TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
1/2/2 nationalité B
N° RG 21/14168 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVNMN
N° PARQUET : 21/903
N° MINUTE :
Assignation du :
29 Octobre 2021
AJ du TGI DE PARIS du 10 août 2020
N° 2020/012875
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
V.B.
JUGEMENT
rendu le 14 Mars 2024
DEMANDEUR
Monsieur [I] [W]
[Adresse 3]
[Adresse 5]
SÉNÉGAL
représenté par Me Augustin PFIRSCH, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C2489 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/012875 du 10/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
Parvis du Tribunal de Paris
[Localité 1]
Virginie PRIÉ, substitute
Décision du 14/03/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 21/14168
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
assistées de Madame Manon Allain, Greffière.
DEBATS
A l’audience du 25 Janvier 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile par Madame Victoria Bouzon, magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT
Contradictoire,
En premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Manon Allain, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,
Vu l'assignation délivrée le 29 octobre 2021 par M. [I] [W] au procureur de la République,
Vu les dernières conclusions de M. [I] [W] notifiées par la voie électronique le 17 février 2023,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 17 avril 2023,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 22 décembre 2023 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024,
Décision du 14/03/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N° RG 21/14168
MOTIFS
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 8 février 2022. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l'action déclaratoire de nationalité française
M. [I] [W], se disant né le 15 octobre 1955 à [Localité 4] (Sénégal), fait valoir qu'il a conservé la nationalité française de plein droit lors l'accession à l'indépendance du Sénégal, suivant la condition de ses parents, lesquels ne se sont pas vu conférer de plein droit la nationalité sénégalaise.
Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 28 janvier 2019 par le directeur des services de greffe judiciaires du pôle de la nationalite française du tribunal d'instance de Paris, aux motifs que les états militaires de son père n'était pas un critère de conservation de la nationalité française au jour de l'indépendance du Sénégal et que ses parents, originaires du Sénégal, n’avaient pas établi leur domicile de nationalité hors du Sénégal au jour de l'indépendance du pays (pièce n°1 du ministère public).
Le ministère public sollicite du tribunal de dire que M. [I] [W] n'est pas de nationalite française.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.
Il doit être rappelé que les effets sur la nationalité de l’accession à l’indépendance des anciens territoires d’outre-mer d’Afrique (hors Algérie, Comores et Djibouti) sont régis par la loi n°60-752 du 28 juillet 1960 et par le chapitre VII du titre 1er bis du livre premier du code civil (soit ses articles 32 à 32-5), qui s’est substitué au titre VII du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi du 9 janvier 1973, qui s’est lui-même substitué aux articles 13 et 152 à 156 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 19 octobre 1945 et modifiée par la loi du 28 juillet 1960.
Il résulte de l’application combinée de ces textes que seuls ont conservé la nationalité française :
- les originaires du territoire de la République française (et leur conjoint, veuf ou descendant) tel que constitué le 28 juillet 1960, et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l'indépendance sur le territoire d'un Etat qui avait eu antérieurement le statut de territoire d'outre-mer de la République française, c'est-à-dire en ce notamment inclus [Localité 2], auxquels étaient assimilés les “métis” (et leurs descendants) nés de parents dont l’un, demeuré légalement inconnu, était présumé de souche européenne et d’origine française, reconnus comme tels citoyens français par jugements rendus sur le fondement du décret du 5 septembre 1930 (pour l’Afrique Occidentale Française) ou du 15 septembre 1936 (pour l’Afrique équatoriale française),
- les personnes qui ont souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française,
- celles qui ne se sont pas vu conférer la nationalité de l’un des nouveaux Etats anciennement sous souveraineté française,
- enfin, celles, originaires de ces territoires, qui avaient établi leur domicile hors de l’un des Etats de la Communauté lorsqu’ils sont devenus indépendants,
- les enfants mineurs de 18 ans suivant la condition parentale selon les modalités prévues à l’article 153 du code de la nationalité française de 1945 dans sa version issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945 telle que modifiée par la loi du 28 juillet 1960.
Le domicile au sens du droit de la nationalité s’entend d’une résidence effective présentant un caractère stable et permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations ; il ne se réduit pas au lieu de travail.
Il appartient ainsi à M. [I] [W], qui n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, de démontrer d'une part qu'il est originaire du Sénégal, et d'autre part, qu'il remplit un des critères prévus pour pouvoir conserver la nationalite française après l'accession à l'indépendance du Sénégal.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et le Sénégal, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par les articles 34 et 35 de la convention de coopération en matière judiciaire signée le 29 mars 1974 et publiée par décret numéro 76-1072 du 17 novembre 1976 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et certifiés conformes à l'original par ladite autorité.
Par ailleurs, nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil et de celui des ascendants qu’il revendique, par la production de copies intégrales d'actes d’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
En l'espèce, le ministère public fait valoir que M. [I] [W] n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 32-3 du code civil, prises pour éviter les cas d’apatridie et qu'en particulier, le demandeur bénéficie de la nationalité sénégalaise, comme le montre la carte nationalite identité de celui-ci, produite lors de la demande de certificat de nationalité française (pièce n°2 du ministère public).
Le demandeur n'a pas répondu à ces contestations soulevées par le ministère public.
Il ressort des conclusions du demandeur et des pièces versées à la procédure que M. [I] [W] se borne à alléguer que ses parents ne se sont pas vu conférer de plein droit la nationalite sénégalaise, sans produire le moindre justificatif pour étayer ses dires.
Dès lors, le demandeur, dont il est établi qu'il est de nationalité sénégalaise, ne démontre pas qu'il ne s'est pas vu conférer de plein droit la nationalite sénégalaise lors l'accession à l'indépendance du Sénégal.
Par ailleurs, comme cela est relevé par le ministère public, il n'invoque aucun autre critère de conservation de la nationalite française.
En conséquence, M. [I] [W] sera débouté de sa demande tendant à se voir reconnaître la nationalité française sur le fondement de l'article 32-3 du code civil. En outre, dès lors qu'il ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu'il n'est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, M. [I] [W], qui succombe, sera condamné aux dépens lesquels seront recouvrés conformément à la législation en matière d'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;
Déboute M. [I] [W] de sa demande tendant à voir juger qu'il est de nationalité française ;
Juge que M. [I] [W], se disant né le 15 octobre 1955 à [Localité 4] (Sénégal), n'est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Condamne M. [I] [W] aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions sur l'aide juridictionnelle.
Fait et jugé à Paris le 14 Mars 2024
La GreffièreLa Présidente
M. ALLAIN A. FLORESCU-PATOZ