COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
(Décision Civile)
JUGEMENT : S.N.C. [Localité 1] INVEST c/ S.C.I. LE KARMA
N° 24 /583
Du 30 Août 2024
2ème Chambre civile
N° RG 21/00596 - N° Portalis DBWR-W-B7F-NJMZ
Grosse délivrée à
Me Vanessa POIRIER
Me Jérôme CULIOLI
expédition délivrée à
le 30/08/2024
mentions diverses
Par jugement de la 2ème Chambre civile en date du trente Août deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Karine LACOMBE, Présidente, assistée de Justine VOITRIN, Greffier
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale ;
DÉBATS
À l'audience publique du 26 Février 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 5 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction ;
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 30 Août 2024 après prorogation du délibéré, signé par Karine LACOMBE, Présidente, assistée de Estelle AYADI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION : contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
S.N.C. [Localité 1] INVEST (gérante : SARL STONE IMMO : M. [Y] [E])
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Vanessa POIRIER, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
DÉFENDERESSE:
S.C.I. LE KARMA
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par Me Jérôme CULIOLI, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Vu l’exploit d’huissier du 29 janvier 2021 par lequel la SNC [Localité 1] INVEST a fait assigner la SCI LE KARMA aux fins de voir constater une servitude de passage,
Vu les dernières conclusions de la SNC [Localité 1] INVEST, notifiées par RPVA le 31 mai 2022, qui sollicite du Tribunal de voir :
Vu les articles 686 et suivants du Code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
DIRE ET JUGER que la servitude de passage permettant à la SCI LE KARMA d’utiliser sa cage d’escalier s’étend du rez-de-chaussée au second étage,
VOIR murer l’accès de la cage d’escalier à compter du 3e étage de sa propriété,
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
CONDAMNER la SCI LE KARMA au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER la SCI LE KARMA aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la SCI LE KARMA, notifiées par RPVA le 7 mars 2022, qui sollicite du Tribunal de voir :
Vu l’acte notarié en date du 17 septembre 1953,
Vu l’annexe à l’acte notarié en date du 18 septembre 1953,
Vu l’article 32-1 du code de procédure civile,
Vu l’article 1240 du Code civil ,
À titre principal,
- DÉBOUTER de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions la SNC [Localité 1] INVEST notamment en ce que :
- Madame [S] (ancienne propriétaire) a consenti un droit de passage jusqu’au faitage et ce même en cas de construction à venir comme cela est annexé à l’acte notarié de cession entre Madame [S] et Madame [H],
- Elle pourrait bénéficier d’une servitude dite de « père de famille » au motif de l’article 693 du Code civil.
À titre reconventionnel,
- DÉCLARER que la SNC [Localité 1] INVEST a fait preuve d’une particulière mauvaise foi, et d’une légèreté blâmable en introduisant une procédure judiciaire sans procéder à aucune vérification préalable,
- CONDAMNER la SNC [Localité 1] INVEST au paiement d’une amende civile, ainsi qu’au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts à son profit au regard du caractère manifestement abusif de la procédure diligentée à son encontre.
En toutes hypothèses,
- CONDAMNER la SNC [Localité 1] INVEST à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
- CONDAMNER la SNC [Localité 1] INVEST aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Jérôme CULIOLI, avocat sous sa due affirmation de droit,
- DÉCLARER que l’exécution provisoire n’aura pas lieu d’être écartée.
Vu l’ordonnance du tribunal judiciaire de NICE en date du 4 avril 2023 portant injonction de rencontrer un médiateur,
Vu l’ordonnance de clôture du 12 octobre 2023 différée au 9 février 2024.
MOTIFS
Suivant acte notarié par-devant Maître [F] [W] en date du 19 septembre 2019, la SNC [Localité 1] INVEST a acquis de la SCI BALAR un immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 1], cadastrée KT[Cadastre 5].
Précédemment, par acte notarié en date du 17 septembre 1953, madame [S] ancienne propriétaire de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 1] a vendu à Madame [I] épouse [H] (ci-après madame [H]) un immeuble désigné comme suit : « Toute la partie Nord (non comprise dans la présente vente) de l’immeuble dont s’agit, constituée dans l’appentis élevé sur sous-sol d’un rez-de-chaussée, un étage et de la verrière constituant un deuxième étage, ladite en forme de triangle.
Toute la partie nord du dit immeuble constituée par l’appentis élevé sur sous-sol, d’un rez-de-chaussée, un étage et de la verrière constituant un deuxième étage, la dite partie en forme de triangle.
Ensemble tous droits de passage sur l’escalier situé dans l’immeuble contigu restant la propriété de madame [S], ainsi que le droit de mitoyenneté jusqu’au faitage de l’immeuble .
(…)
Conditions particulières :
À titre de conditions particulières à la présente vente, les parties conviennent :
- Que Mme [H], acquéreuse, aura la faculté de transformer la montée d’escalier d’accès de l’immeuble, et de percer des ouvertures dans le mur mitoyen,
- Que le mur qui sépare la partie présentement acquise par Mme [H] sera mitoyen avec la partie restant la propriété de Mme [S] jusqu’au faitage de l’immeuble de Mme [S],
- Qu’il ne pourra être exercé dans l’immeuble restant la propriété de Mme [S] aucun commerce similaire à celui exploité par M.[H] ».
Aux droits de madame [S] se sont succédés la SCI BALAR puis la SNC [Localité 1] INVEST.
Aux droits de madame [H] se sont succédés la SCI [O]-[U] puis la SCI LE KARMA.
La SNC [Localité 1] INVEST demande le prononcé de l’assiette de la servitude profitant à la SCI LE KARMA comme s’étendant du sous-sol au deuxième étage de la cage d’escalier en commun.
Elle rappelle que ce sont les termes de l’acte notarié du 17 septembre 1953 et qu’il n’était pas possible d’offrir une plus grande assiette de servitude en ce qu’à l’époque, l’immeuble vendu à la SCI LE KARMA n’avait qu’une hauteur de deux étages.
Elle qualifie la servitude cédée de servitude discontinue apparente et eu égard à cette qualité, elle ajoute qu’il n’est pas possible que l’assiette de la servitude ait été agrandie autrement que par un acte prenant la même forme que l’acte notarié initial.
Elle soutient que le courrier annexé à l’acte de vente n’est pas probant en ce que, si madame [S] avait eu la volonté d’adapter la serviette de la servitude aux travaux envisagés par madame [H], elle l’aurait précisé dans l’acte de vente, que le courrier annexé à un acte de vente n’a pas la même valeur probatoire que l’acte authentique original, qu’enfin, outre ce courrier, l’assiette de la servitude initialement définie a été répété dans tous les documents authentiques qui ont suivi.
Elle rappelle qu’un droit de mitoyenneté n’est pas un droit de passage.
Elle dénie au règlement de copropriété de 1956 sa valeur probatoire eu égard à la nature privée du document, inopposable aux tiers, faisant référence aux parties de l’immeuble de madame [H].
Elle soutient que les conditions de l’article 693 du Code civil, traitant de la servitude dite du bon père de famille, ne sont pas réunies puisque le propriétaire du fonds servant, en l’espèce elle-même, n’a pas agi afin de créer cette servitude.
Elle rappelle que le protocole d’accord en date du 25 août 2018 n’étend pas la servitude jusqu’au sixième étage de l’immeuble.
Elle soutient l’absence de preuve d’une faute commise quant à la demande reconventionnelle portée par la SCI LE KARMA.
En réponse, la SCI LE KARMA rappelle les termes de l’annexe de l’acte notarié du 17 septembre 1953 qui étend la servitude sur l’escalier même en cas de transformation des bâtiments, jusqu’au faitage.
Elle précise que madame [H] détient un droit de mitoyenneté jusqu’au faitage de l’immeuble et que ce droit de mitoyenneté s’étend comme un droit de passage sur l’escalier situé dans l’immeuble de madame [S] jusqu’au faitage, auquel se superpose également un droit de percer.
Elle ajoute que l’annexe a été ajoutée en sachant que le bâtiment nouvellement acheté par madame [H] allait être transformé et afin que la servitude accordée prenne en compte cette nouveauté.
Elle soutient que l’annexe fait foi comportant un double tamponnage notarial, un timbre fiscal ainsi que les paraphes de l’ensemble des parties et que la date a fait l’objet d’une modification manuscrite du 18 au 17 septembre 1953.
Elle rappelle le caractère public du document en ce qu’il était conservé au bureau de conservation des hypothèques, ancêtre du service de la publicité foncière.
Elle fait valoir le règlement de copropriété, établi en 1956 par le même notaire que celui de l’acte notarié, qui précise en son article 11 l’extension de la servitude en cas de transformation des bâtiments.
À titre subsidiaire, elle soutient l’application de la servitude dit du bon père de famille, établie à l’article 693 du Code civil étant donné que tant la SNC [Localité 1] INVEST que la SCI LE KARMA utilisent en commun l’escalier et que ce dernier est un signe matériel existant.
Elle produit le protocole d’accord du 25 août 2018, signé entre les parties, précisant que la servitude se porte sur les lots 1 à 8 de l’immeuble [H], correspondant aux niveaux du sous-sol au 6e étage.
Elle demande, à titre reconventionnel, la condamnation de la SNC [Localité 1] INVEST pour procédure abusive, en ce qu’elle a tenté d’empêcher la présente instance, que la SNC [Localité 1] INVEST a engagé une autre instance contre elle, qu’elle ne peut apurer ses dettes avec son locataire du fait du comportement de la société demanderesse et qu’une telle instance aurait pu être évitée si cette dernière avait consulté les archives départementales.
Sur l’étendue de la servitude
L’article 686 du Code civil dispose que l’usage et l’étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue, à défaut de titre, par les règles ci-après.
L’article 691 du Code civil précise que les servitudes discontinues, apparentes ou non apparentes, ne peuvent s’établir que par titres.
Aux termes de l’article 1369 du Code civil, l’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter.
Le titre fixe définitivement l’étendue de la servitude et ses modalités d’exercice, qui ne peuvent être modifiées que d’un commun accord entre les propriétaires des fonds dominant et servant,
Les servitudes établies par le fait de l’homme ne sont opposables aux acquéreurs que si elles sont mentionnées dans leur titre de propriété ou si elles font l’objet de la publicité foncière.
Une pièce ne constitue une annexe à un acte notarié que si elle est revêtue de la mention constatant cette annexe et signée du notaire.
En l’espèce, la servitude litigieuse a été établie conventionnellement par acte notarié, par devant Maître [Z] [G] [M] et de Maître [O] [K], en date du 17 septembre 1953, entre les parties madame [S] et madame [H].
Elle s’est établie comme suit : « ensemble tous droits de passage sur l’escalier situé dans l’immeuble contiguë restant la propriété de madame [S] ainsi que le droit de mitoyenneté jusqu’au faitage de l’immeuble [S] ».
Par courrier en date du 18 septembre 1953, madame [S] a consenti l’extension de l’assiette de la servitude établie comme suit : « s’applique à tout l’escalier jusqu’au faitage. Par conséquent, au cas où vous transformeriez les bâtiments que vous avez acquis, vous aurez le droit d’utiliser ledit escalier jusqu’au faitage ».
Cette annexe est valable en ce qu’elle comporte deux fois la mention « annexe à un acte notarié établi le 17 septembre 1953 », le paraphe de madame [H], de madame [S], de Maître [Z] [G] [M] et de Maître [O] [K].
Enfin, le fait que l’acte ait été établi le lendemain de l’acte de vente officiel ne porte aucunement atteinte à sa validité en ce que l’ensemble des documents a été enregistré le 24 septembre 1953, comme l’atteste la mention présente sur l’acte notarié.
Ainsi, il ressort de l’analyse des documents susvisés que la servitude de passage s’étend sur l’ensemble de l’escalier situé à la frontière entre l’immeuble de madame [S] et madame [H], avec ses modifications dimensionnelles subséquentes.
Force est également de constater que le doute ne peut subsister sur l’assiette de la servitude, qui semble bien connu de la SNC [Localité 1] INVEST en ce que le protocole d’accord entre la SCI [O] [U] et la SCI BALAR en date du 25 août 2018 fait état d’un droit de passage sur l’escalier d’une part et, d’autre part, du bénéfice de la servitude susvisée pour les lots 1 à 8 soit l’entièreté de l’immeuble Ce protocole est annexé à l’acte de propriété de la SNC [Localité 1] INVEST en date du 19 septembre 2019, de telle sorte qu’elle en a eu l’information au moment de son achat.
Dès lors, il convient de dire que la servitude accordée en faveur de la SCI LE KARMA sur l’escalier appartenant à la SNC [Localité 1] INVEST s’étend sur l’ensemble de l’escalier situé à la frontière entre les deux immeubles.
Il convient de débouter la SNC [Localité 1] INVEST de sa demande envers la SCI LE KARMA portant sur l’assiette de la servitude de passage et sur l’autorisation de murer.
Sur la demande reconventionnelle de condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive
L’article 1240 dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le dommage doit être certain, personnel, présent et direct.
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
En l’espèce, la SCI LE KARMA reproche à la SNC [Localité 1] INVEST une procédure abusive en ce qu’elle a entrepris une procédure alors même que des pourparlers avaient eu lieu donnant tous les éléments sur l’affaire en cours et qu’elle entreprend de nombreuses procédures contre la société défenderesse que cette dernière estime infondées.
La SCI LE KARMA prétend également subir un préjudice d’angoisse avec la crainte que sa voisine ne lui cause d’autres difficultés et d’un préjudice de jouissance concernant sa propriété. Elle développe également qu’elle ne peut vendre son fonds de commerce en raison de la présente procédure alors même que son locataire lui est redevable d’une dette de plus de 350 000 euros.
Toutefois, force est de constater que la SCI LE ne démontre pas en quoi le comportement de la SNC [Localité 1] INVEST serait constitutif d’une faute ouvrant droit à des dommages et intérêts, cette dernière ayant le droit d’agir en justice.
Dès lors, il convient de débouter la SCI LE KARMA de sa demande reconventionnelle.
Sur les demandes accessoires
Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, l’exécution provisoire sera ordonnée.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI LE KARMA ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.
La SNC [Localité 1] INVEST sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Succombant à l’instance, la SNC [Localité 1] INVEST sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
DIT que la servitude de passage accordée à la SCI LE KARMA s’étend sur l’entiéreté de l’escalier appartenant à la SNC [Localité 1] INVEST,
DÉBOUTE par conséquent la SNC [Localité 1] INVEST de sa demande de constatation de servitude et d’autorisation de murer,
DÉBOUTE la SCI LE KARMA de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive formée à l’encontre de la SNC [Localité 1] INVEST,
CONDAMNE la SNC [Localité 1] INVEST aux dépens dont distraction faite au profit de Maître Jérôle CULIOLI,
CONDAMNE la SNC [Localité 1] INVEST à verser la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) à la SCI LE KARMA au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SNC [Localité 1] INVEST de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT