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26/03/2024 | FRANCE | N°21/11897

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 26 mars 2024, 21/11897


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :





2ème chambre civile

N° RG 21/11897
N° Portalis 352J-W-B7F-CU5PT

N° MINUTE :




Assignation du :
17 Septembre 2021









JUGEMENT
rendu le 26 Mars 2024
DEMANDEURS

Monsieur [H] [J]
[Adresse 18]
[Localité 1]

Madame [Z] [B] [J]
[Adresse 10]
[Localité 9]

Madame [K] [J]
[Adresse 8]
[Localité 4]

Madame

[W] [R] [J]
[Adresse 12]
[Localité 6]

Madame [I] [J]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Monsieur [T] [J]
[Adresse 14]
[Localité 11]

représentés par Maître [E] [L] [O], associé du Cabinet LCMB, avocat au barreau de ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre civile

N° RG 21/11897
N° Portalis 352J-W-B7F-CU5PT

N° MINUTE :

Assignation du :
17 Septembre 2021

JUGEMENT
rendu le 26 Mars 2024
DEMANDEURS

Monsieur [H] [J]
[Adresse 18]
[Localité 1]

Madame [Z] [B] [J]
[Adresse 10]
[Localité 9]

Madame [K] [J]
[Adresse 8]
[Localité 4]

Madame [W] [R] [J]
[Adresse 12]
[Localité 6]

Madame [I] [J]
[Adresse 7]
[Localité 2]

Monsieur [T] [J]
[Adresse 14]
[Localité 11]

représentés par Maître [E] [L] [O], associé du Cabinet LCMB, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #L0218 et Maître Isabelle SCHOENACKER ROSSI de la SELARL AC-AV, avocat au barreau de TARN & GARONNE, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

LA COMMUNE DE [Localité 11], prise en la personne de son Maire en exercice
[Adresse 13]
[Localité 11]

représentée par Maître Elisabeth MORAND DE GASQUET, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E1180 et Maître Philippe PETIT de la SELARL Cabinet d’avocats Philippe PETIT et associés, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Robin VIRGILE, Juge, statuant en juge unique, assisté de Sylvie CAVALIÉ, Greffière

DÉBATS

A l’audience publique du 27 février 2024, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 26 mars 2024 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort

************
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par testament olographe en date du 16 juin 2017 déposé au rang des minutes de Me [A] [X], notaire à [Localité 11], Mme [V] [M] a légué, sous réserve de legs particuliers, à la commune de [Localité 11] l'intégralité de son patrimoine.
Mme [V] [M] est décédée le [Date décès 5] 2018. Selon l’acte de notoriété dressé le 15 mars 2019 par Me [N] [S], notaire à [Localité 11], Mme [V] [M] a laissé pour seuls héritiers, des cousins au 5ème degré, et la commune de [Localité 11] comme légataire universelle.

Par exploit d’huissier en date du 17 septembre 2021, M. [H] [J], Mme [Z] [B], Mme [K] [J], Mme [W] [R], Mme [G] [J] et M. [T] [J] (les consorts [J]) ont fait assigner la commune de [Localité 11] devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins principalement de voir prononcer la nullité du testament olographe en date du 16 juin 2017 et ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Mme [V] [M].

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 26 mai 2023, les consorts [J] demandent au tribunal, au visa des articles 414-1, 720 et 901 du code civil, de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,
Déclarer la demande de Monsieur [H] [J], Madame [Z] [B], Madame [K] [J], Madame [W] [R], Madame [G] [J] et Monsieur [T] [J], recevable et bien fondée, et en conséquence :Déclarer que Madame [M] n’était pas en possession de ses pleines capacités psychologiques pour établir le testament du 16 juin 2017,En conséquence :
Prononcer la nullité du testament établi par Madame [M] le 16 juin 2017 au motif d’insanité d’esprit ;Ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Madame [M] ;Commettre l’étude notariale [17] sise [Adresse 3] pour procéder aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession ;Condamner COMMUNE DE [Localité 11] à payer la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;Condamner COMMUNE DE [Localité 11] aux entiers dépensEt dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Maître [E] [L] [O] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 11 avril 2023, la commune de [Localité 11] demande au tribunal, au visa des articles 414-1, 901 et 1028 du code civil, de :
ENJOINDRE aux demandeurs d’appeler en cause dans la présente instance l’exécutrice testamentaire désignée par Madame [M] dans son testament, à savoir Madame [W] [P] les Consorts [J] de leur demande d’annulation du testament de Madame [M] en date du 16 juin 2017 comme non fondée, aucune insanité d’esprit de Madame [M] lors de la rédaction dudit testament n’étant établieORDONNER l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Madame [M], et COMMETTRE pour ce faire la SCP [17], Notaires à MONTAUBANDEBOUTER les Consorts [J] de leur demande d’indemnité judiciaire, comme non fondéeCONDAMNER les demandeurs in solidum à payer à la Commune de [Localité 11] la somme de 5 000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure CivileCONDAMNER in solidum les demandeurs aux entiers dépens de l’instance, ces derniers étant distraits au profit de Me Elisabeth MORAND DE GASQUET, sur son affirmation de droit, en application de l’article 699 du Code de Procédure Civile

ECARTER l’exécution provisoire du jugement pour le cas où celui-ci serait favorable aux demandeurs.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 septembre 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 27 février 2024.

A l'audience du 27 février 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 26 mars 2024.

Le 6 mars 2024, le tribunal a adressé aux parties par la voie électronique le message suivant :
« Il est demandé aux consorts [J] d’envoyer par RPVA (en version scannée) une version lisible de leur pièce numéro 2, et particulièrement du testament ( une page recto verso) en ce que la pièce produite est une photocopie de mauvaise qualité rendant la moitié inférieure du verso (le côté qui se termine par « [Y] [D] [U] ») illisible.  

Par ailleurs, s’il est constant pour les parties au vu des conclusions que la commune de [Localité 11] est désignée par ce testament légataire universel de la défunte (les consorts [J] soutenant uniquement l’insanité d’esprit au moment de sa rédaction), le tribunal ne parvient pas, certainement en raison de la mauvaise qualité de la pièce, à retrouver sur le testament où se situe la disposition instituant la commune de [Localité 11] comme légataire universelle. Par conséquent les parties sont invitées à indiquer où se situe sur le testament litigieux l’institution de la commune de [Localité 11] comme légataire universelle.  
Ces diligences sont attendues au plus tôt, et en tout cas au plus tard avant le 13 mars 2024. »             

Suivant messages adressés par la voie électronique les 11 et 12 mars 2024, les conseils des parties ont communiqué la pièce sollicitée et adressé leurs observations confirmant que chacune d'elles ne conteste pas que le testament querellé pour insanité d'esprit institue la commune de [Localité 11] comme légataire universelle de Mme [V] [M].

MOTIFS DE LA DECISION

Il sera rappelé que les demandes des parties de « juger que » tendant à constater tel ou tel fait ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif. De la même façon, il n'y a pas lieu de statuer sur la recevabilité de l'action des demandeurs en nullité du testament du 16 juin 2017 pour insanité d'esprit, aucune fin de non-recevoir n'étant élevée contre celle-ci.
Sur la demande de la commune de [Localité 11] de faire injonctions aux demandeurs d'appeller en la cause de Mme [F], es qualité d’exécutrice testamentaire

La commune de [Localité 11] soutient qu’il appartient aux consorts [J] d’appeler en la cause Mme [F], en qualité d’exécutrice testamentaire, sur le fondement de l’article 1028 du code civil, celle-ci n’ayant pas été attraite dans la présente procédure.

Elle fait valoir que le notaire n’a jamais saisi officiellement Mme [F] lors du dépôt du testament en son étude en 2018, alors même qu’il en avait l’obligation.

Les consorts [J] font valoir que Mme [F] informée par le notaire, n’a, pas plus que la commune, fait part de la moindre intention de s’impliquer dans la succession de Mme [V] [M]. Ils soutiennent qu’une correspondance lui a été adressée les 6 et 25 mai 2022, afin de l’interroger par voie d’avocat sur sa position, sans qu’à ce jour aucune réponse n’ait été apportée, laissant apparaître qu’elle ne souhaite pas se charger de cette mission. Ils soulignent qu’en tout état de cause, si la commune l’estime nécessaire, libre à elle d’appeler Mme [F] dans la cause.

Sur ce,

Selon l'article 331 du code de procédure civile, « Un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal.
Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement.
Le tiers doit être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense.»

En l'espèce, il n'y a pas lieu d'enjoindre aux demandeurs d'appeler en la cause l'exécutrice testamentaire, dès lors que cette demande présentée au tribunal ne peut qu'être dépourvue d'effet puisque le présent jugement met fin à l'instance, et qu'une partie ne saurait être appelée à une instance éteinte. Au surplus, il n'appartenait qu'à la commune de [Localité 11] de procéder à cette diligence conformément à l'article 331 du code de procédure civile si elle l'estimait utile.

Sur la nullité du testament olographe

Les consorts [J] font valoir que le testament olographe en date du 16 juin 2017 établi par Mme [V] [M] est entaché de nullité sur le fondement de l’article 901 du code civil, en raison de l’altération des facultés mentales de celle-ci au moment de l’écriture du testament. Ils soutiennent que depuis 2013, Mme [V] [M] souffrait d’un repli social et d’une insalubrité de son domicile et que des délires de persécution étaient apparus. Ils soulignent qu’il ressort du dossier médical qu’un signalement avait été émis par le réseau gérontologique [Localité 19] Ouest avec proposition d’une mesure de protection juridique, laquelle n’a pas été mise en œuvre en raison du décès. L’altération des facultés mentales de Mme [V] [M] ressort, selon eux, d’un certificat médical établi le 2 mai 2016 alors qu’elle était hospitalisée, d’une lettre écrite par Mme [V] [M] peu avant l’établissement du testament et du dossier social ainsi que de l’insalubrité du domicile de celle-ci, décrit comme inadapté et encombré. Ils soutiennent que la rédaction elle-même du testament révèle une incohérence majeure.

En réponse aux conclusions de la commune de [Localité 11], ils font valoir que :
A la suite de son hospitalisation, et en raison de son état mental et physique détérioré, Mme [V] [M] a été transférée d’établissement spécialisé en établissement spécialisé ;

La commune de [Localité 11] s’évertue inutilement et de mauvaise foi à demander que soit produit un compte rendu de son médecin traitant alors qu’elle sait qu’elle n’en avait pas, s’automédiquant en tant qu’ancien médecin, ces automédications anarchiques ayant conduit à son décès par défaut de soin adapté ;Il est mal fondé de mettre en cause la moralité des demandeurs et particulièrement de M. [T] [J], seul héritier vivant à [Localité 11] ;Les insinuations à l’encontre du notaire instrumentaire sont tout aussi infondées puisque celui-ci avait pris soin d’interroger la commune sur ses intentions quant au respect des dispositions figurant sur le testament de Mme [V] [M] ;La commune a été informée de l’existence du testament de Mme [V] [M] par courrier de Me [X] en date du 18 juin 2018 ;Elle est restée taisante face aux interrogations du notaire sur les obligations figurant à sa charge dans le testament de créer une maison d’enfants et un musée de l’agriculture ;Elle persiste à soutenir que le testament est valide sans indiquer quelles sont précisément les dispositions qu’elle respectera, tant la confusion des mentions du testament est réelle ;Le testament mentionne également que « le tableau d’Ingres » sera attribué au musée de [Localité 11] sous condition de dation pour couvrir les frais de succession ;Si le testament est considéré comme valide, M. [J] ainsi que ceux visés par cet acte devront bénéficier de ses dispositions sans régler de droits de succession ;Il ressort des derniers échanges entre les parties parallèlement à la procédure que le « tableau d’INGRES » ne serait pas authentique ;L’affirmation de la défunte concernant l’origine du tableau est battue est brèche par l’expertise de Mme [C], commissaire-priseur, non contestée par la commune, ce qui démontre une fois de plus que la défunte ne disposait pas ou plus de toute sa conscience.
La commune de [Localité 11] soutient que la preuve de l’altération des facultés mentales de Mme [V] [M] à l’époque de l‘établissement du testament n’est pas rapportée. A l’appui de sa demande, elle fait valoir que les éléments versés aux débats n’ont pas de valeur probante d’une insanité d’esprit dès lors que :
Il n’est versé aucun élément d’ordre médical émanant d’un médecin spécialiste des troubles intellectuels et mentaux, tel qu’un neurologue ou un psychiatre, ni aucun élément émanant du médecin traitant de Mme [V] [M] ;Le compte-rendu d’hospitalisation du 2 mai 2016 n’est nullement probant d’une quelconque altération des facultés intellectuelles de Mme [V] [M] ;Il fait état d’une hospitalisation pour une « baisse brutale de l’acuité visuelle de l’œil droit » et aucunement en raison de troubles intellectuels ;C’est Mme [V] [M] elle-même qui y décrit sa situation de repli social, ce qui implique qu’elle était parfaitement consciente de son état, et donc parfaitement en possession de ses facultés intellectuelles ;

Le traitement médical de Madame [M] ne comporte aucun médicament destiné à soigner des troubles intellectuels ou dépressifs et, s’il est fait état d’un « délire de persécution », aucun traitement n’a été prescrit pour cette « pathologie », ce qui révèle le peu de gravité de ce symptôme ;Le compte-rendu fait clairement apparaître qu’il «n’y pas d’élément hallucinatoire déclaré, pas d’élément dépressif ni d’exaltation thymique», ce qui est également de nature à relativiser la gravité du « délire de persécution », qui n’induit pas nécessairement une perte des facultés intellectuelles ;Le fait que Madame [M] refuse un suivi ou des examens médicaux ne peut être considéré comme une preuve d’une altération de ses facultés intellectuelles ;Il ne peut être tiré aucune conclusion de la mention de ce compte-rendu indiquant qu’il « faudra très certainement lancer une mesure de protection juridique », les causes d’ouverture d’une telle mesure étant autonomes et ne se confondant pas avec les causes de nullité d’une libéralité ;Les photographies versées aux débats n’ont pas de valeur probante d’une insanité d’esprit de Mme [V] [M] dès lors qu’elles ne sont pas datées, et qu’il n’est pas précisé dans quelles conditions elles ont été prises, ni où elles ont été prises (à [Localité 19] ou à [Localité 11]) ;Le « dossier social » date de 15 jours avant le décès de Mme [V] [M], ce qui ne peut être significatif de l’état de santé de cette dernière près d’un an auparavant, à l’époque de la rédaction du testament et ne comporte aucun élément prouvant une altération de ses facultés intellectuelles, le seul refus par Mme [V] [M] de prendre ses médicaments n’étant pas probant.
Elle relève en outre que :
- Ni le testament de Mme [V] [M] du 16 juin 2017 ni la lettre écrite le 10 juin 2009 à Mme [F] (personne désignée comme exécutrice testamentaire) ne révèlent d’incohérence majeure, susceptible d’établir une altération de ses facultés intellectuelles ;
- La lettre écrite le 10 juin 2009, antérieure de 8 ans au testament, ne peut être probant d’une insanité d’esprit de Mme [V] [M] au moment de la rédaction de son testament, mais révèle au contraire sa pleine capacité intellectuelle ;
- Le testament du 16 juin 2017, tel qu’il est retranscrit, est parfaitement logique et cohérent, nonobstant le caractère peu compréhensible de certains mots et relativement illisible de sa dernière page consacrée à des legs particuliers, ces difficultés mineures de lecture et compréhension n’empêchant nullement d’en saisir le sens général et la portée ;
- La volonté de Mme [V] [M] y est exprimée de manière parfaitement claire et compréhensible, contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs ;
- Malgré quelques différences de bénéficiaires, l’idée générale des volontés de Mme [V] [M] s’agissant de sa succession est quasiment la même, entre le courrier adressé à Mme [F] et le testament, à savoir principalement :
- doter le Musée INGRES de [Localité 11] du portait de LAMARTINE par INGRES ;

- faire bénéficier la Commune de [Localité 11] (directement ou indirectement) de sa propriété de [Localité 11] ;
- faire vendre ses meubles au bénéfice d’organismes caritatifs.

En réponse aux conclusions des consorts [J], elle soutient que :
- Contrairement à ce qu’indiquent les consorts [J], Mme [V] [M] n’a pas été transférée d’établissements spécialisés en établissements spécialisés suite à son hospitalisation de 2016 ;
- Il ressort du dossier social de février 2018 que Mme [V] [M] vit seule au domicile et sans aucune aide » et qu’elle n’a été admise en maison de retraite spécialisée qu’en février 2018, soit moins d’un mois avant son décès, étant décédée dans cette maison de retraite environ 15 jours après son admission ;
- Mme [V] [M] a été hospitalisée en 2016 à l’Hôpital [20] en service gériatrie pour un problème de santé purement physique, à savoir une « baisse brutale de l’acuité de l’œil droit » et aucunement pour un problème d’altération de ses facultés mentales ;
- Son hospitalisation à l’Hôpital [15] de février 2018 a été effectuée au service gériatrie et gérontologie et pas au service de neuro-psycho-gériatrie dudit hôpital : Mme [V] [M] était donc hospitalisée en « Médecine » pour des problèmes physiques et non en « Neurologie » pour des troubles cognitifs ;
- Elle vivait à son domicile avant sa brève hospitalisation à l’Hôpital [20] (5 jours), puis était retournée à son domicile pendant près de 2 ans avant sa nouvelle hospitalisation de février 2018 à l’Hôpital [15], ce qui implique que l’état de santé de Mme [V] [M] ne nécessitait pas un placement continu dans un établissement spécialisé ;
- Son testament de juin 2017 a été rédigé alors qu’elle se trouvait chez elle, et aucunement pendant une période d’hospitalisation, ce qui démontre le caractère infondé de l’argumentation des consorts [J] ;
- La commune de [Localité 11] ne se contredit nullement s’agissant du refus de soins de Mme [V] [M], n’ayant jamais reconnu « la nécessité de soins dans laquelle se trouvait Mme [M] » ;
- Les refus de traitement, à les supposer avérés, n’impliquent nullement la perte des facultés cognitives et intellectuelles de Mme [V] [M] et son insanité d’esprit lors de la rédaction de son testament, intervenue près d’un an avant son décès ;
- L’hypothétique non-respect des termes du testament par la commune est sans rapport avec la prétendue incohérence du testament invoquée ;
- L’insanité d’esprit permettant l’annulation d’actes juridiques correspond à une absence totale de consentement et de lucidité ;
- Il ressort des éléments du dossier que Mme [V] [M] avait toute sa capacité à discerner le sens et la portée de son testament, dont l’idée générale n’avait pas varié entre 2009 et 2017, et que ce testament reflétait sa volonté libre et éclairée.

L'article 901 du code civil énonce que « pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ».

Il ressort des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile qu'il incombe à celui qui se prévaut d'une disposition légale de rapporter la preuve que les conditions de son application se trouvent bien réunies dans le cas d'espèce.

En l'espèce, il est d'abord précisé que si le testament querellé en date du 16 juin 2017 de Mme [V] [M] ne désigne pas formellement la commune de [Localité 11] comme légataire universelle, force est de constater que le notaire comme les parties considèrent que la commune de [Localité 11] est désignée comme légataire universelle dès lors qu'appelée à recueillir la quasi intégralité du patrimoine de la défunte, sous réserve de legs particulier. Il sera donc tenu pour constant que ce testament désigne la commune de [Localité 11] comme légataire universelle de Mme [V] [M]. Se pose donc uniquement la question de sa nullité pour insanité d'esprit de la testatrice, et il appartient donc aux consorts [J] de rapporter la preuve que Mme [V] [M] n'était pas saine d'esprit au moment de la rédaction du testament daté du 16 juin 2017.

Si les demandeurs indiquent en s'appuyant sur le dossier médical de la défunte que «  De 2016 à 2018, période de la rédaction du testament, les facultés cognitives de la défunte étaient altérées. », une altération est insuffisante pour faire annuler le testament litigieux, dès lors qu'il leur appartient de démontrer l'insanité d'esprit de la défunte. A cet égard, si le compte-rendu hospitalier du 2 mai 2016 indique « à noter un délire de type persécutif, intuitif, imaginatif, évoluant depuis plus dans an centré sur les attentats de Charlie Hebdo », force est de constater que le praticien y note également « il n'y a pas d'élément hallucinatoire déclaré, pas d'éléments dépressifs ni d'exaltation thymique », de sorte que ces seuls éléments sont insuffisants pour démontrer une insanité d'esprit au moment de la rédaction du testament.

Le fait qu'une mesure de protection soit envisagée dans le cadre d'un signalement ne démontre pas non plus l'insanité d'esprit de Mme [V] [M] au 16 juin 2017, date de rédaction du testament, en ce que la mise sous protection peut intervenir en l'absence de toute insanité d'esprit.

Le fait que le domicile de la défunte soit insalubre,tel que corroboré par le compte-rendu du 2 mai 2016 et les photos produites, ne démontre aucunement une insanité d'esprit et une incapacité à tester, pareille carence dans la tenue d'un domicile pouvant tout aussi bien intervenir en dehors de toute insanité d'esprit. Le repli social qui résulte des propres dires de Mme [V] [M] à l'occasion de l'entretien lors de son hospitalisation du 26 au 30 avril 2016, corrobore par la même sa capacité d'être lucide sur sa situation. De la même façon, le souhait de s'automédiquer ou de refuser des soins n'est pas de nature à démontrer une insanité d'esprit.

Le testament litigieux, s'il comporte des éléments imprécis relatifs aux legs consentis à titre particulier, ne comporte pas toutefois d'éléments d'incohérence intrinsèques établissant l'insanité d'esprit de Mme [V] [M]. En effet, le fait qu'un testament puisse faire apparaître des éléments imprécis voire contradictoires n'est pas la preuve de l'insanité d'esprit du testateur, les testaments de personnes saines d'esprit pouvant tout aussi bien receler des difficultés de cet ordre.

Enfin, il est précisé que les moyens des parties quant à la moralité de M. [T] [J], de la commune de [Localité 11] ou du notaire ayant reçu le testament sont inopérants, le tribunal étant uniquement saisi d'une demande d'annulation du testament pour l'insanité d'esprit de Mme [V] [M]. Or, il résulte de ce qui précède que si une altération des facultés de celle-ci est corroborée, de même que son repli et le fait qu'elle vivait dans un logement insalubre avant de se rendre en maison de retraite, il n'est pour autant pas démontré qu'elle n'était nécessairement pas saine d'esprit au moment de rédiger le testament du 16 juin 2017.

Par conséquent, la demande de MM. [H] [J], [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et [T] [J] aux fins d'annulation du testament du 16 juin 2017 sera rejetée.

Sur les demandes en partage de la succession de Mme [V] [M]

Les consorts [J] demandent au tribunal d’ordonner le partage de la succession de Mme [V] [M]. Ils soutiennent qu’au jour du décès, son patrimoine est composé de :
Une maison située à [Localité 11] évaluée à la somme de 450 000 euros ;Deux garages à [Localité 11], actuellement loués dont l’évaluation reste à faire ;Un appartement de 80 m² situé à [Localité 19] dont l’évaluation reste à faire ;Un garage situé à [Localité 19] qui reste à évaluer ;Du mobilier dans les immeubles de [Localité 19] et [Localité 11] dont un tableau qui pourrait être de la main du peintre INGRES et qui devra être expertisé et évalué par un commissaire-priseur ;Des portefeuilles d’actions auprès de la [21] et du [16] ;Des comptes courants laissant apparaître un solde au [16] de plus de 120 000 euros, un solde à la [21] de plus de 80 000 euros et un solde à la Poste plus de 52 000 euros.
Ils précisent que l’inventaire des biens mobiliers de la succession a été réalisé les 5 et 28 juillet 2022, à [Localité 19] et [Localité 11], de façon contradictoire et qu’il a permis de constater que tous les biens mobiliers sont indemnes et ont été conservés avec le plus grand soin par M. [T] [J] qui a agi en bon père de famille afin de préserver les biens de la succession dans l’attente de son règlement définitif.

Ils font valoir qu’aucun passif hormis les règlements courants de frais réalisés par le notaire n’a été découvert.

La commune de [Localité 11] demande au tribunal d’ordonner le partage de la succession de Mme [M], en émettant toutes réserves sur la consistance actuelle de la succession, au regard du manque flagrant de diligences du notaire depuis le décès et l’ouverture de la succession et de la gestion opaque de cette succession depuis plus de 4 ans.

Elle souligne que si à ce jour, des inventaires ont été réalisés à [Localité 19] et [Localité 11], ceux-ci ne semblent pas exhaustifs, dès lors que Mme [V] [M] aurait été propriétaire de garages, biens sur lesquels la Commune de [Localité 11] ne dispose pas d’éléments.

Sur ce,

Aux termes de l’article 815 du code civil, nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et en application des articles 1359 et suivants du code de procédure civile, le tribunal peut désigner un notaire pour procéder aux opérations de partage judiciaire si la complexité des opérations le justifie.

En application des articles 924 et suivants et 1003 du code civil, le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité des biens qu'il laissera à son décès. Le légataire universel a une vocation éventuelle à la totalité des biens.

En l'espèce, les parties s’accordent sur le principe d’un partage judiciaire de la succession de Mme [V] [M]. Néanmoins, elles s'accordent aussi pour considérer que le testament olographe du 16 juin 2017 à institué la Commune de [Localité 11] légataire universelle de Mme [V] [M]. Ce testament n'ayant pas été annulé, il n'existe pas d'indivision entre la commune de [Localité 11] et les consorts [J].

Par conséquent, la demande en partage sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Les consorts [J] demandent la condamnation de la commune de [Localité 11] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La commune de [Localité 11] demande la condamnation des consorts [J] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [J], qui succombent en leurs demandes à l'instance, seront condamnés aux dépens et in solidum à payer à la commune de [Localité 11] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

La commune de [Localité 11] demande au tribunal d’écarter l’exécution provisoire du jugement pour le cas où il serait favorable aux demandeurs en ce qu’elle serait incompatible avec la nature de l’affaire et risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives pour celle-ci.

En l'espèce, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit, le jugement n'ayant pas ordonné le partage.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Rejette la demande de la commune de [Localité 11] d'enjoindre à MM. [H] [J], [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et [T] [J] d'appeler en la cause dans la présente instance l’exécutrice testamentaire désignée par Madame [M] dans son testament, à savoir Madame [W] [F] ;

Rejette la demande de MM. [H] [J], [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et [T] [J] de prononcer la nullité du testament olographe établi par Mme [V] [M] le 16 juin 2017 pour insanité d'esprit ;

Rejette la demande de MM. [H] [J], [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et [T] [J] d'une part et de la commune de [Localité 11] d'autre part d'ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme [V] [M] ;

Condamne M. [H] [J], Mmes [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et M. [T] [J] aux dépens ;

Ordonne la distraction des dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de M. [H] [J], Mmes [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et M. [T] [J] formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [H] [J], Mmes [Z] [J], [K] [J], [W] [R] [J], [G] [J] et M. [T] [J] in solidum à payer à la commune de [Localité 11] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

Fait et jugé à Paris le 26 mars 2024

La GreffièreLe Président
Sylvie CAVALIÉRobin VIRGILE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/11897
Date de la décision : 26/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-26;21.11897 ?
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