu, il ressort des propres pièces de la société [X] & Valentin que la boutique exploitée par la société Sels au rez-de-chaussée et au premier étage de la Samaritaine, située [Adresse 13] à [Localité 12], ne fait usage de la couleur bleu qu’à l’étage prévu pour la restauration, tandis que d’autres couleurs vives, le jaune et l’orange notamment, sont utilisées au rez-de-chaussée pour l’espace de vente de boulangerie (pièces [X] & Valentin n°12 page 53 et DFS France n°10).
En deuxième lieu, les publications sur internet, en particulier sur le compte Instagram [Courriel 1]$gt;, se distinguent de celles publiées sur le compte [Courriel 2]$gt;, quand bien même certaines photographies des défenderesses sont présentées sur fond bleu, celles de la demanderesse étant présentées sur un fond de carrelage bleu foncé, tandis que le fond des photographies des défenderesses varie. Ces photographies en elles-mêmes, en tant qu’elles figurent les produits proposés à la vente par l’une et l’autre, sont à la fois différentes et banales.
En troisième lieu, la société DFS France établit que l’usage d’un bleu proche de celui utilisé par la demanderesse est banal, au moins cinq boulangeries à [Localité 12] présentant une devanture avec une telle couleur (leur pièce n°9).
En dernier lieu, la société DFS France démontre, également, que la boutique de la demanderesse située [Adresse 5] à [Localité 12] n’emploie pas le code couleur bleu revendiqué et utilisé sur les réseaux sociaux, mais une couleur marron (leur pièce n°7-2). Elle en déduit à bon droit que la proximité géographique des deux boutiques, à la supposer établie, est inopérante.
Il résulte de l’ensemble que les faits critiqués par la société [X] & Valentin ne relèvent ni de la concurrence déloyale, à défaut de risque de confusion, ni du parasitisme, à défaut pour les défenderesses de se placer dans son sillage.
IV - Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

Moyens des parties

La société DFS France considère que la demanderesse n’a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits à agir tant en contrefaçon, qu’en concurrence déloyale et en parasitisme et a agi avec une légèreté blâmable dans le seul but de l’intimider.
La société [X] & Valentin conteste tout abus compte tenu qu’elle estime ses demandes bien fondées.
La société Sels n’a pas conclu à ce titre.
Réponse du tribunal

L'article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée ou par une légèreté inexcusable, obligeant l'autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, n°11-15.473).
Au cas présent, la seule circonstance que la société [X] & Valentin soit déboutée de ses demandes n'est pas de nature à faire dégénérer son action en abus et la société DFS France ne démontre aucun préjudice distinct des frais engagés pour sa défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens.
La demande de la société DFS France à ce titre sera, en conséquence, rejetée.
V - Sur les demandes accessoires

V.1 - Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
Selon l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.

La société [X] & Valentin, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit des avocats des sociétés DFS France et Sels.
V.2 - Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
La société [X] & Valentin, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer 10 000 euros à la société DFS France et 2000 euros à la société Sels à ce titre.
V. 3 - Sur l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
L’exécution provisoire de droit n’a pas à être écartée en l’espèce.
PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette la demande de la société [X] & Valentin [Adresse 14] d’écarter des débats les pièces n°3.1, 3.2, 3.3, 7.1 et 9 produites par la société DFS France ;

Déboute la société [X] & Valentin [Adresse 14] de ses demandes fondées sur la contrefaçon des marques verbales française “[X] & Valentin” n°4345867 et européenne verbale “[X] & Valentin” n°016462921 ;

Déboute la société [X] & Valentin [Adresse 14] de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme ;

Déboute la société DFS France de sa demande reconventionnelle en procédure abusive ;

Condamne la société [X] & Valentin [Adresse 14] aux dépens, avec droit pour Maîtres Sophie Havard Duclos et Nicolas Sidier, avocats au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont ils ont fait l’avance sans recevoir provision ;

Condamne la société [X] & Valentin [Adresse 14] à payer 10 000 euros à la société DFS France et 2000 euros à la société Sels en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 27 mars 2024

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 22/00547
Date de la décision : 27/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-27;22.00547 ?
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