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20/03/2024 | FRANCE | N°22/08216

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/1/2 resp profess du drt, 20 mars 2024, 22/08216


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/1/2 resp profess du drt


N° RG 22/08216 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXNJX

N° MINUTE :


Assignation du :
06 Juillet 2018















JUGEMENT
rendu le 20 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [E] [O]
[Adresse 1]
[Localité 7]

représenté par Maître Olivier FOURGEOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1369


DÉFENDEURS

S.A. MMA IARD
[Adresse

3]
[Localité 5]

Maître [T] [B]
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentées par Maître Antoine BEAUQUIER de l’AARPI BCTG AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T1








Décision du 20 Mars 2024
1/1/2 resp pr...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt


N° RG 22/08216 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CXNJX

N° MINUTE :

Assignation du :
06 Juillet 2018

JUGEMENT
rendu le 20 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [E] [O]
[Adresse 1]
[Localité 7]

représenté par Maître Olivier FOURGEOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1369

DÉFENDEURS

S.A. MMA IARD
[Adresse 3]
[Localité 5]

Maître [T] [B]
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentées par Maître Antoine BEAUQUIER de l’AARPI BCTG AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T1

Décision du 20 Mars 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/08216 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXNJX

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Nadia SHAKI, Greffière lors des débats, et de Samir NESRI, Greffier lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 14 Février 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La Société civile immobilière [Adresse 2], devenue société SCI M3D, a été constituée en 1960, avec pour objet l’exploitation de biens immobiliers situés notamment [Adresse 2], à [Localité 8] (Hauts-de-Seine) (ci-après la société SCI M3D).

A la suite de la cession intervenue le 25 juillet 2011 par Madame [G] [O] épouse [R] d'une part au profit de Monsieur [E] [O], le capital de la société SCI M3D, composé de 500 parts, était réparti de la manière suivante :
- Madame [G] [O] épouse [R] : 498 parts ;
- Monsieur [Y] [O], frère de Madame [G] [R] : 1 part ; et
- Monsieur [E] [O], fils Monsieur [Y] [O] : 1 part.

En mars 1994, Monsieur [E] [O] et Madame [G] [O] épouse [R] ont constitué la société civile immobilière SCI BD dont ils détenaient respectivement 40 % et 60 % des parts.

Cette société civile immobilière a fait l’acquisition d’un terrain situé au [Adresse 1], à [Localité 8] (Hauts-de-Seine), sur lequel a été construit un immeuble.

La santé de Monsieur [Y] [O] s’étant détériorée, Monsieur [E] [O] a pris attache en 2011 avec Maître [T] [B], avocat au barreau de Seine Saint-Denis, afin de réaliser des opérations sur les parts de la société SCI M3D et de la société SCI BD, à savoir la cession au profit de Monsieur [E] [O] par Madame [G] [O] épouse [R] de l'ensemble des parts détenues par cette dernière dans le capital des deux sociétés.

Aux termes d’un acte de cession en date du 19 octobre 2011, Madame [G] [O] épouse [R] a indiqué renoncer à tout droit sur les parts de la société SCI M3D qu’elle n’avait jamais payées et convenir ne posséder que 129 parts, et a cédé à Monsieur [E] [O] lesdites 129 parts pour un montant total de 179 955,00 €.

Le 3 décembre 2011, Monsieur [Y] [O] est décédé.

Le 15 février 2012, ont été déposés auprès du greffe du tribunal de commerce de Nanterre :
- un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire en date du 23 août 2011 désignant Monsieur [E] [O] en tant que gérant de la société SCI M3D en lieu et place de Monsieur [Y] [O] ;
- l'acte de cession précité en date du 19 octobre 2011, préalablement enregistré le 25 novembre 2011 ; et
- des statuts mis à jour de la société SCI M3D ainsi qu’un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire, tous deux datés du 25 novembre 2011, mentionnant la répartition du capital suivante :
- Monsieur [E] [O] : 499 parts ; et
- Monsieur [Y] [O] : 1 part.

Par courrier du 12 avril 2012, Maître [T] [B] a reproché à Monsieur [E] [O] d'avoir fait déposer en février 2012 auprès du greffe des actes en se prévalant d'un mandat de sa part, alors même que le gérant, Monsieur [Y] [O], était décédé auparavant, et l'a mis en demeure de s'acquitter du solde de ses honoraires.

Le 8 mai 2012, Monsieur [E] [O] a saisi le bâtonnier d'une contestation des honoraires de Maître [T] [B] lui reprochant notamment des délais de traitement injustifiés, d'avoir purement et simplement abandonné à compter du 19 janvier la procédure d'enregistrement des nouveaux statuts auprès du greffe, ainsi que d'avoir fait usage à son encontre d'intimidation, de menace et de chantage.

Par ordonnance de taxe en date du 15 octobre 2012, le bâtonnier du barreau de Seine Saint-Denis a rejeté les demandes de Monsieur [E] [O] et l’a condamné à payer la somme de 2 828,96 € TTC à Maître [T] [B] au titre des honoraires lui restant dus. Cette décision a reçu l’apposition de la formule exécutoire le 14 octobre 2022.

Le 15 novembre 2016, le centre des finances publiques de Suresnes a adressé à Monsieur [E] [O] une proposition de rectification d'un montant total de 229 911,00 € au titre d'une donation indirecte par Monsieur [Y] [O] au profit de Monsieur [E] [O] portant sur 369 parts de la société SCI M3D.

Par exploit d’huissier en date du 6 juillet 2018, Monsieur [E] [O] a fait citer Maître [T] [B] et son assureur, la société MMA Iard, devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris, aux fins de voir reconnaître sa responsabilité professionnelle dans le cadre d'une mission de rédaction d'actes.

Par ordonnance du 11 avril 2019, le juge de la mise en état a prononcé la radiation de l'affaire du rôle du tribunal.

Par ordonnance rendue le 21 janvier 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a notamment constaté la péremption de l'instance.

Par arrêt du 20 avril 2022, la cour d'appel de Paris a infirmé cette ordonnance du juge de la mise en état et a débouté Maître [T] [B] et la société MMA Iard de leur demande de péremption de l'instance,

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [E] [O] demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- juger recevable son action ;
- condamner Maître [T] [B] à lui payer la somme de 462 983,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, décomposé de la manière suivante :
- la somme de 294 000,00 €, à parfaire, au titre de la non-régularisation des cessions de la société civile immobilière SCI BD ;
- la somme de 168 983,00 € au titre du transfert intervenu entre Monsieur [Y] [O] et Monsieur [E] [O], objet d’un contentieux fiscal ;
- condamner Maître [T] [B] à lui payer la somme de 10 000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Contestant la prescription de son action, il fait valoir que le point de départ du délai de cinq ans est la découverte du préjudice subi, à savoir la notification des services fiscaux en date du 15 novembre 2016 aux termes de laquelle il a eu connaissance de ce que son avocat n’avait pas régularisé les actes de cessions portant tant sur les parts de la société SCI M3D que sur les parts de la société SCI BD. Il ajoute qu'il n'appartient pas au client de vérifier le travail de l'avocat, si ce dernier n'a pas appelé son attention sur un problème spécifique, de sorte qu'il n'avait pas à s'assurer de la publication effectuée, et que son avocat ne lui a jamais remis l'acte de cession relatif aux parts de la société SCI BD, pourtant signé avant le décès de son père.

Sur le fond, il soutient en substance que Maître [T] [B] a commis une faute en ne régularisant pas les actes de cession pour lesquels elle était missionnée, à savoir :
- l’acte de cession de 60 % des parts de la société SCI BD par Madame [G] [O] épouse [R], pour lequel la défenderesse ne conteste pas avoir été missionnée sans toutefois le produire, alors qu'il semble avoir été signé – ainsi que cela ressort de plusieurs pièces - mais non déposé au greffe ; et
- la modification des statuts compte tenu de l’acte de cession par Madame [G] [O] épouse [R] de 129 parts de la société SCI M3D, dès lors que l'acte déposé auprès du greffe fait état d'une détention de 499 parts alors qu’aucune cession de parts n’était intervenue entre Monsieur [Y] [O] et Monsieur [E] [O] et que ce dernier ne devait donc détenir que 130 parts, et son père 370 parts.

Il estime infondées et non démontrées les allégations des défenderesses selon lesquelles il aurait lui-même établi des actes antidatés le désignant comme gérant après le décès de son père, alors même que les actes de cession ont été signés dès octobre 2011 et le paiement effectué. Il rappelle être un profane et ignorer tout des démarches juridiques à effectuer et soutient avoir été nommé gérant dès le 23 août 2011.

Au titre des parts de la société SCI BD, il évalue son préjudice à la valeur des parts sociales qu'il devait acquérir, soit 60 % du capital social, sur la base de la valeur totale de l'immeuble détenu par ladite société, soit la somme de 490 000,00 €. Il précise avoir payé le prix total convenu de 180 000,00 € pour l'ensemble des parts détenues par Madame [G] [O] épouse [R], sans se voir remettre les 60 % de parts de la société SCI BD.

Il indique ensuite que le transfert à son profit des parts de son père dans le capital de la société SCI M3D, matérialisé par le seul dépôt d’un procès-verbal d’assemblée et des statuts modifiés, et intervenu sans instruction expresse en ce sens, a été qualifié de donation déguisée par l’administration fiscale, le rendant redevable des droits de mutation à titre gratuit, des intérêts de retard et des pénalités pour un montant total de 168 983,00 €, selon avis de mise en recouvrement.

Il soutient enfin que le lien de causalité entre les fautes et ces préjudices résulte de la comparaison entre les missions confiées à la défenderesse et celles qui ont été réellement accomplies.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Maître [T] [B] et la société MMA Iard demandent au tribunal de :
- à titre principal, dire irrecevables comme prescrites les demandes de Monsieur [E] [O] ;
- à titre subsidiaire, rejeter l’intégralité des demandes de Monsieur [E] [O] ;
- à titre reconventionnel, condamner Monsieur [E] [O] à leur payer la somme de 20 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 10 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Maître [T] [B] et son assureur soutiennent tout d'abord que la Cour de cassation juge, pour un acte devant être publié dans registre officiel, que le point de départ relatif à une action qui en résulte court à compter de la date de cette publication, puisque la partie aurait dû connaître le fait lui permettant d’exercer l’action à cette date (2ème Civ., 6 septembre 2018, n°17-19.657) et qu'en l'espèce le demandeur a donc connu ou aurait dû connaître le fait dommageable, à savoir la soi-disant mauvaise répartition du capital social, à la date du dépôt des statuts modifiés auprès du greffe, soit le 15 février 2012. Ils ajoutent que les prétendus manquements évoqués par le demandeur ne sont en réalité que des refus volontaires et légitimes de l'avocat de procéder au dépôt d’actes frauduleux à la suite du décès d’un des associés, ce dont le demandeur a été informé immédiatement et ce qui démontre que les actes du 15 février 2012 n’ont pas été déposés par Maître [T] [B], ce que le demandeur savait. Ils soutiennent enfin que l'attestation de Madame [G] [O] épouse [R] en date du 30 novembre 2012, faisant état de doutes quant à la validité des actes, constitue au plus tard le point de départ de la prescription.

Sur le fond, ils contestent toute faute, faisant valoir que l'avocat a effectué sa mission de préparation d’actes en novembre 2011 avant le décès de Monsieur [Y] [O], au vu d'un acte désignant Monsieur [E] [O] comme gérant avec tout pouvoir pour lui demander d’effectuer l’enregistrement des actes au tribunal de commerce mais ce dernier lui a ensuite demandé d’antidater des actes avant de procéder aux formalités sans en informer son avocate, cette opération pouvant être qualifiée d’escroquerie, de faux et d’usage de faux de sorte qu'après une tentative d'obtenir une explication, Maître [T] [B] a mis un terme immédiat à sa mission début 2012, conformément à l'article 1.5 du règlement intérieur national des avocats.

Ils ajoutent que :
- en reprochant à son avocat d’avoir abandonné sa mission à compter du 19 janvier 2012, le demandeur reconnaît implicitement que la défenderesse n'a pas effectué le dépôt d'actes litigieux du 15 février 2012 ;
- le demandeur ne démontre pas la cession de 60 % des parts de la société SCI BD, puisqu’il ne verse pas aux débats l’acte de cession ;
- la non-réalisation de la formalité de dépôt est sans conséquence préjudiciable, puisque Madame [G] [O] épouse [R] semblait prête à réitérer cette cession en 2012.

Ils contestent le préjudice, au motif que dès lors qu'un préjudice ne peut découler du paiement d'un impôt auquel un contribuable est légalement tenu, les droits de mutation invoqués par le demandeur ne constituent pas un préjudice réparable, et que le préjudice relatif à la société SCI BD est fantaisiste, le demandeur pouvant acheter les parts de sa tante s'il souhaite s’en accaparer, au lieu d’en réclamer le prix à un tiers qui n’a rien à voir avec ce sujet.

Ils concluent enfin à l'absence de lien de causalité, dès lors que les droits de mutation imputés au demandeur résultent de la donation effectuée par son père, au sujet de laquelle Maître [T] [B] n'est pas intervenue, que l'intéressé n'explique pas comment il aurait pu échapper à l'impôt, et que le demandeur ne démontre pas que sa tante ait accepté de lui céder ses parts de la société SCI BD.

Au soutien de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts, ils font valoir que Maître [T] [B] a été particulièrement diligente dans sa mission, à laquelle elle a mis fin dès qu’elle a appris que son client envisageait de procéder à des opérations illicites en lui dissimulant le décès de son père, que Monsieur [E] [O] commet une faute qui va au-delà de la simple légèreté blâmable en lui attribuant le dépôt d’un acte intervenu le 15 février 2012 alors que la mission s’est terminée, de son propre aveu, le 19 janvier 2012 et en l’accusant de comportements de nature pénale dans des correspondances adressées au bâtonnier, intimidation, menace et chantage, la présente procédure ne semblant avoir été introduite que pour remettre en cause la condamnation prononcée par le bâtonnier, les demandes étant manifestement prescrites.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 mai 2023.

A l'audience du 14 février 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 20 mars 2024, date du présent jugement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La prescription d’une action en responsabilité ne court ainsi qu’à compter de la manifestation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation (1ère Civ., 9 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.390 ; 3ème Civ., 27 février 2020, pourvoi n° 18-24.008 ; 3ème Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-19.898 ; Com., 9 novembre 2022, pourvoi n° 21-10.632).

Enfin, il résulte de l'article 1353 alinéa 2 du code civil qu'il appartient à celui qui invoque la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre lui d'en justifier.

En l'espèce, si Monsieur [E] [O] a pu avoir connaissance dès février 2012 des manquements qu'il impute à Maître [T] [B] au titre des actes relatifs à la société SCI M3D, le dommage allégué ne s'est manifesté pas avant la notification d'une proposition de rectification par l'administration fiscale, intervenue le 15 novembre 2016.

Moins de cinq ans s'étant écoulés, la prescription n'était donc pas acquise lorsque l'assignation a été délivrée le 6 juillet 2018.

En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par Maître [T] [B] en ce que l'action porte sur des actes relatifs à la société SCI M3D.

En revanche, doit être déclarée irrecevable comme prescrite la demande de dommages et intérêts formée au titre de la non-régularisation de la cession de parts de la société SCI BD, dès lors que Monsieur [E] [O] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer plus de cinq ans avant la délivrance de l'assignation.

En effet, si, d'une manière générale, un client qui a confié une mission à un avocat n'a pas à vérifier le travail du professionnel du droit si ce dernier ne justifie pas avoir appelé son attention sur un point particulier (1ère Civ., 4 juillet 2019, pourvois n° 18-19.722, 18-20.215), il ressort, en l'espèce, tant du courrier de son avocat en date du 12 avril 2012 que de sa requête en date du 8 mai 2012 adressée au bâtonnier que Monsieur [E] [O] était alors informé que Maître [T] [B] avait prématurément mis fin à sa mission sans l'avoir totalement achevée, s'agissant notamment du dépôt d'actes auprès du greffe du tribunal de commerce de Nanterre.

Dans ce contexte, alors que l'article 1865 du code civil conditionne l'opposabilité aux tiers d'une cession de parts sociales à la publication au registre du commerce et des sociétés, Monsieur [E] [O] a connu ou aurait dû connaître non seulement la faute qu'il impute à son ancien avocat, à savoir le non-accomplissement desdites formalités, mais également le préjudice invoqué, constitué par l'absence de transfert dans son patrimoine de la propriété de 60 % des parts de la société SCI BD.

Dès lors, il convient de dire irrecevable la demande de dommages et intérêts en ce qu'elle porte sur la somme de 294 000,00 €, « à parfaire », au titre de la non-régularisation de la cession de parts de la société SCI BD.

Sur la responsabilité de l'avocat :

Engage sa responsabilité civile à l'égard de son client sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, l'avocat qui commet un manquement dans sa mission de conseil juridique, notamment du fait des conseils erronés et de ceux omis, ainsi que du défaut de validité ou d'efficacité des actes à la rédaction desquels il a participé, sans possibilité de s'exonérer en invoquant les compétences personnelles de son client ou l'intervention d'un autre professionnel.

Il appartient à l'avocat d'établir qu'il a rempli son devoir de conseil.

Il incombe en revanche au client qui entend voir engager la responsabilité civile de son avocat de rapporter la preuve de l'étendue du mandat confié à l'avocat en matière de conseil juridique, ainsi, le cas échéant, que celle du préjudice dont il sollicite réparation. Qu'il soit entier ou résulte d'une perte de chance, ce préjudice, pour être indemnisable, doit être certain, actuel et en lien direct avec le manquement commis.

En l'espèce, il est constant et ressort notamment d'un courrier du 4 novembre 2011 que Maître [T] [B] s'est vue confier par Monsieur [E] [O] la mission de rédiger les actes et d'accomplir les formalités relatives notamment à la cession au profit de Monsieur [E] [O] par Madame [G] [O] épouse [R] de 129 parts de la société SCI M3D.

Ces formalités impliquaient, afin rendre l'opération opposable aux tiers, le dépôt auprès du greffe du tribunal de commerce de l'acte de cession ou de statuts mis à jour.

Monsieur [E] [O] reproche à son ancien avocat d'avoir déposé un procès-verbal d'assemblée générale des associés et des statuts modifiés de la société SCI M3D mentionnant une répartition erronée du capital social.

Les cachets figurant sur les pièces produites démontrent que le dépôt de ces deux documents litigieux a été effectué le 15 février 2012.

Or, il ressort de la requête de Monsieur [E] [O] en date du 8 mai 2012 adressée au bâtonnier que Maître [T] [B] avait prématurément mis fin à sa mission le 19 janvier 2012, cessant à compter de cette date toute démarche au profit du demandeur auprès du greffe du tribunal de commerce de Nanterre.

En l'absence de toute preuve contraire, il en résulte que le dépôt litigieux en date du 15 février 2012 ne peut être imputé à Maître [T] [B].

En conséquence, à défaut de démonstration de la seule faute alléguée à ce titre, la demande de dommages et intérêts est donc rejetée en ce qu'elle porte sur les formalités de dépôt d'actes afférents à la détention de parts de la société SCI M3D.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive :

En application de l'article 32-1 du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil, une action en justice n'est abusive que dans l'hypothèse d'une faute du demandeur.

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de faute tenant notamment à la malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente au dol.

En l'espèce, Maître [T] [B] et la société MMA Iard ne rapportent pas la preuve d'une telle faute de la partie demanderesse, et notamment d'une intention de leur nuire, ni d'aucun préjudice en découlant.

En conséquence, il convient de rejeter la demande reconventionnelle de de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Maître [T] [B] et la société MMA Iard.

Sur les demandes accessoires :

Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux instances introduites devant les juridictions du premier degré avant le 1er janvier 2020, hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit par interdite par la loi.

En l'espèce, l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, est ordonnée, eu égard à l'ancienneté du litige.

Monsieur [E] [O], partie perdante, est condamné aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Enfin, compte tenu des démarches judiciaires accomplies et à défaut de production de factures acquittées, Monsieur [E] [O] est condamné à verser à Maître [T] [B] et la société MMA Iard la somme totale de 3 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

DIT irrecevable la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur [E] [O] à l'égard de Maître [T] [B] et la société MMA Iard, en ce qu'elle porte sur la somme de 294 000,00 €, « à parfaire », au titre de la non-régularisation de la cession de 60 % des parts de la société SCI Bd ;

DIT l'action recevable pour le surplus ;

REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par Monsieur [E] [O] envers Maître [T] [B] et la société MMA Iard au titre des formalités de dépôt d'actes afférents à la détention de parts de la société SCI M3D ;

REJETTE la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE Monsieur [E] [O] aux dépens ;

CONDAMNE Monsieur [E] [O] à payer à Maître [T] [B] et la société MMA Iard la somme totale de 3 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

Fait et jugé à Paris le 20 Mars 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/1/2 resp profess du drt
Numéro d'arrêt : 22/08216
Date de la décision : 20/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-20;22.08216 ?
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