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27/03/2024 | FRANCE | N°21/04132

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 3ème section, 27 mars 2024, 21/04132


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Maître Mergui, vestiaire R275
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Maître Caron, vestiaire C500




3ème chambre
3ème section


N° RG 21/04132 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CUBEN

N° MINUTE :


Assignation du :
11 mars 2021















JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [X] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître

Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0275



DÉFENDERESSE

S.A. GIVENCHY
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barrea...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :
- Maître Mergui, vestiaire R275
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Maître Caron, vestiaire C500

3ème chambre
3ème section


N° RG 21/04132 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CUBEN

N° MINUTE :

Assignation du :
11 mars 2021

JUGEMENT
rendu le 27 mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [X] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0275

DÉFENDERESSE

S.A. GIVENCHY
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0500

Décision du 27 Mars 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 21/04132 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUBEN

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Elodie GUENNEC, vice-présidente

assistés de Caroline REBOUL greffière lors des débats et de Lorine MILLE, greffière lors de la mise à disposition,

DÉBATS

A l’audience du 16 novembre 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 février 2024 puis prorogé en dernier lieu au 27 mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur [Y] [X] [W] se présente comme un artiste plasticien appartenant au mouvement street art, connu sous le pseudonyme “[Z]” en France et à l'international.
La société anonyme Givenchy se présente comme une maison de couture fondée en 1952 par [O] [L] ayant rejoint le groupe LVMH en 1988.
M. [W] expose avoir constaté, en juillet 2020, que la société Givenchy proposait à la vente sur son site internet un tee-shirt représentant la marque verbale “Givenchy” dont il estime qu’il reprend les caractéristiques originales de son œuvre “Liquidated Google”.
M. [W] a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Givenchy, le 27 août 2020, de retirer de la vente le produit litigieux. Par courrier du 18 septembre 2020, la société Givenchy a refusé de faire droit aux réclamations de M. [W] au motif, notamment, que ce dernier entendait revendiquer un monopole sur une idée non protégeable consistant à faire dégouliner des formes.
Par acte d'huissier du 11 mars 2021, M. [W] a fait assigner la société Givenchy devant ce tribunal en contrefaçon de droit d'auteur, à titre principal, et concurrence déloyale et parasitaire, à titre subsidiaire.
L’affaire a été appelée à l’audience de conférence du 26 mai 2021 et le juge de la mise en état a été saisi à l’issue. Par conclusions du 9 mai 2022, la société Givenchy a saisi le juge de la mise en état de fins de non-recevoir tirées du défaut de démonstration par M. [W] des œuvres dont il a revendiqué la protection par le droit d’auteur et, au titre des droits patrimoniaux attachés aux dites œuvres, au motif qu’il a apportés ces droits à la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques. Par mesure d’administration judiciaire du 3 juin 2022 le juge de la mise en état a renvoyé l’examen de ces fins de non-recevoir au tribunal.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance du 17 novembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 16 novembre 2023 pour être plaidée après renvoi de l’audience du 11 octobre 2023 à la demande des parties.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 1er août 2022, M. [W] a demandé au tribunal de :- le dire et juger recevable et bien fondé en ses demandes ;
à titre principal :
- dire et juger qu’il est titulaire des droits d'auteur sur l'œuvre “Liquidated Google” telle que reproduite dans l'assignation et créée en 2009
- dire et juger que son œuvre “Liquidated Google” est originale, ce qui la rend éligible à la protection par le droit d'auteur
- dire et juger qu'en produisant, commercialisant et diffusant un tee-shirt reproduisant son œuvre “Liquidated Google” créée en 2009, la société Givenchy a commis des actes de contrefaçon
- en conséquence, condamner la société Givenchy à lui payer :
$gt; 100 000 euros à parfaire, en réparation de son préjudice lié à l'atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur
$gt; 100 000 euros à parfaire, en réparation de son préjudice lié à l'atteinte à ses droits extrapatrimoniaux d'auteur
à titre subsidiaire :
- dire et juger qu'en produisant, commercialisant et diffusant un tee-shirt reproduisant son œuvre “Liquidated Google”, la société Givenchy a commis des faits de concurrence déloyale et parasitaire
- en conséquence, condamner la société Givenchy à lui payer :
$gt; 100 000 euros à valoir sur son préjudice découlant des faits de parasitisme
$gt; 100 000 euros à valoir sur son préjudice lié aux faits de concurrence déloyale
en tout état de cause :
- faire sommation à la société Givenchy de communiquer, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, l'intégralité des documents comptables relatifs aux produits contrefaisants à savoir :
$gt; l'état comptable complet faisant ressortir les quantités de produit “t-shirt slim brodé Givenchy multicolore” et des sweatshirts Givenchy référencé BWJ0193Z3R, et de tout autre produit Givenchy reproduisant le même visuel, fabriqués ou importés, livrés et commercialisés, en ce compris l'ensemble des bons de commandes et bons de livraison, les factures, les états des stocks et des ventes
$gt; l'identité des fabricants
$gt; le chiffre d'affaires HT et la marge réalisée sur la vente des produits “t-shirt slim brodé Givenchy multicolore” et sweatshirts Givenchy référencés BWJ0193Z3R et des autres produits Givenchy reproduisant le visuel litigieux
$gt; le tout certifié par un expert-comptable indépendant

Décision du 27 Mars 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 21/04132 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUBEN

- faire interdiction à la société Givenchy d'importer, d'exporter, de fabriquer, de commercialiser, d'offrir à la vente et de vendre, à quelque titre que ce soit, des tee-shirts et des sweatshirts contrefaisants, mais encore de tout autre article reproduisant ou imitant son œuvre originale “Liquidated Google” ou toute autre de ses œuvres, sous astreinte de 1500 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir
- ordonner à la société Givenchy de procéder au retrait des produits litigieux des circuits commerciaux, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard au-delà d'un délai de huit jours courant à compter de la signification du jugement à intervenir
- ordonner à la société Givenchy de procéder à la destruction des tee-shirts et sweatshirts litigieux aux frais exclusifs de la société Givenchy, sous astreinte de 1000 euros par infraction au-delà d'un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, ainsi qu'à la cessation de la diffusion sur internet et les réseaux sociaux des images reproduisant lesdits tee-shirts
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Givenchy et aux frais avancés de la société Givenchy et à sa charge, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder 6000 euros hors taxes
- ordonner la publication, aux frais de la société Givenchy, du dispositif de la décision à intervenir en première page du site internet https://www.lvmh.fr/ et https://www.givenchy.com/fr dans sa partie supérieure, de façon immédiatement visible par le public, dans une taille de caractères d'une valeur au moins égale à 12, durant une période d'un mois et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard passé un délai de 10 jours courant à partir de la signification du jugement à intervenir
- condamner la société Givenchy à lui verser 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
- condamner la société Givenchy au remboursement de l'intégralité des frais engagés pour la constatation par huissier des faits litigieux.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2022, la société Givenchy demande au tribunal de :à titre principal, sur la contrefaçon
- dire à titre principal que M. [W] ne démontre pas sa qualité d'auteur et qu’il n'a pas qualité à agir en contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur qu'il a apportés à l'ADAGP et dire en conséquence qu'il est irrecevable à agir
- dire à titre subsidiaire que la ou les créations prétendument contrefaites objets de la présente action en contrefaçon ne sont pas datées avec certitude, ni identifiées avec précision
- dire qu'il n'est pas démontré que le ou les logos liquidés Google dont le demandeur revendique la protection seraient protégeables par le droit d'auteur et dire que M. [W] revendique la protection d'une simple idée non protégeable
- dire à titre très subsidiaire qu'une simple comparaison des œuvres en cause permet d'exclure toute contrefaçon compte tenu de leurs différences, et dire que M. [W] ne peut pas revendiquer une atteinte à son droit moral sur une œuvre distincte de sa création et dire que le seul point commun entre les créations est un concept non protégeable par le droit d'auteur et qui appartient au fonds commun, soit le fait de faire dégouliner les lettres d'un logo
- dire à titre infiniment subsidiaire que M. [W] abuse de son droit moral en le détournant de sa finalité, en l'exerçant avec légèreté blâmable et dans l'intention de lui nuire, ce qui doit en neutraliser l'exercice
- dire en tout état de cause que les demandes indemnitaires de M. [W] sur le fondement de la contrefaçon sont injustifiées et disproportionnées
- en conséquence, débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes au titre de la prétendue contrefaçon de droits d'auteur
à titre subsidiaire, sur les actes de parasitisme et de concurrence déloyale et parasitaire
- dire que les conditions de la concurrence déloyale et du parasitisme ne sont pas réunies en l'espèce et que le demandeur ne démontre avoir subi aucun préjudice
- en conséquence, débouter M. [W] de l'intégralité de ses réclamations au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme
- en tout état de cause, débouter Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes, de sa demande de sommation de communiquer, de ses demandes d'interdiction, de destruction des stocks de t-shirts et de sweat-shirts, de retrait des circuits commerciaux, et de retrait de leur promotion sur les réseaux sociaux et internet, de ses demandes de publications judiciaires, de sa demande d'exécution provisoire
- à titre subsidiaire, si l'exécution provisoire était ordonnée, ordonner la constitution d'une garantie, consignée auprès de la Caisse des dépôts et consignations, par M. [W] au profit de la société Givenchy de l'intégralité des dommages et intérêts accordés
- condamner le demandeur à payer à la société Givenchy 30 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner à payer les entiers dépens de la procédure qui pourront être directement recouvrés par le cabinet Christophe Caron dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile
à titre reconventionnel
- dire et juger que l'action engagée par le demandeur est manifestement abusive en ce qu'elle constitue un abus de son droit d'ester en justice, de nature à engager sa responsabilité et le condamner à lui verser 10 000 euros pour procédure abusive, ainsi que 5000 euros d'amende civile.

MOTIVATION

I - Sur la fin de non-recevoir tirée de l'apport des droits à l'ADAGP

Moyens des parties

La société Givenchy soutient que M. [W] est irrecevable à agir en contrefaçon du fait de l'apport de ses droits patrimoniaux à l'ADAGP, la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, qui l'a dessaisi de ceux-ci, de sorte que seule l'ADAGP a qualité pour ester en justice pour la défense de ces droits, à l’instar des apports réalisés au profit de la société des auteurs et compositeurs de musique (SACEM).
M. [W] répond que son adhésion à l'ADAGP n'a entrainé qu'un apport en gestion globale de ses droits patrimoniaux ce qui ne lui a pas fait perdre son droit d'agir en contrefaçon et qu’il existe un risque que l’ADAGP n’exerce pas d’action en contrefaçon pour la protection de ses droits d’auteur.
Réponse du tribunal

Selon l'article L.122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.
L'article L.321-1 I) du même code dispose que les organismes de gestion collective sont des personnes morales constituées sous toute forme juridique dont l'objet principal consiste à gérer le droit d'auteur ou les droits voisins de celui-ci pour le compte de plusieurs titulaires de ces droits, tels que définis aux livres Ier et II du présent code, à leur profit collectif, soit en vertu de dispositions légales, soit en exécution d'un contrat.
L'article L.321-2 alinéa 1 du même code précise que les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant.
L’apport, par un auteur, à une société de gestion de l'exercice de ses droits patrimoniaux, le rend irrecevable, sauf carence de cette société, à agir personnellement en défense de ceux-ci (en ce sens, pour un apport à la SACEM, Cour de cassation, 1ère chambre civile, 1 mars 2017, n°12-25.755).
L’apport de droits patrimoniaux d’auteur à une société de gestion peut avoir lieu pour certains d’entre eux seulement, rendant l’auteur recevable à agir au titre des droits qu’il n’a pas apportés (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 9 avril 2014, n°12-19.427).
En l'espèce, l'article 2 a) et b) des statuts de l'ADAGP stipule que “du fait même de son adhésion, [toute personne titulaire de tout ou partie des droits patrimoniaux sur l'œuvre d'un auteur des arts visuels], fait apport à la Société, en tous pays et pour la durée de la Société, sous réserve des dispositions des articles 6 et 48 ci-après :a) du droit d'autoriser ou d'interdire la représentation ou la communication directe des œuvres au public, notamment par voie d'exposition,
b) du droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction des œuvres,
c) du droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction des œuvres lorsque cette reproduction est nécessaire à la représentation ou à la communication desdites œuvres au public, par un procédé quelconque tel que, sans que cette liste soit limitative, le film cinématographique, les vidéogrammes, la câblodistribution, la diffusion par satellite, l'exploitation sur tous les supports multimédias (hors ligne) et la diffusion par réseaux (en ligne), etc. (…) "

L'article 9 de ces mêmes statuts ajoute que : “La Société a pour objet :1) l'exercice et l'administration dans tous les pays de tous les droits relatifs à l'utilisation des œuvres, lesquels comprennent entre autres les droits patrimoniaux reconnus aux auteurs par le code de la propriété intellectuelle, ainsi que la perception et la répartition des redevances ou de toute autre indemnité provenant de l'exercice desdits droits et plus généralement de toutes sommes de toute nature dues par des tiers du fait de l'exploitation licite ou illicite desdites œuvres, (…)
4) la défense des droits de ses associés vis-à-vis de tous tiers, (…)
Elle a qualité pour :
- ester en justice afin d'assurer la défense des droits individuels de ses membres et des intérêts et droits de la généralité de ses associés ; (…).”

Comme le relève la défenderesse, l’article 2 des statuts de l’ADAGP distingue clairement les droits faisant l'objet d'un apport à cette société de ceux faisant l'objet d'un apport en gérance qui comprennent par exemple le droit de suite ou de rémunération pour copie privée.
De plus, il résulte de la preuve de l'adhésion de M. [W] à l'ADAGP versée aux débats par la société Givenchy (sa pièce n°8) que celui-ci a notamment apporté ses droits de reproduction et de représentation à la société, ce que le demandeur ne conteste d'ailleurs pas.
Enfin, M. [W], qui procède par voie d'affirmations non démontrées lorsqu'il énonce que la carence de l'ADAGP n'est pas à exclure compte tenu du contexte dans lequel il a découvert les agissements de la société Givenchy, dans la mesure où il n'apporte aucune preuve de cette carence quant à la défense de ses droits patrimoniaux.
Dans ces circonstances, M. [W] est irrecevable à agir en contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur qu'il a apportés à l'ADAGP.
II - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité d'auteur

Moyens des parties

La société Givenchy fait valoir que le demandeur n'a pas qualité à agir en contrefaçon puisqu'il ne démontre pas être l'auteur des œuvres dont il revendique la protection, faute de prouver leur divulgation sous son nom.
M. [W] oppose qu'il démontre parfaitement sa qualité d'auteur compte tenu des pièces qu’il produit.
Réponse du tribunal

Aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.
La qualité d'auteur d'une œuvre de l'esprit est une condition du bien-fondé de l'action en contrefaçon de droit d'auteur et non la condition de sa recevabilité. En effet, la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l'esprit ne résulte d'aucun titre enregistré, cette qualité étant appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Force est en outre de constater que cette appréciation dépend de la question préalable de l'originalité de l'œuvre en litige, dont il est constamment jugé qu'il s'agit d'une condition dont dépend le bien-fondé de l'action en contrefaçon, et non sa recevabilité (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.351). Il ne peut qu'en être déduit que la "qualité" d'auteur d'une œuvre, doit de la même manière être regardée comme une condition dont dépend le bien-fondé de l'action en contrefaçon de droit d'auteur, et non sa recevabilité.
La fin de non-recevoir soulevée par la société Givenchy sera, en conséquence, écartée.
III - Sur la protection de l’œuvre par le droit d’auteur

Moyens des parties

M. [W] assure ne revendiquer qu’une œuvre, intitulée “Liquidated Google”, dont la contrefaçon est commise par la défenderesse. Il considère que ce tableau présente un aspect visuel particulièrement original exprimant sa personnalité, en particulier eu égard au message qu'il porte sur la marque et la publicité. Il ajoute que les antériorités opposées par la société Givenchy, dont l'authenticité n'est pas vérifiée, ne sont que des pièces relatives à des coulures, sous quelque forme que ce soit, alors qu'il ne revendique pas la technique de la coulure ou du dripping, mais le traitement visuel qu'il en a réalisé dans son œuvre “Liquidated Google”.
La société Givenchy avance que M. [W] n'identifie pas avec précision la ou les œuvres qui fondent son action en contrefaçon, ni les caractéristiques de l'œuvre dont il sollicite la protection, ni la date certaine de ses prétendues créations. Elle estime que le message véhiculé tout comme la notoriété d'un artiste sont indifférents lorsqu'il s'agit de juger de l'originalité d'une œuvre, que le fait pour une coulure de dégouliner est un phénomène naturel non appropriable ou une démarche picturale appelée “dripping” non susceptible de protection par le droit d'auteur, que M. [W] n'est pas l'auteur du logo de l'entreprise Google de sorte que sa prétendue œuvre n'est qu'une adaptation sans autorisation d'une œuvre préalable existante et que les couleurs n'ont pas été choisies par le demandeur.
Réponse du tribunal

III.1 - S’agissant de l’identification de l’œuvre

Aux termes de l'article L.111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.
Il incombe à celui qui agit en contrefaçon d'identifier les caractéristiques de l’œuvre qui portent l'empreinte de la personnalité de son auteur et, partant, d'établir qu'elle remplit les conditions pour être investie de la protection légale (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 8 novembre 2017, n°16-22.105).
En l'espèce, M. [W] revendique des caractéristiques originales sur une création qu'il intitule “Liquidated Google Black” (sa pièce n°10). À ce titre, il verse aux débats une attestation du directeur de la galerie newyorkaise [N] Gallery attestant sur l'honneur que cette œuvre “Liquidated Google”, sur fond noir, a été créée le 9 octobre 2010 et exposée dans sa galerie ainsi que lors de la foire internationale d'art de Miami avant d'être vendue le 3 décembre 2010 (sa pièce n°44). Il verse également un email du 9 novembre 2011 provenant de cette même galerie et sollicitant de lui une facture de la vente de l’œuvre intitulée “Liquidated Google, Black” de 2010 (sa pièce n°28).
Contrairement à ce qu'allègue la défenderesse, l'œuvre est donc suffisamment identifiée et les conclusions du demandeur mentionnent expressément que la protection est spécifiquement revendiquée pour cette œuvre “Liquidated Google” réalisée sur fond noir et finalisée en 2010 (pages 7, 10, 15, 16, 20, 23 à 38).
En conséquence, le moyen visant à dénier la protection offerte par le droit d'auteur en ce qu'elle serait revendiquée pour un ensemble d'œuvres non identifiées doit être écarté.
III.2 S’agissant de l’originalité de l’œuvre

Aux termes de l'article L.111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.
Selon l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient aux auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
L'article L.112-2, 7° et 8° dudit code dispose que sont considérées comme œuvres de l'esprit les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ainsi que les œuvres graphiques et typographiques.
La protection d'une œuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale. L'originalité d'une œuvre résulte notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires de son auteur qui caractérisent un effort créatif portant l'empreinte de sa personnalité, et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.
Lorsque la protection par le droit d'auteur est contestée en défense, l'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend l'auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité. En effet, le principe de la contradiction prévu à l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques revendiquées de l'œuvre qui fondent l'atteinte alléguée et apporter la preuve de l'absence d'originalité de l'œuvre.
M. [W] expose que l’originalité de sa création “Liquitated Google” résulte de la combinaison des caractéristiques suivantes :“- il fait dégouliner chaque lettre du signe Google
- des coulures s'écoulent de chaque lettre et glissent dans le sens de la gravité
- des coulures dégoulinent de la partie supérieure de chaque lettre dans la même couleur vive de la lettre : couleurs bleu, rouge, jaune, vert
- les coulures sont irrégulières et ne se touchent pas d'une lettre à l'autre
- elles sont de longueurs différentes les unes des autres, illustrant le caractère encore aléatoire de la matière” (conclusions de M. [W] p. 24).

Il indique encore créer “ainsi l'illusion que ce signe est en train de fondre, de saigner”, “comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir”.
M. [W] démontre ainsi l’existence de choix esthétiques libres, arbitraires et de ses efforts créatifs matérialisés dans sa création “Liquidated Google”, traduisant l’empreinte de sa personnalité.
Les œuvres antérieures produites par la société Givenchy, en particulier celles caractéristiques de la technique de la coulure, ou courant du “dripping”, ne sont pas de nature à oter son originalité à l’œuvre revendiquée, même s’il est possible de voir dans l’œuvre de M. [W] une affiliation à ce courant. En effet, d’une part, aucune des œuvres ou créations versées au débat dont la date de divulgation est antérieure à l’œuvre “Liquidated Google” ne porte sur le logo Google, nombreuses étant celles qui n’ont pas date certaine, d’autre part, l’impression visuelle produite par l’œuvre “Liquidated Google” est distincte, notamment par l’effet de décalage produit par la combinaison du logo Google, et des coulures propres à chaque lettre de ce logo traduisant la posture critique de l’auteur à l’égard de la société Google.
De même, la société Givenchy ne saurait reprocher à M. [W] de chercher à obtenir un monopole sur une idée ayant libre cours ou sur un concept, le message de M. [W] s’étant concrétisé dans l’œuvre matérielle identifiée sous le titre “Liquidated Google” dont il établit l’originalité.
M. [W] est, en conséquence, bien fondé à revendiquer l’originalité de son œuvre “Liquidated Google” et sa protection par le droit d’auteur.
III.3 S’agissant de la qualité d’auteur de M. [W]

Aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.
L’article 202 du code de procédure civile prévoit que l’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles.
Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.
L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

Les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 18 mars 1998, n°95-10.210) et les modes de preuves ne se limitant pas aux attestations, le juge ne peut rejeter des lettres au motif qu'elles doivent être considérées comme des attestations et qu'elles ne sont pas conformes à l'article 202 du code de procédure civile (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 9 janvier 1991, n°89-17.338).
En l'espèce, l'œuvre invoquée à l'appui des demandes de M. [W] est un tableau intitulé “Liquidated Google” qu'il affirme avoir conçu en 2009 et finalisé en 2010 (ses conclusions pages 7, 10, 15, 16, 20, 23 à 38).
Aux fins d'établir la divulgation de ce tableau sous son nom, M. [W] verse aux débats une attestation, dont la force probante ne peut être remise en cause du seul fait de l'absence de certaines mentions (sa pièce n°44). Ce document est signé de M. [M] [N], se présentant comme directeur de la galerie newyorkaise [N] Gallery, attestant sur l'honneur que l'œuvre “Liquidated Google”, sur fond noir, a été créée par l'artiste [X] [W] dit [Z] et qu'elle a fait l'objet d'une exposition sur le stand de sa galerie au mois de décembre 2010 pendant cinq jours, lors de la foire internationale d'art de Miami, Red Dot Art Fair. Cette attestation est corroborée par un article internet relatant cette exposition de décembre 2010, accompagné d'une photo de l'œuvre exposée ainsi que par un email du 9 novembre 2011, dont l'authenticité n'est pas contestée par la société Givenchy, provenant de la galerie [N] Gallery et sollicitant de M. [W] une facture suite à la vente, notamment, du tableau “Liquidated Google, Black” de 2010 (sa pièce n°28).
Il résulte de ces éléments que ce tableau a fait l'objet d'une divulgation sous le nom de M. [W] dit “[Z]”, outre que la société Givenchy n'apporte pas la preuve contraire.
En conséquence, M. [W] est bien fondé à se dire auteur de l’œuvre “Liquidated Google”.
IV - Sur l’atteinte au droit moral

Moyens des parties

M. [W] affirme que la défenderesse a reproduit les caractéristiques originales de son œuvre en présentant sa propre marque en couleurs dégoulinant sur des tee-shirts et des sweat-shirts commercialisés en série. Il estime que cette reproduction porte atteinte à son droit moral d’auteur en raison de la dénaturation de son œuvre du fait de la dévalorisation de son travail intellectuel résultant de cette reproduction à grande échelle pour des intérêts financiers.
La société Givenchy réplique que les caractéristiques originales revendiquées par le demandeur ne sont pas reproduites par ses créations qui s’en distinguent par de nombreuses différences. Elle tient l’invocation de son droit moral par le demandeur pour un détournement abusif servant à fonder des demandes au titre des droits patrimoniaux et visant à lui nuire.
Réponse du tribunal

L'article L.121-1 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
La contrefaçon s'apprécie par la recherche des ressemblances des caractéristiques protégeables de l'œuvre, non par les différences (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 30 septembre 2015, 14-19.105).
Il en résulte que le droit moral de l'auteur, attaché à la personne même de l'auteur, emporte le droit au respect de son œuvre quel que soit son mérite ou sa destination, et la dénaturation de cette œuvre engage la responsabilité de celui qui la commet. Tel est en particulier le cas d’une commercialisation étrangère à la sphère artistique et de nature à déprécier une œuvre (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 septembre 2009, n°08-11.112).
Au cas présent, il n’est pas contesté par la société Givenchy et il résulte des extraits de son site internet et du constat du 26 août 2020 versé aux débats par M. [W] que celle-ci a commercialisé, à tout le moins entre le 2 février 2020 et le 21 octobre 2021, un tee-shirt, puis un sweat-shirt, porteurs des lettres de la société Givenchy de différentes couleurs, chacune étant prolongée par des fils de mêmes couleurs que les lettres (pièces [W] n°14, 15, 33, 34 et 40).
Néanmoins, la combinaison des caractéristiques originales de l’œuvre “Liquidated Google” ne sont pas reproduites par les vêtements litigieux : le logo Google de la marque n’est pas celui de l’œuvre invoquée, la combinaison des couleurs revendiquée, laquelle ne résulte pas d’un choix de l’artiste, est différente, de même que les vêtements de la défenderesses ne comportent pas de coulures, mais des broderies dont toutes ne débutent pas à la partie supérieure de chaque lettre.
En l’absence de reproduction des caractéristiques originales de l’œuvre invoquée, la contrefaçon n’est pas établie. Aucune atteinte au droit moral de M. [W] au respect de son œuvre n’est, de ce fait, démontrée. La demande de M. [W] au titre de l’atteinte au droit moral sur son œuvre “Liquidated Google” sera, en conséquence, rejetée.
V - Sur la demande subsidiaire en parasitisme et en concurrence déloyale

Moyens des parties

M. [W] fait subsidiairement valoir qu'en commercialisant un modèle de tee-shirt, puis de sweat-shirt, reprenant les caractéristiques de sa création “Liquidated Google”, lequel s’inscrit dans sa ligne conductrice consistant à faire dégouliner le dessin de marques célèbres ou un “superlogo”, la société Givenchy a profité de son travail et de ses investissements de recherches et de conception. Il ajoute que ses œuvres connaissent aujourd'hui un retentissement important et qu'elles sont largement relayées dans la presse, les médias, les réseaux sociaux. En outre, il expose que la société Givenchy a reproduit, pour la présentation d'un nouveau modèle de sac à main en septembre 2020, les caractéristiques d'autres de ses créations qu'il nomme “ombres électriques” consistant à peindre le contour de l'ombre d'un objet présent dans la rue avec une peinture fluorescente.
M. [W] affirme que la société Givenchy s'est, également, rendue coupable d'actes de concurrence déloyale dès lors que la commercialisation des tee-shirts et sweat-shirts litigieux crée un risque de confusion manifeste pour les consommateurs avec ses tableaux “Liquidated Google” et plus généralement, l'ensemble de ses “Liquidated Logo”. Il soutient que le public pourrait légitimement croire à tort qu'il est le designer de ces produits qui seraient dérivés de ses œuvres, pratique qui se développe de plus en plus dans le milieu de la mode.
La société Givenchy soutient que M. [W] ne démontre pas la valeur économique individualisée de son tableau “Liquidated Google” et précise qu'elle ne peut consister en un message critique. Elle ajoute que les parties ne partagent pas la même activité de sorte que la société Givenchy ne bénéficie d'aucun avantage concurrentiel sur M. [W] ce qui est attesté, selon elle, par le fait qu'elle n'a aucun intérêt à se placer dans le sillage d'une création qui, au sens de son auteur, liquide le monde du luxe. Elle estime que le tee-shirt et le sweat-shirt litigieux résultent d'un choix d'animation de son propre logo directement issu et inspiré des looks “spaghetti” de son défilé haute couture printemps-été 2019, eux-mêmes inspirés du défilé haute couture automne-hiver 2018 de sorte qu'elle s'est placée dans son propre sillage et non celui du demandeur. S'agissant de la reproduction d'autres créations alléguées, elle avance que M. [W] ne fait pas de lien entre ses pièces et n'explicite pas en quoi des actes de parasitisme seraient constitués, rappellant que les idées sont de libre parcours et que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme.
S’agissant de la concurrence déloyale qui lui est reprochée, la société Givenchy réplique qu'aucune confusion n'est possible dans la mesure où M. [W] n'exerce pas d'activité commerciale concurrente à la sienne. Elle ajoute qu'il est impossible de confondre les “Liquidated Google” et les produits litigieux, dès lors qu'il s'agit d'un procédé courant utilisé par de très nombreuses marques de mode que le public ne rattache pas spécifiquement à M. [W]. Elle avance que lors de l'acte d'achat, le consommateur est plus intéressé par la marque de renommée reproduite sur le tee-shirt ou le sweat litigieux que par la stylisation du logo qui est secondaire.

Réponse du tribunal

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
V.1 S’agissant du parasitisme

Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale économique et financière, 10 juillet 2018, n°16-23.694).
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il incombe à celui qui allègue un acte de parasitisme d'établir le savoir-faire, le travail intellectuel, ou les efforts humains ou financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée ou d’une notoriété.
En l'espèce, au titre de la preuve de sa notoriété, M. [W] verse aux débats divers articles de presse (ses pièces n°2 et n°9-2), des extraits d'un ouvrage spécialisé (ses pièces n°3 à n°7) ainsi que des exemples de reproduction de ses logos liquidés (sa pièce n°8). Il ressort de ces éléments que M. [W] bénéficie globalement d'une certaine notoriété, à tout le moins depuis l’année 2009 durant laquelle sa création “Liquidated Google” a fait l’objet d’articles dans des médias à couverture nationale, sur internet et d’un site internet (sa pièce n°9).
Sa création “Liquidated Google” dispose d’une valeur économique individualisée démontrée par les factures de vente de cette œuvre qu’il produit, la première vendue 2400 dollars américains le 9 novembre 2011, la seconde vendue 15 000 euros le 16 septembre 2015 (ses pièces n°27 et 28). Elle s’inscrit dans une démarche artistique déclinée au travers de plusieurs créations ayant toutes pour objet des marques de l’industrie du luxe, à tout le moins depuis 2009 (pièces M. [W] n°8 et 12).
Les produits critiqués vendus par la société Givenchy consistent en une série de tee-shirts et de sweat-shirts vendus notamment en ligne sur le site internet de cette société ou d’autres enseignes, l’un d’eux les présentant avec l’intitulé “broderie Givenchy effet peinture dégoulinante” (pièces M. [W] n°14, 15, 33 et 34).
Par l’association de sa marque en capitales de couleurs vives sur fond noir, avec des broderies de même couleur que chaque lettre destinées à créer un effet de coulures de peinture, la société Givenchy s’est directement inspirée des créations de M. [W] et de sa démarche artistique consistant à donner l’illusion d’une liquéfaction du logo d’une marque de luxe, même si le détail des caractéristiques originales de l’œuvre “Liquidated Google” n’est pas exactement reproduit.
Il en résulte que la société Givenchy s’est placée dans le sillage de M. [W] et a tiré indûment profit de sa notoriété, engageant ainsi sa responsabilité à son égard.
En revanche, s'agissant des “ombres électriques” dont il allègue qu'elles auraient été reprises par la société Givenchy pour la présentation d'un nouveau modèle de sac à main, celles-ci apparaissent uniquement dans un ouvrage “L'exécution d'une image” (pièces M. [W] n°4 et n°5) et si la renommée du travail de M. [W] y est soulignée, aucune notoriété spécifique à ces “ombres électriques” n'est établie. En outre, les investissements dont ces “ombres électriques” auraient pu faire l'objet ne sont pas plus démontrés.
V.2 S’agissant de la concurrence déloyale

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2018, n°16-23.694).
Le succès d'une action en concurrence déloyale n'est pas subordonnée à l'existence d'un rapport de concurrence entre les parties (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 3 mai 2016, n°14-24.905)
Au cas présent, l’originalité de l’œuvre “Liquidated Google” et la notoriété des créations de M. [W] et de sa démarche artistique de liquéfaction des logos a été précédemment établie.
La commercialisation par la société Givenchy de tee-shirts et de sweat-shirts s’inspirant non seulement de l’œuvre “Liquidated Google”, mais également des créations de M. [W] dans le courant duquel elle s’inscrit (ses pièces n°8 et 12), sont de nature à créer, pour le consommateur de produits de marque de luxe, une confusion avec celles-ci et ce d’autant plus que les marques de luxe s’associent régulièrement pour leurs créations à divers artistes.
La société Givenchy a, en conséquence, également engagée sa responsabilité à l’égard de M. [W] au titre de la concurrence déloyale.VI - Sur les mesures réparatrices

Moyens des parties

M. [W] réclame l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte à son droit moral au respect de son œuvre, ainsi que des mesures d’interdiction et de publication sous astreinte. Il demande également communication de pièces comptables destinées à chiffrer l’étendue de son préjudice.
La société Givenchy tient les demandes pour disproportionnées et infondées, outre que la demande de production de pièces comptables serait injustifiée en l’absence de caractérisation de la contrefaçon.
Réponse du tribunal

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il en résulte un principe tendant à rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2020, n°17-31.614).
Il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 3 mars 2021, n°18-24.373).
En l’occurrence, les faits de parasitisme et de concurrence déloyale commis par la société Givenchy ont nécessairement causé un préjudice moral à M. [W] et seront réparés par sa condamnation à lui verser 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La poursuite de la commercialisation des produits portant atteinte aux droits de M. [W] sur ses œuvres et créations est caractérisée à tout le moins jusqu’au 21 octobre 2021, soit postérieurement à l’introduction de l’instance (pièces [W] n°34 et 40). Ce constat justifie le prononcé de l’interdiction de la poursuite de leur commercialisation sous astreinte dans les termes du dispositif.
En revanche, les demandes de M. [W] en publication, en destruction et en communication de pièces comptables par la société Givenchy seront rejetées, son préjudice tiré de la concurrence déloyale et du parasitisme étant intégralement réparé par les mesures accordées et n’étant pas directement corrélé aux nombres de produits contrefaisants fabriqués ou vendus.
VII - Sur la demande reconventionnelle au titre du caractère abusif de la procédure

Moyens des parties

La société Givenchy fait valoir que le demandeur n’a cessé de modifier le fondement et le montant de ses demandes, que son action vise à lui attribuer un monopole indu sur un concept et qu’il détourne le droit d’auteur de sa finalité afin d’obtenir un gain financier exorbitant.
M. [W] ne répond pas à cette demande.
Réponse du tribunal

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, n° 11-15.473).
La condamnation à une amende civile profitant à l'État et non à une partie, ne peut pas être réclamée par une partie (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 juin 1966, n°64-13.098, bull. civ. I, n°378).
La demande de la société Givenchy de condamnation de M. [W] à une amende civile sera, en conséquence, rejetée.
Les demandes de M. [W] étant, au moins en partie, accueillies, son action ne saurait être qualifiée d’abusive et la demande reconventionnelle à ce titre de la société Givenchy sera, en conséquence rejetée.
VIII - Sur les dispositions finales

VIII.1 - Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
La société Givenchy, partie perdante, sera condamnée aux dépens.
VIII.2 - Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
La société Givenchy, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer 20 000 euros à M. [W] à ce titre, incluant les frais de constats d’huissier qu’il a dû exposer pour sa défense et dont le coût exact ne résulte d’aucune des pièces versées.
VIII.3 - Sur l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Conformément à l’article 517 du même code, l’exécution provisoire peut être subordonnée à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations.
L'exécution provisoire de droit n’a pas à être écartée en l'espèce.
Si la société Givenchy réclame la constitution d’une garantie par M. [W] dans l’hypothèse d’une condamnation à lui verser des dommages et intérêts, en raison des montants particulièrement élevés qu’il exige, la condamnation prononcée n’impose la constitution d’une telle garantie.
PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déclare M. [Y] [X] [W] irrecevable à agir en contrefaçon de ses droits patrimoniaux d'auteur ;

Condamne la société Givenchy à payer 30 000 euros à M. [Y] [X] [W] à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de parasitisme et de concurrence déloyale commis à son préjudice ;

Interdit à la société Givenchy d’offrir à la vente, sous quelque forme que ce soit, les tee-shirts et sweat-shirts litigieux, dans le délai d’un mois suivant la signification du jugement puis sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée suivant ce délai ;

Se réserve la liquidation de l’astreinte ;

Déboute M. [Y] [X] [W] de ses demandes en destruction, en publication et en production de pièces par la société Givenchy ;

Déboute la société Givenchy de sa demande reconventionnelle en procédure abusive et en constitution d’une garantie de M. [W] ;

Condamne la société Givenchy aux dépens ;

Condamne la société Givenchy à payer 20 000 euros à M. [Y] [X] [W] en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 27 mars 2024

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 3ème section
Numéro d'arrêt : 21/04132
Date de la décision : 27/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-27;21.04132 ?
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