TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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1/2/1 nationalité A
N° RG 23/06225
N° Portalis 352J-W-B7H-CZ2GY
N° PARQUET : 18/358
N° MINUTE :
Assignation du :
09 Mai 2023
M.M.
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 14 Mars 2024
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [G] (décédé) représenté par ses héritiers:
- M. [J] [Y] [O]
- Mme [X] [I]
- Mme [W] [O]
- Mme [E] [O]
- M. [R] [K] [G]
[Adresse 4]
[Adresse 1]
[Localité 9] - Tunisie
- M. [M] [V] [O]
[Adresse 6]
[Localité 3] (Allemagne)
représentés par Me Anne DEGRÂCES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0516
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 5]
[Localité 2]
Monsieur Arnaud FENEYROU, Vice-Procureur
Décision du 14 mars 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 23/06225
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière
DEBATS
A l’audience du 25 Janvier 2024 tenue publiquement
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 25 avril 2018 par [Z] [G] au procureur de la République,
Vu l'ordonnance du juge de la mise en état rendue le 8 juillet 2020 ayant constaté le décès du demandeur survenu le 17 mai 2019 à [Localité 9] et rejeté la demande de reprise de l'action par les ayants-droit de [Z] [G],
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 26 octobre 2021 ayant infirmé l'ordonnance du 8 juillet 2020 du juge de la mise en état et constaté la reprise par les consorts [G] de l'instance engagée par [Z] [G] par acte du 25 avril 2018 et renvoyé le dossier au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris,
Vu les conclusions de remise au rôle des consorts [G] en date notifiées par la voie électronique le 16 février 2023,
Vu les dernières conclusions des consorts [G] notifiées par la voie électronique le 26 juillet 2023 et le bordereau de communication de pièces notifié par la voie électronique le 6 décembre 2023,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 5 décembre 2023,
Décision du 14 mars 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 23/06225
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 décembre 2023 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024,
MOTIFS
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, aucun récépissé délivré n'est produit aux débats. Toutefois, les demandeurs justifient de l'envoi de l'assignation au ministère de la justice par courrier recommandé dont l'avis de réception a été visé par ledit ministère le 4 juin 2018.
La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
Les demandeurs revendiquent la nationalité française pour [Z] [G], dit né le 28 juin 1933 à [Localité 8] (Tunisie). Ils exposent que le père de celui-ci, [M] [G], né le 30 avril 1893 à [Localité 8] (Tunisie), est issu de [F] [G], né en 1844 à [Localité 7], de l'union de [P] [M] [G] et [A] [D] ; que [F] [G] est donc français comme originaire d'Algérie ; qu'il s'est marié avec [L] [U] en 1867 ; qu'en application de l'article 37 du code de la nationalité française, celle-ci a acquis la nationalité française au moment du mariage ; que [M] [G] s'est marié avec [S] [B] en 1916 de sorte que celle-ci a aussi acquis la nationalité française au moment du mariage ; que lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, [S] [B], d'origine non algérienne, n'a pas été saisie par la nationalite algérienne et a donc conservé de plein droit la nationalité française de sorte que de facto, son fils [Z] [G] l'a également conservée ; qu'[M] [G] n'était pas non plus saisi par la nationalite algérienne puisque sa mère [L] [U] avait également acquis la nationalité française conformément à l'article 37 du code civil ; que [Z] [G] a ainsi conservé de plein droit la nationalité française en application de l'article 32-3 du code civil lors de l'indépendance de l'Algérie.
L'action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui a été opposée à [Z] [G] le 21 juillet 2015 par le greffier en chef du service de la nationalité des Français nés et établis hors de France au motif qu'à supposer que son père ait été naturalisé français par décret, il n'en restait pas moins que lui-même avait acquis la nationalite tunisienne par décret individuel du 21 octobre 1957, perdant ainsi la nationalité française en application des dispositions de l'article 8-c de la convention franco-tunisienne signée le 3 juin 1965 (pièce n°1 du ministère public).
Le recours gracieux contre cette décision a été rejeté le 24 juin 2016 (pièce n°1 des demandeurs).
Le ministère public sollicite du tribunal de débouter les consorts [G] de leurs demandes en faisant valoir qu'il n'est pas justifié de la nationalité française de [Z] [G] avant l'indépendance de l'Algérie et qu'en tout état de cause, il n'est produit aucune pièce permettant d'établir que celui-ci aurait conservé cette nationalite après l'indépendance.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée pour [Z] [G], la situation de celui-ci est régie par les dispositions des articles 17 et 18 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 1945.
Selon l'article 17 de ce code, « Est Français :
1° L'enfant légitime né d'un père français ;
2° L'enfant naturel lorsque celui de ses parents à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie, est français. »
L'article 18 du même code dispose : « Est Français :
1° L'enfant légitime né d'une mère française et d'un père qui n'a pas de nationalité ou dont la nationalité est inconnue ;
2° L'enfant naturel lorsque celui de ses parents à l'égard duquel la filiation a été établie en second lieu est français si l'autre parent n'a pas de nationalité ou si sa nationalité est inconnue. »
Il est en outre rappelé que les effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance des départements d’Algérie, fixés au 1er janvier 1963, sont régis par l’ordonnance n°62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n°66-945 du 20 décembre 1966 ; ils font actuellement l’objet des dispositions des articles 32-1 et 32-2 du code civil ; il résulte en substance de ces textes que les Français originaires d’Algérie ont conservé la nationalité française :
- de plein droit, s’il étaient de statut civil de droit commun ce qui ne pouvait résulter que de leur admission ou de celle de l’un de leur ascendant, ce statut étant transmissible à la descendance, à la citoyenneté française en vertu exclusivement, soit d’un décret pris en application du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, soit d’un jugement rendu sur le fondement de la loi du 4 février 1919 ou, pour les femmes, de la loi du 18 août 1929, ou encore de leur renonciation à leur statut personnel suite à une procédure judiciaire sur requête, étant précisé que relevaient en outre du statut civil de droit commun les personnes d’ascendance métropolitaine, celles nées de parents dont l’un relevait du statut civil de droit commun et l’autre du statut civil de droit local, celles d’origine européenne qui avaient acquis la nationalité française en Algérie et les israélites originaires d’Algérie qu’ils aient ou non bénéficié du décret “Crémieux” du 24 octobre 1870 ;
- s’ils étaient de statut civil de droit local, par l’effet de la souscription d’une déclaration de reconnaissance au plus tard le 21 mars 1967 (les mineurs de 18 ans suivant la condition parentale dans les conditions prévues à l’article 153 du code de la nationalité française), ce - conformément à l'article 32-3 du code civil - sauf si la nationalité algérienne ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962, faute de quoi ils perdaient la nationalité française au 1er janvier 1963.
Il appartient donc aux demandeurs, [Z] [G] n'ayant pas été titulaire d'un certificat de nationalité française, de rapporter la preuve, d'une part, de la nationalité française du parent dont celui-ci la tiendrait avant l'indépendance de l'Algérie, d'autre part, d'un lien de filiation légalement établi à l'égard de ce parent, et, enfin, de la conservation de la nationalité française par l'intéressé postérieurement à l'indépendance de l'Algérie et ce, au moyen d'actes d'état civil probants au sens de l'article 47 du code civil.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l'Algérie, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer.
Par ailleurs, nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil et de celui des ascendants qu’il revendique, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Or, il est relevé d'emblée que les demandeurs ne produisent pas l'acte de naissance d'[S] [B] ni celui de [L] [U] et partant, ne justifient pas d'un état civil fiable et certain en ce qui concerne celles-ci. Ils ne sauraient se prévaloir d'une chaîne de filiation entre [Z] [G] et [S] [B] ou [L] [U], ni de la nationalité française de celles-ci ni, a fortiori, de la conservation de la nationalité française par elles postérieurement à l'indépendance de l'Algérie comme étant « d'origine non algérienne ». Il n'est donc nullement établi que [Z] [G] n'aurait pas été saisi par la loi de nationalité algérienne pour être descendant d'[S] [B] ou de [L] [U].
Par ailleurs, comme le relève le ministère public, les demandeurs ne produisent aucun jugement ni décret d'admission à la qualité de citoyen français permettant de démontrer l'accession au statut civil de droit commun de [Z] [G].
Il n'est enfin ni allégué, ni a fortiori démontré, que [Z] [G], majeur lors de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, aurait souscrit une déclaration en application de l'article 2 de l'ordonnance du 21 juillet 1962, précitée.
Dès lors, même à supposer établie la nationalité française de [Z] [G] avant l'indépendance de l'Algérie, il n'est nullement démontré que celui-ci aurait conservé cette nationalite après l'indépendance.
En conséquence, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le ministère public, il y a lieu de débouter les consorts [G] de leur demande tendant à voir dire que [Z] [G] est de nationalite française pour avoir conservé cette nationalité postérieurement à l'indépendance de l'Algérie. Par ailleurs, dès lors qu'ils ne revendiquent la nationalité française à aucun autre titre pour [Z] [G], il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, que celui-ci n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les demandeurs, qui succombent, seront condamnés.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Les demandeurs ayant été condamnés aux dépens, leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Déboute les consorts [G] de leur demande tendant à voir dire que [Z] [G] est de nationalité française ;
Juge que [Z] [G], né le 28 juin 1933 à [Localité 8] (Tunisie), n'est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Rejette la demande des consorts [G] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 14 Mars 2024
La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi