TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
4ème chambre
1ère section
N° RG 21/11588
N° Portalis 352J-W-B7F-CVBD3
N° MINUTE :
Assignation du :
19 Août 2021
JUGEMENT
rendu le 26 Mars 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. FLEUR DE METS
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #L0069, et par Me Jérôme GOY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0712
DÉFENDERESSES
S.A. MMA IARD
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Guillaume BRAJEUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0040
S.A.M. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Guillaume BRAJEUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0040
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 26 Mars 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/11588 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVBD3
DEBATS
A l’audience du 23 Janvier 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 26 Mars 2024.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 27 mars 2019, la SA Coser, dont la SAS Fleur de mets est l’une des filiales ayant pour activité des services de traiteur et d’organisation de réceptions en région parisienne, a souscrit par l’intermédiaire de la société de courtage Théorème un contrat d’assurance intitulé « Contrat multirisque industrielle avec abrogation de la règle proportionnelle de capitaux » n° 145472338 à effet du 1er janvier 2019 et dont les garanties sont servies par la SA MMA I.A.R.D. et la société d’assurance mutuelle MMA I.A.R.D. Assurances mutuelles (ci-après ensemble les sociétés MMA).
Suivant avenant n° 145472338 conclu le 7 septembre 2020 et à effet au 1er janvier 2021, la société Coser a accepté de nouvelles exclusions aux garanties offertes par les sociétés MMA.
Le 10 mai 2021, la société Fleur de mets, se prévalant de la qualité d’assurée, a transmis une déclaration de sinistre, invoquant des pertes d’exploitation en raison de la pandémie liée au virus de la Covid-19 et des mesures de lutte contre cette pandémie prises par les autorités publiques pour les mois de mars 2020 à juin 2021.
Par réponse adressée le 8 juin 2021, les sociétés MMA se sont opposées à cette demande au motif que la mise en oeuvre de la garantie pour pertes d’exploitation était conditionnée à la survenance d’un dommage matériel.
Suivant actes d’huissier de justice en date du 7 septembre 2021, la société Fleurs de mets a fait citer les sociétés MMA devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir indemnisation au titre de ces pertes.
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 12 décembre 2022, la société Fleur de mets demande au tribunal de :
« Vu les articles 1103, 1104, 1190 et 1343-2 du Code civil,
Vu les articles L.113-1, L.322-26-1 et R.114-1 du Code des assurances,
Vu les articles L.141-5 et L.142-2 du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
(...)
À titre principal
- Juger que la société Fleur de mets est éligible au bénéfice de la garantie « Pertes d’exploitation » prévue au titre du contrat n° 145472338,
- Juger que les décrets et/ou arrêtés ministériels et préfectoraux pris en lien avec la Covid-19 en France constituent des dommages matériels affectant les biens assurés de la société Fleur de mets au titre de la garantie « Tous Risques Sauf »,
- Prononcer que la société Fleur de mets a subi une perte d’exploitation du fait de chacun des décrets et/ou arrêtés ministériels et préfectoraux à savoir l’arrêté en date du 09 mars 2020, l’arrêté en date du 14 mars 2020, le décret n° 2020-860 en date du 10 juillet 2020, le décret n° 2020-1262 en date du 16 octobre 2020, le décret n° 2020-1310 en date du 29 octobre 2020 et le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020,
- Prononcer que la société Fleur de mets a subi une perte d’exploitation du fait de la Covid-19,
En conséquence
- Fixer à 4.481.292 € le montant du préjudice subi par la société Fleur de mets au titre des sinistres en lien avec l’arrêté en date du 09 mars 2020, l’arrêté en date du 14 mars 2020, le décret n° 2020-860 en date du 10 juillet 2020, le décret n° 2020-1262 en date du 16 octobre 2020, le décret n° 2020-1310 en date du 29 octobre 2020 et le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020 ainsi qu’avec la Covid-19 pour la période allant du 9 mars 2020 au 31 décembre 2020,
- Condamner in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société Fleur de mets la somme de 4.481.292 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2021, date de la mise en demeure, outre leur capitalisation en vertu de l'article 1343-2 du Code civil, pour les sinistres en lien avec l’arrêté en date du 09 mars 2020, l’arrêté en date du 14 mars 2020, le décret n° 2020-860 en date du 10 juillet 2020, le décret n° 2020-1262 en date du 16 octobre 2020, le décret n° 2020-1310 en date du 29 octobre 2020 et le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020 ainsi qu’avec la Covid-19 pour la période allant du 9 mars 2020 au 31 décembre 2020,
- Prononcer que la société Fleur de mets produise les justificatifs relatifs à la période comprise entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2021, fin de la période de couvre-feu, correspondant au sinistre en lien avec le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020,
- Condamner in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à indemniser à la société Fleur de mets des conséquences du sinistre en lien avec le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020 à partir du 1 er janvier 2021 jusqu’au 30 juin 2021, dont le chiffrage est en cours, qui devront être réglées une fois le préjudice définitivement fixé,
À titre subsidiaire
- Juger que la société Fleur de mets est éligible au bénéfice de la garantie « Pertes d’exploitation » prévue au titre du contrat n° 145472338,
- Juger que les décrets et/ou arrêtés ministériels et préfectoraux pris en lien avec la Covid-19 en France constituent des dommages matériels affectant les biens assurés de la société Fleur de mets au titre de la garantie « Tous Risques Sauf »,
- Prononcer que la société Fleur de mets a subi une perte d’exploitation du fait des décrets et/ou arrêtés ministériels et préfectoraux à savoir l’arrêté en date du 09 mars 2020, l’arrêté en date du 14 mars 2020, le décret n° 2020-860 en date du 10 juillet 2020, le décret n° 2020-1262 en date du 16 octobre 2020, le décret n° 2020-1310 en date du 29 octobre 2020 et le décret n° 2020-1582 en date du 14 décembre 2020,
- Prononcer que la société Fleur de mets a subi une perte d’exploitation du fait de la Covid-19,
- Prononcer que le montant des pertes d’exploitation subies par la société Fleur de mets n’est pas définitivement fixé,
En conséquence
- Ordonner une mesure d’expertise judiciaire aux fins d’établir le quantum des pertes d’exploitation subies par la société Fleur de mets,
- Désigner tel Expert qu’il plaira au Tribunal, aux frais avancés par la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles, avec pour mission de :
* Déterminer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant les périodes d’indemnisation au vu des garanties accordées par la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles
* Évaluer le montant des frais supplémentaires d’exploitation pendant la période d’indemnisation
* Se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utile à sa mission
* Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l’issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations
* Mener de façon strictement contradictoire ses opérations d’expertise, en particulier en faisant connaître aux parties oralement ou par écrit l’état de ses avis et opinions, à chaque étape de sa mission, puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties ayant une date ultime qu’il fixera avant le dépôt du rapport
- Condamner in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société Fleur de mets la somme de 2.000.000 € à titre d’indemnité provisionnelle à valoir sur les pertes d’exploitation subies en lien avec les décrets/arrêtés pris en lien avec la Covid-19 et directement avec celle-ci,
En tout état de cause
- Condamner in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société Fleur de mets la somme de 2.500 € au titre des frais engagés auprès du cabinet Roux,
- Condamner in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société Fleur de mets la somme de 20.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ».
Se prévalant tout d’abord des garanties prévues à l’annexe A19 de la police, elle soutient en substance que le contrat est de type « tous risques sauf », couvrant ainsi tous dommages matériels et toute perte d’exploitation consécutive, sauf risque spécifiquement exclu.
Soulignant alors que l’activation des garanties souscrites suppose qu’un bien assuré subisse un dommage matériel couvert par le contrat, notamment une altération, elle conclut à la réunion de ces conditions dès lors que :
- les différents décrets ou arrêtés ministériels pris en lien avec la lutte contre le virus Covid-19, interdisant ou limitant les possibilités d’accueil du public et de rassemblements, ont nécessairement affecté sa clientèle et partant, ont détérioré ou dénaturé son fonds de commerce ; que cette atteinte à son fonds de commerce constitue alors un dommage matériel au sens de la police,
- les biens assurés ne sont pas limitativement énumérés au contrat, l’insertion de l’adverbe « notamment » impliquant que la liste proposée n’est que déclarative ; que de ce fait et compte tenu de la nature du contrat « tous risques sauf », rien ne permet d’exclure des biens assurés ceux incorporels, tel un fonds de commerce.
Elle ajoute que hors des périodes prévues par ces mêmes décisions administratives, les conditions de la garantie sont réunies dans la mesure où le virus de la Covid-19, compte tenu de ses capacités de propagation, a nécessairement affecté et endommagé, en les contaminant, l’ensemble de ses biens meubles corporels ainsi que les locaux utilisés pour son activité commerciale.
Elle estime dans ces circonstances la garantie de l’annexe A19 pleinement mobilisable tant lors des périodes d’effectivité des mesures de contraintes administratives adoptées en lien avec la Covid-19 que pour les périodes non concernées et ce, depuis le 9 mars 2020.
Au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances, pour s’opposer aux exclusions invoquées par les sociétés MMA, elle fait valoir que la clause II-2, excluant les « dommages causés par la contamination ou la pollution ainsi que par les micro-organismes », ne s’applique pas en l’espèce, sauf à dénaturer la clause par une appréciation extensive, puisqu’elle réclame la garantie en raison de dommages causés par les mesures administratives prises pour lutter contre la pandémie ; qu’en toute hypothèse cette clause, par la présence de l’adverbe « notamment », présente une portée non limitative, de nature à vider la garantie de sa substance ; que les termes employés, non par ailleurs définis au contrat, sont ainsi sujets à interprétation ; qu’enfin l’avenant soumis par les MMA et à effet du 1er janvier 2021, insérant parmi les exclusions les conséquences d’une « maladie infectieuse y compris en cas d’épidémie, de pandémie ou d’épizootie », démontre a contrario que les situations telles celles causées par la Covid-19 n’étaient pas jusqu’alors prévues au contrat et donc exclues.
A titre subsidiaire, en cas de rejet de sa demande sur le fondement d’une garantie « tous risques sauf », elle se prévaut de l’extension de garantie B9 intitulée « Pertes d’exploitation consécutives à des mesures administratives » et conclut à une lecture indépendante des paragraphes de cette clause compte tenu de sa rédaction, de sorte que les conditions de la garantie sont uniquement, d’une part, l’existence d’une injonction d’une autorité publique compétente et, d’autre part, la fermeture totale ou partielle d’un établissement assuré. Elle considère alors avoir déjà démontré la réunion de ces deux conditions et sollicite la mobilisation de la garantie pour les pertes d’exploitation en lien avec les arrêtés et décrets adoptés en 2020.
Sur le quantum de ses pertes d’exploitation et sur la période d’indemnisation demandée, la société Fleur de mets fait valoir une perte d’exploitation sur les périodes courant entre le 15 mars 2020 et le 15 juin 2020, puis entre le 29 octobre 2020 et le 30 juin 2021.
Elle se fonde alors sur l’analyse d’un cabinet spécialisé en la matière, lequel a estimé, au vu des éléments comptables remis, une perte d’exploitation totale de 4.481.292 euros. A défaut, si le tribunal devait ne pas retenir cette analyse, elle sollicite une mesure d’expertise judiciaire aux frais des sociétés MMA en raison de la réticence abusive de ces dernières dans l’exécution de leur obligation, outre une provision représentant près de la moitié du montant sollicité compte tenu de l’urgence de la situation sanitaire, de la nature de ses activités et des éléments comptables déjà communiqués.
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 21 février 2023, les sociétés MMA demandent au tribunal de :
« A TITRE PRINCIPAL,
• JUGER que les conditions de la garantie des pertes d'exploitation et de l'extension "pertes d'exploitation consécutives à des mesures administratives" de cette garantie ne sont pas réunies ;
• DEBOUTER intégralement Fleur de mets de ses demandes à l'encontre de MMA ;
A TITRE SUBSIDIAIRE,
• JUGER que Fleur de mets n'apporte pas la preuve du montant des pertes d'exploitation alléguées ;
• DEBOUTER intégralement Fleur de mets de ses demandes à l'encontre de MMA ;
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,
• DESIGNER tel Expert judiciaire qu'il lui plaira, avec pour mission de :
o se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par Fleur de mets, accompagnée des bilans et comptes d'exploitation de Fleur de mets sur les trois dernières années ;
o entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
o examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par la Police, sur la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période comprise entre le 9 mars 2020 et le 8 mars 2021 ;
o donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation (marge brute et frais supplémentaires d'exploitation) subies pendant la période d'indemnisation et en lien avec le sinistre, en tenant compte de la tendance générale telle que définie par la Police, ainsi que des charges salariales économisées, des aides/subventions d'Etat reçues et des économies réalisées pendant la période d'indemnisation.
• METTRE les frais de l'expertise judiciaire à la charge de Fleur de mets ;
• SURSEOIR à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire ;
• DEBOUTER Fleur de mets de sa demande de provision ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
• REJETER la demande de Fleur de mets de condamner MMA à lui payer la somme de 2.500 euros au titre des frais engagés auprès du cabinet Roux ;
• CONDAMNER Fleur de mets à payer à MMA la somme de 20.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
• CONDAMNER Fleur de mets aux entiers dépens ;
• ECARTER l'exécution provisoire de la décision à intervenir qui n'est pas compatible avec la nature de l'affaire, ou subsidiairement, ORDONNER la consignation du montant des condamnations prononcées à l'encontre de MMA sur le compte CARPA de leur conseil, ou tout autre tiers habilité désigné par le Tribunal, dans l'attente d'une décision définitive et irrévocable ».
Rappelant tout d’abord les termes de la clause II.1 « objet de l’assurance » de la police, elles soulignent que celle-ci couvre uniquement les dommages matériels directs atteignant les biens assurés ainsi que les pertes d’exploitation consécutives à de tels dommages, et que si les garanties souscrites sont de nature « tous risques sauf », il n’en reste pas moins que les parties se sont en l’occurrence librement entendues pour restreindre leur objet ou portée par différentes clauses faisant loi entre elles, conformément à l’article 1103 du code civil.
Elles contestent alors toute volonté des parties d’inclure, au sein des « biens assurés », le fonds de commerce ou la clientèle de la société Fleur de mets, relevant que seuls des biens matériels sont mentionnés parmi les exemples donnés au contrat et que cette circonstance se déduit de la clause relative à l’estimation des biens en cas de sinistre, laquelle s’appuie sur la « valeur à neuf » des biens à partir de leur « valeur de reconstitution (reconstruction et/ou remplacement) ».
Elles objectent qu’en toute hypothèse, aucun bien immatériel ne peut subir de dommages matériels, seuls dommages couverts par la police en application de la clause I. 12 « Dommage matériel » du contrat. Elles reprochent alors à la société Fleur de mets de procéder à une dénaturation du texte de la police, son interprétation permettant de garantir toute baisse de revenus qui, par essence, affecte ou altère un fonds de commerce. Elles exposent que cette lecture revient à supprimer une des conditions de la police, puisque déduisant directement des pertes d’exploitation l’existence d’un dommage aux biens, alors que les termes du contrat requièrent la démonstration de deux dommages distincts et liés par une relation de causalité, le premier matériel et le second caractérisé par une perte d’exploitation.
Elles concluent en conséquence au débouté de la demande principale, les conditions de la garantie n’étant pas réunies.
Sur la demande subsidiaire de la société Fleur de mets au titre de l’extension de garantie, elles s’opposent à une lecture séparée des paragraphes de la clause et considèrent que, pour cette garantie également, il est requis que les pertes d’exploitation subies par l’assuré soient la « conséquence directe de dommage matériel causés par un événement garanti », condition non démontrée par la demanderesse.
Elles font encore valoir que la mobilisation de cette garantie suppose une injonction administrative ayant imposé l’arrêt total ou partiel de l’activité de l’assuré, circonstance que ne caractérisent pas les mesures administratives citées en demande, lesquelles ont uniquement fait interdiction à certains établissements de recevoir du public et n’ont donc pas eu pour conséquence nécessaire leur fermeture.
En cas d’interprétation des termes de la police par le tribunal, elles rappellent que les dispositions de l’article 1190 du code civil ne peuvent recevoir application pour le contrat en cause dès lors que la police a été rédigée sur mesure par la société Théorème, courtier de la société Coser ; que ce même texte impose au contraire une interprétation en leur faveur, ayant qualité de débitrices puisqu’attraites en justice pour paiement d’une indemnité ; que la commune intention des parties demeure en toute hypothèse claire et s’oppose à l’interprétation proposée par la société Fleur de mets.
A titre subsidiaire, elles se prévalent de la clause I.4 du contrat, excluant des garanties les « dommages causés par la contamination ou la pollution ainsi que par les micro-organismes », et insistent sur le fait que l’ensemble des pertes fondant la demande d’indemnisation de la société Fleur de mets résulte du virus de la Covid-19. Elles considèrent que les termes de la clause sont alors suffisamment précis et limités et n’aboutissent pas à priver en totalité de leur objet les garanties souscrites qui portent sur un grand nombre de risques majeurs.
A titre plus subsidiaire, elles contestent la réalité des pertes d’exploitation alléguées par la société Fleur de mets, estimant insuffisantes les pièces apportées aux débats, faute notamment de toute communication d’annulations de commande sur la période concernée et de calcul de son taux de marge brute. Elles soulignent encore que les analyses qu’elle communique ont été réalisées de manière unilatérale et au regard de chiffres ou de projections contestables. Reprochant à la demanderesse de ne pas justifier précisément la période d’indemnisation qu’elle entend retenir, elles rappellent que le contrat limite cette période à douze mois et que compte tenu de l’atteinte continue dont se prévaut la société Fleur de mets, il y aurait alors lieu de limiter toute indemnité allouée à la période allant du 9 mars 2020 au 8 mars 2021.
En cas d’expertise judiciaire, mesure à laquelle elles ne s’opposent pas, elles concluent néanmoins pour ces mêmes motifs au rejet de la demande de provision de la société Fleur de mets.
La clôture a été prononcée le 28 février 2023, l’affaire plaidée lors de l’audience du 23 janvier 2024 et mise en délibéré au 26 mars 2024.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir “juger” ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Il ne sera donc pas statué sur ces “demandes” qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur les conditions des garanties souscrites auprès des sociétés MMA
Selon l’article 1102 du code civil, « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.
La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public ».
Aux termes de l'article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article 1104 du même code dispose : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public ».
En application de l’article 1353 de ce code, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ». En matière d’assurance, il appartient à celui qui réclame le bénéfice de l’assurance d’établir que sont réunies les conditions requises par la police pour mettre en jeu cette garantie et à l’assureur qui invoque une clause d’exclusion de démontrer la réunion des conditions de fait de cette exclusion.
En l’espèce, la police d’assurances conclue entre la société Fleur de mets et les sociétés MMA comprend des conditions particulières intitulées « contrat d’assurance dommages aux biens » signées le 27 mars 2019, des dispositions générales « Contrat Multirisque Industrielle » ainsi que des annexes « Annexes Multiisque Industrielle Théorème » listées et numérotées selon différentes sections A à E.
Au soutien de ses demandes, la société Fleur de mets invoque alors deux garanties distinctes prévues :
- d’une part, à l’annexe A19 de la police, intitulée « Tous risques sauf »,
- d’autre part, à l’annexe B9 de la police, intitulée « Pertes d’exploitation consécutives à des mesures administratives ».
Il y a donc lieu d’analyser successivement ces deux garanties.
Décision du 26 Mars 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/11588 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVBD3
Sur la garantie de l’annexe A19
Selon les termes de l’annexe A19 de la police, « La présente garantie a pour objet de couvrir l’Assuré contre tous dommages matériels et pertes d’exploitation consécutive, résultant d’événements soudains et imprévus autres que ceux définis par ailleurs, affectant les biens assurés, sous réserve des Exclusions Générales et des exclusions prévues par ailleurs.
En outre, elle ne peut s’appliquer aux évènements qui n’ont pas été souscrits et visés aux Dispositions du contrat.
Sont exclus les dommages résultants d’évènements dont le fait générateur est antérieur à la souscription ».
Si, ainsi que le souligne la société Fleur de mets dans ses écritures, le principe d’une telle garantie est d’assurer un vaste champ de protection contre les événements ou risques pouvant atteindre l’entreprise, en ce compris ceux non nécessairement anticipés par les parties, ce mécanisme favorable à l’assuré n’impose néanmoins pas à l’assureur une couverture universelle, sauf à rendre imprévisible le contenu du risque assuré et partant, le coût de la garantie souscrite.
Aussi les parties demeurent-elles libres, conformément au principe du consensualisme contractuel prévu aux articles 1102 et suivants ci-avant rappelés, outre de prévoir des clauses d’exclusion pour certains risques, de délimiter le périmètre de cette garantie « tous risques sauf », notamment par le jeu des définitions des préjudices indemnisables et biens couverts par la garantie. Il revient alors à l’assuré de rapporter la preuve que le dommage dont il se prévaut entre dans les limites convenues de la garantie, conformément à l’article 1353 susvisé.
Or, il résulte de l’annexe que les parties ont convenu d’assurer une protection de la société Fleur de mets contre « tous dommages matériels et pertes d’exploitations consécutive ». Il se déduit de cette formulation claire, dénuée de toute ambiguïté et dont l’interprétation n’est dès lors pas nécessaire, que les parties n’ont pas entendu ériger en garantie autonome toute perte d’exploitation subie par l’assuré, mais de limiter l’indemnisation aux seules pertes résultant d’une atteinte matérielle aux biens de l’assurée.
De plus, les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier. Le tribunal observe alors que l’intention ainsi manifestée par les parties de corréler dommages matériels et pertes d’exploitations se retrouve dans l’ « objet de la garantie », défini en clause III.1, insérée dans une section III « Pertes d’exploitation », de la manière suivante : « L’Assureur garantit les « LES PERTES D’EXPLOITATION » de l’Assuré consécutives à tout dommage matériel garanti au titre du Chapitre II des Dispositions générales, dans les limites stipulées au tableau récapitulatif des garanties et des limites des Dispositions Particulières (cf Chapitre IV) ».
Pour déterminer la notion de « dommages matériels », il y a également lieu de se référer à la section I « Définitions » du contrat, ces définitions faisant loi entre les parties. Cette notion se trouve alors définie à la clause I-12 « Dommages » comme suit :
Décision du 26 Mars 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/11588 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVBD3
« DOMMAGE MATERIEL
Toute destruction, détérioration, altération, perte, vol, disparition, désordre atteignant un bien, une chose ou une substance, ainsi que le fait de la rendre inutilisable ».
Afin d’établir l’existence d’un dommage matériel répondant à cette définition, la société Fleur de mets se prévaut alors d’une atteinte par altération, voire destruction, de son fonds de commerce en raison de la perte de clientèle liée aux restrictions sanitaires adoptées pour lutter contre la pandémie liée au virus de la Covid-19.
Néanmoins et en premier lieu, l’atteinte ainsi décrite, résultant de mesures gouvernementales prises à une échelle nationale, a uniquement pu générer un préjudice temporaire de chiffre d’affaires pour la société Fleur de mets, dès lors que ces mesures ne lui ont pas permis d’exercer son activité commerciale dans les conditions habituelles. Sauf à dénaturer les termes du contrat et la corrélation ci-avant exposée, la demanderesse se trouve nécessairement mal fondée à déduire directement de cette perte de clientèle une obligation de garantie incombant aux sociétés MMA, aucun « dommage matériel » n’étant alors caractérisé.
En second lieu, la société Fleur de mets invoque l’atteinte à son fonds de commerce. Si ce dernier se trouve en effet constitué notamment par la clientèle d’une entreprise, celle-ci se range nécessairement au rang des éléments incorporels du fonds. Or, et sauf de nouveau à procéder selon une interprétation extensive des termes de la police, la société Fleur de mets échoue à caractériser en quoi un élément incorporel, par essence sans existence physique, serait susceptible de subir un « dommage matériel » et partant, à faire naître pour l’assureur l’obligation de garantir les pertes d’exploitation pouvant en découler.
En troisième lieu, il y a de nouveau lieu de se référer à l’intention commune des parties, qui ont défini, au sein de la clause I-4 de la police, les « biens assurés » visés à l’annexe A19 comme les « biens immobiliers et mobiliers par nature et par destination » de l’assurée, et ont accompagné cette définition d’une liste comprenant les établissements, les bâtiments, les agencements, les matériels et marchandises de l’assurée ainsi que certains biens de tiers au contrat. Si la société Fleur de mets relève que cette liste n’est pas exhaustive puisque précédée de l’adverbe « notamment » et que cette imprécision doit dès lors jouer en sa faveur, les sociétés MMA rappellent sans être contestées que le contrat d'assurance ayant été négocié par l'intermédiaire d'un courtier, il ne s'analyse pas en un contrat d'adhésion. Il doit dès lors, en cas de doute, être interprété contre le créancier et en faveur du débiteur.
Force est alors de relever que la liste figurant à la clause I-4 susvisée ne comprend que des biens matériels, immobiliers comme mobiliers, mais ne fait aucune référence à un éventuel bien immatériel couvert par la police souscrite, notamment les éléments corporels du fonds de commerce. Il ressort encore des clauses relatives à l’évaluation des biens « immobiliers, matériels et mobiliers » (section II.3 du contrat) que l’indemnisation pour les « biens assurés » est calculée sur la base d’une « valeur à neuf », sous réserve notamment d’une déduction au titre de la valeur de vétusté, ces termes ne pouvant s’appliquer qu’à des biens matériels car dénués de sens pour des biens immatériels. Si une valeur de « reconstitution au jour du sinistre des biens assurés » est également prévue, cette notion ne vaut que pour le « cas spécifique des matériels » (page 15 des conditions générales) et ne peut donc être étendue à d’éventuels biens immatériels.
C’est donc sans aucune ambiguïté que les parties ont décidé de restreindre la portée des risques couverts par la garantie aux seules atteintes aux biens matériels dont dispose l’assurée, et partant, de ne pas inclure dans le périmètre de cette garantie le fonds de commerce pris en ses éléments incorporels.
Enfin, si la société Fleur de mets soutient que le virus de la Covid-19 a affecté et partant altéré, ses biens mobiliers comme immobiliers compte tenu de ses capacités de propagation, ce n’est que par voie d’affirmations qu’elle expose que « la majorité des immeubles à usage commercial a été touchée par ces particules virales » pour en déduire nécessairement une atteinte à ses propres biens. Elle ne rapporte ainsi aucune preuve de ce que ses biens auraient été effectivement contaminés en tout ou partie par le virus de la Covid-19 et que cette circonstance les aurait rendus inutilisables sur une quelconque période.
Du tout, il y a lieu de retenir que la société Fleur de mets ne démontre pas que la condition préalable d’un « dommage matériel » aux biens assurés est satisfaite.
En conséquence, la garantie des MMA n’est pas acquise au titre de l’annexe A19.
Sur la garantie de l’annexe B9
Selon l’annexe B9 de la police, « La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à l’injonction d’une autorité publique compétente (exemples : mise sous scellés pour enquête, risques de pollution, contamination, risques sanitaires, risques d’accidents imminents, etc...) imposant :
- le retrait et la destruction de marchandises,
- la fermeture totale ou partielle d’un établissement assuré.
Lorsqu’elles sont la conséquence directe de dommage matériel causé par un événement garanti au titre des annexes A1 à A8bis (Incendie, explosions, chutes d’appareils de navigation aérienne, choc d’un véhicule terrestre, fumées émanations, Tempêtes, grêle et neige, Dégâts des Eaux, Emeutes, mouvements populaires, vandalisme, actes de terrorisme et de sabotage), survenus dans les locaux de l’assuré.
Lorsqu’à la suite d’un événement garanti, la durée d’arrêt sera influencée par une de ces mesures la garantie Pertes d’Exploitation s’exercera en tenant compte de cet allongement de la période de garantie selon la période définie dans le tableau des limites et sous-limites.
La période d’indemnisation prend effet à la date de la décision administrative.
Cette garantie est accordée à concurrence de la limitation indiquée aux Dispositions Particulières ».
La société Fleur de mets soutient que les deux premiers paragraphes de cette annexe ainsi reproduits doivent être lus de manière disjointe comme étant deux phrases distinctes, séparées par un point, et faisant ainsi référence à deux garanties également distinctes.
Si le point concluant le premier paragraphe et le renvoi à la ligne créent en effet une séparation avec le second paragraphe, ce dernier, uniquement constitué d’une proposition subordonnée introduite par la conjonction de circonstance « lorsque », ne contient aucune proposition principale énonçant les incidences de cette circonstance sur les droits ou obligations de l’assuré. Aucune lecture autonome cohérente ne peut ainsi être faite de ce paragraphe et la société Fleur de mets ne précise d’ailleurs pas dans ses écritures quel serait l’objet de la garantie prévue par ce paragraphe pris isolément.
L’interprétation proposée par la société Fleur de mets a ainsi pour conséquence de priver de tout sens la clause du contrat, en violation des dispositions de l’article 1191 du code civil : « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun ».
Dès lors, les sociétés MMA seront suivies dans leur lecture combinée des deux premiers paragraphes de l’annexe B9 de la police, laquelle est en outre cohérente avec l’intention des parties telle que manifestée par le reste des clauses ci-avant rappelées de la police et, de ce fait, conforme aux prévisions des articles 1188 et 1189 du code civil.
La garantie de l’annexe B9 prévoit alors l’indemnisation des pertes d’exploitations « lorsqu’elles sont la conséquence directe de dommage matériel causé par un événement garanti au titre des annexes A1 à A8bis ».
Il s’en déduit, de manière similaire à l’annexe A19, que la garantie souscrite suppose la démonstration d’un dommage matériel préalable ayant eu pour conséquence les pertes dont l’indemnisation est sollicitée. Or, pour les motifs ci-avant adoptés, le tribunal retient que la société Fleur de mets ne rapporte pas la preuve d’un tel dommage, tant en raison de la propagation du virus de la Covid-19 que des mesures sanitaires restrictives adoptées en réponse à la pandémie.
Dès lors, la garantie des MMA n’est pas non plus acquise au titre de l’annexe B9.
* * *
En conséquence, la société Fleur de mets sera entièrement déboutée de ses demandes fondées sur le contrat d’assurance intitulé « Contrat multirisque industrielle avec abrogation de la règle proportionnelle de capitaux » n° 145472338.
Sur les autres demandes
La société Fleur de mets, succombant, sera condamnée aux dépens.
Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par les sociétés MMA à l’occasion de la présente instance. Elle sera ainsi condamnée à leur payer la somme de 8.000 euros à ce titre.
L'exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l'espèce à compter du 1er janvier 2020. Le sens de la présente décision ne justifie pas qu’il soit dérogé à ce principe, de sorte que la demande formée à cette fin par les sociétés MMA sera écartée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Déboute la SAS Fleur de mets de l’ensemble de ses demandes,
Condamne la SAS Fleur de mets à payer à la SA MMA I.A.R.D. et à la société d’assurance mutuelle MMA I.A.R.D. Assurances mutuelles la somme de 8.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles,
Condamne la SAS Fleur de mets aux dépens,
Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit du présent jugement.
Fait et jugé à Paris le 26 Mars 2024.
Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE