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21/03/2024 | FRANCE | N°20/08717

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 8ème chambre 2ème section, 21 mars 2024, 20/08717


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:




8ème chambre
2ème section

N° RG 20/08717
N° Portalis 352J-W-B7E-CSX32

N° MINUTE :


Assignation du :
19 Juin 2020



JUGEMENT
rendu le 21 Mars 2024
DEMANDEURS

Monsieur [S] [O]
Madame [R] [T] épouse [O]
domicilié : chez SELASU Cohen et Associés
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentés par Maître Richard ruben COHEN de la SELAS SELASU RICHARD R. COHEN, avocats au barreau de PARIS, avoc

ats plaidant, vestiaire #C1887


DÉFENDEURS

Syndicat de copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice, la société JEAN CHARPENTIER –...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

8ème chambre
2ème section

N° RG 20/08717
N° Portalis 352J-W-B7E-CSX32

N° MINUTE :

Assignation du :
19 Juin 2020

JUGEMENT
rendu le 21 Mars 2024
DEMANDEURS

Monsieur [S] [O]
Madame [R] [T] épouse [O]
domicilié : chez SELASU Cohen et Associés
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentés par Maître Richard ruben COHEN de la SELAS SELASU RICHARD R. COHEN, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #C1887

DÉFENDEURS

Syndicat de copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice, la société JEAN CHARPENTIER – SOPAGI SA,
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représenté par Maître Vincent DE LA SEIGLIERE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1261

Monsieur [M] [G]
Madame [U] [G]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentés par Maître Jérome CELLIE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #T0007
Décision du 21 Mars 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 20/08717 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSX32

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Frédéric LEMER GRANADOS, Vice-Président
Anita ANTON, Vice-Présidente
Lucie AUVERGNON, Vice-Présidente

assistés de Nathalie NGAMI-LIKIBI, Greffière,

DÉBATS

A l’audience du 18 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Lucie AUVERGNON, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

***

Exposé du litige
 
Du 3 août 2017 au 20 mai 2020, M. [S] [O] et Madame [R] [T] épouse [O] (ci-après “époux [O]”) étaient copropriétaires occupants des lots n° 8 et n° 25 au sein de l’immeuble sis [Adresse 2], consistant en un appartement au 4ème étage et une cave au sous-sol. Cet immeuble est soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis.

Du 21 octobre 2003 au 23 octobre 2020, M. [M] [G] et Mme [U] [G] (ci-après « époux [G] ») étaient copropriétaires non occupants des lots n° 11 et n° 12 au sein du même immeuble, consistant en des chambres de service situées au 5ème étage.
Début 2018, les époux [O] ont découvert, à l’occasion d’un projet de rénovation de leur appartement visant à réaliser un séjour-cuisine, une tuyauterie en traversée de plancher provenant de l’étage supérieur et passant par leur appartement. Cette découverte a provoqué une visite de l’immeuble le 5 mars 2018 par M. [N], architecte, hors la présence des époux [G]. Par ailleurs, les époux [G] avaient installé des WC sanibroyeur au sein de leurs lots.

Selon courriers de mise en demeure du 16 mars 2018 et du 22 mai 2018, les époux [O] ont sommé les époux [G] d’intervenir pour mettre un terme aux évacuations d’eau du 5ème étage qu’ils estimaient non conformes. Le 17 avril 2018, un constat d’huissier de justice a été réalisé par les époux [O], hors la présence des époux [G].

Par décision du 8 novembre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par les époux [O], a ordonné une mesure d'expertise, a dit n’y avoir lieu à statuer sur l’article 700 du code de procédure civile et a laissé provisoirement les dépens à la charge des requérants.

Le rapport de Monsieur [M] [C] a été déposé le 5 novembre 2019.

C’est dans ces conditions que, par acte d'huissier du 19 juin 2020, les époux [O] ont assigné les époux [G] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de les voir condamner in solidum à réaliser, sous astreinte de 1500 € par jour de retard, les travaux préconisés par l'expert (dépose des évacuations raccordées à la descente des eaux pluviales de l’immeuble, dépose des évacuations raccordées au réseau privatif de la cuisine des époux [O], dépose du WC sanibroyeur), à payer des dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices financiers, de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral, outre leur condamnation aux entiers dépens de référé et de la présente instance, en ce compris les frais d’expertise, et au paiement de la somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles (affaire enregistrée sous le n° RG 20/08-717).

Par acte d'huissier délivré le 3 février 2021, les époux [O] ont assigné le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2], représenté par son syndic la société Jean Charpentier – SOGAPI SA, afin de lui rendre opposable la décision à intervenir (affaire enregistrée sous le n° RG 21/01825).

Le 14 septembre 2021, la jonction des deux affaires a été prononcée, par mentions aux dossiers, l’instance se poursuivant sous le seul numéro de RG 20/08-717.

Par ordonnance du 10 février 2022, le juge de la mise en état a :
déclaré les époux [O], qui n’étaient plus propriétaires au jour de la délivrance de l’assignation, irrecevables en leurs prétentions tendant d’une part à voir condamner les époux [G], sous astreinte, à procéder à des travaux réparatoires et, d’autre part, à rendre opposable au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2], la décision à intervenir, constaté que la demande de désistement partiel formée par les époux [O], concernant leurs demandes de « rendre opposable au syndicat des copropriétaires », est dès lors sans objet, déclaré les époux [O] recevables à agir s'agissant du surplus de leurs prétentions aux fins d'indemnisation,condamné les époux [O] aux dépens de l'incident ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 € au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, réservé les demandes formées par les époux [O] et les époux [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté toutes autres demandes.
Décision du 21 Mars 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 20/08717 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSX32

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 novembre 2022, les époux [O] demandent au tribunal de :

Vu l’article 1240 du code civil, vu la théorie des troubles anormaux de voisinages, vu les articles 514, 696, 699 et 700 du code de procédure civile, vu les articles 42-2, 45 et 47 du règlement sanitaire de la ville de [Localité 5],

Les recevoir en leurs demandes, fins et prétentions et les déclarer bien fondés et en conséquence,

Débouter les époux [G] de l’intégralité de leurs demandes,

Condamner in solidum les époux [G] à leur payer les sommes suivantes :
847 € au titre du préjudice financier suivant facture n°2018-2019—4380 du 15 avril 2019 de l’entreprise ETS LACROIX, 30.000 € au titre du préjudice financier lié à la perte de valeur de l’appartement, 58.500 € au titre du préjudice jouissance arrêté au 16 mai 2020, 7.250 € au titre du préjudice moral arrêté au 16 mai 2020,
Condamner in solidum les époux [G] à leur payer la somme de 12.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner in solidum les époux [G] aux entiers dépens de référé et de la présente instance, lesquels comprendront la somme de 7.084 € au titre des frais d’expertise,

Ordonner l’exécution provisoire.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2023, les époux [G] demandent au tribunal de :

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,

Constater que les époux [O] ne sont plus propriétaires des lots n° 8 et n° 25 au sein de l’immeuble situé [Adresse 2] et plus copropriétaires au sein dudit ensemble,

Constater que les époux [G] ne sont plus propriétaires des lots n° 11 et n° 12 au sein de l’immeuble situé [Adresse 2] et plus copropriétaires au sein dudit ensemble,

Constater que les époux [O] ont abandonné leurs prétentions visant à obtenir la condamnation des époux [G] à réaliser des travaux sous astreinte,

Constater que les époux [O] n’apportent aucune preuve de leur préjudice,

Constater que les époux [O] n’apportent aucune aucun élément probant de nature à établir
le montant de leur préjudice,

En conséquence,

Débouter les époux [O] de leurs demandes en indemnisation de la prétendue perte de valeur de leur appartement,

Débouter les époux [O] de leurs demandes en indemnisation de leur prétendu préjudice de jouissance,

Débouter les époux [O] de leurs demandes en indemnisation de leur prétendu préjudice moral,

Débouter les époux [O] de leurs demandes en indemnisation de leur prétendu préjudice financier,

Débouter les époux [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

Condamner les époux [O] au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et frais d‘expertise.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 janvier 2023, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] demande au tribunal de :

Mettre hors de cause le syndicat de copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2], représenté par son syndic en exercice, la société JEAN CHARPENTIER –SOPAGI SA,

Condamner les époux [O] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
 
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2023.
 
L’affaire, plaidée à l’audience du 18 janvier 2024, a été mise en délibéré au 21 mars 2024.
                                              
MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de « constater » 

Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de “constater », qui ne constituent pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne seront donc pas examinées, puisqu’elles ne valent consécration d'aucun droit et sont dépourvues de toute portée juridique (ex. : Civ. 3ème, 9 avril 2008, n° 07-11.709).

Sur la mise hors de cause du syndicat des copropriétaires

En l’espèce, aucune demande n’est formée à l’encontre du syndicat des copropriétaires du [Adresse 2].

Il convient donc de le mettre hors de cause, conformément à sa demande.

Sur les demandes indemnitaires des époux

1-1 : Sur les désordres, leur origine, leur qualification et les responsabilités

Les époux [O] soutiennent que les époux [G] sont responsables des préjudices qu’ils ont subis, sur le fondement de l’article 1240 du code civil et de la théorie des troubles anormaux de voisinages. Ils exposent que les époux [G] ont installé des WC sanibroyeur dans leur studio du 5ème étage, sans autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires et en violation de l’article 47 de l’arrêté du 23 novembre 1979 portant règlement sanitaire du département de [Localité 5]. Ils relèvent que ces toilettes étaient raccordées sur les colonnes, parties communes de l’immeuble, sans que ce raccordement ait été autorisé par l’assemblée générale. Ils exposent que le WC sanibroyeur et ses canalisations étaient « fuyards » et provoquaient des infiltrations au sein de leur lot n° 8 ainsi que des nuisances sonores. Ils font valoir que les eaux usées de la salle d’eau des lots des époux [G] étaient raccordées à une évacuation privative de leur appartement, sans leur autorisation. Ils soutiennent que les installations sanitaires non réglementaire réalisées par les époux [G] dans les studios du 5ème étage provoquaient des nuisances sonores importantes.

Enfin, ils relèvent qu’aux termes du rapport d’expertise, les installations sanitaires du studio des époux [G] se raccordaient à deux canalisations différentes : les évacuations des eaux vannes du sanibroyeur, les eaux usées de l’évier et du lave-linge se raccordaient sur la descente des eaux pluviales sur rue tandis les eaux usées de la douche et du lavabo se raccordaient à l’évacuation privative de l’évier de la cuisine de l’appartement des consorts [O], sans autorisation donnée par ces derniers.

En défense, les époux [G] considèrent que, compte tenu des conclusions du rapport d’expertise, ils ne pourraient répondre que du bruit lié à l’évacuation des eaux de la salle de bain. Ils critiquent néanmoins le rapport d’expertise, considérant qu’il est incomplet et que l’ensemble des questions et demandes n’ont pas obtenu de réponse.

***
En application de l'article 1240 du Code civil, « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». La mise en œuvre de cette responsabilité suppose la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

Par ailleurs, l’article 544 du Code civil dispose que “la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements”.

La responsabilité résultant de troubles qui dépassent les inconvénients normaux de voisinage est établie objectivement sans que la preuve d'une faute soit exigée sur le fondement du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

Par suite le propriétaire est responsable de plein droit des troubles anormaux de voisinage provenant de son fonds, que ceux-ci aient été causés par son fait ou par celui de personnes avec lesquelles il est lié par contrat.

L’action introduite suppose la réunion de deux conditions : une relation de voisinage et un trouble anormal.

La mise en œuvre de la responsabilité objective pour troubles anormaux du voisinage suppose la preuve d'une nuisance excédant les inconvénients normaux de la cohabitation dans un immeuble collectif en fonction des circonstances et de la situation des lieux.

Par ailleurs, le tiers lésé, qu’il soit propriétaire ou qu’il soit occupant des lieux dont la jouissance paisible a été troublée, est recevable à diriger indifféremment son action aussi bien contre l’auteur effectif du trouble que contre le propriétaire des lieux où le trouble a trouvé son origine ou sa cause.

Le principe selon lequel nul ne doit causer un trouble de voisinage s'applique donc à tous les occupants d'un immeuble en copropriété, quel que soit le titre de leur occupation.

Le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage et inversement, une activité qui ne respecte pas la réglementation peut ne pas causer un trouble anormal de voisinage.

L'existence d'un trouble anormal de voisinage ne se déduit donc pas de la seule constatation d'une infraction à une disposition administrative (ex. : Civ. 2ème, 18 novembre 2010, n° 09-71.031).

En l'espèce, il convient à titre liminaire de préciser que les lots n° 11 et n° 12 dont étaient propriétaires les époux [G] ne formaient qu’un unique studio à la date des faits, comme cela ressort des constats de l’expert judiciaire en page 6 (pièce n° 24 des époux [O] et n° 4 des époux [G]) et des conclusions des époux [G], lesquelles mentionnent en page 6 la vente par les époux [G] de « leur chambre de service ».

Il convient également de préciser que les désordres allégués par les époux [O] se situaient dans le salon aménagé par eux en 2018 en cuisine-séjour. A la date des opérations d’expertise, le chantier qu’avait entamé les époux [O] était terminé et les murs avaient été « doublés » de sorte que seul était visible, « sous la banquette côté coin repas », « dans l’angle gauche de la pièce », un tuyau d’évacuation en tube PVC DN40 en provenance du cinquième étage.

Décision du 21 Mars 2024
8ème chambre 2ème section
N° RG 20/08717 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSX32

Il convient aussi de préciser que si les époux [O] exposent que le tuyau en traversée de plancher qui passait par leur appartement fuyait, et s’ils versent à cet égard des attestations de témoins datées du 6 février 2018 et du 26 mars 2018 (respectivement, pièces n° 13 et n° 12 des époux [O]) ainsi qu’une mise en demeure en date du 16 mars 2018 (pièce n°15) qui mentionnent cette fuite active, aucune pièce n’est versée au débat qui permette de constater ce désordre. Les époux [O] ne se prévalent d’aucun préjudice né de cette fuite.
Sur le fond, contrairement à ce qu’affirme le compte rendu de visite réalisé le 5 mars 2018 par M. [N], architecte mandaté par le syndic (pièce n°8 des époux [O]), la tuyauterie en traversée de plancher provenant du studio du 5ème étage des époux [G] et qui passait par l’appartement des époux [O] ne recevait pas les eaux du WC sanibroyeur installé dans le studio des époux [G]. Il ressort en effet du compte rendu d’investigation des établissements LACROIX en date du 10 avril 2019 (pièces n°19 des époux [O]), réalisé après test de coloration des eaux, et du rapport d’expertise établi par M. [M] [C] le 5 novembre 2019 (pièces n° 24 des époux [O] et n° 4 des époux [G]) que seules les eaux usées de la douche et du lavabo ainsi que les eaux du groupe de sécurité du chauffe-eau électrique du studio des époux [G] s’écoulaient par la canalisation en tube PVC DN40 et étaient raccordées à l’évacuation privative de l’évier des époux [O]. Les eaux usées de l’évier et du lave-linge ainsi que les eaux vannes du WC sanibroyeur du studio des époux [G] étaient raccordées à l’extérieur à la descente des eaux pluviales côté rue. A cet égard, le tribunal relève une incohérence du rapport de l’expert, en ce qu’il constate, en page 5, un écoulement d’eau dans la canalisation passant par l’appartement des époux [O] après essais d’écoulement du wc broyeur, alors même qu’il exclut, compte tenu des investigations techniques réalisées par les établissements LACROIX, le raccordement des eaux du wc sanibroyeur à la canalisation privative de la cuisine des époux [O]. Le tribunal relève toutefois que les conclusions des investigations techniques des établissements LACROIX sont claires et non contestées par les parties.

S’agissant du trouble anormal du voisinage dénoncé par les époux [O], il convient de rappeler que l’analyse de ce trouble pouvait comprendre l’ensemble des bruits subis, qu’ils soient ou non liés à des évacuations d’eau passant par la canalisation privative des époux [O]. Cependant, l’expert constate, en page 17 de son rapport, des « bruits importants et réguliers de l’écoulement des eaux usées de la salle d’eau dans la canalisation en PVC passant dans la cuisine des consorts [O] ». Il limite donc le constat de ces bruits aux écoulements passant par la canalisation privative des époux [O]. Le rapport note encore, en page 10, que « à chaque utilisation de la salle d’eau au 5ème étage, à tout moment de la journée, il se produira dans l’appartement du 4ème étage, des nuisances sonores importantes », sans davantage de précisions. L’expertise ne comporte aucune mesure scientifique du bruit, ni ne constate avec précisions la durée, la répétition, l’intensité, le caractère diurne ou nocturne du bruit. Le tribunal relève que ni le procès-verbal de constat dressé le 17 avril 2018 à la demande de M. [O] (pièce n° 11 des époux [O]), ni les attestations versées à la procédure par les époux [O] (pièces n° 12 et n° 13 des époux [O]), ni les mises en demeure adressées le 16 mars 2018 (pièce n° 15 des époux [O]) et le 22 mai 2018 (pièce n° 14 des époux [O]) n’évoquent une quelconque nuisance sonore.

Dans ces conditions, les époux [O] ne démontrent pas l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Au surplus, l’installation de WC sanibroyeur en violation de l’article 47 de l’arrêté du 23 novembre 1979 portant règlement sanitaire du département de [Localité 5], c’est-à-dire l’irrespect d’une réglementation administrative, ne permet pas, à elle-seule, de caractériser l’anormalité du trouble de voisinage.

S’agissant en revanche de la responsabilité pour faute dont se prévalent les époux [O], il n’est pas contesté que les eaux usées de la douche et lavabo ainsi que les eaux du groupe de sécurité du chauffe-eau électrique du studio des époux [G] étaient raccordées au collecteur privatif de l’évacuation des eaux usées de la cuisine des époux [O], sans leur autorisation. La faute des époux [G] est donc ici caractérisée.

L’expertise relève que ce raccordement provoquait :
des bruits importants et réguliers de l’écoulement des eaux usées de la salle d’eau dans la canalisation en PVC passant dans la cuisine des consorts [O], une série de risques : un risque d’engorgement du collecteur d’évacuation des eaux usées en cas de chute d’un objet dans un appareil sanitaire, risque emportant des conséquences importantes telles que la nécessité de déposer les éléments bas de la cuisine des époux [O] pour accéder à la canalisation litigieuse et procéder au dégorgement et le risque d’inondation par le refoulement des eaux usées par les appareils.
La responsabilité pour faute des époux [G] sera donc retenue, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, s’agissant des désordres liés au raccordement non autorisé des eaux usées de la douche et du lavabo du studio des époux [G] au collecteur privatif de l’évacuation des eaux usées de la cuisine de l’appartement des époux [O].

1-2 : Sur l'indemnisation des préjudices

Sur le préjudice de jouissance

Les époux [O] soutiennent qu’ils ont subi un préjudice de jouissance du 16 mars 2018, date de la première sommation faite à M. [G] d’intervenir, au 16 mai 2020, date précédent la vente de l’appartement le 20 mai 2020. Ils exposent que ce préjudice de jouissance était caractérisé par des nuisances sonores importantes et régulières ayant affecté 50 % de la surface de l’appartement. Ils affirment qu’ils occupaient l’appartement avec un enfant en bas âge. Ils rappellent que l’expert a estimé la valeur locative de l’appartement à la somme mensuelle de 4.500 €. Ils précisent la méthode de calcul de leur demande relative au trouble de jouissance de la façon suivante : 4 500 € X 50% X 26 mois = 58 500 €.

En défense, les époux [G] considèrent que, compte tenu des conclusions du rapport d’expertise, ils ne pourraient répondre que du bruit lié à l’évacuation des eaux de la salle de bain. A cet égard, ils estiment que, s’agissant d’une chambre de service occupée par une personne, le temps d’utilisation de la douche et du lavabo ne peut excéder une durée supérieure à 15-20 minutes par jour. En outre, ils soutiennent que les époux [O] ne justifient pas d’un préjudice de jouissance lié à la perte d’usage de leur appartement.

***
Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est constant que les juges ont l'obligation d'évaluer le préjudice dont ils constatent l'existence (ex. : Civ. 3ème, 10 juillet 2012, n° 11-19.374).

En l'espèce, à titre luminaire, il convient de constater qu’aucun retard dans l’exécution du chantier de rénovation de leur appartement n’est allégué par les époux [O] à raison de la découverte de la tuyauterie en traversée de plancher provenant du studio des époux [G]. L’unique préjudice de jouissance allégué est relatif aux nuisances sonores subies.

A cet égard, l’expert mentionne, en page 17 de son rapport, que le préjudice de jouissance « est lié aux bruits importants et réguliers de l’écoulement des eaux usées de la salle d’eau dans la canalisation en PVC passant dans la cuisine des consorts [O] ». Comme relevé précédemment, ces écoulements sont ceux des eaux usées de la douche, du lavabo ainsi que les eaux du groupe de sécurité du chauffe-eau électrique du studio. Les écoulements n’étaient donc pas cantonnés, comme le font valoir les époux [G], à la seule utilisation de la douche du studio du cinquième étage, précision faite qu’ils affirment, sans pièces à l’appui, que le studio du 5ème étage n’était habité que par une seule personne.

Si le constat réalisé par l’expert de « bruits importants et réguliers » affectant 50 % de la surface de l’appartement doit être pris en compte, le tribunal relève toutefois que ni le procès-verbal de constat dressé le 17 avril 2018 à la demande de M. [O] (pièce n° 11 des époux [O]), ni les attestations versées à la procédure par les époux [O] (pièces n° 12 et n° 13 des époux [O]), ni les mises en demeure adressées le 16 mars 2018 (pièce n° 15 des époux [O]) et le 22 mai 2018 (pièce n° 14 des époux [O]) n’évoquent une quelconque nuisance sonore. La découverte de la canalisation litigieuse a été faite à l’occasion du chantier de rénovation de leur appartement sans que de quelconques nuisances sonores préalables aient été alléguées. A l’exception de l’expertise, les époux [O] ne versent donc aucune autre pièce permettant au tribunal de mesurer plus précisément les répercussions de ces bruits sur l’usage de leur appartement.

Dès lors, le tribunal ne peut raisonnablement prendre pour assiette de calcul du trouble de jouissance la valeur du loyer mensuel estimé à 4.500 € selon avis de valeur locative en date du 9 juillet 2019 (pièce n°22 des époux [O]). Compte tenu de la nature des désordres, de leur description générale par l’expert et des preuves versées aux débats, le trouble de jouissance sera calculé sur la base de 20% du loyer mensuel, soit 900 €, pour une surface de 50 % de l’appartement, sur la période du 16 mars 2018, date de la première sommation faite à M. [G] d’intervenir, au 16 mai 2020, date arrêtée par les époux [O] compte tenu de la vente de l’appartement le 20 mai 2020.

Les époux [G] seront donc condamnés in solidum à payer aux époux [O] la somme de 11.700 € (900 x 50 % x 26).

S'agissant du préjudice moral

Si les époux [O] exposent que la répétition des nuisances sonores a été source de stress et a affecté le sommeil de leur famille, les époux [G] constatent à juste titre qu’ils ne justifient pas de l’existence de ce préjudice. La seule affirmation de l’expert, en page 17, aux termes de laquelle « le fait de subir des nuisances sonores sans qu’aucune solution n’ait été mise en œuvre pour y remédier, peut être à l’origine de stress et d’exaspération », renvoie à une possibilité dont la réalité n’est attestée par aucune pièce versée aux débats. Au surplus, le tribunal constate que les époux [O] n’allèguent pas d’un préjudice moral lié à l’inquiétude de voir survenir les risques décrits par l’expert en cas d’engorgement de leur collecteur d’évacuation des eaux usées.

Les époux [O] seront donc déboutés de leur demande en condamnation in solidum des époux [G] au paiement de la somme de 7.250 € au titre du préjudice moral arrêté au 16 mai 2020.

Sur le préjudice financier lié à la perte de valeur de l’appartement (réduction du prix de vente)

Les époux [O] soutiennent que l’acquéreur de leur appartement a sollicité et obtenu une réduction de 30.000 € du prix de vente par rapport au prix sur lequel vendeur et acquéreur s’étaient initialement accordés le 21 février 2020, et ce en raison de la présence du tuyau de l’appartement du 5ème étage au sein de l’appartement.

En défense, les époux [G] contestent l’existence du préjudice financier lié à la perte de valeur de l’appartement des époux [O]. Ils considèrent d’une part que l’appartement a été vendu au-dessus du prix moyen du marché et au-dessus des prix les plus élevés du marché et, d’autre part, que cette vente a permis la réalisation d’une plus-value de 680.000 € par rapport aux prix d’achat, trois ans auparavant. Ils relèvent également que les époux [O] ne produisent aucun certificat de valeur de leur bien immobilier et que l’attestation fournie par leur agent immobilier n’est pas accompagnée de pièces justificatives.

***
En l’espèce, les époux [O] demandent, dans leur dispositif, la condamnation des époux [G] à leur payer in solidum la somme de 30.000 € « au titre du préjudice financier lié à la perte de valeur de l’appartement ». Dans leurs moyens, ils soutiennent cette condamnation « au titre de la réduction du prix de vente ». Cette prétention ne peut s’analyser que comme une perte de chance d’un gain manqué.

La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Il ressort de l’acte de vente du 20 mai 2020 (pièce n° 29 des époux [O]) que les époux [O] ont vendu leur appartement au prix net vendeur de 1.780 000 €, conformément à la promesse de vente en date du 13 mars 2020 (pièce n° 27 des époux [O]). Il ressort par ailleurs de l’attestation rédigée par Mme [B] [P] le 23 avril 2020, directrice de l’agence immobilière « Propriétés Parisienne Sotheby’s International Realty », que l’acquéreur, après avoir proposé le 18 février 2020 l’achat de l’appartement au prix de 1.850.000 €, honoraires compris, soit 1.810.000 € net vendeur, a revu l’offre qui avait été acceptée par les époux [O] le 21 février 2020, en sollicitant une baisse du prix de vente de 30.000 € au motif de « la présence du tuyau de l’appartement du 5ème étage dans l’appartement » (pièce n° 28 des époux [O]).

Il est donc établi, quelle que soit la valeur de l’appartement sur le marché à la date de sa vente, que l’acquéreur était prêt à acheter l’appartement des époux [O] au prix net vendeur de 1.810.000 € et que le prix de vente a été diminué de 30.000 €, en particulier, du fait de la présence de la canalisation litigieuse.

La perte de chance d’obtenir le paiement de cette somme ne pouvant être égale à 100 %, en ce qu’elle ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, celle-ci sera justement évaluée à hauteur de 60 % de la baisse du prix de vente négociée avec l’acquéreur, soit la somme de 18.000 €.

Les époux [G] seront donc condamnés in solidum à payer aux époux [O] la somme de 18.000 € au titre du préjudice financier lié à la réduction du prix de vente de l’appartement (perte de chance).

S’agissant du préjudice financier liée au règlement de la facture n°2018-2019-4380 du 15 avril 2019 de l’entreprise ETS LACROIX

Les époux [O] soutiennent que la facture de l’entreprise ETS LACROIX du 15 avril 2019 n’a pas été intégrée aux frais d’expertise. Ils font valoir que les investigations de cette entreprise ont permis de mettre en exergue le branchement « sauvage » des canalisations des époux [G].

En défense, les époux [G] soutiennent que la facture des établissements Lacroix, d’un montant de 750 €, relève des frais d’expertise et ne peut être assimilée à un préjudice financier propre.

***
En l’espèce, l’ordonnance de taxe en date du 18 décembre 2019 fixe la rémunération de l’expert à la somme de 7.084 €, sans précision des frais inclus dans cette somme (pièce n° 25). Si les investigations des établissements LACROIX ont permis de déterminer les raccordements des eaux des appareils sanitaires du studio du 5ème étage qui appartenait aux époux [G] et si ces conclusions ont été reprises par l’expert, force est de constater que la facture n° 2018-2019-4380 du 15 avril 2019 portant la somme de 847 € TVA incluse a bien été payée par les époux [O] (pièce n° 18 des époux [O]). Le tribunal relève également que le rapport d’expertise mentionne, en page 6, les établissements LACROIX comme une entreprise intervenant au soutien des époux [O] :

« Une séance de travail s’est tenue le 10 avril 2019, sur place [Adresse 2]

En présence de (Annexe n°6) :

[O]
Maître Richard-Ruben COHEN, avocat,
Monsieur [S] [O],
Ets LACROIX

[G]
Maître Jérôme CELLIE avocat,
Monsieur et Madame [G]

SDC [Adresse 2]
Maître Vincent DE LA SEGLIERE avocat
Cabinet JEAN CHARPENTIER SOPAGI gestionnaire
Monsieur [N] architecte ».

Les époux [G] seront donc condamnés in solidum à payer aux époux [O] la somme de 847 € au titre du préjudice financier suivant facture n°2018-2019-4380 du 15 avril 2019 de l’entreprise ETS LACROIX.

II – Sur les autres demandes :

Il convient de rappeler que, par décision du 8 novembre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a dit n’y avoir lieu à statuer sur l’article 700 du code de procédure civile et laissé provisoirement les dépens à la charge des époux [O], requérants.

Les époux [G], qui succombent, seront condamnés in solidum aux entiers dépens de l’instance en référé et de la présente instance, incluant les frais de l'expertise judiciaire d'un montant de de 7.084 € (pièce n° 25 des époux [O], ordonnance de taxe du 18 décembre 2019).

Par ailleurs, l'équité commande de condamner in solidum les époux [G] à payer aux époux [O] la somme de 4.000 € aux époux [O] au titre des frais irrépétibles.

S'agissant d'une assignation délivrée postérieurement au 1er janvier 2020 (II de l'article 55 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019), l'exécution provisoire est de droit, à moins que la décision rendue n'en dispose autrement, en application des dispositions de l'article 514 du Code de procédure civile.

Aucun élément ne justifie en l'espèce que l'exécutoire provisoire, qui est compatible avec la nature de la présente affaire, soit écartée, conformément à l'article 514-1 du Code de procédure civile.

Les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles, ainsi que de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

Met hors de cause le syndicat des copropriétaires sis [Adresse 2],

Condamne in solidum Monsieur [M] [G] et Madame [U] [G] à payer à Monsieur [S] [O] et Madame [R] [T] épouse [O] :
la somme de 11.700 € au titre du préjudice de jouissance,la somme de 18.000 € au titre du préjudice financier lié à la réduction du prix de vente de l’appartement, la somme de 847 € au titre du préjudice financier suivant facture n°2018-2019-4380 du 15 avril 2019 de l’entreprise ETS LACROIX,
Déboute Monsieur [S] [O] et Madame [R] [T] épouse [O] de leur demande en condamnation in solidum de Monsieur [M] [G] et Madame [U] [G] au paiement de la somme de 7.250 € au titre du préjudice moral,

Déboute Monsieur [S] [O] et Madame [R] [T] épouse [O] du surplus de leurs demandes indemnitaires formées au titre du préjudice de jouissance et du préjudice financier,

Condamne in solidum Monsieur [M] [G] et Madame [U] [G] aux entiers dépens de l’instance en référé et de la présente instance, incluant les frais de l'expertise judiciaire d'un montant de de 7.084 €,

Condamne in solidum Monsieur [M] [G] et Madame [U] [G] à payer à Monsieur [S] [O] et Madame [R] [T] épouse [O] la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes formées au titre des dépens et des frais irrépétibles ainsi que de leurs autres demandes.

Fait et jugé à Paris le 21 Mars 2024

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 8ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/08717
Date de la décision : 21/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-21;20.08717 ?
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