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22/03/2024 | FRANCE | N°18/13677

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 6ème chambre 2ème section, 22 mars 2024, 18/13677


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




6ème chambre 2ème section


N° RG 18/13677 - N° Portalis 352J-W-B7C-COI3O

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
25 Octobre 2018















JUGEMENT
rendu le 22 mars 2024
DEMANDERESSE

S.A. ALLIANZ IARD
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 6]


représentée par Maître Samia DIDI MOULAI de la SELAS CHETIVAUX-SIMON Société d’Avocats, avocats au

barreau de PARIS, vestiaire #C0675


DÉFENDERESSES

Société ACIERIE ET LAMINOIRS DE [Localité 10]
[Adresse 14]
[Localité 3]

Société ITON SEINE
[Adresse 11]
[Localité 8]

Société AIG EUROPE SA
[Adresse 13]
...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

6ème chambre 2ème section


N° RG 18/13677 - N° Portalis 352J-W-B7C-COI3O

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
25 Octobre 2018

JUGEMENT
rendu le 22 mars 2024
DEMANDERESSE

S.A. ALLIANZ IARD
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 6]

représentée par Maître Samia DIDI MOULAI de la SELAS CHETIVAUX-SIMON Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0675

DÉFENDERESSES

Société ACIERIE ET LAMINOIRS DE [Localité 10]
[Adresse 14]
[Localité 3]

Société ITON SEINE
[Adresse 11]
[Localité 8]

Société AIG EUROPE SA
[Adresse 13]
[Adresse 13]
[Localité 7]

représentées par Maître Valérie RAVIT de la SELARL HAUSSMANN ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0443

S.A.S. JOUEN MATERIAUX
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Muriel KAHN HERRMANN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1167

SMABTP assureur de la société JOUEN MATERIAUX
[Adresse 5]
[Localité 2]

représentée par Maître Paul-Henry LE GUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0242

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge

assistée de Madame Audrey BABA, Greffier

DEBATS

A l’audience du 24 novembre 2024 tenue en audience publique devant Stéphanie VIAUD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Nadja Grenard , Présidente de formation et par Madame Audrey BABA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société SCI [Localité 8] [Adresse 12] domaines, filiale de la société Nexity, a fait construire en qualité de maître d’ouvrage un ensemble immobilier composé de 62 logements collectifs et maisons individuelles [Adresse 12] à [Localité 8].

Sont notamment intervenus à l’opération de construction :
- la société Construction bâtiment parisien (CBP) , titulaire du lot gros œuvre et terrassement ;
- la société Jouen Matériaux, pour la fourniture et la livraison de béton, assuré par la société SMABTP ;
- la société Aciérie et laminoirs de [Localité 10] (ALPA) assurée auprès de la société AIG Europe SA ;
- la société ITON Seine, assurée auprès de la société AIG Europe SA .

Dans le cadre de cette opération, la société Nexity domaines pour le compte de la SCI [Localité 8] [Adresse 12] domaines a souscrit auprès de la société Allianz Iard une police d’assurance tous risques chantier.

Ayant constaté en cours de chantier des éclatements de béton, la société Nexity a adressé par courrier électronique du 25 octobre 2016 une déclaration de sinistre.

Aux termes de l’expertise amiable diligentée par l’assureur, la société Allianz Iard a indemnisé son assuré à hauteur de 521 650,65 €.

Engagement de la procédure au fond :

Par exploits en date du 25 octobre 2018, la société Allianz Iard a assigné devant le tribunal de Paris la société Jouen Matériaux et son assureur, la société SMABTP.

Par exploits en date du 22 et 24 juillet 2020 la société SMABTP a assigné en garantie devant le tribunal de Paris :
- la société Aciérie et laminoirs de [Localité 10] (ALPA) ;
- la société ITON Seine ;
- la société AIG Europe SA en qualité d’assureur de la société ALPA et de la société ITON Seine.

