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08/03/2024 | FRANCE | N°16/13811

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 2ème section, 08 mars 2024, 16/13811


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BERNARDINI #E399
Copie certifiée conforme délivrée à : Me GODEST #C104




3ème chambre
2ème section


N° RG 16/13811 -
N° Portalis 352J-W-B7A-CIZPO

N° MINUTE :


Assignation du :
02 septembre 2016















JUGEMENT
rendu le 08 mars 2024
DEMANDERESSES

S.A. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DES TELEPHERIQUES TARANTAISE-MAURIENNE (SETAM)
[Adresse 7]
[Localité

5]

S.A.S. SEIREL AUTOMATISMES
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentées par Maître Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399 & le Cabinet STOULS, avocats au barr...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BERNARDINI #E399
Copie certifiée conforme délivrée à : Me GODEST #C104

3ème chambre
2ème section


N° RG 16/13811 -
N° Portalis 352J-W-B7A-CIZPO

N° MINUTE :

Assignation du :
02 septembre 2016

JUGEMENT
rendu le 08 mars 2024
DEMANDERESSES

S.A. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DES TELEPHERIQUES TARANTAISE-MAURIENNE (SETAM)
[Adresse 7]
[Localité 5]

S.A.S. SEIREL AUTOMATISMES
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentées par Maître Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399 & le Cabinet STOULS, avocats au barreau de LYON, avocats plaidants

DÉFENDERESSE

S.A.S. AERIA
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Michel GODEST, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0104 & la SELARL BISMUTH, avocats au barreau de LYON, avocats plaidants

Décision du 08 mars 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 16/13811 - N° Portalis 352J-W-B7A-CIZPO

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Irène BENAC, vice-présidente
Véra ZEDERMAN, vice-présidente
Arthur COURILLON-HAVY, juge

assistés de Quentin CURABET, greffier lors des débats et de Caroline REBOUL greffière lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l’audience du 15 décembre 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA Société d’exploitation des téléphériques Tarentaise-Maurienne (ci-après SETAM), est titulaire du brevet français n°05 09653 déposé le 21 septembre 2005 et publié sous le numéro 2 890 929 le 9 novembre 2007 intitulé Procédé et dispositif de contrôle d’un organe de freinage ou de mise en mouvement auxiliaire pour installation de transport à câble.Elle en a donné licence exclusive la SAS Seirel automatismes (ci-après SEIREL) par acte du 10 août 2006.

Estimant que la SAS AERIA, spécialisée en électronique et automatismes, avait “développé et installé plusieurs systèmes permettant de simuler des charges pour les besoins des essais réglementaires des freins et des moteurs de secours des téléportés” contrefaisant son brevet dans deux stations de ski françaises, la société SETAM l’a rencontrée le 22 octobre 2015, puis l’a mise en demeure le 3 février 2016 de cesser l’exploitation de son procédé et de lui proposer une indemnisation.Le conseil de la société AERIA a contesté la contrefaçon alléguée, indiquant que le système de sa cliente était fondé sur une application logicielle n’entrant pas dans le champ du brevet.

Le 16 juin 2016, la société SETAM a obtenu une ordonnance aux fins de saisie-contrefaçon à la station de ski de [Localité 8], [Localité 6] ; la mesure a eu lieu le 5 août 2016.
Par acte du 2 septembre 2016, la société SETAM et la société SEIREL ont fait assigner la société AERIA devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de brevet et concurrence déloyale. Le 7 juillet 2017, le juge de la mise en état a désigné un médiateur mais cette mesure n’a pas permis aux parties de trouver un accord.

Par ordonnance du 29 mars 2019, le juge de la mise en état a rejeté la demande des sociétés SETAM et SEIREL de communication forcée par la société AERIA de divers documents au motif que le droit d’information ouvert par l’article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle permet d’ordonner la communication de pièces relatives à l’étendue de la contrefaçon mais non destinées à démontrer sa matérialité.
Le 17 mai 2016, la société SETAM a obtenu deux ordonnance aux fins de saisie-contrefaçon, l’une au siège de la société AERIA et l’autre auprès du bureau de contrôle Apave. Les deux mesures ont été exécutées les 10 et 12 juillet 2019. Sept documents techniques ont été saisis à l’Apave et quatre au siège de la société AERIA.

Dans leurs 6èmee et dernières conclusions signifiées le 13 juillet 2023, la société SETAM et la société SEIREL demandent au tribunal de :- défendre à la société AERIA de poursuivre ses actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, sous astreinte,
- ordonner à la société AERIA de leur communiquer tous documents portant sur les noms et adresses des fabricants, distributeurs, fournisseurs et détenteurs des dispositifs contrefaisants, les quantités produites et commercialisées et le prix obtenu, “au besoin” sous astreinte,
- ordonner la confiscation et la remise à la société SETAM et la société SEIREL des dispositifs contrefaisants pour destruction en présence d’un commissaire de justice,
- condamner la société AERIA à leur payer une provision de 100.000 euros à valoir sur la réparation de leur préjudice et réserver leurs droits sur l’évaluation définitive du préjudice subi,
- autoriser la publication du jugement à intervenir aux frais de la société AERIA,
- condamner la société AERIA aux dépens, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon, et à payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Dans ses 8èmes et dernières conclusions signifiées le 21 juillet 2023, la société AERIA demande au tribunal de :- à titre principal, annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 5 août 2016 et débouter les demanderesses de l’ensemble de leurs demandes,
- à titre subsidiaire, si la contrefaçon était retenue, déclarer nulles les revendications 1, procédé a) et c), 4, 5 et 8 du brevet n°05 09653 pour défaut de nouveauté et d’activité inventive,
- en tout état de cause, condamner la société SETAM à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15.000 euros en réparation de son préjudice d’image, aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2023.

MOTIVATION

I . Sur la contrefaçon du brevet n°05 09653

1 . Présentation du brevet n°05 09653

Aux termes de la description du brevet (page 2 lignes 6 à page 3 ligne 13), “L’invention concerne le domaine du contrôle d’un organe de freinage ou de mise en mouvement auxiliaire. Ces organes sont destinés à transmettre directement ou indirectement un couple à la poulie motrice. Dans la plupart des cas, ces organes sont constitués par le moteur de secours auxiliaire, le frein de service et le frein de sécurité. Actuellement, ce contrôle se pratique avec des essais réels durant lesquels on vérifie le bon fonctionnement de ces organes. Par exemple, pour le cas des freins des installations de transport, des charges sont installées dans les véhicules entraînés par le câble pour simuler les conditions habituelles de chargement. On installe alors dans chaque véhicule une série de charges de 80 kg correspondant par exemple à la capacité de chaque véhicule.
L’installation est mise en service jusqu’à un régime stabilisé de fonctionnement, puis les freins en cours de contrôle sont actionnés. Le temps d’arrêt de l’installation doit alors être compris entre deux valeurs extrêmes prédéterminées pour correspondre à un fonctionnement normal et sécurisé. (...) Suivant les règlements administratifs, ces essais peuvent être réalisés avec un chargement total de la ligne inférieur à sa capacité maximale.
On comprend bien que ces contrôles sont fastidieux, car ils nécessitent la mise en place d’une grande quantité de charges, ce qui est long, difficile et coûteux.
Ce problème devient majeur à cause de la fréquence élevée des contrôles imposés par les règlements administratifs. (...)
L’invention a pour but de pallier à ces inconvénients en proposant un procédé de contrôle d’un organe de freinage ou de mise en mouvement auxiliaire pour une installation de transport à câble, permettant de faciliter l’étape proprement dite du contrôle, et de diminuer le temps nécessaire à sa réalisation”.

La description n’évoque aucun art antérieur mais le rapport de recherche a identifié trois éléments de l’état de la technique illustrant l’arrière-plan technologique : un brevet EP 0 143 681 du 5 juin 1985 (Pomagalski), une demande WO 2004/035448 (Otis) du 29 avril 2004 et une demande WO 2005/066057 (Kone) du 21 juillet 2005, que les parties ne mentionnent pas dans leurs conclusions ni ne versent aux débats.
Le brevet français n°05 09653 comporte huit revendications, toutes invoquées au titre de la contrefaçon.
La revendication 1 est la suivante :Procédé de contrôle d’un organe de freinage (20, 21) ou de mise en mouvement auxiliaire (22) pour une installation de transport (10) à câble (13) entraînant des véhicules (17), ledit câble (13) s’étendant en boucle fermée entre au moins deux poulies (12, 14) dont l’une (12) au moins est motrice par des moyens d’entraînement (11) comportant un moteur principal (18), ledit organe (20, 21 22) étant destiné à transmettre un couple à la poulie motrice (12),
caractérisé en ce qu’il comprend les étapes successives suivantes :
a) à partir d’un régime stabilisé de l’installation (10), on détermine une courbe représentative de la variation de vitesse des véhicules (17) lorsque l’organe (20, 21, 22) se trouve dans un état normal actif, les véhicules (17) étant en charge et le moteur principal (18) n’étant pas alimenté ;
b) on détermine la valeur du couple instantané à transmettre à la poulie motrice (12) pour reproduire au niveau de la poulie motrice (12) les effets de l’inertie et/ou du couple résistant dus, pendant l’étape a), aux charges installées dans les véhicules (17) ;
c) à partir du même régime stabilisé de l’installation (10) que pour l’étape a), on actionne l’organe (20, 21, 22) vers son état actif pour réaliser son contrôle lorsque les véhicules (17) sont à vide, et on pilote simultanément le moteur principal (18) pour obtenir un couple égal à chaque instant à la valeur déterminée dans l’étape b).

Les revendications 2 et 3 sont :Procédé selon la revendication 1, caractérisé en ce que la valeur de couple déterminée dans l’étape b) correspond à chaque instant à l’écart entre les couples instantanés de première et deuxième courbes caractéristiques, respectivement représentatives du couple instantané à transmettre à la poulie motrice (12) pour reproduire la courbe de vitesse selon l’étape a) lorsque les véhicules (17) sont en charge et à vide, et l’organe (20, 21, 22) étant dans un état inactif.
Procédé de contrôle selon la revendication 2, caractérisé en ce que, pour obtenir les première et deuxième courbes caractéristiques de couple, on pilote le moteur principal (18) depuis le régime stabilisé de l’étape a) pour reproduire ladite courbe de vitesse des véhicules (17) et simultanément on enregistre le couple instantané délivré par le moteur principal (18).

Les revendications 4, 5, 6 et 7 portent sur le dispositif de commande transmettant les signaux de consigne de vitesse au moteur pour obtenir la courbe de l’étape a) (4) à un convertisseur statique pour assurer l’asservissement de la vitesse de rotation de la poulie durant l’étape b) (5) ou transmettant le signal représentatif du couple pour obtenir les 1re et 2ème courbes (6) et transmission d’un signal pour réaliser l’étape c) (7).
La revendication 8 porte sur le dispositif pour mettre en œuvre le “procédé selon l’une quelconque des revendications précédentes caractérisé en ce qu’il comprend un dispositif de commande agissant sur un convertisseur statique d’une part intercalé entre le moteur principal et la source d’énergie, et d’autre part géré par un automate de contrôle/commande communiquant avec ledit dispositif de commande, ledit dispositif de commande étant apte à :- acquérir et traiter des signaux représentatifs de la vitesse de rotation de la poulie motrice et de la valeur du couple délivre par le moteur principal,
- délivrer des signaux de consigne, respectivement de vitesse et de couple, au convertisseur statique afin de réaliser l’asservissement du moteur principal.”

2 . Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 5 août 2016

La société AERIA soutient que le représentant de l’exploitant de remontées mécaniques (M. [K]) et l’expert informaticien (M. [G]) ont évolué en parfaite autonomie, dépassant largement leur rôle d’assistance, sans prendre de consigne de la part de l’huissier instrumentaire qui ne leur a donné aucune instruction et s’est retrouvé en position de spectateur de la saisie-contrefaçon qu’il devait diriger et que cette violation des termes de l’ordonnance constitue une irrégularité de fond qui justifie l’annulation du procès-verbal.
Les demanderesses opposent que, même s’il n’a pas actionné lui-même le simulateur faute de la compétence technique nécessaire, l’huissier a fait des constatations personnelles des effets de ces actions et a bien décrit et distingué les interventions des uns et des autres.
Sur ce,

L’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment : “La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers”.
L’huissier (dorénavant commissaire) de justice agit dans les limites d’une ordonnance rendue sur requête par une juridiction.
La présence d’experts est expressément prévue par la loi.

Il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon que les opérations d’accès au système argué de contrefaçon ont été pratiquées par M. [K], personnel opérationnel de la cabine de pilotage du télécabine où se sont déroulées les opérations, pour l’accès à l’armoire électrique où se trouvait le système de pilotage marqué AERIA, et par M. [G], expert informatique dont la présence a été autorisée par l’ordonnance, pour la réalisation des manipulations permettant de constater les différents tests proposés par le système, tandis que l’huissier instrumentaire a noté les actes de chacun et procédé aux constatations des affichages obtenues.
L’accès donné par le responsable des installations et la réalisation des opérations de nature informatique par l’expert informatique ne caractérisent aucunement une inversion des rôles et il apparaît au contraire que l’huissier a personnellement réalisé les opérations autorisées par l’ordonnance et n’en a à aucun moment perdu le contrôle ni la direction.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 5 août 2016.

3 . Sur la matérialité de la contrefaçon

Les demanderesses soutiennent que le procédé AERIA, à l’instar de l’enseignement du brevet, pilote le moteur principal pour obtenir des couples égaux à des valeurs déterminées préalablement, enregistre la courbe de variation de la vitesse et la compare avec la courbe de référence obtenue avec les charges réelles.
Selon elles, les photographies prises lors de la saisie-contrefaçon du 5 août 2016 démontrent que la revendication 1 est reproduite par le procédé de la société AERIA dénommé BTC (pour banc test cinématique) en ce que la courbe rouge est le référentiel de couple élaboré au préalable à partir des charges réelles (étape a) et la courbe bleue “est le référentiel de vitesse avec AERIA étapes a et b)” de la revendication 1 ce qui est corroboré par les principes et les paragraphes Paramétrage et Réalisation des essais énoncés en pages 2 et 3 du Descriptif fonctionnel du banc de test de cinématique afin de tester les freins et les moteurs sans avoir recours à des charges physiques marque Sanslest (pièce n°32 saisie le 12 juillet 2019) et les termes des pièces 34-1 (dossier d’utilisation du BTC) et 34-3 (lettre du 8 décembre 2016 du STRMTG c’est-à-dire le Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés de l’Etat). Elles font en effet valoir que le dispositif BTC fonctionne :
- en partant des données initiales de l’installation à vide et en charge afin de “définir les paramètres de couple nécessaires”, ce qui correspond à l’étape a) de la revendication 1 du brevet, - à partir des valeurs mémorisées, des valeurs de couples sont calculées afin de reproduire les différents cas de charge, ce qui correspond à l’étape b), et
- enfin ces valeurs de couple sont transmises au moteur principal via un variateur (équivalent technologique du convertisseur statique) afin de faire les essais sans lest, ce qui correspond à l’étape c),
et que, si le simulateur AERIA ne mesure pas le couple pendant l’essai réel, il applique à la poulie motrice un couple suffisant pour tester les organes de freinage de sorte que la revendication 1 est reproduite et les revendications 2 à 8 dépendantes “ne peuvent que l’être”.

Elles ajoutent que la contrefaçon par la société AERIA est établie à tout le moins par équivalence en ce que le variateur, équivalent d’un convertisseur statique, permet de faire les essais sans lest et sans charge réelle est un équivalent (sans préciser de quoi).
La société AERIA oppose que le brevet ne met en œuvre que des moyens connus et courants dans l’industrie et que sa seule spécificité réside le fait qu’il prévoit de mémoriser la valeur du couple instantané selon l’étape b) résultant de l’écart entre deux courbes de mesures en charge et à vide, et la transmet au moteur à chaque instant.Selon elle, au contraire, sa solution BTC ne délivre pas une consigne de vitesse pour reproduire la courbe de l’étape a) et enregistrer le couple instantané : elle transmet une valeur qui n’est pas mémorisée mais qui résulte d’un algorithme théorique de sorte que la revendication 1 n’est pas reproduite ; la revendication 2 n’est pas non plus reproduite et, si elle l’était, cela entraînerait des à-coups sur une ligne non chargée et donc le balancement des véhicules non chargés ; les revendications dépendant les unes des autres, aucune n’est contrefaite par son procédé.
Elle précise que les photographies prises lors de la saisie-contrefaçon du 5 août 2016 ne démontrent aucunement la contrefaçon car la courbe rouge, présentée à tort par les demanderesses comme le référentiel de couple élaboré à l’étape a), est en réalité la mesure du couple dans le moteur et la courbe bleue, présentée à tort comme le référentiel vitesse obtenu selon les étapes a) et b), est en réalité le référentiel vitesse de l’installation résultant du relevé de chaque visite annuelle réglementaire.

Elle précise qu’il ne saurait y avoir contrefaçon par équivalent lorsque la fonction (sans préciser laquelle) n’est pas nouvelle, comme au cas présent, et que cette fonction n’est pas revendiquée.
Sur ce,

L’article L. 613-3 interdit, à défaut de consentement du propriétaire du brevet “a) La fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement, ou la détention aux fins précitées du produit objet du brevet ;b) L'utilisation d'un procédé objet du brevet ou, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que l'utilisation du procédé est interdite sans le consentement du propriétaire du brevet, l'offre de son utilisation sur le territoire français ;
c) L'offre, la mise sur le marché, l'utilisation, l'importation, l'exportation, le transbordement ou la détention aux fins précitées du produit obtenu directement par le procédé objet du brevet.”
L’atteinte aux droits du propriétaire du brevet est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité de son auteur, par l’article L. 615-1 du même code.

La contrefaçon par équivalence de moyens est caractérisée lorsque des moyens différents remplissent la même fonction que ceux du brevet pour parvenir à un résultat identique ou substantiellement identique à condition que le moyen n’exerce pas une fonction connue (Com., 27 juin 2018, pourvoi n°16-20.644). La fonction est entendue comme l’action de produire, dans l’application qui lui est donnée, un premier effet technique (Com., 6 février 2019, n°17-21.585).
L’article 9 du code de procédure civile dispose que “Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.”
Il n’est pas discuté et il s’évince des pièces que le dispositif BTC vise le même résultat technique que le brevet d’éviter d’avoir à lester les véhicules à l’occasion des tests annuels des organes de freinage et de moteur de mouvement auxiliaire, en utilisant le moteur principal, piloté en couple par un variateur, afin d’obtenir une courbe de décélération de la vitesse du câble sans charge physique pour reproduire les effets des charges.
Dans le brevet litigieux, la consigne de couple délivrée au moteur correspond à chaque instant à l’écart entre les couples instantanés de deux courbes caractéristiques, l’une des couples permettant de reproduire la courbe de vitesse lorsqu’on fait fonctionner l’organe (frein ou moteur) avec les véhicules en charge, et l’autre des couples permettant de reproduire la courbe de vitesse lorsqu’on fait fonctionner le même organe avec les véhicules à vide.

L’avis de validation du système AERIA par le STRMTG du 8 décembre 2016 (pièce n°34-3 des demandeurs) indique : “Le principe du BTC repose sur un couple fourni par le variateur, variable en fonction de la vitesse, et légèrement plus défavorable que la charge réelle. Ce couple permet de réaliser les essais de freinage de l’installation s’il est appliqué lors de l’entrée en action du frein mécanique, mais permet également de se substituer à la charge physique pour réaliser les essais de retenue de charge, de pression de glissement et de récupération au moteur de secours. A .Description
Le BTC ne vise pas à reproduire exactement la charge réelle des différents cas de charge, mais à produire un effort qui provoque des effets légèrement plus défavorables que l’effort produit par les charges réelles. Le couple produit par le moteur électrique est un couple variable linéairement en fonction de la vitesse. (...)
Le BTC repose sur un automate de sécurité dédié qui calcule en temps réel la consigne de couple transmise par le variateur. La non-altération de la partie logicielle et des paramètres du BTC est vérifiée par plusieurs checksums globales au BTC et particuliers à chaque essai. (...)
B . Mise en œuvre du BTC
1 - Installation (...)
2 - Élaboration du référentiel
Cette phase consiste à paramétrer le BTC afin de l’adapter aux caractéristiques de l’installation. Elle est réalisée par AERIA en différentes étapes et doit être validée par le TIA, comme c’est le cas pour les autres simulateurs déjà acceptés par le STRMTG :
- détermination des essais à réaliser sur l’installation en fonction de ses caractéristiques en cas d’exploitation ;
- détermination par relevés de valeurs et calcul les valeurs approchées des paramètres de couple du BTC ;
- enregistrement des courbes d’essais avec charges physiques pour les différents cas de charge ;
- enregistrement d’un référentiel vitesse : il consiste à enregistrer la courbe de vitesse sur un arrêt par inertie à vide et les courbes vitesse et couple pour un arrêt électrique à vide ;
- élaboration du référentiel BTC : appareil non chargé, il consiste pour chaque essai à déterminer par approximations successives la valeur des paramètres de couple (Cb et Cw) qui crée un effet légèrement plus défavorable que le même essai réalisé avec des charges réelles.
Pour chaque essai, les paramètres de l’essai et le checksum sont relevés sur le document ‘liste des paramètres’ spécifique à chaque installation. Ce document doit être cosigné par AERIA et le TIA à la fin de la phase d’élaboration du référentiel.”

Il est indiqué dans la pièce n°27 des demandeurs intitulée Banc de test de cinématique afin de tester les freins, moteurs et les générateurs sur une mécanique de manutention traction, treuil dans différents cas de charge sans avoir recours des charges physiques marque Sanslest, rédigée par la société AERIA et datée du 28 mars 2014 :“A partir des grandeurs physiques vitesse et couple, le dispositif élabore des ordres de commande tout ou rien, analogiques ou pulsés afin de reproduire les cycles de test respectant les gammes de décélération et les vitesses mémorisées avec les charges physiques. (...)
Ce dispositif tient compte de chaque élément mécanique et de leur position afin de reproduire l’image d’un couple de test qui est réellement l’image du couple de la charge d’essais. L’invention consiste à produire des couple de test différents en fonction de l’organe testé, mais aussi en fonction de sa position sur la chaîne cinématique et de son action résistant au moteur. Il tient compte de l’influence des réducteurs et de leurs caractéristiques de réversibilité afin de produire un couple de test sur l’actionneur suivant différents cas de figure.
Les dispositifs actuels sur le marché tiennent compte simplement de la vitesse réelle avec la charge pour reproduire une courbe de vitesse similaire en agissant sur le couple moteur. (...) L’invention porte donc sur la modélisation de la cinématique, grâce à un système informatique de mesure des grandeurs électriques, suivant des cycles de charge et de vitesse et permet de s’assurer que les couples de test soient identiques à ceux réalisé avec des charges physiques.”

Dans ce même document, la société AERIA fait valoir que son dispositif présente sur “le dispositif actuel SEIREL” trois avantages : éviter un phénomène de balancement des installations non lestées résultant des à-coups transmis à la mécanique du fait du temps de réponse pour enregistrer puis émettre la consigne de couple entre le variateur et le moteur, ne pas reproduire sur le moteur les variations brusques produites par les mouvements incontrôlés de câbles ou sièges/cabines et prendre en compte les caractéristiques du réducteur de réversibilité.
Il résulte de ces documents que le système BTC Sanslest définit à chaque instant des paramètres de couple afin de reproduire les différents cas de charge et les transmet au moteur principal via un variateur afin de faire les essais de contrôle sans lest et que son paramétrage repose sur des courbes d’essais avec des charges physiques et à vide. Toutefois il ne transmet pas un couple égal à celui qui est représentatif de la charge des lests mémorisée selon l’étape b) de la revendication 1 (défini comme “les effets de l’inertie et/ou du couple résistant dus, pendant l’étape a), aux charges installées dans les véhicules”) mais un couple, déterminé par un logiciel, représentatif d’effets légèrement plus défavorables que l’effort produit par les charges réelles et tenant compte non seulement de l’écart entre les courbes de vitesse préenregistrées de l’installation avec charges et à vide mais aussi d’autres facteurs propres à l’installation tels que “la position relative entre la charge réelle et la charge simulée” et les “pertes fixes et variables des composants et des caractéristiques de réversibilité des réducteurs” (pièce n°27 précitée), de sorte que la revendication 1 n’est pas littéralement reproduite.

Pour autant, l’algorithme de calcul du couple transmis au moteur principal par le BTC vise exactement et uniquement à la même fonction que le mode de calcul décrit aux revendications 1 à 3 du brevet litigieux, à savoir de commander au moteur principal un effort reproduisant celui des véhicules chargés par rapport à ceux à vide.Ce moyen est développé en vue d’atteindre le même résultat de permettre le contrôle des organes de freinage et des moteurs auxiliaires sans avoir à charger les véhicules et repose logiquement sur des données principales identiques.
Enfin, si la fonction précitée de faire transmettre une consigne de couple pour produire à l’aide d’un moteur des efforts mécaniques dus à une charge était connue dans d’autres secteurs de l’industrie, il n’est aucunement démontré qu’elle l’ait été, avant le brevet litigieux, pour commander à la poulie de systèmes de transport tels que des remontées mécaniques

Décision du 08 mars 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 16/13811 - N° Portalis 352J-W-B7A-CIZPO

L’utilisation de l’algorithme développé par la société AERIA est donc un moyen équivalent aux étapes de calcul décrites à l’étape b) de la revendication 1 du brevet de sorte que la contrefaçon par équivalent est établie.
4 . Sur la validité du brevet

La société AERIA fait valoir que :- parmi les trois étapes de la partie caractérisante de revendication 1, la première est une exigence réglementaire et la troisième est connue de longue date dans l’industrie ;
- les revendications 4, 5 et 8 portent sur des procédés connus de l’état antérieur de la technique.

Les demanderesses font observer que :- la société AERIA “ne distingue ni les critères de nullité d’un brevet ni explique en quoi les revendications seraient nulles en tant que telles” ce qui rend sa demande irrecevable ;
- quand bien même l’invention utilise des éléments techniques de l’industrie, aucun homme du métier n’avait, avant la SETAM, déposé un brevet pour simuler des essais de freinage de remontées mécaniques et le brevet 05 09653 est forcément nouveau car son objet a contraint le STRMTG à faire évoluer la réglementation qui “n’avait pas envisagé un tel cas” ;
- s’agissant de la revendication 1, la société AERIA n’oppose pas d’antériorité entière et suffisante et certaine mais seulement des documents soit postérieurs, soit purement théoriques, soit incomplets sans modélisation ni simulation d’essais qui ne divulguent pas le modèle mathématique et sa mise en œuvre afin de simuler les effets de la charge et l’activité inventive du brevet 05 09653 réside dans la détermination du couple qui doit être appliqué pour simuler la charge ce qui n’est en rien décrit dans les documents qui seraient antérieurs ;
- s’agissant de la revendication 8, il n’est pas produit d’antériorité de toute pièce ni destructrice d’activité inventive ;
- s’agissant des revendications 2 à 7, aucun moyen sérieux n’est présenté ;
- le rapport de recherche mentionne “néant” à la rubrique éléments de l’état de la technique susceptibles d’être pris en considération pour apprécier la brevetabilité de l’invention.

Sur ce,

L’article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment : “ Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique.”Pour être comprise dans l’état de la technique et privée de nouveauté, l’invention doit se trouver toute entière et dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent, dans la même forme, avec le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique.

L’article L611-14 du code de la propriété intellectuelle dispose qu’ une invention est considérée comme impliquant une activité inventive “si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. Si l’état de la technique comprend des documents mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 611-11, ils ne sont pas pris en considération pour l’appréciation de l’activité inventive”.
L’appréciation du caractère inventif implique de déterminer si, eu égard à l’état de la technique la personne du métier, au vu du problème que l’invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations.

La personne du métier est un spécialiste de niveau moyen du secteur technique dont relève l’invention, doté des connaissances théoriques et pratiques et de l’expérience qui peuvent normalement être attendues d’un professionnel du domaine concerné. Il s’agit ici d’un technicien ou un ingénieur mécanicien spécialisé dans les installations de transport à câble entraînant des véhicules s’étendant en boucle fermée entre au moins deux poulies dont l’une au moins est motrice.

A l’appui de son attaque de nullité, la défenderesse ne vise aucune antériorité de nature à priver l’invention de nouveauté. Dans ses développements en défense de la concurrence déloyale qui lui est reprochée, elle cite trois systèmes de tests de freins dénommés Larag, Magtrol et Puissance et un système de test de freins de remontées mécaniques dit ZenIS, qui utiliserait la même technique. La pièce correspondante (n°12) ne permet cependant pas de l’établir, ni son antériorité par rapport au brevet litigieux, et les demanderesses, si elles admettent qu’il s’agit d’un système selon leur brevet, soutiennent qu’il est mis en œuvre grâce à leur licence.
S’agissant de l’activité inventive, la société AERIA vise, sans les citer ni expliquer leur rapport avec l’invention, cinq pièces : deux concernent des commandes et systèmes de régulation des laminoirs à froid, deux concernent des systèmes d’entraînement électrique et de traction de bobineuses et l’une est l’extrait d’un ouvrage de technologie professionnelle d’électricité.Il ne saurait s’évincer de ces pièces non commentées qu’il était évident pour la personne du métier d’arriver à l’invention brevetée en s’appuyant sur elles.

Dès lors, il y a lieu de rejeter les demandes reconventionnelles en nullité, insuffisamment établies.
5 . Sur les mesures de réparation

La société SETAM et la société SEIREL demandent, dans leur dispositif, une interdiction sous astreinte, des mesures de rappel et de destruction ainsi que de publicité du jugement sans un mot dans leur motivation ; elles demandent en outre “Condamner la SAS AERIA à payer d’ores et déjà une provision de 100.000 euros” sans préciser à qui.
La société AERIA oppose que les interdictions demandées sont imprécises, qu’elle propose une application qui va au-delà de la sécurité des remontées mécaniques ce qui doit écarter les mesues de confiscation et de destruction, que la demande de provision n’est étayée par aucun élément relatif aux redevances de licences, autant d’éléments qui démontrent que l’action ne vise qu’à la déstabiliser et l’évincer du marché.Sur ce,

Selon l’article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle : “Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Aux termes de l’article L. 615-7-1 du même code, “en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur”.
L’article 3 de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle dispose :
“1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.
2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.”

L’interdiction de la poursuite de l’exploitation du dispositif BTC Sanslest pour le contrôle annuel des freins de sécurité et moteurs de secours des téléphériques en France par la société AERIA, jugé contrefaisant, est justifiée ; aucune circonstance n’est exposée nécessitant le prononcé d’une astreinte de sorte qu’il n’y a pas lieu de le faire.
La nécessité d’ordonner des mesures de rappel, de confiscation et de destruction de dispositifs identifiés n’est aucunement exposée. Les circonstances de l’espèce ne justifient pas en outre une publication. Ces demandes sont donc rejetées.
Quoiqu’interpellées sur ce point par les écritures adverses, les demanderesses n’indiquent pas la quantum du préjudice subi ou tout autre élément qui pourrait justifier l’allocation à l’une ou à l’autre d’une provision telle que demandée. Il y a donc lieu de les en débouter.

6 . Sur le droit d’information

La société SETAM et la société SEIREL demandent, dans leur dispositif : “la production de tous documents ou informations détenus par la SAS AERIA ou par toute personne en possession des dispositifs contrefaisants et portant sur : - les noms et adresses des fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs des dispositifs contrefaisants ;
- les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les dispositifs contrefaisants commercialisés”, sans un mot dans leur motivation.

La société AERIA ne conclut pas sur ce point.
Sur ce,

L’article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle, appliquant l’article 8 de la directive 2004/48 précitée, prévoit au bénéfice du demandeur à l’action en contrefaçon un droit d’information en vertu duquel la juridiction peut ordonner, s’il n’existe pas d’empêchement légitime, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou mettant en œuvre des procédés argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, la mise en œuvre de ces procédés ou la fourniture de ces services.Il résulte de l’article 3 précité de la même directive que la mesure doit être limitée à ce qui est effectif et proportionné au regard, notamment, de l’intérêt du défendeur à la protection du secret des affaires.

Il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon réalisé auprès de l’APAVE que deux stations ont été équipées du système AERIA contrefaisant et qu’aucun document permettant d’évaluer le préjudice selon les éléments précités n’a pu être découvert. Il n’est pas contesté que la fabrication et la commercialisation des systèmes BTC Sanslest tels que décrits ci-dessus et observés lors de la saisie-contrefaçon s’est poursuivie pendant l’instance. Le préjudice ne peut donc être déterminé et un droit d’information est nécessaire.

La société AERIA étant fabricante des dispositifs contrefaisants, ce droit d’information doit porter sur les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les dispositifs contrefaisants commercialisés et prendre la forme d’une attestation d’un tiers expert comptable ou un commissaire aux comptes. En l’absence de demande faite au nom de l’une ou l’autre des demanderesses, cette obligation pourra être remplie par la remise des documents à l’une ou l’autre indifféremment.

Décision du 08 mars 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 16/13811 - N° Portalis 352J-W-B7A-CIZPO

II . Sur la concurrence déloyale

La société SETAM et la société SEIREL font valoir que :- “Les agissements d’AERIA entraînent nécessairement un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle” ;
- la société AERIA pille le savoir-faire de la SETAM et de SEIREL, “cela sans vergogne, pour se placer dans son sillage commercial” ;
- “la volonté de s’approprier à bon compte le travail et les investissements d’autrui et d’induire les clients en erreur est évidente”.

La société AERIA oppose que :- les demanderesses n’invoquent aucun fait ni préjudice distinct de ceux qu’elles invoquent à l’appui de la contrefaçon ;
- le seul fait de commercialiser des produits concurrents à ceux distribués par un concurrent n’est pas fautif et est même nécessaire à la libre concurrence et elle ne crée aucune confusion avec les demanderesses ;
- les demanderesses ne caractérisent aucun préjudice et la présente action n’a pour but que de neutraliser un concurrent et obtenir des informations sur ses clients et fournisseurs.

Sur ce,

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements ou encore ceux constitutifs d’actes de dénigrement ou de désorganisation d’une entreprise.
Le licencié d’un produit breveté peut agir sur le fondement de l’action en concurrence déloyale au visa de l’article 1240 du code civil aux côtés du titulaire de brevet pour la réparation de son préjudice propre.L’action en concurrence déloyale peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon de brevet rejetée pour défaut d’atteinte à un droit privatif, à condition qu’il soit justifié d’un comportement fautif.

Au cas présent, il a été établi que le système logiciel de la société AERIA constitue une reproduction par équivalent d’un objet protégé par un droit de propriété intellectuelle mais les demanderesses ne produisent aucun élément qui viendrait corroborer les fautes citée au point 59 supra, et ne caractérisent aucunement le préjudice particulier qu’elles leur auraient causé à chacune.
En l’absence de faute caractérisée, les demandes de la société SETAM et de la société SEIREL au titre de la concurrence déloyale sont rejetées.
III . Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

La société AERIA fait valoir que l’action engagée par les demanderesses l’a été de mauvaise foi dans un but d’intimidation du fait de leur position dominante sur le marché et afin de porter atteinte à son image.
Les demanderesses ne concluent pas sur ce point.
Sur ce,

Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales ; il est néanmoins susceptible de dégénérer en abus et toute faute dans l’exercice des voies de droit est susceptible d’engager la responsabilité des plaideurs.
Il ne peut être reproché aux demanderesses d’avoir engagé une action judiciaire et demandé des saisies-contrefaçon sur la base du brevet d’invention valide dont elles sont respectivement titulaire et licenciée exclusive et leur position dominante sur ce marché, à la supposer démontrée, ne caractérise ni une intention de nuire, ni un abus du droit d’ester en justice.
Il y a donc lieu de rejeter les demandes de la société AERIA à ce titre.
IV . Sur les autres demandes

La société AERIA, qui succombe, est condamnée aux dépens de l’instance, qui n’incluent que partiellement les frais de saisie-conrefaçon, et à payer à la société SETAM et la société SEIREL, ensemble, la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La nature et l’ancienneté de l’affaire justifient de prononcer l’exécution provisoire du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette la demande de nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 5 août 2016 ;

Rejette la demande de nullité des revendications 1, 4, 5 et 8 du brevet français n°05 09653 ;

Fait défense à la SAS AERIA de poursuivre l’exploitation du procédé BTC Sanslest pour le contrôle annuel des freins de sécurité et moteurs de secours des téléphériques en France ;

Ordonne à la SAS AERIA de communiquer à la SA Société d’exploitation des téléphériques Tarentaise-Maurienne ou à la SAS SEIREL automatismes tous documents faisant apparaître les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées du procédé BTC Sanslest pour le contrôle annuel des freins de sécurité et moteurs de secours des téléphériques en France et le chiffre d’affaires réalisé, certifié par expert comptableou commissaire aux comptes, dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement ;

Réserve les droits de la SA Société d’exploitation des téléphériques Tarentaise-Maurienne et de la SAS SEIREL automatismes sur la réparation du préjudice subi ;

Rejette les demandes de mesures de rappel, de confiscation, de destruction de dispositifs et de publication ;

Rejette la demande de provision ;

Déboute la SA Société d’exploitation des téléphériques Tarentaise-Maurienne et la SAS SEIREL automatismes de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale ;

Déboute la SAS AERIA de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Condamne la SAS AERIA aux dépens de l’instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Carole Bernardini dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS AERIA à payer à la SA Société d’exploitation des téléphériques Tarentaise-Maurienne et la SAS SEIREL automatismes, ensemble, la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 08 mars 2024

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Caroline REBOULIrène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 16/13811
Date de la décision : 08/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-08;16.13811 ?
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