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27/03/2024 | FRANCE | N°19/13573

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 27 mars 2024, 19/13573


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




9ème chambre 2ème section

N° RG :
N° RG 19/13573 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRFLS

N° MINUTE : 3




Assignation du :
20 Novembre 2019









JUGEMENT
rendu le 27 Mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [S] [D]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0951, et Me Thierry DRAPIER, avocat au barreau

de BESANÇON, avocat plaidant,


DÉFENDERESSES

Société d’assurances mutuelles AREAS VIE
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître David SIMHON de l’AARPI GALIEN AFFAIRES, avoca...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre 2ème section

N° RG :
N° RG 19/13573 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRFLS

N° MINUTE : 3

Assignation du :
20 Novembre 2019

JUGEMENT
rendu le 27 Mars 2024
DEMANDERESSE

Madame [S] [D]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0951, et Me Thierry DRAPIER, avocat au barreau de BESANÇON, avocat plaidant,

DÉFENDERESSES

Société d’assurances mutuelles AREAS VIE
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître David SIMHON de l’AARPI GALIEN AFFAIRES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #G0563

Madame [F] [O]-[I] en qualité d’ayant droit de Monsieur [L] [O],
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Me Myriam MALKA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2134

Décision du 27 Mars 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 19/13573 - N° Portalis 352J-W-B7D-CRFLS

Société CGPA, intervenante forcée
[Adresse 1]
[Localité 6]

représentée par Maître Arnaud PERICARD de la SELARL ARMA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B036

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Gilles MALFRE, 1er Vice-président adjoint
Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge
Monsieur Augustin BOUJEKA, Vice-Président

assisté de Clarisse GUILLAUME, Greffière lors de l’audience, et de Pierre-Louis MICHALAK, Greffier lors de la mise à disposition,

DÉBATS

A l’audience du 24 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition le 27 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Le 17 juin 2016, Mme [S] [D] a souscrit auprès de la société Aréas vie par l'intermédiaire de son agent général d'assurances, M. [L] [O], un contrat d'épargne " Multisupport 3 " comportant trois supports d'investissements (" Support Euro ", " Résonnance Duo II " et " Résonnance 10 ") sur lesquels elle a effectué plusieurs versements pour un montant total de 541.125,76 euros.

Aucun mandat général de gestion n'a été donné à la société d'assurance ou à son intermédiaire.

Par lettre du 29 août 2018, la société Aréas vie a informé Mme [D] qu'elle avait effectué un arbitrage conformément à la demande reçue de M. [O].

Par lettre de son conseil avec AR en date du 14 mars 2019, contestant avoir donné son consentement à trois arbitrages effectués entre le 30 juin et le 30 septembre 2018, Mme [D] a mis en demeure de lui restituer son investissement initial la société Aréas vie qui en réponse, par lettre du 14 juin 2019, lui a adressé une demande d'arbitrage en date du 20 août 2018 à son nom reçue par ses services.

Contestant sa signature sur ce document, par lettre de son conseil en date du 31 juillet 2019, Mme [D] a renouvelé sa mise en demeure de lui restituer la somme de 541.125,76 euros outre une somme de dommages et intérêts à déterminer.

C'est dans ces conditions que par exploit d'huissier de justice du 20 novembre 2019, Mme [D] a fait assigner en responsabilité la société Aréas vie devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir principalement prononcer la résolution judiciaire du contrat d'épargne souscrit le 17 juin 2016 et condamner la société d'assurance à lui verser la somme de 63.170,78 euros outre les intérêts, ainsi que la somme de 100.000 euros pour faute lourde dans l'exécution du contrat et celle de 50.000 euros pour réticence dolosive.

Par ordonnance du 5 mai 2021, le juge de la mise en état a fait droit à la demande présentée par la société Aréas vie aux fins d'expertise de la signature de Mme [D] sur les ordres d'arbitrage litigieux.

L'expert graphologue a déposé son rapport le 3 septembre 2021.

Aux termes de ses conclusions de reprise d'instance signifiées par voie électronique le 12 novembre 2021 et constituant ses dernières écritures, aux visas des articles 373 du code de procédure civile, 1193 et 1194, 1217, 1221, 1231,1231-1, 1231-2 et 1231-3 du code civil, Mme [D] demande au tribunal de :

" Prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts de la compagnie ARÉAS GROUP

Condamner ARÉAS GROUP à verser à Madame [D] [S] la somme de 43.170,78 euros, somme correspondant au SOLDE du placement avant les faux établis par la Compagnie outre les intérêts.

Condamner ARÉAS GROUP à verser à Madame [D] [S] la somme de 100 .000 euros pour faute lourde dans l'exécution du contrat

Condamner ARÉAS GROUP à verser à Madame [D] [S] la somme de 50 .000 euros pour réticence dolosive de la Compagnie ARÉAS GROUP

Condamner ARÉAS GROUP à verser à Madame [D] [S] la somme de 10 .000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC "

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que l'usage de faux ordres d'arbitrage à son nom au sein de la société Aréas vie est constitutif d'un manquement grave au contrat, caractérisant une faute lourde de la société d'assurance qui a ainsi permis la violation délibérée de sa volonté de sécurité en procédant à des placements risqués de manière frauduleuse et à ses frais, répondant mieux à ses propres intérêts, et ce en l'absence de tout mandat de gestion. Elle entend dès lors obtenir le prononcé de la résiliation judiciaire de la convention liant les parties aux torts de la société Aréas vie et la condamnation de cette dernière à lui restituer le montant des fonds tel qu'il était au moment où les placements ont été réalisés conformément à sa volonté, soit la somme de 546.392,30 euros dont il convient de déduire les sommes qui lui ont déjà été versées au titres du rachat intégral du contrat, soit un reliquat de 43.170,78 euros.

Elle sollicite par ailleurs la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour faute lourde, celle forfaitaire de 20.000 euros au titre de la perte des intérêts que devait lui rapporter le placement sécurisé qu'elle avait initialement choisi et celle de 50.000 euros au titre de la réticence dolosive de la société d'assurance.

Par message électronique du 13 septembre 2022, le conseil de M. [O] a informé la juridiction du décès de ce dernier.

C'est dans ces conditions que par exploits d'huissier de justice des 24 et 28 novembre 2022, la société Aréas vie a fait assigner Mme [F] [O]-[I] et la société d'assurance mutuelle CGPA, respectivement en leurs qualités d'héritière et d'assureur en responsabilité civile professionnelle du défunt, afin qu'ils la relèvent et garantissent dans l'hypothèse d'une condamnation prononcée à son encontre.

Par ordonnance du 14 décembre 2022, le juge de la mise en état a prononcé la jonction des affaires.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 8 novembre 2023, aux visas des articles 873, 1991 et suivants et 1240 du code civil, 331 et suivants et 394 et suivants du code de procédure civile, et L.124-3 du code des assurances, la société Aréas vie demande au tribunal de :

" JUGER ce que de droit sur la régularité de l'opération du mois d'août 2018 ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE, LIMITER le montant des préjudices financiers au titre de l'opération du mois d'août 2018 à la somme de 23.777,14 euros ;

REJETER toute autre demande de Madame [S] [D] ;

CONDAMNER la Société d'assurance mutuelle CGPA à relever et garantir la société ARÉAS VIE de toutes sommes qui pourrait être mises à sa charge ;

CONDAMNER la Société d'assurance mutuelle CGPA à payer à la société ARÉAS VIE une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépends de procédure.

CONSTATER le désistement partiel des prétentions d'ARÉAS VIE formulées à l'encontre de Madame [O]-[I] dans son assignation en intervention forcée du 24 novembre 2022 et dans ses conclusions en défense n° 2 du 14 février 2023. "

A l'appui de ses prétentions, la société Aréas vie fait tout d'abord valoir que la nouvelle ligne de compte apparue sur les placements de Mme [D] le 30 juin 2018 avec l'intitulé " Aréas Dynamique " pour un montant de 5.396,71 euros correspond à un mécanisme conventionnellement prévu entre les parties, à savoir un détachement de coupon mentionné dans les conditions générales de l'unité de compte " Résonnance Duo II " et non d'un arbitrage non autorisé par la demanderesse. Elle conclut dès lors au rejet de toute demande concernant cette opération.