Les affaires ont été jointes.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions récapitulatives de la société Allianz Iard notifiées par voie électronique le 16 juin 2022 aux termes desquelles elle sollicite de voir :

« Juger que la compagnie ALLIANZ a versé à son assuré l'indemnité contractuellement due;
Juger que la compagnie ALLIANZ est subrogée dans les droits et actions de son assuré, la société NEXITY, au titre des dommages affectant le béton mis en œuvre dans le cadre de la construction de la RESIDENCE COEUR DE VILLE;
Juger qu'il ressort incontestablement du rapport déposé le 29 décembre 2016 par le laboratoire SIXENSE CONCRETE que le béton fourni et livré par la société Jouen Matériaux est affecté de vices rédhibitoires tels qui l'ont rendu impropre à l'usage auquel il était destiné;
Juger que la société Jouen Matériaux est tenue à l'égard de la société NEXITY, aux droits de laquelle vient la compagnie ALLIANZ par voie de subrogation, sur le fondement de l'article 1641 du code civil;
A TITRE SUBSIDIAIRE, Juger que la société Jouen Matériaux, à raison des manquements commis dans la valorisation des laitiers, a engagé sa responsabilité à l'égard de la société NEXITY, aux droits de laquelle vient la compagnie ALLIANZ par voie de subrogation, au sens de l'article 1231-1 du code civil;
Condamner in solidum la société Jouen Matériaux et la SMABTP à rembourser à la compagnie ALLIANZ la somme de 521 650,65 € et ce tant en principal que frais et intérêts depuis la date de versement ou à tout le moins à compter de la délivrance de la présente assignation en application des dispositions de l'article 1231-6 du code civil, et capitalisation de ces sommes conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.
Rejeter toute demande de condamnation qui serait dirigée à l’encontre de la compagnie ALLIANZ.
Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Condamner in solidum et sous le bénéfice de l'exécution provisoire la société Jouen Matériaux et la SMABTP à verser à la compagnie ALLIANZ la somme de 6 000 € en remboursement de ses frais irrépétibles et aux entiers dépens, dont le montant pourra être recouvré directement par la SELAS CHETIVAUX SIMON, représentée par Maître Samia DIDI MOULAI, Avocat. »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société Jouen matériaux notifiées par voie électronique le 20 mai 2022 par lesquelles elle sollicite de voir :
« À titre principal,
Débouter la société Allianz Iard de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions à l'encontre de la société Jouen Matériaux.
Subsidiairement,
Accorder à la société Jouen Matériaux recours et garantie contre la SMABTP pour toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre.
En tout état de cause,
Vu les dispositions de l'article 700 du CPC,
Condamner la société Allianz Iard à payer à la société Jouen Matériaux, en couverture d'une partie de ses frais irrépétibles, la somme de 3 500 euros.
Vu les dispositions de l'article 696 du CPC,
Condamner la société Allianz Iard aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société SMABTP notifiées par voie électronique le 12 avril 2022 par lesquelles elle sollicite de voir :
« RECEVOIR la SMABTP en ses conclusions et l’y DECLARER bien fondée ;
Y faisant droit :
I/ SUR LE RECOURS SUBROGATOIRE DE L’ASSUREUR TRC,
A/ SUR LE MAL FONDE,
Juger que la Compagnie Allianz Iard ne fournit aucun devis d’entreprise pour justifier son recours subrogatoire portant sur la somme de 521 650,65 € ;
Juger que « l’évaluation des dommages » a été fixée par un collège d’experts d’assurances à la somme totale de 499 810,65 € HT (= 484 518,17 € +15 292,48 €) ;
Juger que le delta existant entre le recours subrogatoire de la Compagnie Allianz Iard et « l’évaluation des dommages » par le collège d’experts d’assurances n’est pas justifié, soit la somme de 21 840 € HT;
En conséquence :
Juger le quantum du recours subrogatoire exercé par le Compagnie Allianz Iard mal fondé ;
Débouter la Compagnie Allianz Iard de ses demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de la SMABTP, recherchée en sa qualité d’assureur de la société Jouen Matériaux ;
A titre subsidiaire :
Fixer l’évaluation des dommages subis suite au sinistre à la somme de 499 810,65 € HT, telle qu’arrêtée par le collège d’experts d’assurances;
Limiter le recours subrogatoire exercé par la Compagnie Allianz Iard à la somme de 499 810,65 € HT ;
B/SUR L’APPLICATION DES LIMITES CONTRACTUELLES,
Juger que le plafond de la garantie « vice des produits » souscrite par la société Jouen Matériaux auprès de la SMABTP est de 150 000 €, applicable par sinistre et par an ;
Juger que la franchise de la garantie « vice des produits » souscrite par la société Jouen Matériaux auprès de la SMABTP est de 10% du montant du sinistre avec un maximum de 12 180 € (= 70 x 174 €), applicable par sinistre et par an ;
Juger que la SMABTP peut opposer au porteur de la police d’assurance ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire ;
En conséquence :
FAIRE APPLICATION des montants du plafond et de la franchise de la garantie « vice des produits » prévus au « Contrat d’Assurance des Responsabilité Professionnelle des Fabricants de Produits de Construction » n°1004000/001 448439, souscrit par la société Jouen Matériaux auprès de la SMABTP, parfaitement opposables à la Compagnie Allianz Iard ;
Limiter toute éventuelle condamnation de la SMABTP, recherchée en sa qualité d’assureur de la société Jouen Matériaux, à la somme de 137.820 €, au profit de la Compagnie Allianz Iard ;
Condamner la société Jouen Matériaux à relever et garantir la SMABTP à hauteur de la somme de 12.180 €, correspondant au montant de sa franchise contractuelle due pour ce sinistre ;
II/ SUR LES RECOURS DE LA SMABTP,
Juger que les sociétés ALPA et ITON-SEINE, dans le cadre de l’exécution de leur contrat de sous-traitance respectif conclu avec la société Jouen Matériaux, n’ont pas satisfait à leur obligation contractuelle de délivrance conforme ;
Juger que la non-conformité des produits laitiers récupérés par la société Jouen Matériaux auprès des sociétés ALPA et ITON-SEINE, ayant servi à la fabrication du béton incriminé, est la cause impulsive des désordres indemnisés par la Compagnie Allianz Iard en application de ses garanties « Tous Risques Chantier » ;
Juger qu’en raison de ces désordres la SMABTP, prise en sa qualité d’assureur de la société Jouen Matériaux, fait actuellement l’objet d’une réclamation judiciaire formée par la Compagnie Allianz Iard qui entend exercer à son encontre son recours subrogatoire, à hauteur des indemnités d’assurance réglées à la SCI [Localité 8] [Adresse 12] DOMAINES, soit la somme totale de 521.650,65 € ;
En conséquence :
Condamner in solidum :
- la société ALPA et son assureur la société AIG EUROPE SA ;
- la société ITON-SEINE et son assureur la société AIG EUROPE SA;
à :
- rembourser à la SMABTP, prise en sa qualité d’assureur de la société Jouen Matériaux, toutes les sommes qu’elle sera susceptible de verser amiablement et/ou judiciairement dans le cadre du recours subrogatoire exercé par la Compagnie Allianz Iard, en sa qualité d’assureur TRC, au titre des désordres indemnisés au profit de la SCI [Localité 8] [Adresse 12] DOMAINES ;
- relever et garantir indemne la SMABTP, prise en sa qualité d’assureur de la société Jouen Matériaux, de toutes les condamnations qui pourront être prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais et accessoires, dans le cadre du recours subrogatoire exercé par la Compagnie Allianz Iard, en sa qualité d’assureur TRC, au titre des désordres indemnisés au profit de la SCI [Localité 8] [Adresse 12] DOMAINES ;
En tout état de cause :
Débouter la Compagnie Allianz Iard, les sociétés ALPA, ITON-SEINE et leur assureur commun la société AIG EUROPE SA du surplus de leurs réclamations, fins et conclusions plus amples ou contraire et qui excéderaient les limites contractuelles de la police d’assurance souscrite par la société Jouen Matériaux auprès de la SMABTP ;
Condamner toute partie succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Paul- Henry LE GUE, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la SMABTP la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. »

* * *

Vu les conclusions récapitulatives de la société Aciérie et laminoirs de [Localité 10] (ALPA), la société Iton Seine et leur assureur la société AIG Europe SA, assureur de notifiées par voie électronique le 13 avril 2022 par lesquelles elle sollicite de voir :
« A titre principal,
Débouter la société SMABTP de l’ensemble de ses demandes à l’encontre des sociétés ALPA, ITON SEINE et AIG EUROPE SA ;
Condamner la société SMABTP à payer aux sociétés ALPA, ITON SEINE et AIG EUROPE SA la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, en tout état de cause,
Si par extraordinaire la responsabilité des sociétés ALPA et ITON SEINE devait être retenue, Faire application à l’égard de la société AIG EUROPE SA de la franchise prévue à son contrat d’assurance de 50 000 euros par sinistre, et de l’exclusion du prix correspondant aux laitiers utilisés. »

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières écritures précitées des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de celles-ci.

Par ordonnance du 30 septembre 2022, la clôture de la procédure a été prononcée avec fixation du dossier à l’audience des plaidoiries du 24 novembre 2023 en formation collégiale avec juge rapporteur, les parties ne s’y étant pas opposé.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voire « dire et juger» ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu'elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l'objet d'une mention au dispositif.

De plus, le dispositif du présent jugement sera limité aux strictes prétentions formées par les parties, étant rappelé qu'il n'a pas vocation à contenir les moyens venant au soutien des demandes, peu important que ces moyens figurent dans le dispositif des conclusions.

Enfin, conformément à l'article 768 alinéa 2 du code de procédure civile, le tribunal ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinera les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

I – Sur la demande principale de la société Allianz Iard :

Pour obtenir la condamnation in solidum de la société Jouen matériaux et de son assureur la SMABTP au paiement de la somme de 521 650,65 €, la société Allianz Iard se fonde à titre principal sur la garantie des vices cachés et à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle. Elle expose que la société Jouen matériaux qu’elle qualifie de fournisseur a vendu et livré le béton et que celui-ci était affecté de défauts cachés qui l’ont rendu impropres à l’usage auquel il était destiné.

A- Sur la recevabilité du recours subrogatoire de la société Allianz Iard à l’encontre de la société Jouen matériaux :

La société Jouen matériaux conteste les modalités d’élaboration et les conclusions du rapport d’expertise amiable établi de manière non contradictoire et conclut que la preuve d’un vice caché affectant son béton n’est pas rapportée. Elle rappelle en outre être intervenue sur ce chantier en qualité de sous-traitante de la société CPB, titulaire du lot gros œuvre, et qu’à ce titre, la société Allianz Iard ne peut exercer de recours subrogatoire à son encontre en sa qualité d’assurée bénéficiaire de l’assurance TRC.

La société Allianz Iard expose que la société Jouen matériaux n’est pas bénéficiaire de la garantie « tous risques chantier » (ci-après TRC) car d’une part ce fournisseur n’est pas intervenu sur le site d’autre part il ne peut recevoir la qualification de sous-traitant. Sur le premier point, elle rappelle les dispositions du préambule des conditions particulières du contrat d’assurance conclu avec Nexity en ce que le souscripteur agit seulement pour le compte « des entreprises, de leurs sous-traitants et co-traitants, fournisseurs et mandataires, intervenant sur le site et leurs personnels ». Sur le second, elle explique que la société n’a fait que fournir et livrer le béton et n’a pas participé à l’édification de l’ouvrage; elle ne peut donc être qualifiée d’entreprise sous-traitante.

*

La police TRC est une assurance facultative qui n’a pour objet et exclusion que ce que décident les parties.

L’assureur TRC qui indemnise le maître d’ouvrage à hauteur du montant nécessaire à la réparation est irrecevable à exercer un recours subrogatoire en vertu de l’article L121-12 du code des assurances contre l’entreprise à qui le dommage serait imputable si celle-ci est bénéficiaire de la garantie souscrite.

La police souscrite par le maître d’ouvrage pour l’opération a notamment pour objet d’assurer les dommages survenus entre la date d’effet du contrat soit le 1er janvier 2015 et la date de réception des travaux. Cette police a été souscrite pour le compte notamment du maître d’ouvrage et « des entreprises, de leurs sous-traitants et co-traitants, fournisseurs et mandataires, intervenant sur le site et leurs personnels ».

Afin de justifier de la qualité de simple vendeur de matériaux de la société Jouen matériaux et l’exclure des bénéficiaires de l’assurance souscrite, la société Allianz Iard verse non pas le contrat conclu entre la société CBP et la société Jouen matériaux comme mentionné au bordereau des pièces communiquées (pièce 3) mais une délégation de paiement par ailleurs produite par la société Jouen matériaux. Cette délégation de paiement, établie au visa de la loi du 31 décembre 1975, est intervenue entre la SCI [Localité 8] domaines, maître d’ouvrage, la société CBP entreprise principale titulaire du lot 1 « Gros œuvre », et la société Jouen matériaux en qualité de sous-traitant du lot n°1 gros œuvre. Ce document , qui fait état de l’agrément du sous-traitant Jouen matériaux par le maître d’ouvrage, la SCI [Localité 8] domaines par lettre du 29 juillet 2015, a été signé par l’ensemble des parties le 5 août 2015.

En l’absence d’élément complémentaire contraire, il n’y a pas lieu de qualifier autrement la relation entre la SCI [Localité 8] domaines et la société Jouen matériaux que de relation de sous-traitance. Aucun élément ne vient par ailleurs corroborer l’affirmation selon laquelle l’entreprise sous-traitante ne serait pas intervenue sur le site.

La société Jouen matériaux est donc bénéficiaire de la garantie souscrite.

Ensuite, le contrat comporte une clause G.1 de renonciation à recours, hors cas de malveillance contre les assurés pris ensemble ou individuellement et contre les fournisseurs et/ou fabricants dans le seul cas de sinistres qu’ils occasionnent lors de leurs interventions ou livraisons sur les chantiers.

Par voie de conséquence, la société Jouen matériaux étant bénéficiaire de la garantie souscrite et le contrat comportant une clause de renonciation à recours contre ses bénéficiaires, l’action de la société Allianz Iard introduite à son encontre sera déclarée irrecevable.

B- Sur le recours subrogatoire à l’encontre de la SMABTP:

Si l’assureur « tous risques chantier » assureur de dommages pour le compte du maître de l’ouvrage et des participants à l’opération de constructions visés au contrat ne peut exercer aucun recours contre ses assurés, il peut après indemnisation du maître de l’ouvrage et en vertu des règles relatives à la subrogation légale, exercer un recours contre les assureurs de ces derniers.

Ce point étant précisé, la SMABTP ne conteste ni la matérialité des désordres ni le caractère contradictoire des opérations d’expertises menées. Elle conteste à titre principal le bien-fondé du recours en se bornant à discuter du quatum des demandes, en ce que celui-ci excède le coût des travaux réparatoires strictement nécessaires tel qu’évalué par le collège d’experts d’assurance. A titre subsidiaire, la SMABTP pour limiter le montant de la condamnation au paiement invoque l’application des plafonds et franchises du contrat souscrit par son assurée au titre de sa garantie « vice des produits ».

1) Sur l’assiette du recours :

Selon l’article L 121-12 alinéa 1 du Code des assurances, l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.

Pour être légalement subrogé dans les droits de l’assuré indemnisé, il incombe à l’assureur de démontrer l’existence d’un paiement effectué à l’assuré et que ce paiement a été fait en application du contrat d’assurance souscrit.

Le montant des travaux réparatoires tel qu’arrêté par le collège d’experts d’assurances n’est aucunement discuté par la SMABTP. Celui-ci a été arrêté à la somme totale de 499 710,65 € HT selon le procès-verbal « de constatations relatives aux causes et circonstances à l’évaluation des dommages » du 6 mars 2017 à hauteur de 484 418,17 €HT soit 518 421,80€TTC et le procès-verbal complémentaire du même jour à hauteur de 15 292,48 € HT soit 18 350,97 € TTC.

Le montant total des indemnités versées par la société Allianz Iard s’élève à 521 650,65 euros correspondant à la somme des montants figurant sur les deux quittances subrogatives produites :
- la 1ère du 13 juin 2017 d’un montant de 399 848,52 € ;
- la 2nde en date du 27 mars 2017 pour un montant de 121 802,13 €.

La société Allianz Iard explique que la première correspond à 80% du montant total HT des travaux réparatoires et la seconde au solde des travaux réparatoires outre 7 840 € au titre du préjudice des entreprises (frais de gardiennage de bureau de contrôle et de SPS liés au retard de livraison et 11 500 € au titre du traitement spécifique des éclatements de bétons constatés en façade avant réception. De ces montants, l’assureur indique avoir déduit le montant de la franchise qui s’élève à 7500 euros.

Ces éléments d’explications ne figurent aucunement sur les quittances produites et ne sont corroborés par aucune pièce, de sorte qu’il n’est pas établi que les sommes complémentaires payées par la société Allianz sont justifiées et l’ont été en applications du contrat TRC.

Aussi, l’assiette du recours sera limitée à la somme de 499 710,65 €.

2) Sur l’application des plafonds et franchises :

La SMABTP se prévaut des stipulations du contrat dit « Alpha bat Fabricants» souscrit par la société Jouen matériaux pour l’application des plafonds et franchises qui y sont stipulés.

La société Allianz Iard expose que la société Jouen matériaux a souscrit la garantie de base responsabilité civile dont l’objet est « Cette garantie couvre le paiement des conséquences pécuniaires en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés aux tiers dans l’exercice de votre activité professionnelle et/ou du fait des produits vendus, lorsque votre responsabilité est engagée sur quelque fondement juridique que ce soit » et que le montant de de garantie afférent à cette garantie est de 1 000 000 € par année d’assurance.

En matière d’assurance facultative, l’assureur peut légitiment opposer aux tiers les plafonds et franchises tels que stipulés au contrat souscrit par son assuré.

Il résulte du dossier que la société Jouen matériaux a souscrit un contrat dit « Alpha-bat Fabricants » dont les conditions particulières ont été signées le 25 novembre 2013. Aux termes de l’article 3 des conditions particulières, les garanties s’appliquent aux seuls produits suivants : « fabrication de bétons normalisés conformes NF EN 206-1 ; fabrication de bétons normalisés ; concassage et fournitures de laitiers : production laitier valorisé en 0/4, 4/10, 0/20, 20/40, 0/31,5. »

Les conditions générales du contrat stipulent au chapitre II « assurance de votre responsabilité civile professionnelle », en leur article 9.1 que « Nous vous garantissons le paiement des conséquences pécuniaires lorsque votre responsabilité est recherchée pour des dommages matériels à la construction ou aux existants, y compris les "produits" eux-mêmes et résultant d’un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil ou d’un défaut au sens de l’article 1386-4 du Code civil du "produit" causant un dommage à un bien selon l'article 1386-2 du Code civil ou d’une faute de votre part ou des personnes dont vous répondez » .

L’article 4.3.2 des conditions particulières rappelle la souscription de la garantie « vice des produits »- Article 9 des conditions générales et fixent les montants de garantie comme suit : 150 000 € par sinistre et par an dont 100 000 € par sinistre et par an pour les dommages affectant des ouvrages de génie civil. La franchise prévue s’élève à 10 % des dommages avec un minimum égale à 15 franchises statutaires et un maximum égal à 70 franchises statutaires. Le montant de la franchise statutaire était fixé au 1er janvier 2013 à 165,00 € et actualisé à la somme de 174,00 euros comme en atteste le « projet d’assurance » signé le 20 octobre 2016.

Compte tenu de ce qui précède et du montant du sinistre, en application des stipulations contractuelles rappelées ci-avant, le plafond de garantie applicable est de 150 000 euros et la franchise de 12 180 € (« un maximum égal à 70 franchises statutaires : 174x12 »).

Par voie de conséquence, la SMABTP sera condamnée à payer à la société Allianz Iard dans la limite de ses plafonds et franchise soit à la somme de 137 820 euros.

II- Sur l’appel en garantie de la SMABTP

La SMABTP sollicite la condamnation in solidum de la société Alpa, de la société Iton Seine et de leur assureur la société AIG Europe SA assureur. Elle expose en premier lieu que les sociétés Iton-Seine et Alpa n’ont pas satisfait à leur obligation contractuelle de délivrance conforme à l’égard de son assurée la société Jouen matériaux en procédant à une opération de ré-enfournement pourtant interdite aux termes de l’article 3.1 du contrat. Elle expose également que la non-conformité des produits livrés par ces sociétés est la cause impulsive des désordres indemnisés par la société Allianz Iard au maître d’ouvrage.

Les sociétés Alpa et Iton Seine et leur assureur la société AIG Europe SA exposent que les laitiers fournis étaient parfaitement conformes aux dispositions applicables pour une valorisation en technique routière et aux contrats conclus. Elles soulignent que les articles 1et 3 des conventions conclues le 1er janvier 2014 entre la société Jouen matériaux et chacune des entreprises visent expressément une valorisation en technique routière conformément au guide SETRA et non en un autre usage. Elles soutiennent dès lors que la responsabilité des sociétés Alpa et Iton-Seine ne saurait être engagée dès lors que la société Jouen matériaux a fait le choix d’utiliser les laitiers remis dans un cadre autre que celui expressément prévu dans chacun des contrats. Elles contestent en outre fermement l’allégation selon laquelle la technique de ré-enfournement des laitiers serait à l’origine du sinistre en raison d’une teneur en magnésie anormalement élevée.

En l’espèce, les conventions conclues avec les sociétés Iton-Seine et Alpa dont les activités génèrent la production de laitiers dont elles souhaitent voir assuré le recyclage et/ou de la valorisation adéquate s’appliquent aux laitiers de four et aux laitiers de métallurgie secondaire appelés « laitiers de poche » produits sur le site de chacune de ces sociétés. Il est constamment fait référence, que ce soit en termes de conformité que d’obligations réciproques au guide SETRA d’acceptabilité environnementale de matériaux alternatifs en technique routière – laitiers sidérurgiques, guide faisant partie intégrante des conventions pour y être annexé. L’article 3 de la convention stipule que les uniques critères de conformité des laitiers sont ceux énoncés au guide SETRA. Le chapitre 3 du guide relatif aux domaines d’emploi et aux limitations d’usage rappelle les trois différents types d’usages routiers dans lesquels la valorisation des laitiers sidérurgiques sont autorisés. Dès lors, tout usage en dehors de ceux prévus par la convention ne saurait être couverte par elle et engager la responsabilité des fournisseurs de laitiers. En outre, s’agissant de la conformité des laitiers, la convention prévoit la fréquence et les modalités de contrôle de la conformité des deux types de laitiers. Aucun manquement n’a été relevé ni documenté.

Aussi, si la société Jouen matériaux a fait le choix d’utiliser les laitiers pour un usage non conforme et non garantie par le contrat, la responsabilité des sociétés Alpa et Iton-Seine ne saurait être engagée à ce titre.

Par voie de conséquence, la SMABTP sera déboutée de son appel en garantie.

III- Sur les demandes accessoires:

.Sur les dépens
et sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une partie. Elle peut également être condamnée à payer à l'autre une somme que le juge détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. A cet égard, le juge tient compte, dans tous les cas, de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Parties ayant succombé au sens de ces dispositions, la société SMABTP sera condamnée aux dépens.

La société SMABTP sera condamnée à payer à la société Allianz Iard la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles. Elle sera également condamnée à payer la somme de 3000 euros aux sociétés Iton-Seine, Alpa et AIG Europe SA.

Les parties seront déboutées de l’ensemble de leurs autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense, leur débouté découlant nécessairement des motifs amplement développés dans tout le jugement.

.Sur l’exécution provisoire :

Aux termes de l’article 515 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit par interdite par la loi.

En l’espèce, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision, laquelle n’apparaît pas justifiée.

PAR CES MOTIFS:

Le Tribunal, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;

Déclare irrecevable l’action subrogatoire de la société Allianz Iard à l’encontre de la société Jouen matériaux ;

Déclare que la SMABTP en qualité d’assureur de la société Jouen matériaux doit sa garantie à l’égard d’Allianz assureur TRC subrogé dans les droits du maître d’ouvrage dans les limites contractuelles de son contrat d’assurance ;

Condamne la SMABTP à payer à la société Alllianz Iard la somme de 137 820 € (cent trente-sept mille huit cent vingt euros) ;

Déboute la SMABTP de son appel en garantie formé à l’encontre des sociétés Alpa et Iton-Seine et leur assureur la société AIG Europe ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société SMABTP aux dépens ;

Autorise ceux des avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre à recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision ;

Condamne la société SMABTP à payer à la société Allianz Iard la somme de 3000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SMABTP à payer aux sociétés Iton-Seine, Alpa et AIG Europe SA la somme de 3000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 22 mars 2024

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 6ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 18/13677
Date de la décision : 22/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-22;18.13677 ?
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