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10/07/2024 | FRANCE | N°21/02524

France | France, Tribunal judiciaire de Nantes, 4ème chambre, 10 juillet 2024, 21/02524


SG




LE 10 JUILLET 2024

Minute n°


N° RG 21/02524 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LD5S





[U] [J]

C/

Syndic. de copro. SDC [Adresse 1] À [Localité 6] SDC représenté par son syndic en exercice, la société 4 IMMO [Adresse 2] [Localité 7]
S.A.R.L. 4 IMMO





Autres demandes relatives à la copropriété





1 copie exécutoire et certifiée conforme à :
la SELARL CADRAJURIS - 26
la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DEFENSE C.A.D. - 245
la SELARL DENIGOT - SAMSON - GUIDEC - 103
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délivrées le
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
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QUATRIEME CHAMBRE


JUGEMENT
du DIX JUILLET DEUX MIL VINGT QUATRE



Compos...

SG

LE 10 JUILLET 2024

Minute n°

N° RG 21/02524 - N° Portalis DBYS-W-B7F-LD5S

[U] [J]

C/

Syndic. de copro. SDC [Adresse 1] À [Localité 6] SDC représenté par son syndic en exercice, la société 4 IMMO [Adresse 2] [Localité 7]
S.A.R.L. 4 IMMO

Autres demandes relatives à la copropriété

1 copie exécutoire et certifiée conforme à :
la SELARL CADRAJURIS - 26
la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DEFENSE C.A.D. - 245
la SELARL DENIGOT - SAMSON - GUIDEC - 103

délivrées le
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
---------------------------------------------------

QUATRIEME CHAMBRE

JUGEMENT
du DIX JUILLET DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors du délibéré :

Président : Stéphanie LAPORTE, Juge,
Assesseur : Nathalie CLAVIER, Vice Présidente,
Assesseur : Laëtitia FENART, Vice-Présidente,

GREFFIER : Sandrine GASNIER

Débats à l’audience publique du 14 MAI 2024 devant Stéphanie LAPORTE, siégeant en Juge Rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 10 JUILLET 2024.

Jugement Contradictoire rédigé par Stéphanie LAPORTE, prononcé par mise à disposition au greffe.

---------------

ENTRE :

Madame [U] [J], demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]
Rep/assistant : Maître Yannic FLYNN de la SELARL CADRAJURIS, avocats au barreau de NANTES

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

Syndic. de copro. SDC [Adresse 1] À [Localité 6] SDC représenté par son syndic en exercice, la société 4 IMMO [Adresse 2] [Localité 7], dont le siège social est sis [Adresse 1] - [Localité 7]
Rep/assistant : Maître Corinne SAMSON de la SELARL DENIGOT - SAMSON - GUIDEC, avocats au barreau de NANTES

S.A.R.L. 4 IMMO, dont le siège social est sis [Adresse 2] - [Localité 4]
Rep/assistant : Maître Thibaud HUC de la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DEFENSE C.A.D., avocats au barreau de NANTES

DEFENDERESSES.

D’AUTRE PART

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [U] [J] est propriétaire de locaux commerciaux au sein de l’immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 7] et soumis au régime de la copropriété.
Suivant acte authentique en date du 21 décembre 2011, Madame [U] [J] a donné à bail ses locaux commerciaux à Monsieur [L] [J] et Madame [D] [H], lesquels ont cédé leur fonds de commerce avec accord de la bailleresse à la société KHAN MIZANUR suivant acte sous seing privé du 29 mars 2017.
Sur la base d’un rapport d’expertise réalisé par Monsieur [W] [Y], en date du 07 janvier 2019 constatant l’existence d’un péril avéré et imminent, [Localité 6] METROPOLE a pris un arrêté de péril imminent le 09 janvier 2019 entraînant l’évacuation totale d’immeuble avec l’interdiction de s’y introduire avant levée dudit arrêté.
Suite à l’évacuation des locaux, la société KHAN MIZANUR a assigné à jour fixe Madame [U] [J] et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], à [Localité 6], devant le tribunal de grande instance de NANTES par requête en date du 03 septembre 2019.
Par jugement en date du 10 décembre 2019, le tribunal de grande instance de NANTES a prononcé la résiliation du bail entre la société KHAN MIZANUR et Madame [U] [J], débouté la société de toutes ses autres demandes formées contre la bailleresse, jugé le syndicat des copropriétaires responsable et l’a condamné à indemniser le preneur de ses préjudices. A ce titre, une expertise avant dire droit a été ordonnée afin d’en déterminer le montant. Une provision de 30 000 euros lui a été accordée.
Par exploits en date du 13 avril 2021, Madame [U] [J] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de NANTES le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 7] et son syndic la société 4 IMMO afin de les condamner à lui verser la somme de 12.825 euros au titre des pertes de loyers subies depuis janvier 2019.
Par dernières conclusions du 07 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyen, Madame [U] [J] a sollicité du tribunal, au visa des articles 1240 du code civil, 14 et 18 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, de :
- Dire et juger que le Syndicat des copropriétaires [Adresse 1] [Localité 6], représenté par son syndic la Société 4 IMMO, et le Syndic à titre personnel ont engagé leur responsabilité à l’égard de Madame [J] ;
En conséquence :
- Condamner in solidum le Syndicat des copropriétaires [Adresse 1] [Localité 6], représenté par son syndic la Société 4 IMMO, et la même Société 4 IMMO à verser à Madame [J] la somme de 30.875 € au titre des pertes de loyers depuis le mois de janvier 2019, somme à parfaire au jour de la décision à intervenir avec intérêts au taux légal, outre capitalisation à compte de la mise en demeure du 11 février 2021 ;
En tout état de cause :
- Condamner in solidum le syndicat des copropriétaires [Adresse 1] [Localité 6], représenté par son syndic la Société 4 IMMO, et la même Société 4 IMMO à payer à Madame [J] la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner les mêmes aux entiers dépens de l’instance ;
- Ordonner l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution, de la décision à intervenir. 
Madame [U] [J] sollicite la reconnaissance par le tribunal de la responsabilité du syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 6] et de son syndic la société 4 IMMO. Elle considère en effet que leur carence dans la réalisation de travaux, et donc le non-respect de leurs obligations propres, a favorisé l’arrêté de péril du 09 janvier 2019, l’interdisant alors de continuer l’exploitation locative de son local commercial et entraînant, par conséquence, un préjudice financier.
S’agissant du syndicat des copropriétaires, sur la base de l’article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, Madame [U] [J] rappelle ses obligations premières de conservation de l’immeuble et d’administration des parties communes. Elle soutient que celui-ci engage sa responsabilité de plein droit à son égard dès lors qu’elle subit un dommage du fait du vice de construction et du défaut d’entretien des parties communes, lesquels ont été constaté dans le rapport d’expertise de Monsieur [W] [Y]. Elle déplore l’inaction du syndicat des copropriétaires quant à l’entretien des parties communes, laquelle a concouru à la création du dommage et à son amplification dès lors qu’il avait été informé à deux reprises en 2017 et 2018 par [Localité 6] METROPOLE de la dangerosité du bâtiment.
S’agissant du syndic de copropriété, sur la base de l’article 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, Madame [U] [J] rappelle que les obligations principales du syndic tiennent dans l’exécution des délibérations de l’assemblée générale – outre les dispositions du règlement de copropriété –, dans l’administration de l’immeuble, sa conservation, sa garde, son entretien et l’exécution de sa propre initiative de travaux nécessaires à sa sauvegarde en cas d’urgence.
Elle soutient que le syndic engage sa responsabilité à son égard dès lors que, averti à plusieurs reprises de l’état inquiétant de l’immeuble, il n’a pas agi et donc manqué à son devoir de conservation de l’immeuble. Elle reproche également au syndic de n’avoir tenu que les assemblées générales annuelles sans en organiser d’autres à l’année, ce qui est révélateur de son manque d’implication. Elle déplore l’inexécution des travaux urgents malgré leur vote en assemblée générale du 20 avril 2018, et de manière plus générale, malgré le pouvoir qu’il détient de la loi de procéder à de tels travaux sans accord préalable de l’assemblée générale. Elle argue que cette situation a concouru à la survenance de son dommage.

Par dernières conclusions du 09 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 7], a sollicité du tribunal, au visa des articles 1240 du code civil, 14 et 18 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, de :
- Juger qu’en concluant un bail commercial alors qu’elle connaissait l’état de délabrement de l’immeuble sis [Adresse 1], qu’elle savait qu’il n’existait aucun financement de ces travaux de réfection, et en ne prenant aucune initiative auprès du SDC des copropriétaires et/ou du syndic pour que soient lancés les travaux de rénovation de l‘immeuble, Madame [J] a participé seule à la création de son propre préjudice financier en prenant le risque de conclure un bail commercial dans ces conditions ;
- En conséquence, rejeter la demande de dommages et intérêts formulée par Madame [J] ;
- Juger que l’équité commande qu’aucun article 700 du code de procédure civile ne soit accordé à Madame [J]. 
Le syndicat des copropriétaires sollicite du tribunal la reconnaissance de son absence de responsabilité dans la survenance du préjudice financier de Madame [U] [J], en soutenant que la faute du copropriétaire victime – et notamment l’obstruction injustifiée à la réalisation de travaux décidés par la copropriété, le non-paiement de charges de travaux ou le vote du report des travaux – est une cause d’exonération de responsabilité d’un syndicat de copropriétaires.
Il soutient que Madame [U] [J] a créé son propre préjudice financier. A ce titre, il expose qu’il ne fait aucun doute qu’elle avait connaissance du mauvais état de l’immeuble lors de la signature du bail commercial le 21 décembre 2011, tant le sujet avait été abordé lors de précédentes assemblées générales (28 juin 2010 ; 18 juillet 2011) lors desquelles il était fait état de la précédente intervention des services d’hygiène de la ville de [Localité 6] attirant l’attention sur l’état de l’immeuble. Il argue également que malgré la connaissance de l’état de l’immeuble, elle a voté, lors de l’assemblée générale du 29 juin 2012, pour l’annulation des travaux de façade et de toiture, et donc du budget, qui avaient été initialement votés lors de l’assemblée générale du 18 juillet 2011, suite au refus de l’Architecte des Bâtiments de France, ce qui n’a fait que renforcer l’impossibilité de mener les travaux pour pallier le risque de péril. Il expose enfin que cette situation ne pouvait s’arranger dès lors qu’elle n’avait fait aucune proposition à la copropriété pour améliorer la situation jusqu’à l’adoption de l’arrêté de péril en 2019.
Le syndicat des copropriétaires sollicite également du tribunal qu’il ne prononce aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile en soutenant qu’il serait inéquitable que la charge de ces frais repose sur l’ensemble des copropriétaires – qui composent le syndicat de copropriétaires – qui sont tous lésés par la situation.

Par dernières conclusions en date du 24 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société 4 IMMO, a sollicité du tribunal, au visa de la loi du 10 juillet 1965 et de l’article 1240 du code civil, de :
- Débouter [U] [J] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société 4 IMMO ;
- Condamner [U] [J] à payer à la société 4 IMMO la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La société 4 IMMO sollicite du tribunal la reconnaissance de son absence de responsabilité dans la survenance du préjudice financier de Madame [U] [J], en soutenant n’avoir commis aucune faute dans la gestion de la copropriété dès lors qu’il a été diligent, a veillé aux mesures conservatoires pour l’immeuble et alerté les copropriétaires sur la situation du bien. Pour en justifier, il fait état de toutes les assemblées générales annuelles qu’il a organisées jusqu’à 2019 et les nombreuses autres assemblées générales suite à l’arrêté, dont il détaille le contenu et met en évidence les fois où il a alerté les copropriétaires quant à la situation de l’immeuble. Il souligne que pour certains travaux alors votés, les copropriétaires ont eux-mêmes voté l’annulation de ceux-ci à l’assemblée générale suivante, ou tout simplement refusé de les voter. Il rappelle qu’il avait fait exécuter des travaux conservatoires mais que ceux-ci avaient dû être interrompus suite à la découverte de l’ampleur du désordre. Il fait également valoir qu’il ne disposait pas des fonds nécessaires pour faire réaliser des travaux en urgence de sa propre initiative compte tenu des difficultés de trésorerie, tout en arguant qu’il aurait fait exécuter les travaux s’il avait obtenu les fonds. Il soutient que dans ces conditions, il ne pourrait lui être reproché de ne pas avoir fait exécuter les travaux.
L’ordonnance de clôture de l’instruction a eu lieu le 14 mars 2024 et l’audience des plaidoiries, le 14 mai 2024.
L’affaire a été mise en délibéré au 10 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur la responsabilité du syndicat des copropriétaires
Selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis :
« La collectivité des copropriétaires est constituée en un syndicat qui a la personnalité civile.
Le syndicat peut revêtir la forme d'un syndicat coopératif régi par les dispositions de la présente loi.
Il établit, s'il y a lieu, et modifie le règlement de copropriété.
Il a pour objet la conservation et l'amélioration de l'immeuble ainsi que l'administration des parties communes.
Le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires. »
Selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires. Il est responsable des vices de construction, même s'ils ne sont pas de son fait, comme des dommages liés à un défaut d’entretien des parties communes.
Il s'agit d'une responsabilité de plein droit, qui va jouer en dehors de toute faute du syndicat.

Pour s'exonérer même partiellement de sa responsabilité, il appartient au syndicat de prouver la force majeure, ou la faute d’un tiers ou de la victime. Mais, comme la faute du syndicat n’est pas une condition de sa responsabilité, le syndicat ne peut s’exonérer par la preuve de l’absence de faute. Ainsi, ne constitue pas une cause exonératoire susceptible d'exonérer le syndicat ni le fait que le vice de la construction ne soit pas de son fait, ni le fait qu'il n'aurait jamais failli à ses obligations de surveillance et d'entretien, et, plus généralement, qu'aucune faute ne pourrait lui être reprochée à quelque titre que ce soit. Le syndicat répond dès lors de l'inexécution des travaux d’entretien des parties communes comme du retard dans l'exécution de ceux-ci.

Selon Madame [U] [J], le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1] à [Localité 6] est responsable de plein droit des pertes de loyers qu’elle a subies suite à l’arrêté de péril du 09 janvier 2019. Elle fait état du rapport d’expertise que Monsieur [W] [Y] a réalisé le 07 janvier 2019, dans le cadre de la procédure de référé expertise devant le tribunal administratif de Nantes. Selon ce rapport, la dégradation de l’immeuble est liée à la multiplication des constructions dans le temps, à des extensions sans respect des règles de l’art et à un défaut d’entretien. C’est sur la base de ce rapport que la collectivité a pris un arrêté de péril le 09 janvier 2019. La demanderesse souligne que [Localité 6] METROPOLE avait alerté à plusieurs reprises, en 2017 et en 2019, le syndicat des copropriétaires sur la dangerosité de l’immeuble et la nécessité de faire les travaux.
Ainsi que l’a retenu, le jugement du tribunal de grande instance de Nantes, en date du 10 décembre 2019, sur la base du rapport d’expertise de Monsieur [W] [Y], « la ruine de l’immeuble n’est pas due à un cas de force majeure mais à des vices de construction et à un défaut d’entretien. En effet, ce ne sont pas les bombardements de la seconde guerre mondiale qui sont la cause de la situation actuelle mais une réparation de l’immeuble en violation des règles de l’art. Le syndicat des copropriétaires n’a pas entrepris les travaux nécessaires à la conservation de l’ouvrage, même après mise en demeure de l’autorité administrative ». La déficience des parties communes traduit une carence du syndicat dans leur entretien qui engage sa responsabilité comme un manquement à son obligation de conservation et d’entretien. La responsabilité de plein droit du syndicat a été retenue dans la décision du 10 décembre 2019, afin de justifier sa responsabilité à l’égard de la société KHAN MIZANUR du fait des préjudices liés à l’impossibilité d’exploiter son commerce dans l’immeuble, suite à l’arrêté de péril pris le 09 janvier 2019. Cette responsabilité de plein droit est également applicable pour l’indemnisation des préjudices subis par les copropriétaires du fait de l’arrêté de péril ayant frappé l’immeuble.
Pour échapper à sa responsabilité, le syndicat des copropriétaires fait valoir que les fautes commises par Madame [U] [J] sont à l’origine des pertes de loyers dont elle demande réparation. Il soutient qu’elle a conclu le bail commercial avec Monsieur [L] [J] et Madame [D] [H], en connaissant l’état de l’immeuble, puisque l’assemblée générale du 18 juillet 2011 avait voté des travaux de réfection des façades et des couvertures, pour un budget de 150.152 euros TTC et qu’il était précisé que ces travaux devaient être exécutés, notamment suite à l’intervention des services d’hygiène de la ville de [Localité 6]. Il souligne qu’elle a conclu le bail commercial le 21 décembre 2011, avant même de connaître le financement des travaux précédemment votés, en introduisant dans le bail une clause mettant à la charge du preneur les travaux rendus indispensables par une autorité administrative. Il précise que les travaux votés le 18 juillet 2011, ont été remis en cause par les copropriétaires, lors de l’assemblée générale du 29 juin 2012, du fait du refus de l’architecte des bâtiments de France et Madame [U] [J] a voté pour l’annulation de ces travaux.

Il apparaît ainsi que Madame [U] [J] a conclu un bail commercial avec Monsieur [L] [J] et Madame [D] [H], puis accepté sa cession au profit de la société KHAN MIZANUR en 2017, en connaissant l’état de l’immeuble et la nécessité de réaliser d’importants travaux au niveau des façades et des couvertures. Elle avait nécessairement eu connaissance de l’intervention des services d’hygiène de la ville de [Localité 6] au moment du vote des travaux le 18 juillet 2011, a voté les travaux destinés à remédier à ces désordres, et a conclu le bail sans que les travaux aient été réalisés et que leur financement soit assuré. Elle a malgré tout participé au vote de la résolution ayant annulé ces travaux à l’unanimité, lors de l’assemblée générale du 29 juin 2012. Elle a ainsi refusé de prendre en compte les préconisations de l’architecte des Bâtiments de France, en ne pouvant ignorer que l’état de l’immeuble ne pourrait que se dégrader. Les travaux nécessaires à la remise en état de l’immeuble n’ayant finalement jamais été votés en assemblée générale, un arrêté de péril a été pris le 09 janvier 2019, imposant l’évacuation de l’immeuble et la fin du bail conclu avec la société KHAN MIZANUR. C’est l’absence de réalisation des travaux identifié dès 2011, qui a entrainé une dégradation continuelle de l’immeuble et est également à l’origine de la perte de loyers subie par Madame [U] [J].
La présomption de responsabilité posée par l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 n’est réfragable que pour deux causes déterminées : la faute de la victime ou du tiers, à la condition qu’elle ait causé l’entier dommage, ou la force majeure, qui doit présenter les caractéristiques d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, si bien qu’elle est rarement retenue. Il ne suffit pas, pour le syndicat des copropriétaires, de démontrer qu’il n’a pas commis de faute. Par ailleurs, si le fait de la victime ou d’un tiers est retenu mais n’a pas causé l’entier dommage, cela ouvre la voie à un partage de responsabilité.
Le fait pour Madame [U] [J] d’avoir conclu un bail en décembre 2011, après le vote de travaux destinés à remédier aux principaux désordres affectant l’immeuble, sans certitude quant à leur mise en œuvre et en annulant ce vote à l’assemblée suivante, constitue une faute à l’origine des pertes de loyers subie sept ans plus tard. Cette faute originelle a été confortée par l’incapacité des copropriétaires, dont Madame [U] [J] fait partie, à mettre en œuvre des travaux réparatoires et à garantir au syndicat une situation financière satisfaisante.
Certes, il n’est pas démontré par le syndicat des copropriétaires, que Madame [U] [J] est à l’origine de la dégradation de l’immeuble et est seule responsable de l’inertie du syndicat des copropriétaires dans la mise en œuvre de travaux indispensables à la conservation de l’immeuble. Mais, elle n’a pas fait en sorte que ces travaux, pourtant indispensables à la sauvegarde des locaux loués, soient exécutés et a fragilisé la situation financière du syndicat des copropriétaires en étant défaillante dans le paiement de ses charges et en refusant de voter des provisions spéciales.
En effet, il apparait à la lecture des procès-verbaux produits entre 2011 et 2019 qu’outre l’annulation des travaux décidés le 18 juillet 2011, lors de l’assemblée du 29 juin 2012, les copropriétaires, dont fait partie Madame [U] [J], ont refusé de voter la constitution de provisions spéciales en vue de faire face aux travaux d’entretien ou de conservation des parties communes entre 2012 et 2015, de réaliser les travaux nécessaires à la reprise de fissures en façade ou des couvertures de l’immeuble, en 2017 puis en 2018, en dépit des alertes adressées par [Localité 6] METROPOLE sur la dégradation de l’immeuble et sa dangerosité. Madame [U] [J] apparaît en outre débitrice d’une somme de 40.137,10 euros à l’égard de la copropriété, en 2022, contribuant par ses impayés de charges à l’incapacité du syndicat des copropriétaires de faire face aux travaux de plus en plus urgents.

Ainsi, cette résistance de la demanderesse, tant pour les votes de provisions spéciales ou de travaux que pour le paiement des charges, doit être considérée comme une faute ayant contribué à la dégradation de l’immeuble, à l’origine de l’arrêté de péril, ayant mis fin au bail conclu par Madame [U] [J], et généré sa perte de loyers. Elle ne saurait faire supporter à l’ensemble des copropriétaires, un préjudice financier dont elle est également responsable, pour avoir conclu un bail dans une copropriété déjà dégradée, sans s’assurer de l’exécution des travaux indispensables à sa conservation des locaux loués.
Le syndicat des copropriétaires peut ainsi s’exonérer partiellement de sa responsabilité à l’égard de Madame [U] [J], dès lors qu’il est établi que la perte de loyers que cette dernière a subie, lui est également imputable. Elle a, par son attitude, favorisé la dégradation de l’immeuble, jusqu’à son évacuation, l’ayant privé des loyers qu’elle percevait pour le bail commercial conclu en 2011.
Il convient de partager par moitié la responsabilité quant à la perte de loyers subie par Madame [U] [J] entre elle-même et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1] à [Localité 6].

II- Sur la responsabilité du syndic
Selon l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 précité : « I. Indépendamment des pouvoirs qui lui sont conférés par d'autres dispositions de la présente loi ou par une délibération spéciale de l'assemblée générale, le syndic est chargé, dans les conditions qui seront éventuellement définies par le règlement d'administration publique [décret en Conseil d'État] prévu à l'article 47 ci-dessous:
d'assurer l'exécution des dispositions du règlement de copropriété et des délibérations de l'assemblée générale;d'administrer l'immeuble, de pourvoir à sa conservation, à sa garde et à son entretien et, en cas d'urgence, de faire procéder de sa propre initiative à l'exécution de tous travaux nécessaires à la sauvegarde de celui-ci;(…) ».
Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Les copropriétaires peuvent agir en responsabilité civile personnelle du syndic sur le fondement de l'article 1240 du code civil, notamment pour les fautes commises dans le cadre de sa gestion de l’immeuble.

Madame [U] [J] soutient que le syndic de l’immeuble, la SARL 4 IMMO, a contribué à son préjudice, en n’assurant pas l’exécution de la délibération de l’assemblée générale du 20 avril 2018 et en ne procédant pas aux travaux urgents préconisés par l’expert judiciaire, dans son rapport du 07 janvier 2019.

La SARL 4 IMMO est devenu syndic de l’immeuble à compter de mars 2013 et produit les différents procès-verbaux des assemblées générales qui se sont tenus après cette date et jusqu’en 2019. Il apparaît à la lecture de ces documents, que dès 2014, le syndic a fourni des documents à la société URBANIS, en charge de repérer dans le quartier de l’Hôtel de ville de [Localité 6], les copropriétés nécessitant des travaux importants et susceptibles de bénéficier de subventions. La possibilité d’obtenir des aides pour le financement de travaux identifiés dès avant 2011, comme lourds car affectant notamment les façades et les couvertures, a visiblement retardé la réalisation des travaux. Dans le procès-verbal d’assemblée du 23 juin 2014, il est fait état des démarches auprès d’URBANIS, dans celui du 4 mai 2015, il est précisé qu’un diagnostic a été réalisé par cette société et que le dossier est en attente d’une décision accordant des subventions et en mai 2016, il est indiqué que les subventions ne seront finalement pas accordées. Dans ce procès-verbal du 2 mai 2016, la réalisation d’une étude par la SARL ATELIER CHRYSALIDE pour le ravalement des façades arrières de la copropriété a été votée. Le retard pris par la prise en charge éventuelle de travaux importants dans l’immeuble situé au [Adresse 1] ne saurait donc être imputé au syndic, qui a fait en sorte que ces travaux couteux puissent faire l’objet de subventions.

En 2017, ce sont les travaux du pignon et des cheminées qui sont envisagées, dans le cadre d’un diagnostic architectural et il apparait dans le procès-verbal de l’assemblée, que les services de la sécurité et de la tranquillité publique ont déjà alerté le syndic sur l’état de l’immeuble et le risque qu’il présente pour la sécurité publique. Il est indiqué qu’un diagnostic doit être réalisé et des mesures conservatoires prises si nécessaires. A l’occasion de cette assemblée générale du 24 avril 2017, le syndic a communiqué aux copropriétaires le courrier de [Localité 6] METROPOLE, les alertant sur la situation de l’immeuble le 13 avril 2017, les textes applicables à l’arrêté de péril, la proposition d’un diagnostic par l’ATELIER CHRYSALIDE et un devis de traitement de la fissure en façade de la société CHEZINE BATIMENT. Toutefois, l’approbation de ces diagnostics et des travaux n’a pas fait l’objet de vote lors de cette assemblée.

Lors de l’assemblée du 20 avril 2018, il apparait, que le diagnostic confié à la société ATELIER CHRYSALIDE a été réalisé, mais que la reprise de la fissure en façade n’a toujours pas été effectuée. Il est même indiqué que les copropriétaires ne votent que la pose d’une jauge pour apprécier son évolution, mais renoncent à la traiter. Il est fait état de problèmes d’infiltrations au niveau de la couverture et de l’effondrement d’une dalle dans la cour arrière de l’immeuble, suite à la présence d’un ancien réseau encastré des eaux pluviales et usées. En revanche, il apparaît dans le procès-verbal de l’assemblée générale que le sinistre de l’infiltration en toiture a été géré par le syndic au cours de l’année et les travaux réalisés ont été ratifiés en assemblée.

Lors de l’assemblée qui s’est tenue le 06 février 2019, le syndic a fait un point sur les travaux préconisés par l’ATELIER CHRYSALIDE en 2018 et voté lors de la présente assemblée, en rappelant que la situation financière de la copropriété n’avait pas permis de commander les travaux.
Il est mentionné qu’un expert judiciaire a été diligenté dans le cadre d’une procédure de péril imminent et a indiqué le 07 janvier 2019, que le péril était avéré et qu’il fallait déménager l’ensemble des habitants. Il apparait également dans ce procès-verbal que des travaux ont été engagés dans le cadre de la procédure d’arrêté de péril imminent depuis la présente assemblée, par le syndic qui en sollicite la ratification.

Sur la base de ces procès-verbaux, il n’est pas démontré que le syndic ait commis des fautes à l’origine du préjudice financier invoqué par Madame [U] [J]. Il en ressort que le syndic a mis régulièrement à l’ordre du jour, le vote de provisions spéciales ou permanentes refusées par les copropriétaires, ainsi que le vote de travaux, que les copropriétaires n’ont accepté de les financer qu’à partir du moment où la menace d’un arrêté de péril s’est concrétisée. Le syndic a commandé certains travaux urgents tels que ceux destinés à mettre fin aux infiltrations en toiture et à sécuriser l’immeuble, dans une copropriété dont la situation financière était clairement compliquée. Là encore, il ne peut être reproché au syndic de n’avoir pas pallier les carences des copropriétaires en matière de provisions et de travaux, cumulées sur plus de huit ans. Il ne peut lui être reproché de n’avoir pas réalisé en urgence les travaux préconisés par l’expert judiciaire pour éviter la décision administrative, alors que le rapport a été déposé le 07 janvier 2019 et que l’arrêté a été pris le 09 janvier 2019. L’état de l’immeuble était connu des copropriétaires depuis 2011, puisqu’ils avaient déjà voté à ce moment-là, des travaux de réfection des façades et des couvertures, pour un budget de 150.152 euros TTC. Ils ont attendu la menace d’un arrêté de péril et la décision administrative pour voter des mesures conservatoires.

Madame [U] [J] ne démontre pas l’existence d’une faute de la SARL 4 IMMO en lien avec les pertes de loyers qu’elle a dû supporter suite à l’arrêté de péril imminent. Il convient de la débouter de ses demandes à son encontre.

III- Sur les préjudices subis

Madame [U] [J] sollicite la somme de 30.875 euros correspondant à 65 mois de pertes d’un loyer mensuel de 475 euros de janvier 2019 à mai 2024, à parfaire jusqu’à l’exécution de la décision.

Il convient de limiter l’indemnisation du préjudice financier subi par Madame [U] [J] aux loyers qui auraient dû être perçus jusqu’à la fin du bail prévu au 20 décembre 2020, soit 23 mois à 475 euros (10.925 euros), dès lors que le bail commercial a été résilié du fait de l’arrêté de péril et que cette décision administrative reste un obstacle à toute mise en location de l’immeuble.

Madame [U] [J] ayant contribué par moitié à la survenance de ce préjudice, il y a lieu de condamner le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1] à lui verser la somme de 5462,50 euros au titre des pertes de loyers subies.

IV– Sur les autres demandes
En application de l'article 696 du code procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1] à [Localité 6] qui succombe, à titre principal, est condamné aux dépens.
L’équité commande de débouter les parties de leur demande de paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'exécution provisoire est de droit en vertu de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, après débats en audience publique

DIT que Madame [U] [J] a contribué à hauteur de 50% à la survenance de son préjudice financier ;

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1], [Localité 6], à verser à Madame [U] [J] la somme de 5462,50 euros au titre des pertes de loyers subies ;

REJETTE les demandes formées par Madame [U] [J] à l’encontre de la SARL 4 IMMO ;

CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 1], [Localité 6], aux dépens ;

REJETTE les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire du jugement est de droit.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Sandrine GASNIER Stéphanie LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21/02524
Date de la décision : 10/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-10;21.02524 ?
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