Concernant l'opération de placement du mois d'août 2018, elle soutient que dans l'hypothèse où la juridiction suivrait les conclusions de l'expert judiciaire, en application des articles 1991, 1992 et 1240 du code civil et des stipulations du contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance conclu par M. [O], ce dernier, en sa qualité d'agent d'assurance, a engagé sa responsabilité personnelle en lui transmettant un ordre d'arbitrage falsifié. Elle soutient dès lors que la société CGPA, assureur de l'agent général d'assurance, doit être condamnée à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre du fait de son mandataire, précisant se désister d'une telle demande à l'encontre de Mme [O]-[I] qui a justifié en cours d'instance de sa renonciation à la succession de son père.

Elle ajoute que la société CGPA ne peut se prévaloir d'une exclusion de garantie au sens de l'article L.113-1 du code des assurance en ce que si la transmission d'un ordre falsifié caractérise un manquement de la part de M. [O] à son obligation générale de vérification et de vigilance, elle ne rapporte pas la preuve d'une faute dolosive en l'absence de démonstration que M. [O] est l'auteur du faux ou qu'il l'a transmis en toute connaissance de cause.

S'agissant du montant du préjudice, elle expose qu'il ressort des pièces du dossier et des conclusions de l'expert judiciaire que seule la demande d'arbitrage en date du 20 août 2018 a été viciée et qu'il convient dès lors de prendre en considération le solde des placements à la date du 30 juin 2018 qui s'élevait à la somme de 506.998,66 euros. Dès lors, après déduction des diverses sommes versées au titre des rachats réalisés postérieurement, elle évalue le préjudice à une somme qui ne saurait être supérieure à celle de 23.777,14 euros.

Elle conclut par ailleurs au rejet de la demande de résolution judiciaire, faisant valoir qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles, n'ayant aucun moyen de vérifier l'authenticité de la signature sur la demande d'arbitrage ni de motif de douter de la bonne foi de son agent d'assurance.

Enfin, elle sollicite le rejet des demandes de dommages et intérêts pour faute lourde et réticence dolosive soutenant que la demanderesse ne rapporte la preuve ni d'une faute de sa part dans l'exécution du contrat et/ou dissimulation intentionnelle, ni d'un préjudice, et a fortiori de liens de causalité entre eux.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, aux visas des articles L.112-6 et L.113-1 du code des assurances, et 700 du code de procédure civile, la société CGPA demande au tribunal de ;

" Juger que la faute reprochée à Monsieur [O], assuré de CGPA, par Madame [D] et au titre de laquelle ARÉAS demande la garantie de CGPA, prise en sa qualité d'assureur de Monsieur [O], ne peut être couverte par la garantie de CGPA,
Débouter en conséquence ARÉAS VIE de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de CGPA,
Condamner ARÉAS VIE à payer à la société CGPA la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. "

A l'appui de ses prétentions, la société CGPA fait valoir qu'en application de l'article 112-6 du code des assurances et de son application jurisprudentielle, l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice, en l'occurrence l'investisseur, les exceptions opposables au souscripteur originaire ainsi que les exclusions de garantie.

Elle expose qu'en l'espèce, elle est en droit d'opposer l'exclusion de garantie stipulée dans les conditions générales de la police d'assurance en ce que les circonstances démontrent l'existence d'une faute dolosive au sens de l'article L.113-1 alinéa 2 du code des assurances, caractérisée par la disparition de tout aléa du seul fait d'un acte délibéré de l'assuré, M. [O], peu important que ce dernier a eu la volonté de causer le dommage tel qu'il est survenu, ou à tout le moins de manœuvres frauduleuses de sa part. Elle précise qu'en effet, en cas de faux avérés, la transmission des ordres d'arbitrage litigieux par M. [O] ne peut s'expliquer que par le fait qu'il est le faussaire ou le complice de celui-ci, possibilités évoquées dès le début de l'instance par Mme [D] et la société Aréas vie.

Elle ajoute que même à supposer que M. [O] aurait reçu les documents d'un tiers autre que Mme [D] et qu'il les aurait transmis à la société Aréas Vie, aucun manquement ou négligence ne pourrait lui être imputé dès lors que l'agent général, soumis à une obligation seulement de moyens, n'est pas tenu de vérifier la véracité des informations et documents qui lui sont transmis par l'assuré, de sorte qu'en tout état de cause, la société Aréas vie ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par M. [O], alors qu'elle-même n'a pas décelé le caractère falsifié des ordres susceptible de justifier le bien-fondé de son action directe contre elle.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, Mme [O]-[I] demande au tribunal de prendre acte de son acceptation du désistement d'instance de la société Aréas vie et de prononcer en conséquence une décision de dessaisissement.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 13 décembre 2023 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience tenue en juge rapporteur du 24 janvier 2024 à laquelle elle a été évoquée et mise en délibéré au 27 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur le désistement partiel

En application des articles 394 et suivants du code de procédure civile, le demandeur peut se désister de sa demande en vue de mettre fin à l'instance. Le désistement n'est parfait que par l'acceptation du défendeur sauf si ce dernier n'a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.

En l'espèce, dans ses dernières écritures, la société Aréas vie indique se désister des prétentions formulées à l'encontre de Mme [O]-[I], celle-ci acceptant ce désistement d'instance dans ses écritures signifiées le 12 octobre 2023.

En conséquence, le tribunal déclare parfait le désistement d'instance de la société Aréas vie à l'encontre de Mme [O]-[I].

2 - Sur la résolution judiciaire

En application de l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure applicable au contrat conclu avant le 1er octobre 2016, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être exécutés de bonne foi.

Les articles 1147 et 1148 anciens du code précité disposent que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise fois de sa part, ou d'un cas de force majeur ou d'un cas fortuit.

L'article 1150 ancien ajoute dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.

Par ailleurs, en application des articles 1183 et suivants du code civil, dans leur version antérieure, le juge peut prononcer la résolution judiciaire d'une convention en cas d'inexécution ou de mauvaise exécution suffisamment grave de celle-ci. Il n'est pas tenu de prononcer la résolution du contrat et a le pouvoir d'apprécier souverainement la gravité de l'inexécution et de déterminer la sanction qu'il considère appropriée au regard des circonstances. La résolution judiciaire prend effet à la date fixée par le juge ou à défaut au jour de l'assignation en justice. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie et dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Des dommages et intérêts peuvent toujours être cumulés avec la résolution sous la condition que la restitution n'a pas permis de supprimer tous les dommages subis par le créancier.

Enfin, en application des dispositions de l'article L.511-1 IV du code des assurances, la société d'assurance répond des fautes ou négligences de son agent général de la même manière qu'un commettant vis-à-vis de son préposé à condition que lesdits agissements aient été commis dans le cadre de ses fonctions d'agent et à l'occasion d'une opération d'assurance au bénéfice du mandant dont la responsabilité est recherchée et qu'ils soient constitutifs d'une faute dommageable.

En l'espèce,

Il n'est pas contesté que les document " demande d'arbitrage vers unité de compte Résonnance 12 " en date du 20 août 2018 et " Formalisation du conseil " en date du 22 août 2018, constituant les supports de l'arbitrage qui a consisté au désinvestissement de la totalité de la somme présente sur l'unité de compte " Aréas Dynamique " ainsi que de celle de 100.000 euros et au réinvestissement de celles-ci sur l'unité de compte " Résonnance 12 " à hauteur de 75% et de 25% sur l'unité de compte " Objectif Small Caps ", ont été transmis par M. [O] en sa qualité d'intermédiaire d'assurance mandaté par la société Aréas vie dans le cadre du contrat souscrit par Mme [D] auprès de cette société d'assurance.

Il résulte du rapport d'expertise graphologique déposé le 7 septembre 2021 que les paraphes et signatures figurant sur ces documents n'émanent pas de la main de Mme [D].

En l'absence de mandat de gestion donné par celle-ci, l'arbitrage effectué sur la base de ces documents falsifiés caractérise une faute imputable à M. [O] qui a transmis lesdits documents, indépendamment de la question du degré de connaissance qu'il pouvait avoir de leur caractère frauduleux, et à tout le moins une mauvaise exécution du contrat qui a eu pour conséquence d'exposer les fonds investis à des risques de pertes supérieurs à ceux choisis contractuellement par la demanderesse et dont la société Aréas vie doit répondre du fait de son mandataire.

L'usage ainsi fait de faux documents établis au nom de Mme [D] confère au fait dommageable une gravité qui justifie la rupture du contrat, et ce d'autant plus que cette situation a nécessairement entraîné une perte de confiance incompatible avec la poursuite des relations contractuelles.

En conséquence, la résiliation judiciaire du contrat est prononcée aux torts exclusifs de la société Aréas vie et il convient d'en fixer la date au moment où les prestations échangées n'ont plus trouvé leur utilité, soit à compter de l'exécution de l'ordre d'arbitrage litigieux du 20 août 2018.

En effet, il n'est pas démontré l'existence d'arbitrages antérieurs exécutés sans le consentement de Mme [D] et, a fortiori, à son insu.

A cet égard, s'agissant de la nouvelle ligne de compte apparue sur les placements de la demanderesse le 30 juin 2018 avec l'intitulé " Aréas Dynamique " pour un montant de 5.396,71 euros, comme le relève la société d'assurance, il correspond à un mécanisme conventionnellement prévu entre les parties, à savoir un détachement de coupon mentionné dans l'annexe aux conditions générales du contrat Multisupport relatif au fonds d'investissement " Résonnance Duo II " au paragraphe " Définitions " dans les rubriques " résonance Duo II " a) et b).

En conséquence, la résiliation judiciaire est prononcée au 30 juin 2018, date la plus proche de l'événement cause de la résiliation et pour laquelle les parties sont en mesure de produire l'état des actifs de Mme [D] qui s'élevaient à cette date à la somme de 506.998,66 euros selon le décompte en date du 22 juillet 2018.

A l'issue des restitutions déjà opérées par les parties à l'occasion des rachats partiels puis complet du contrat par Mme [D], il ressort un solde en défaveur de celle-ci d'un montant correspondant à la différence entre la valeur de ses actifs au 30 juin 2018 et les rachats partiels postérieurs à cette date, dont doit en conséquent être exclu le rachat en date du 14 mai 2018 d'une valeur de 20.000 euros, à savoir les sommes de 3.000 euros et 10.000 euros le 12 novembre 2018 et celle de 3.000 euros le 12 février 2019, et le rachat définitif s'élevant à la somme de 467.221,52 euros le 12 juin 2019, soit (506.998,66 - 483.221,52) 23.777,14 euros.

En conséquence, la société Aréas vie est condamnée à payer cette somme à Mme [D] à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2019, date de la mise en demeure.

En application de l'article 768 du code de procédure civile, le tribunal n'est tenu de statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Au cas particulier, Mme [D] sollicite une somme forfaitaire de 20.000 euros au titre de la perte des intérêts que devait lui rapporter le placement sécurisé qu'elle avait choisi sans cependant reprendre cette prétention dans le dispositif de ses dernières écritures. Par suite, le tribunal n'est pas saisi et il n'y a pas lieu de statuer sur cette prétention.

Par ailleurs, la demande de dommages et intérêts pour faute lourde à hauteur de 100.000 est rejetée faute pour la demanderesse de rapporter la preuve que l'usage de l'ordre d'arbitrage falsifié lui a causé un préjudice distinct de la perte financière déjà indemnisée selon le calcul détaillé précédemment.

Enfin, si au dol du débiteur lui-même doit être assimilé celui émanant de toute personne dont il est tenu de répondre contractuellement, la réticence dolosive suppose néanmoins le silence d'une partie dissimulant intentionnellement à son contractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter. Or, en l'espèce, il n'est pas rapporté la preuve que l'usage qu'il a été fait en août 2018 d'un ordre d'arbitrage falsifié était connu de M. [O] et, a fortiori, de la société Aréas vie, lors de la souscription du contrat deux ans auparavant. En conséquence, il n'est pas fait droit à la demande de dommages et intérêts pour réticence dolosive.

3 - Sur la garantie de la société CGPA

En application des articles 1991 et 1992 du code civil, le mandataire répond des dom-mages et intérêts qui pourraient résulter du dol, des fautes qu'il commet dans sa gestion ou de l'inexécution de son mandat.

L'agent d'assurance peut ainsi être condamné à relever et garantir la société d'assurance dont la responsabilité, en sa qualité de mandant, est engagée à raison des fautes qu'il a lui-même commises. Dans ce cas, il résulte des dispositions de l'article L.112-6 du code des assurances que son assureur peut lui opposer, ou au tiers qui en invoque le bénéfice, les exceptions qui lui seraient opposables en sa qualité de souscripteur originaire y compris celles excluant sa garantie. Ainsi, peut être opposée la faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré conformément à l'article L.113-1 du code précité.

En l'espèce,

Il n'est pas contesté que l'activité de M. [O], à l'époque des faits litigieux, était couverte par une police d'assurance responsabilité civile professionnelle souscrite auprès de la société CGPA.

Il résulte des conditions générales de cette police d'assurance que sont exclues de l'ensemble des garanties toutes réclamations fondées sur ou ayant pour origine les conséquences de fautes intentionnelles ou dolosives, ou de manœuvres frauduleuses et infractions pénales commises par l'assuré lorsque sa responsabilité civile est recherchée.

Il est relevé qu'au cas particulier aucun document, et a fortiori aucun élément d'enquête, n'est versé aux débats par les parties sur les circonstances dans lesquelles les faux ont été transmis à la société Aréas vie.

S'il n'est pas contesté que les documents falsifiés à l'origine du dommage ont été communiqués par M. [O] à la société Aréas vie et que ce dernier ne les tenait pas de Mme [D], il n'est cependant nullement démontré que l'agent d'assurance avait connaissance de leur origine frauduleuse, ceux-ci ayant très bien pu lui être adressés par voie postale.

Dès lors, s'il résulte des faits que M. [O] a commis une faute en communiquant un ordre d'arbitrage dont il n'avait pas vérifié l'authenticité auprès de son auteur supposé, manquant en cela à un devoir élémentaire de vérification, il n'est cependant pas rapporté la preuve d'une faute intentionnelle ou dolosive, ou de manœuvres frauduleuses ou infractions pénales qui lui soient imputables et qui excluraient la garantie de la société CGPA.

En conséquence, la société CGPA est condamnée à garantir et relever indemne la société Aréas vie à hauteur de la somme de 23.777,14 euros.

4 - Sur les demandes annexes

4.1 - Sur les frais de procédure

Les sociétés Aréas vie et CGPA qui succombent sont condamnées aux dépens qu'elles supporteront chacune par moitié.

La Société Aréas vie est condamnée à payer à Mme [D] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la société CGPA est condamnée à payer à la société Aréas vie la somme de 1.500 euros sur le fondement du même article.

4.2 - Sur l'exécution provisoire

La présente décision est revêtue de l'exécution provisoire qui est compatible avec la nature de cette affaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DECLARE parfait le désistement d'instance de la société Aréas vie à l'encontre de Mme [F] [O]-[I] ;

CONDAMNE la société Aréas vie à payer à Mme [S] [D] la somme de 23.777,14 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2019 ;

CONDAMNE la société CGPA à garantir et relever indemne la société Aréas vie à hauteur de cette somme ;

CONDAMNE les sociétés Aréas vie et CGPA à prendre en charge chacune par moitié les dépens ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la société Aréas vie à payer à Mme [S] [D] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société CGPA à payer à la société Aréas vie la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 27 Mars 2024

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 19/13573
Date de la décision : 27/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-27;19.13573 ?
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