N° RG 24/00463 - N° Portalis DBYS-W-B7I-M4RR
Minute N° 2024/
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
du 08 Août 2024
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[B] [H]
[C] [O]
C/
S.C.E.A. LA GREE
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copie exécutoire délivrée le 08/08/2024 à :
la SELARL PUBLI-JURIS - 181
copie certifiée conforme délivrée le 08/08/2024 à :
la SELARL PUBLI-JURIS - 181
la SELAFA VILLATTE ET ASSOCIES - 150 B
dossier
MINUTES DU GREFFE
DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
(Loire-Atlantique)
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ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
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Président : Pierre GRAMAIZE
Greffier : Florence RAMEAU
DÉBATS à l'audience publique du 27 Juin 2024
PRONONCÉ fixé au 08 Août 2024
Ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe
ENTRE :
Monsieur [B] [H], demeurant [Adresse 1] - [Localité 2]
Rep/assistant : Maître Christophe DOUCET de la SELAFA VILLATTE ET ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES
Madame [C] [O], demeurant [Adresse 1] - [Localité 2]
Rep/assistant : Maître Christophe DOUCET de la SELAFA VILLATTE ET ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES
DEMANDEURS
D'UNE PART
ET :
S.C.E.A. LA GREE (RCS NANTES 345 080 972), dont le siège social est sis [Adresse 4] - [Localité 2]
Rep/assistant : Maître Vincent CHUPIN de la SELARL PUBLI-JURIS, avocats au barreau de NANTES
DÉFENDERESSE
D'AUTRE PART
N° RG 24/00463 - N° Portalis DBYS-W-B7I-M4RR du 08 Août 2024
PRESENTATION DU LITIGE
M. [B] [H] et Mme [C] [O] sont propriétaires d'une maison d'habitation située [Adresse 1] à [Localité 2] pour l'avoir acquise le 31 mars 1994.
Suite à des doléances concernant des inondations régulières à l'occasion de débordements du ruisseau se jetant en aval dans l'Ognon puis le lac de [Localité 3] aggravés par l'exploitation agricole voisine, M. [B] [H] et Mme [C] [O] ont obtenu l'organisation d'une expertise par ordonnance de référé du 10 octobre 2019. L'expert désigné, M. [B] [U], a déposé son rapport le 19 octobre 2023.
Soutenant que l'expert a retenu la responsabilité de la SCEA LA GREE à hauteur de 85 % et celle de [Localité 5] METROPOLE pour 15 % et qu'il a préconisé des aménagements à réaliser d'urgence, M. [B] [H] et Mme [C] [O] ont fait assigner en référé la S.C.E.A. LA GREE par acte de commissaire de justice du 22 avril 2024 afin de solliciter la condamnation de la défenderesse à mettre en œuvre les mesures conservatoires d'urgence préconisées par l'expert sous astreinte de 250 € par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance et à leur payer une somme de 6 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La S.C.E.A. LA GREE réplique que :
- les conclusions de l'expert sont contestables en ce qu'il reconnaît que le terrain des demandeurs est intrinsèquement inondable et classé comme tel, que ceux-ci l'ont acquis en connaissance de cause et qu'aucune mesure ne mettra la parcelle à l'abri des inondations,
- l'expert admet le caractère exceptionnel du dernier événement du 11 juin 2018, reconnu comme phénomène de catastrophe naturelle,
- les demandeurs ont effectué des travaux les exposant davantage aux risques,
- l'expert préconise des travaux dantesques sur des terres qu'elle exploite, qui sont soumis à autorisation en vertu de la loi sur l'eau,
- le coût du dossier de demande de travaux est estimé entre 10 000 et 15 000 € et les travaux eux-mêmes entre 450 et 500 000 €,
- les mesures conservatoires proposées par l'expert, d'un coût évalué à 15 600 € sont aussi soumis à la loi sur l'eau,
- il n'y a pas urgence au sens de l'article 834 du code de procédure civile ni risque de dommage imminent au sens de l'article 835 en l'absence de sinistre depuis 6 ans,
- aucune obligation non sérieusement contestable n'est caractérisée,
- le trouble anormal de voisinage ne peut résulter de l'inondation d'une parcelle inondable,
- la réalisation des travaux, dont nul ne sait s'ils peuvent être exécutés, n'est pas possible.
Elle conclut au débouté des demandeurs avec condamnation solidaire ou in solidum à lui payer une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
M. [B] [H] et Mme [C] [O] rétorquent que :
- lorsqu'ils ont fait l'acquisition de leur maison, les terrains voisins n'étaient pas exploités,
- des bassins ont été réalisés sans autorisation ni déclaration,
- les actions d'urbanisation menées sur les terrains voisins ont imperméabilisé plusieurs hectares sans compensation du ruissellement,
- leur propriété a connu 4 épisodes d'inondation en moins de 20 années après les aménagements réalisés,
- pour l'expert judiciaire, la SCEA porte la responsabilité des inondations successives qu'ils ont subies,
- ce n'est pas parce que leur parcelle a été inondée une fois de manière exceptionnelle en 1977 qu'elle est inondable et aucune mention ne figure aux actes notariés à ce sujet,
- un rapport de manquement rédigé par la DDTM a donné lieu à une mise en demeure du préfet,
- les demandes de l'expert n'ont été suivies d'aucun effet,
- la condition d'urgence est remplie au vu des conclusions de l'expert,
- le trouble anormal de voisinage est caractérisé,
- les dispositions de l'article 640 du code civil interdisent l'aggravation des conditions d'écoulement des eaux,
- ils n'ont en rien aggravé leur situation, comme l'a vérifié l'expert,
- il y a péril imminent au vu des risques d'inondation à chaque épisode pluvieux.
MOTIFS DE LA DECISION
M. [B] [H] et Mme [C] [O] demandent l'exécution des travaux considérés comme mesure conservatoire urgente par l'expert et décrits en page 118 de son rapport consistant à dériver les écoulements du ruisseau affluent rive droite du ruisseau de la Filée avec comblement du lit du ruisseau et réalisation d'un merlon de terre.
L'expert a bien précisé que ces travaux sont soumis à autorisation au titre de la loi sur l'eau, ce qui est une évidence puisqu'ils consistent à modifier le cours d'un ruisseau.
Si la condition d'urgence exigée par l'article 834 du code de procédure civile peut être considérée comme remplie au vu de l'avis de l'expert et de la référence qu'il fait aux travaux imposés par ailleurs par l'administration et non exécutés, il faut rappeler que les mesures demandées sur ce fondement ne doivent souffrir aucune contestation sérieuse.
Or le trouble anormal de voisinage invoqué au soutien de la demande, qui dispense certes les demandeurs de rapporter la preuve d'une faute, est sérieusement contesté, dès lors que la construction, propriété des demandeurs, a été édifiée sur un terrain en 1973, alors que l'expert le considère comme inondable aux ¾ et que le PLUm classe la parcelle en limite de zone inondable, selon ses constatations figurant en page 84 et 85 du rapport.
Il ne saurait être considéré que l'inondation d'un terrain situé “en bordure d'un ruisseau dont le bassin versant d'une surface de 100 ha est en partie urbanisé et est à la confluence de ce ruisseau avec un affluent en rive droite” puisse être qualifié de trouble anormal de voisinage.
Il ne s'agit en effet que d'une illustration de ce qui est fréquemment constaté dans de multiples situations où des constructions ont été édifiées, particulièrement entre les années 60 et les années 90, en faisant fi des conseils des anciens et du bon sens, à proximité de ruisseaux ou au bord de falaises ou encore sur des polders non protégés par des digues.
Si l'expert n'a recensé que les épisodes d'inondation depuis la construction, il n'a pas recherché les plus anciens, mais il est bien évident que compte tenu de la proximité du ruisseau, le terrain n'en était certainement pas à sa première inondation en 1977.
L'autre fondement invoqué pour soutenir la demande consistant dans l'aggravation de la situation par l'exécution de travaux ayant pu alourdir la charge du fonds inférieur en vertu de l'article 640 du code civil suppose l'analyse complexe des fautes qu'auraient pu commettre la S.C.E.A. LA GREE à l'occasion de l'exploitation de ses terres agricoles, ce qui ne relève pas des pouvoirs du juge des référés face à une contestation sérieuse de ces fautes.
Sous l'angle du dommage imminent secondairement allégué pour solliciter les mesures sur le fondement de l'article 835 du code de procédure civile, la demande n'est pas plus fondée, car si les conséquences de l'inondation pourraient être sans aucun doute assez graves, la qualification de dommage imminent suppose un degré de certitude suffisant du bref délai dans lequel le risque doit se réaliser.
Or non seulement aucun élément objectif ne vient accréditer l'hypothèse d'une inondation à redouter très prochainement, puisqu'il s'agit d'événements sporadiques dont la fréquence est irrégulière et ne répond à aucune statistique prévisible, mais qu'en outre la répétition dans la région depuis plusieurs mois d'épisodes pluvieux exceptionnels cumulés ou violents, y compris spécialement dans les derniers jours ayant précédé l'audience, n'ont pas donné lieu à une nouvelle inondation depuis 2018.
La demande n'est donc pas fondée.
Etant déboutés, les demandeurs auront la charge de supporter les dépens conformément au principe de l'article 696 du code de procédure civile.
Tout en se gardant de porter indirectement une appréciation sur le fond, l'équité est difficile à apprécier au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile, dès lors qu'il ne fait aucun doute qu'aucune mesure ne peut être prononcée en référé sur la base du rapport de l'expert et qu'il n'en demeure pas moins que les demandeurs ont pu croire, au vu de ses conclusions et de la position de l'administration, qu'ils pouvaient l'espérer. Compte tenu de ces éléments, ils seront dispensés de payer une indemnité en vertu de ces dispositions.
DECISION
Par ces motifs, Nous, juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Déboutons M. [B] [H] et Mme [C] [O] de leur demande,
Les dispensons du paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons solidairement M. [B] [H] et Mme [C] [O] aux dépens.
Le greffier, Le président,
Florence RAMEAU Pierre GRAMAIZE